Lexbase Affaires n°274 du 24 novembre 2011 : Affaires

[Jurisprudence] Le poker est-il un jeu de hasard ou un jeu d'adresse ?

Réf. : TGI Toulouse, 5ème ch. correc., 20 juillet 2011, n° 06000061278 (N° Lexbase : A9216HZD)

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N8855BSR

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par Sabine Lipovetsky, avocat associé, Kahn & Associés

le 24 Novembre 2011

Le 20 juin 2011, le tribunal correctionnel de Toulouse a relaxé plusieurs prévenus poursuivis pour tenue de maison de jeux de hasard au motif que le "Texas Hold'Em" n'est pas un jeu de hasard. Cette décision de justice inédite en France pourrait avoir d'importantes conséquences sur le cadre juridique du poker. Pourtant, la prudence est de mise quant à la portée de ce jugement rendu en première instance et qui ne vise qu'une variante de poker, le "Texas Hold'Em".

I - Le "Texas Hold'Em" n'est pas un jeu de hasard selon les juges

Le débat portant sur la qualification juridique du poker en tant que jeu d'adresse ou jeu de hasard revient régulièrement dans les prétoires français dans le cadre de poursuites pénales pour tenue de maisons de jeux de hasard. En effet, ce délit consacré à l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983, relative aux jeux de hasard (loi n° 83-628 N° Lexbase : L0919HUL) est passible de sévères peines d'amende et d'emprisonnement. Le principal axe de défense des personnes poursuivies consiste à démontrer que le poker est en réalité un jeu d'adresse dans le but d'échapper à l'application des dispositions de ladite loi.

Selon une jurisprudence ancienne et constante des tribunaux judiciaires, le jeu de hasard se définit comme tout jeu où la chance prédomine sur l'habileté, la ruse, l'audace et les combinaisons de l'intelligence. La loi du 12 mai 2010, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (loi n° 2010-476 N° Lexbase : L0282IKN), consacre cette définition du jeu de hasard en le qualifiant de "jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence".

La Cour de cassation a, dès la fin du XIXème siècle, qualifié le poker de jeu de hasard reconnaissant que "les pertes et les gains parfois considérables que les joueurs peuvent faire [à ce jeu] dépendent beaucoup plus du hasard et de la chance que de leur habileté, de leur ruse, de leur audace et des combinaisons diverses dont ce jeu est susceptible" (Cass. crim. 28 mai 1930, Gaz. Pal., 1930.2.65).

Toutefois, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, dans une décision en date du 21 octobre 2010, avait déjà pu relever que le poker n'est pas un jeu de "pur hasard dès lors que l'habileté et la stratégie dans la pratique de ce jeu sont nécessaires afin d'accroître de façon importante la possibilité de percevoir des gains et d'augmenter leur montant" (TA Clermont-Ferrand, du 21 octobre 2010, n° 0900640 N° Lexbase : A5691HMQ). Le tribunal en avait alors déduit que la pratique habituelle du jeu de poker, y compris en ligne, dans des conditions assimilables à une activité professionnelle, est susceptible de constituer une occupation lucrative ou une source de profits générant un revenu imposable dans la catégorie des bénéfices commerciaux en vertu de l'article 92 du Code général des impôts (N° Lexbase : L7147ICP).

Une décision de la cour d'appel de Versailles, en date du 4 mars 2009, semblait également laisser entrevoir une ouverture. En effet, la juridiction d'appel indiquait que le hasard dans le jeu de poker pouvait être "neutralisé par la multiplication des coups et des parties" sans en tirer aucune conséquence juridique en l'espèce (CA Versailles, 9ème ch., 4 mars 2009, n° 07/01408 N° Lexbase : A7262EDC).

Il est vrai que la maîtrise du poker nécessite avant tout des qualités psychologiques (un sens de l'observation, une capacité à adapter sa stratégie à ses adversaires et à son environnement, une discipline permettant la patience nécessaire pour attendre les tables les plus profitables et les meilleures mains) ainsi qu'une connaissance des probabilités de distribution des mains, des probabilités et mécanismes de leurs améliorations dans la variante jouée.

Il est ainsi fréquemment soutenu que, dans le cadre du poker, l'expérience du joueur, son sens de l'observation et de la stratégie ou encore son aptitude à "bluffer" sont autant de preuves du fait que les combinaisons de l'intelligence prédominent sur la chance.

Dans la décision du tribunal correctionnel de Toulouse en date du 20 juin 2011, la qualification de jeu de hasard a été clairement rejetée pour la première fois en matière de poker par un juge français. Plusieurs hommes d'affaires toulousains étaient poursuivis pour avoir organisé au sein des locaux d'une association des parties et tournois de poker dit "Texas Hold'Em". La défense s'est appuyée sur l'avis de trois experts dont un joueur professionnel de ce type de jeu, un champion de France d'échecs et de bridge, jeux dans lesquels les combinaisons de l'intelligence prévalent sur la chance, ainsi qu'un docteur en mathématiques. La conjonction de leurs témoignages a ainsi convaincu le tribunal du fait que la technique et les qualités de maîtrise, de ruse et de "bluff" jouaient un rôle prépondérant dans le déroulement de ce jeu.

II - La décision du 20 juin 2011 ouvre des perspectives mais sa portée est incertaine

La portée de la décision du 20 juin 2011 est limitée à une variante de poker, le "Texas Hold'Em". Cette variante, également dénommée "poker ouvert", se joue avec sept cartes (au lieu de cinq) dont deux sont tenues en main et cinq autres sont exposées à la vue des autres joueurs. Cette configuration particulière du poker permet des combinaisons qui rapprochent ce jeu de celui du bridge, ce qui a d'ailleurs été mentionné dans la décision du tribunal correctionnel. Or, les juges considèrent de façon constante le bridge comme un jeu dans lequel la technique prévaut sur la chance. En conséquence, il n'est pas évident que le principe retenu dans cette décision à propos du "Texas Hold'Em" puisse être étendu à toute autre variante de poker, et notamment à la seconde variante, le "Omaha Poker 4", visée dans le décret d'application du 29 juin 2010 (décret n° 2010-723, relatif aux catégories de jeux de cercle mentionnées au II de l'article 14 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne N° Lexbase : L6376IM4).

Pour ce qui concerne le poker "Texas Hold'Em", quelles sont les conséquences de la décision du 20 juin 2011 ? S'il est considéré comme un jeu d'adresse échappant à l'infraction de "tenue de maison de jeux de hasard", doit-il continuer à entrer dans le champ d'application de la loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne ?

Comme le rappelle le rapport d'information sur la mise en application de la loi du 12 mai 2010, cette dernière ne s'applique "qu'aux seuls jeux d'argent et de hasard, entendus comme des 'jeu[x] payant[s] où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence', selon la définition, tirée de la jurisprudence des tribunaux judiciaires, inscrite à l'article 2". En reconnaissant que le "Texas Hold'Em" ne constitue pas un jeu de hasard au sens entendu par la Cour de cassation, ce type de jeu ne peut, a fortiori, répondre à la définition donnée par la loi susmentionnée.

Les conséquences d'une telle interprétation doivent être appréciées au regard des obligations mises à la charge des opérateurs de jeux de hasard en ligne par ladite loi. En effet, la loi soumet, tout d'abord, l'activité des opérateurs à l'obtention d'un agrément auprès de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Dans le cadre de cette procédure, les opérateurs doivent prouver leur capacité à respecter leurs obligations légales en terme de stabilité financière et de contraintes techniques. A cet effet, les candidats doivent respecter un cahier des charges particulièrement exigeant. Par ailleurs, la loi a des implications fiscales en ce qu'elle impose aux opérateurs de s'acquitter de droits fixes. Une fois l'agrément obtenu, la loi impose encore à l'opérateur de prendre certaines dispositions en matière de comptabilité, de publicité ou encore de lutte contre l'addiction. Ainsi, c'est la nécessité de satisfaire l'ensemble de ces obligations qui pourraient être remises en cause s'il était confirmé que cette variante du poker ne répond pas à la définition des jeux d'argent et de hasard donnée à l'article 2 de la loi du 12 mai 2010.

Un cadre légal, spécifique aux jeux dans lesquels le hasard intervient mais où les combinaisons de l'intelligence prévalent, pourrait être étudié, retenant notamment un système plus souple d'agrément de manière à faciliter l'ouverture du marché des jeux en ligne en France.

La décision du 20 juin 2011 a été rendue par une juridiction de première instance et fait l'objet d'un appel. Une attention particulière devra donc être portée aux suites données à ce jugement qui soulève beaucoup d'interrogations quant au cadre légal en place concernant le poker à l'instar de récentes décisions de justice rendues en Suède ou encore aux Pays-Bas.

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