La lettre juridique n°680 du 15 décembre 2016 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] La nullité de la rupture conventionnelle en raison du défaut d'entretien préalable : la rigueur de la sanction tempérée par la mansuétude de la règle de preuve

Réf. : Cass. soc., 1er décembre 2016, n° 15-21.609, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7976SLY)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 30 Décembre 2016

La rupture conventionnelle du contrat de travail a rencontré un véritable succès pratique et suscite peu de contentieux dans la mesure où elle permet de régler des situations pas ou peu conflictuelles et où les règles impératives ont été définies avec suffisamment de précision par le législateur. Lorsque ce dernier n'a pas tout prévu, singulièrement pour ce qui concerne la sanction de la violation des règles de procédure, la Cour de cassation est intervenue avec beaucoup de modération pour ne pas encourager le contentieux. Dans ce nouvel arrêt en date du 1er décembre 2016, et promis à une très large publicité, la Cour affirme de manière inédite que le non-respect de l'exigence d'un ou des plusieurs entretiens préalables doit être sanctionné par la nullité de la rupture, mais que c'est à celui qui invoque cette violation qu'il appartient d'en rapporter la preuve, ce qui n'avait pas été le cas dans cette affaire. L'arrêt recèle donc à la fois une règle de fond, exigeante car nécessaire pour protéger le consentement du salarié (I), et une règle de preuve qui l'oblige à en rapporter la preuve (II), ce qui équilibre la solution de manière tout à fait satisfaisante.
Résumé

Si le défaut du ou des entretiens prévus par le premier de ces textes, relatif à la conclusion d'une convention de rupture, entraîne la nullité de la convention, c'est à celui qui invoque cette cause de nullité d'en établir l'existence.

Commentaire

I - L'édiction d'une règle de fond : la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail pour défaut d'entretien(s) préalable(s)

Cadre juridique. L'article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP) dispose que "les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens", mais ne précise pas le sort de la rupture lorsque cette exigence n'est pas respectée. Or, on sait que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'a imposé l'annulation automatique de la rupture que dans le cas où le salarié ne s'est pas vu remettre une copie de la convention (1) sans qu'il soit besoin de prouver que le salarié a été ainsi privé de la possibilité d'exercer ses droits (2). Pour le reste, la violation des règles fixées par le Code ne sera sanctionnée par la nullité de la convention de rupture que s'il est démontré qu'elle a altéré le consentement du salarié ; c'est ce qui a été jugé à propos du défaut d'information du salarié d'une entreprise ne disposant pas d'institutions représentatives du personnel sur la possibilité de se faire assister, lors de l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, par un conseiller du salarié choisi sur la liste dressée par l'autorité administrative (3) ; pour l'absence d'information du salarié sur la possibilité de prendre contact avec le service public de l'emploi en vue d'envisager la suite de son parcours professionnel (4) ; pour l'erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) (5) ; pour l'erreur commise dans le calcul de l'indemnité de rupture conventionnelle (6) car dans cette hypothèse le salarié pourra saisir le juge pour réclamer le solde (7), sauf preuve d'une fraude (8) ou d'un vice du consentement (9).

Restait à déterminer quelle sanction serait retenue par la Cour de cassation dans l'hypothèse où l'exigence d'au moins un entretien préalable ne serait pas respectée.

Les faits. Un salarié, exerçant au moment de la rupture de son contrat de travail les fonctions de responsable de l'informatique médicale, a conclu avec son employeur une convention de rupture du contrat de travail en janvier 2001, qui fut homologuée. Le salarié saisit postérieurement la juridiction prud'homale de demandes tendant à l'annulation de la rupture conventionnelle et d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié prétendant que les deux entretiens préalables prévus par la convention ne s'étaient pas tenus. Il avait obtenu gain de cause en appel, les magistrats ayant considéré que l'employeur ne produisait aucun élément matériellement vérifiable permettant d'en attester la réalité.

La cassation. C'est cette affirmation qui vaut à la cour d'appel de voir son arrêt cassé pour violation des articles L. 1237-12 du Code du travail et 1315, devenu 1353 (N° Lexbase : L1013KZK), du Code civil. Après avoir affirmé que "si le défaut du ou des entretiens prévus par le premier de ces textes, relatif à la conclusion d'une convention de rupture, entraîne la nullité de la convention, c'est à celui qui invoque cette cause de nullité d'en établir l'existence", la Haute juridiction observe qu'en faisant peser cette preuve sur les épaules de l'employeur la cour d'appel a inversé la charge de la preuve.

II - Une solution doublement justifiée

Sur le fond. La Cour a tout d'abord considéré, comme la cour d'appel d'ailleurs, que le non-respect de l'exigence d'un ou de plusieurs entretiens préalables devait entraîner la nullité de la convention, en raison de l'importance de cette formalité. C'est ce qu'indique très clairement la note explicative jointe à la décision : "Cette rédaction n'est source d'aucune ambiguïté en ce qu'il est clair qu'elle fait du ou des entretiens une condition substantielle de la rupture conventionnelle et prolonge d'ailleurs l'article qui précède selon lequel la rupture conventionnelle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties. En d'autres termes, l'entretien (ou les entretiens) précédant la conclusion d'une convention de rupture est l'une des mesures voulue tant par les partenaires sociaux que par le législateur pour garantir la liberté du consentement des parties".

Nous partageons pleinement cette analyse.

La rupture conventionnelle repose en effet sur le pari que les règles procédurales permettent de s'assurer du respect de la liberté et de l'intégrité du consentement du salarié, le tout sous la vigilance de l'autorité administrative qui peut refuser d'homologuer la convention si elle considère que le salarié a été contraint de signer la convention alors qu'il ne le souhaitait pas vraiment. Toutes les exigences procédurales n'ont pas, au regard de cet objectif de préservation du consentement du salarié, la même valeur, et il est logique que la Cour de cassation opère une distinction entre les exigences secondaires, dont la violation n'entraîne pas a priori la nullité de la convention (sauf preuve de leur impact réel sur le consentement du salarié), et les exigences substantielles qui sont de nature à garantir l'information complète du salarié et la possibilité de réfléchir à sa volonté de rompre son contrat de travail, dont la violation entraîne de plein droit la nullité de la convention.

Dans un tel contexte où les parties disposent de larges prérogatives et où le contrôle de la DIRECCTE risque d'être des plus sommaires, les éléments de la procédure destinés à garantir que le salarié a eu le temps nécessaire pour mûrir sa décision doivent être dès lors protégés efficacement, et donc sanctionnés par la nullité en cas de violation. Tel est évidemment le cas de l'exigence d'un ou de plusieurs entretiens préalables au cours desquels salarié et employeur s'entendent sur les raisons de la rupture, règlent d'éventuels points demeurant en suspens (date d'effet de la convention, sort d'une éventuelle clause de non-concurrence), voire règlent tel ou tel différend portant sur des heures ou des primes non payées. Dans le cadre d'une rupture conventionnelle, l'existence de discussions menées directement par les intéressés est donc cruciale.

Sur le plan probatoire. La cassation n'est pas ici intervenue sur le premier point, puisque la Cour de cassation considère, comme la cour d'appel, que la violation de l'accord procédural des parties portant sur l'existence de deux réunions devait entraîner la nullité de la rupture conventionnelle, mais sur l'affirmation selon laquelle c'est à l'employeur qu'il appartenait de prouver que les deux réunions s'étaient bien tenues. Or, pour la Haute juridiction, la charge de cette preuve incombe à celui "qui invoque cette cause de nullité".

Ici encore, la solution est logique.

On sait que deux approches de la charge de la preuve sont possibles.

La première est l'approche processuelle et résulte de l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D) aux termes duquel "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention." Cette règle détermine la charge de la preuve selon la qualité de demandeur, ou de défendeur, dans la procédure.

Une seconde approche existe et est propre au droit des obligations. La règle figurait classiquement à l'article 1315 du Code civil et se trouve depuis le 1er octobre 2016 à l'article 1353, comme l'indique d'ailleurs clairement la Cour de cassation dans son visa. Si le premier alinéa de ce texte reprend le principe énoncé par l'article 9 du Code de procédure civile, son second alinéa inverse la charge de la preuve lorsque le débat porte non pas sur l'existence de l'obligation litigieuse, mais sur l'exécution litigieuse d'une obligation dont le principe est admis ; c'est alors logiquement au débiteur de l'obligation qu'il appartient de prouver qu'il s'est bien acquitté de celle-ci.

Dans notre affaire, le Code du travail ne fait peser la charge d'organiser le ou les entretiens préalables sur aucune des parties en particulier, contrairement à la solution qui prévaut en matière de licenciement, ce qui est parfaitement logique : comme son nom l'indique, la rupture conventionnelle repose sur un accord des parties portant sur le principe de la rupture, l'organisation de la procédure et les effets de la cessation des relations contractuelles. Il n'y a donc pas de raison de considérer que l'employeur serait en quelque sorte le débiteur de l'organisation de l'entretien préalable, comme il l'est en matière de licenciement qui est le mode de rupture unilatérale du contrat à son initiative. Chaque partie est donc, au même titre, tenue par cette obligation, ce qui entraîne mécaniquement un partage de la charge de la preuve portant sur la réalisation du ou des entretiens préalables. Reste alors la question de la place du salarié et de l'employeur dans le procès ; dans cette affaire, c'est le salarié qui prétendait que les deux entretiens prévus par les parties n'avaient pas été réalisés, et c'est donc à ce dernier que revenait la charge d'en rapporter la preuve.

Certes, cette charge est difficile puisqu'il s'agit de prouver qu'un entretien n'a pas eu lieu, ce qui constitue la preuve d'un fait négatif, délicate à rapporter. Mais s'agissant de la preuve d'un fait juridique, cette preuve pourra être établie par tout moyen, notamment par présomption, et on peut imaginer que si le salarié étaie sa demande par des témoignages d'autres salariés témoignant qu'ils n'ont eu connaissance que d'un seul entretien et non des deux, alors on peut penser que sauf à ce que l'employeur établisse avec certitude la tenue d'un second entretien, il succombera. Mais si le salarié ne dispose d'aucun élément pour étayer son allégation, alors il est logique qu'il succombe, d'autant plus que l'effet s'attachant au défaut d'un entretien est étendu, puisqu'il s'agit de la nullité de la rupture conventionnelle et certainement la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, entraînant le versement au salarié des indemnités afférentes.


(1) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S) et lire S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 516, 2013 (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p. 258, obs. F. Taquet.
(2) "La cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié".
(3) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-27.594, FS-P+B (N° Lexbase : A2279MDR).
(4) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.951, FS-P+B (N° Lexbase : A4267MDE).
(5) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.539, publié (N° Lexbase : A2278MDQ) et lire S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 558, 2014 (N° Lexbase : N0766BUW).
(6) En moyenne 7780 euros en 2009, alors que pour la même période la moyenne des indemnités de licenciement était de 3580.
(7) Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-22.134, FS-P+B (N° Lexbase : A6058M7I), lire S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 596, 2015 (N° Lexbase : N5316BUG).
(8) Exemple : le fait que ladite convention a été signée et antidatée afin de pouvoir adresser la demande d'homologation à l'administration sans attendre le délai de rétractation : CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 27 juin 2013, n° 11/03173 (N° Lexbase : A9727KHQ).
(9) Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH), lire G. Auzero, Lexbase, éd. soc., n° 625, 2015 (N° Lexbase : N8937BUK).

Décision

Cass. soc., 1er décembre 2016, n° 15-21.609, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7976SLY)

Cassation partielle (CA Toulouse, 4è ch., section 2, chambre sociale, 22 mai 2015)

Textes : C. trav., art. L. 1237-12 (N° Lexbase : L8193IAP) et C. civ., art. 1315, devenu 1353 (N° Lexbase : L1013KZK).

Mots clef : rupture conventionnelle ; entretien préalable ; nullité ; preuve.

Lien base : (N° Lexbase : E0223E7E)

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