La lettre juridique n°355 du 18 juin 2009 : Éditorial

La loi "Hadopi" ou le synopsis d'Un pont trop loin

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Internet est le produit d'une combinaison unique de stratégie militaire, de coopération scientifique et d'innovation contestataire" écrivait le sociologue Manuel Castells dans La Société en réseau. Avec un teaser pareil, rien d'étonnant à ce que la moindre loi de régulation du Réseau des réseaux soit perçue comme belliqueuse.

Que n'a-t-il pas été écrit sur la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi "Hadopi", du nom de la Haute autorité chargée de surveiller et de réprimer -du moins à l'origine- les contraventions au respect du droit d'auteur, par ses partisans comme -voire beaucoup plus- par ses détracteurs ! L'épilogue de cette longue bataille parlementaire se sera joué, comme bien souvent, auprès des Sages de la rue Montpensier ; ces derniers portant l'estocade fatale à une loi partie bien mal en point. Il faut dire que sa gestation, sa présentation et son adoption définitive auront suscité l'émoi médiatique, comme rarement aucune une autre loi relative à la défense et à la promotion de la "culture". "L'exception culturelle" française n'est pas un vain mot, qu'on se le dise !

Ainsi, pour aller à l'essentiel, issue des accords "Olivennes" signés en novembre 2007, la loi, qui instaure, notamment, plusieurs obligations aux fournisseurs d'accès internet (information contractuelle et devoir d'information des autorités en charge de la protection des droits) et qui tend à améliorer la procédure judiciaire pour violation des droits d'auteur, fut, d'abord, retoquée par un vote négatif et majoritaire des députés de l'opposition -le coup du rideau-, après des débats houleux au sein même de la majorité présidentielle. Finalement, le projet de loi fut soumis, à nouveau, aux parlementaires et adopté par un vote solennel, en forme de démonstration de force majoritaire... Le dispositif incriminé de tous les maux : la sanction ordonnée par l'Hadopi à l'encontre du propriétaire de l'ordinateur en réseau, à partir duquel auront été constatés plusieurs actes de piratage ; sanction consistant en la coupure de l'accès à internet doublé du paiement de l'abonnement durant une certaine période. Criant aux orfraies à la censure, à l'atteinte aux libertés individuelles, arguant de la condamnation des innocents, on aurait pu croire l'argumentaire des opposants à cette loi quelque peu exagéré, tant l'efficacité de la sanction incriminée présentait, naturellement, et d'ores et déjà, quelques doutes... "Il ne peut y avoir de liberté contre la vérité, il ne peut y avoir de liberté contre l'intérêt commun" : problème, la formule est d'Antonio de Oliveira Salazar, dans Principes d'action, dont l'aspiration démocratique fut loin d'être évidente...

Tel fut d'ailleurs le sentiment des membres du Conseil constitutionnel, pour lesquels, à travers une décision du 10 juin 2009, sur laquelle nous revenons cette semaine avec Isabelle Camus, avocat associée du cabinet Atem, "aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi' ; [...] en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services". En conséquence, toute atteinte à l'accès à internet ne devrait être l'apanage que d'une autorité judiciaire, qui plus est -osons le dire- par le juge des libertés ! Par ailleurs, les Sages n'en oublient pas moins de rappeler que le système inquisitoire, système pénal français de répression des infractions, suppose que ce soit le ministère public qui apporte la preuve de la culpabilité de la personne présumée contrevenante... et non que celle-ci prouve son innocence. Et comme "il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent" (Voltaire, Zadig ou la Destinée)... la messe fut ainsi dite.

Et, le Président de la République choisissant de promulguer la loi, sans les dispositions des articles 5 et 11 portant atteinte à la liberté de communication et d'expression et à la présomption d'innocence, plutôt que la loi ne subisse, à nouveau, la question auprès de parlementaires soucieux de ne pas apparaître comme des "bourreaux" de la liberté... Pour autant, le ministre de la Culture promet, d'ores et déjà, une loi pour la répression du piratage pour les prochains jours : échec et... pat ?

Nous retiendrons de toute cette histoire rocambolesque deux traits majeurs : d'une part, l'accès à internet est, désormais, un droit fondamental qui doit faire l'objet d'une protection spéciale ; d'autre part, il serait peut être avisé d'étendre le contrôle préjudiciel du Conseil constitutionnel afin d'éviter que ce genre de revers législatifs marquant du sceau de la cacophonie et de l'imbroglio l'action, pourtant nécessaire, en faveur de la protection de la création artistique.

En effet, désormais, à l'évocation de cette décision constitutionnelle, l'accès à internet relève d'une liberté fondamentale en tant que réseau de communication et d'expression indispensable à leur exercice. Or, "internet accélère l'avènement de la société de marché, avec une poussée violente de concurrence et de compétition" écrivait Alain Minc. Il y a là, tout de même, quelque chose d'étrange à associer liberté fondamentale et marché concurrentiel. En outre, se pose directement la question de la validité de la plupart des clauses résolutoires des contrats d'abonnement prévoyant la coupure de l'accès au réseau en cas de non paiement... sans intervention d'un juge. Internet aussi vital que l'électricité ou le gaz... à quand la trêve hivernale ?

Par ailleurs, on se souvient que le projet de loi organique relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution prévoit un mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité. Si l'on s'accorde sur le fait qu'il s'agit d'une grande avancée pour les justiciables, et plus fondamentalement pour la démocratie, on regrettera que ce mécanisme ne puisse être étendu au bénéfice des membres du Gouvernement, qui, avant de proposer un projet de loi -souvent après correction du Conseil d'Etat- et de le défendre becs et ongles, pourraient s'enquérir de l'avis du Conseil constitutionnel, afin d'obtenir un brevet de constitutionnalité, qui même s'il n'est pas définitif -du fait des nombreux amendements parlementaires à prévoir-, n'en serait pas moins le gage d'éviter un bataille inutile, pour que les positions des alliés pour la défense de la création et du droit d'auteur se rejoignent enfin.

Décidément, le pont de Nimègue était vraiment trop loin...

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