La lettre juridique n°447 du 7 juillet 2011 : Avocats/Déontologie

[Le point sur...] L'avocat et le conflit d'intérêts

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 07 Juillet 2011

Au chapitre des principes essentiels régissant la profession d'avocat, chacun sait que ce dernier doit exercer ses fonctions avec "dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment". Il doit respecter, en outre, dans cet exercice, les principes "d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie". Et, il doit faire preuve, à l'égard de ses clients, "de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence" (RIN, art. 1.3 N° Lexbase : L4063IP8). A la lecture de tant de vertus, dans l'intérêt bien compris des justiciables, on comprend dès lors que cette "loyauté", ce "désintéressement", cette "diligence" et cette "prudence", notamment, aient conduit le législateur et le pouvoir réglementaire à écarter tout conflit d'intérêts pouvant altérer la mission d'auxiliaire de justice de l'avocat.
L'arsenal juridique en la matière n'est pas tant législatif que réglementaire, mais la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ) a le mérite de poser clairement -d'aucuns diront de manière trop lapidaire- le principe d'une interdiction des conflits d'intérêts quel que soit le "service judiciaire ou juridique" rendu par l'avocat. Ainsi, l'article 55 de la loi précitée commande à l'avocat de "s'interdire d'intervenir si [il] a un intérêt direct ou indirect à l'objet de la prestation fournie". Chacun reconnaîtra qu'une définition de la notion de conflit d'intérêts, ainsi que des éclaircissements d'ordre pratique, font assurément défaut ; pourtant, ce n'est pas plus le décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID), dans sa version aujourd'hui en vigueur, qui apportera les précieuses indications requises, seul l'article 202-2 fait référence à cette interdiction, en disposant que les avocats étrangers exerçant en France "sont aussi tenus au respect des règles qui s'imposent, pour l'exercice de ces activités, aux avocats inscrits à un barreau français, notamment celles concernant l'incompatibilité entre l'exercice, en France, des activités d'avocat et celui d'autres activités, le secret professionnel, les rapports confraternels, l'interdiction d'assistance par un même avocat de parties ayant des intérêts opposés et la publicité".

C'est, par conséquent, somme toute de manière cohérente que le décret du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L6025IGA), soit le plus disert en la matière, énonçant, à son article 7, une somme d'interdictions de pratiques caractérisant, pour chacune d'elles, un conflit d'intérêts patent (notons que les dispositions en cause figuraient, toutefois, au sein du décret n° 91-1197, auparavant). Par ailleurs, l'article 9 de ce même décret emporte la même obligation d'indépendance au regard de la rédaction d'acte. Mais, on notera, tout de même, l'absence de définition réglementaire. Les pouvoirs publics ont, en effet, laissé, aux instances représentatives de la profession, le soin de définir, plus généralement, la notion, à l'article 4.2 du RIN.

Enfin, le juge administratif ou judiciaire n'est pas en reste dans la prévention contre les conflits d'intérêts, sanctionnant tout conflit ou risque de conflit. L'une des dernières "batailles judiciaires" en cause voyait le Conseil d'Etat rejeter les requêtes visant à l'annulation des articles relatifs au secret professionnel, au conflit d'intérêts, aux règles de publicité et au Code de déontologie des avocats de l'Union européenne, inscrits au RIN (CE 1° et 6° s-s-r., 17 novembre 2004, n° 268075 N° Lexbase : A9249DDW). Le Haut conseil précise, d'une part, que les articles en cause n'ajoutent pas de règles nouvelles ni ne donnent une interprétation qui serait contraire aux dispositions réglementaires qu'elles explicitent ou à une norme juridique supérieure et, d'autre part, que la circonstance que le Conseil national des barreaux ne pouvait légalement intégrer au RIN le Code de déontologie des avocats de l'Union européenne, élaboré par le Conseil des barreaux de l'Union européenne, au motif que ce code comporte des règles relatives à la déontologie, n'est pas de nature à affecter la légalité du règlement. D'où il apparaît que la question déontologique et, plus particulièrement, des conflits d'intérêts relève d'une vive intensité, comme le soulignait, dernièrement, Daniel Landry (JCP éd. G, n° 20, 16 mai 2011, p. 1012). L'annulation, par la décision précitée du Conseil d'Etat, de l'article 16, relatif aux réseaux pluridisciplinaires, pour défaut de compétence, et la réécriture de ce même article aux fins d'interdire la "fourniture de prestations complémentaires à une clientèle développée en commun", en est un exemple topique.

Quoi qu'il en soit, les faits susceptibles de révéler l'existence d'un conflit d'intérêts sont seulement de nature à constituer une faute disciplinaire dont l'appréciation du bien-fondé ressortit à la compétence du conseil de discipline des avocats et n'entrent pas dans le domaine d'application de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). La cour d'appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 12 février 2009, retient, ainsi, qu'il ne peut être soutenu que la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du RIN relatives aux conflits d'intérêts entraîne l'annulation de la procédure comme ne respectant pas les règles du procès équitable prévues par l'article 6 § 1 de la CESDH (CA Rennes, 1ère ch., 12 février 2009, n° 08/04872 N° Lexbase : A9205ET4).

I - L'avocat, représentant ou défenseur de plus d'un client dans une même affaire

L'alinéa premier de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, ainsi, que "l'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s'il existe un risque sérieux d'un tel conflit". Et, l'article 4.2 du RIN de préciser qu'il y a conflit d'intérêts dans la fonction de conseil, lorsque, au jour de sa saisine, l'avocat qui a l'obligation de donner une information complète, loyale et sans réserve à ses clients ne peut mener sa mission sans compromettre, soit par l'analyse de la situation présentée, soit par l'utilisation des moyens juridiques préconisés, soit par la concrétisation du résultat recherché, les intérêts d'une ou plusieurs parties. Dans le même sens, il y a conflit d'intérêts dans la fonction de représentation et de défense, lorsque, au jour de sa saisine, l'assistance de plusieurs parties conduirait l'avocat à présenter une défense différente, notamment dans son développement, son argumentation et sa finalité, de celle qu'il aurait choisie si lui avaient été confiés les intérêts d'une seule partie.

Dès lors, un avocat pourra être poursuivi disciplinairement pour avoir assuré la défense d'un prévenu devant le tribunal correctionnel, en dépit de l'existence d'un conflit d'intérêts résultant du fait qu'il était également l'avocat de la victime, ainsi que d'un témoin (Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 05-15.160, F-D N° Lexbase : A7832DWY). Pour condamner l'intéressé à la peine du blâme, après avoir exclu l'existence d'un conflit d'intérêts au titre d'un cumul de missions de conseil ou de défense, l'arrêt attaqué constate que l'avocat avait, dans un passé récent, entretenu une relation d'amitié avec la victime des agissements de son client et retient que cette circonstance caractérisait un conflit d'intérêts et une perte d'indépendance de l'avocat au détriment du justiciable dont il avait accepté d'assurer la défense.

De même, pour retenir contre M. X un manquement à la délicatesse portant atteinte à l'honneur et à la dignité de sa profession, la cour d'appel a relevé, à bon droit, l'attitude ambiguë de cet avocat qui, en rédigeant et signant une requête conjointe en divorce portant seulement son nom et celui de l'avocat postulant, avait faussement "laissé croire" au tribunal qu'il se présentait au nom des deux époux et qui avait entretenu le mari dans la même erreur par la correspondance qu'il lui avait adressée, tandis que, contrairement à ses affirmations, il était déjà l'amant de l'épouse dont il défendait les intérêts et qu'il ne pouvait ignorer les dispositions de l'article 246 du Code civil (N° Lexbase : L2799DZP) (Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, n° 94-11.450 N° Lexbase : A9632ABD).

Par ailleurs, en retenant que M. X, dès lors qu'il avait été le conseil commun des époux Y dans une procédure de divorce par requête conjointe, devait refuser d'être ensuite le conseil de Mme Z dans une autre procédure de divorce pour faute puisque les intérêts pécuniaires des deux époux étaient en opposition, l'accord allégué de M. Y étant sans portée, en l'espèce, sur le devoir de prudence qui s'imposait à l'avocat, la cour d'appel a pu estimer que M. X avait manqué à la délicatesse qui s'imposait à lui (Cass. civ. 1, 20 janvier 1993, n° 91-15.548 N° Lexbase : A5952AHW).

Ainsi, cette prohibition n'exige pas pour son application l'identité des affaires, mais la seule existence d'intérêts opposés ; le fait, pour un avocat, d'accepter d'assister ou de représenter une partie contre laquelle il exerce une poursuite pour le compte d'un tiers, compromet, par l'opposition que cette double mission rend possible entre les intérêts dont il se propose d'assurer simultanément la défense, sa propre indépendance et la confiance que les parties doivent garder entière dans leur défenseur (Cass. civ. 1, 30 juin 1981, n° 80-15.557 N° Lexbase : A5684CKQ).

Moins emblématique, mais tout aussi sujet à contestation est la question des enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants. L'on sait que l'article 12-1 du RIN dispose que l'avocat ne peut porter d'enchères pour des personnes qui sont en conflit d'intérêts. Il ne peut notamment porter d'enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants. Et, lorsqu'un avocat s'est rendu adjudicataire pour le compte d'une personne, il ne peut accepter de former une surenchère au nom d'une autre personne sur cette adjudication, à défaut d'accord écrit de l'adjudicataire initial. Le juge judiciaire a eu, ainsi, l'occasion de préciser qu'en restreignant le nombre de mandats au cas où existe par nature un risque de conflit d'intérêts, le conseil de l'Ordre n'a pas appliqué de manière erronée le principe général contenu dans l'article 155 du décret du 27 novembre 1991 -dont les dispositions ont été transférées sous l'article 7 du décret du 12 juillet 2005-, et qu'il n'a pas été commis d'erreur sur l'exactitude matérielle des faits ou de leur qualification juridique, les droits des enchérisseurs étant en eux mêmes concurrents, tandis que le cas de l'avocat poursuivant demeure réservé par le règlement intérieur compte tenu de la rédaction de l'article 12-2 pris dans son ensemble, dès lors que celui-ci ne peut être assimilé au "porteur d'enchères" après l'ouverture de celle-ci et n'a précisément le bénéfice de l'adjudication qu'en l'absence d'enchère. En l'espèce, une cour d'appel en a déduit à bon droit que les dispositions critiquées ne recelaient pas d'abus de pouvoir ni d'illégalité (Cass. civ. 1, 26 novembre 2002, n° 00-18.971, FS-P+B N° Lexbase : A1144A47). Et, le juge administratif d'ajouter que ces dispositions relatives à des règles et usages des barreaux, qui se bornent à prévenir les conflits d'intérêt susceptibles de se produire à l'occasion de ventes aux enchères et à organiser, le cas échéant, l'information du syndic de copropriété de la vente d'un lot en copropriété, ne mettent en cause ni la liberté d'exercice de la profession d'avocat ni les règles essentielles qui la régissent (CE Contentieux, 5 octobre 2007, n° 282321 N° Lexbase : A6685DYA).

Toutefois, si les dispositions du Code de procédure civile concernant les ventes judiciaires ne font pas obstacle à ce que les barreaux réglementent les conditions dans lesquelles leurs membres exerceront les attributions qui leur sont conférées par ces textes, cette réglementation ne doit pas être de nature à nuire au bon déroulement des procédures et le nombre des membres du barreau doit permettre, sans gêne pour les parties et pour les acquéreurs éventuels, de faire obligation aux avocats de refuser, à l'occasion d'une même vente, de prêter simultanément leur concours (Cass. civ. 1, 15 février 1983, n° 82-11.888 N° Lexbase : A7428A4U ; Cass. civ. 1, 16 juillet 1987, n° 85-15.092 N° Lexbase : A1267AHE).

En revanche, le juge judiciaire a pu décider qu'un avocat était compétent, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société pour agir, d'un côté, en recouvrement du prix de cession de l'entreprise et, de l'autre, pour exercer une action en paiement des marchandises livrées au cessionnaire après le jugement arrêtant le plan de cession, excluant ainsi l'existence d'un conflit d'intérêts au sens de l'article 55 de la loi du 31 décembre 1971 (Cass. com., 26 novembre 2002, n° 99-12.155, F-D N° Lexbase : A1309A4A).

II - L'avocat face au risque de violation du secret professionnel ou d'atteinte à son indépendance

Le deuxième alinéa de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, ensuite, que "sauf accord écrit des parties, il s'abstient de s'occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d'intérêt, lorsque le secret professionnel risque d'être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière".

Toutefois, le RIN ne rend pas incompatible certaines missions dévolues à l'audit avec certaines activités de l'avocat. Le juge judiciaire retient qu'il convient, pour caractériser un conflit d'intérêt, de produire des éléments permettant de soutenir que l'avocat ne disposait pas de la liberté et de l'indépendance nécessaires pour mener à bien les missions qui lui étaient confiées par son "employeur", alors qu'un membre du même réseau exerçait les fonctions de commissaire aux comptes (CA Toulouse, 14 décembre 2006, n° 06/00219 N° Lexbase : A7760GY3). Et, de préciser que la mise en place d'un système de partage des connaissances, l'organisation et le fonctionnement de cet outil de partage informatique ne caractérisent, compte tenu des critères retenus et des sécurités prévues, aucun manquement grave et avéré à l'obligation de confidentialité.

III - L'avocat et son ancien client

Le troisième alinéa de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, en outre, que l'avocat "ne peut accepter l'affaire d'un nouveau client si le secret des informations données par un ancien client risque d'être violé ou lorsque la connaissance par l'avocat des affaires de l'ancien client favoriserait le nouveau client".

On comprendra, dès lors, que l'avocat d'une personne morale et de l'un des ses représentants qui a été son interlocuteur pendant un laps de temps significatif pour le traitement de plusieurs dossiers même différents ne peut se charger des intérêts d'une autre personne morale contre son ancien interlocuteur ou contre une personne morale qu'il a eu à assister (CA Rennes, 14 juin 2011, n° 10/05773 N° Lexbase : A3865HUP).

En revanche, au détour d'un récent arrêt d'appel, on notera que la commission de déontologie de l'Ordre des avocats de Paris a rejeté la plainte déposée auprès du Bâtonnier et qui était motivée par le fait qu'un avocat d'assurance, ayant antérieurement défendu les intérêts de deux médecins anesthésistes mis en examen dans la même affaire, aurait dû refuser d'assurer la défense du plaignant (CA Paris, Pôle 2, 6 ch. , 2 mars 2010, n° 09/00148 N° Lexbase : A3805E4P).

Enfin, le juge judiciaire a pu écarter tout conflit d'intérêts à l'égard d'un avocat ayant défendu les intérêts d'un client à l'encontre de ceux d'un ancien client. L'avocat en cause a démontré que l'ensemble des informations qu'il avait obtenu pour les besoins de l'exécution des décisions de justice dont il était chargée, la plupart comme postulant d'un avocat parisien, l'ont été en s'adressant aux services de l'Etat compétents à ce titre, ainsi des services de l'état civil pour obtenir la situation matrimoniale de son ancien client, plaignant, ou de la conservation des hypothèques pour connaître la consistance de ses biens et de ceux de son épouse, ces services étant des services publics fournissant des renseignement publics, ou encore en obtenant du président du tribunal de grande instance qu'il commette un huissier pour se faire remettre la liste des immeubles et des locataires des membres de la famille de cet ancien client. Le moyen selon lequel ce comportement n'est pas conforme à ses obligations déontologiques et constitue un conflit d'intérêts qui aurait dû le conduire à s'abstenir alors que, tout au contraire, l'avocat a poursuivit la vente de ses biens immobiliers personnels ou indivis, est donc écarté (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch. , 14 décembre 2010, n° 09/22216 N° Lexbase : A3235GN7).

IV - L'avocat exerçant au sein d'un groupement d'exercice

Le quatrième alinéa de l'article 7 du décret du 12 juillet 2005 dispose, enfin, que, "lorsque des avocats sont membres d'un groupement d'exercice, les dispositions des alinéas qui précèdent sont applicables à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres. Elles s'appliquent également aux avocats qui exercent leur profession en mettant en commun des moyens, dès lors qu'il existe un risque de violation du secret professionnel".

Ainsi, de manière assez classique, le juge judiciaire interdit à des avocats, membres d'une même société civile professionnelle, de représenter dans une affaire deux parties en conflit d'intérêts ; cette disposition s'imposant aussi bien à l'avocat du demandeur qu'à celui du défendeur (Cass. civ. 1, 14 mars 2000, n° 97-15.636 N° Lexbase : A0310CTN).

Par ailleurs, dans un arrêt en date du 1er décembre 2009, la cour d'appel de Paris a apporté des précisions intéressantes s'agissant de la caractérisation du conflit d'intérêts (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 1er décembre 2009, n° 08/03039 N° Lexbase : A1522EQG). En l'espèce, la requérante ne contestait pas avoir défendu une personne poursuivie et condamnée pour avoir recelé un chèque au préjudice d'une société cliente de son associé de SCM. Elle estimait, en revanche, n'avoir fait courir à celui-ci aucun risque de violation du secret professionnel et que, compte tenu de ces circonstances, le conflit d'intérêts n'existait pas. Après avoir rappelé les dispositions de l'article 4-1 du RIN, les juges parisiens précisaient que ces règles, qui sont également intégrées dans le Code de déontologie des avocats de l'Union européenne, sont impératives et que, contrairement à ce que la requérante soutenait, il y avait lieu de s'attacher, non pas au fait que la violation du secret professionnel ne se soit pas réalisée, mais à l'existence d'un risque de violation de ce secret. En conséquence, pour les juges, les dispositions de l'article 4-1 du RIN interdisent à un associé, même au sein d'une SCM, de plaider contre un client d'un des autres associés, fût-ce, comme en l'espèce, dans une affaire dont cet associé n'a pas eu à connaître dès lors qu'il existait un risque de violation du secret professionnel. L'on comprend donc ici que tout réside dans l'existence d'un risque et que la notion de conflit d'intérêts est finalement attachée au principe de délicatesse, comme le relèvent les juges parisiens. L'issue du litige est donc, par conséquent, sans influence sur la caractérisation du conflit d'intérêts. En l'espèce, peu importait donc que la société cliente ait obtenu le plein de sa réclamation, l'absence de préjudice ainsi révélé ne remet pas en cause la caractérisation du conflit d'intérêts.

En revanche, si, lorsque des avocats sont membres d'un groupement d'exercice, les dispositions relatives au comportement à tenir en cas de conflit d'intérêts ou de risque de conflit d'intérêts s'appliquent à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres, il ne peut être reproché à un avocat une faute constitutive d'un manquement à la loyauté ou à la délicatesse pour des faits commis par l'un de ses associés. La faute disciplinaire ne peut consister qu'en un fait personnel reprochable à son auteur (CA Versailles, 23 juin 2011, n° 10/09859 N° Lexbase : A5086HUW). En l'espèce, lors de la constitution de la nouvelle structure d'exercice professionnel, maître J. s'était engagé devant le conseil de l'Ordre à veiller scrupuleusement à ne pas créer de conflits d'intérêts avec la SELARL avec laquelle il collaborait précédemment, lors des transferts de dossiers. Par lettre du 30 septembre 2008, le Bâtonnier lui avait rappelé son engagement de se déporter dans l'hypothèse d'un conflit d'intérêts. Il était fait grief à maître J. d'avoir manqué à son obligation de loyauté et de délicatesse en omettant de se déporter dans une affaire et d'avoir défendu les intérêts de son client contre son prédécesseur en méconnaissance de l'interdiction édictée par l'article 9.3 du RIN. Or, maître J. n'était jamais intervenu dans le dossier en cause. Au demeurant, la SELARL n'avait pas fait l'objet de poursuites disciplinaires en même temps que les associés qui exercent en son sein. En conséquence, aucun manquement à l'obligation de loyauté et de délicatesse ne pouvait être retenu à l'encontre de maître J. pour ne pas s'être déporté dans le dossier litigieux.

Plus problématique fut la question des réseaux pluridisciplinaires, comme évoqué plus haut. L'article 16.5 du RIN dispose, désormais -à la suite de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ)-, que "l'avocat membre d'un réseau pluridisciplinaire doit veiller à ne pas créer de confusion dans l'esprit du public entre sa pratique professionnelle et celle des autres professionnels intervenant dans le réseau. L'avocat membre d'un groupement d'exercice qui participe à un réseau reste soumis aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'usage de la dénomination ou la raison sociale de ce groupement. Afin d'assurer une parfaite information du public, sa dénomination ou raison sociale sera différente du nom de son réseau et il devra distinctement faire mention de son appartenance à celui-ci".

Il faut dire que la première chambre civile avait dû rappeler que, si les dispositions de l'article 16-5, quel qu'en soit le mérite, font interdiction à un avocat membre d'un réseau de prêter son concours à son client, même avec l'accord de celui-ci, si un autre membre du réseau contrôle ou certifie les comptes dudit client, notamment en qualité de commissaire aux comptes, la cour d'appel, qui avait ainsi reconnu à un conseil de l'Ordre le pouvoir de créer une incompatibilité non prévue par une disposition légale ou réglementaire, avait violé la loi (Cass. civ. 1, 21 janvier 2003, n° 00-22.553, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7378A4Z). La Haute juridiction reconnaissait, toutefois, que ce texte était justifié par le fait que deux membres d'un réseau ne peuvent concilier d'assister le même client, l'un avocat, tenu de façon absolue au secret professionnel et l'autre, commissaire aux comptes, tenu de révéler des faits délictueux, et ne crée, aucune incompatibilité, ce terme étant entendu par référence à un statut, une fonction, mais permet à l'avocat, dans la situation visée par le texte litigieux, d'avoir une attitude conforme au principe déontologique qui s'impose à lui lorsque surgit un conflit d'intérêts, lorsque le secret professionnel risque d'être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.

Au final, s'agissant des conflits d'intérêts, l'avocat doit éviter de se trouver dans une situation où les missions qui lui ont été conférées risquent de ne pas être compatibles entre elles. Il existe en outre des règles d'incompatibilité garantissant son indépendance. Toutes ces règles s'appliquent non seulement à l'avocat, mais aussi à la structure au sein de laquelle il exerce : on ne peut pas les contourner en transmettant le dossier à un associé ou à un collaborateur. Si un avocat se trouve dans une situation de conflit d'intérêts, l'ensemble du cabinet doit se déporter. De même, les règles d'indépendance s'appliquent à l'échelle de la structure, quelle que soit sa taille. C'est pourquoi les grandes structures nationales ou internationales ont mis en place des systèmes de surveillance du conflit d'intérêts, comme le rappelait Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux, lors de son audition face auprès groupe de travail sur la prévention des conflits d'intérêts de l'Assemblée nationale, le 20 janvier 2011.

V - L'avocat rédacteur d'acte

L'article 9 du décret du 12 juillet 2005 dispose que "l'avocat seul rédacteur d'un acte veille à l'équilibre des intérêts des parties. Lorsqu'il a été saisi par une seule des parties, il informe l'autre partie de la possibilité qu'elle a d'être conseillée et de se faire assister par un autre avocat. S'il est intervenu comme rédacteur unique en qualité de conseil de toutes les parties, il ne peut agir ou défendre sur la validité, l'exécution ou l'interprétation de l'acte qu'il a rédigé, sauf si la contestation émane d'un tiers. S'il est intervenu en qualité de rédacteur unique sans être le conseil de toutes les parties, ou s'il a participé à sa rédaction sans être le rédacteur unique, il peut agir ou défendre sur l'exécution ou l'interprétation de l'acte dont il a été le rédacteur ou à la rédaction duquel il a participé. Il peut également défendre sur la validité de l'acte".

Ce faisant le décret précité, dont les dispositions ont été reprises à l'article 7 du RIN, applique les principes généraux gouvernant l'interdiction des conflits d'intérêts et le principe de loyauté au domaine particulier de la rédaction d'acte. Ces dispositions n'en trouveront que plus d'écho, encore, avec l'essor du récent "acte d'avocat" ou contreseing d'avocat, issu des dernière dispositions de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI), et venant parachever le rôle de conseil et de rédacteur d'acte de l'avocat.

VI - Les conséquences d'un conflit d'intérêts

D'abord, la caractérisation d'un conflit d'intérêts n'intervient pas à un moment unique d'appréciation de la situation de fait. Il y a conflit d'intérêts lorsqu'une modification ou une évolution de la situation qui lui a été initialement soumise révèle à l'avocat une des difficultés visées ci-dessus. Et, il existe un risque sérieux de conflits d'intérêts, lorsqu'une modification ou une évolution prévisible de la situation qui lui a été initialement soumise fait craindre à l'avocat une des difficultés visées ci-dessus (RIN, art. 4.2).

Ensuite, lorsque l'avocat suppose l'existence d'un conflit d'intérêts, il se doit de s'abstenir de concourir à la représentation et à la défense du client concerné, et de se déporter au bénéfice d'un confrère. En effet, comme le souligne Pierre Berger, président de la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux, lors de son audition auprès du groupe de travail sur la prévention des conflits d'intérêts de l'Assemblée nationale, le 20 janvier 2011, "s'agissant du conflit d'intérêts, si le principe est le même pour le contentieux et le conseil, les pratiques peuvent différer. Il existe en effet en France une disposition originale en Europe, qui permet à un avocat de se maintenir dans une situation de conflit d'intérêts s'il estime qu'il peut se maintenir et s'il a l'accord de ses clients. Dans les activités de contentieux, cette hypothèse est purement théorique -sauf pour certains contentieux marginaux comme les divorces par consentement mutuel-. En revanche, pour une négociation ou une rédaction d'actes, cela peut se concevoir dès lors que l'indépendance de l'avocat apparaît garantie à chacune des parties. Le principe est le même mais les déclinaisons pratiques de ce principe se distinguent.

Dans les grandes structures, il existe des procédures destinées à éviter en amont tout risque de conflit d'intérêts. Au reste, si une telle situation se présentait, elle serait immédiatement repérée, puisque les parties se proposant par exemple de contracter arriveraient avec le même papier à en-tête ! La question est plus délicate dans d'autres types de structures, lorsqu'il existe des accords de réseau peu transparents ; le conflit d'intérêts peut alors devenir toxique.

Le conflit d'intérêts, lorsqu'il est apparent, se règle naturellement, soit par le déport, soit en considérant que le professionnel qu'est l'avocat est capable de faire face à la situation".

Au chapitre procédural, l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 ne confère pas au Bâtonnier le pouvoir de donner injonction à un avocat de se dessaisir d'un dossier ; aussi, en infligeant une peine disciplinaire à un avocat au seul motif qu'il n'avait pas obtempéré à une telle injonction, la cour d'appel a violé le texte susvisé (Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 95-22.242 N° Lexbase : A2066ACI).

En revanche, dès lors qu'elle a relevé que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats, saisi de la difficulté soulevée par maître X, avait rendu un avis qui n'avait pas été suivi d'effet et qu'aucune poursuite disciplinaire ne s'en était suivie, l'arrêt attaqué a exactement déduit, en l'état de cette carence, que le juge compétent pour statuer sur le conflit d'intérêts qui lui était soumis ne pouvait être que le juge des référés eu égard aux dispositions de l'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K) (Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-16.508, FS-P+B+R N° Lexbase : A1113ATE).

Enfin, dans le cadre d'un conflit d'intérêts, en l'absence d'abstention et de déport, l'avocat encourt une sanction disciplinaire (avertissement ou blâme) ordonnée par le conseil de l'Ordre, sous le contrôle du juge judiciaire.

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