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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
le 07 Octobre 2010
René Despieghelaere : Elle est toute simple. Il y a 10 ans, le barreau de Lille a pris la tête d'un combat pour abandonner, enfin, le caractère indemnitaire de la rétribution des avocats dans le cadre de l'aide juridictionnelle, pour que leur soit reconnue une véritable rémunération. Le protocole du 18 décembre 2000 a bien abouti à une revalorisation de l'unité de valeur et à un engagement de l'Etat et des partenaires sociaux d'adopter le principe rémunératoire avec la promesse d'une loi en 2001, mais rien n'est venu... et cela fait 10 ans, donc, que le problème de la juste rémunération des avocats n'est pas réglé, pire : il semble s'aggraver à l'annonce de la réforme de la procédure pénale, à travers laquelle l'implication de l'avocat (garde à vue, enquête..) semble se renforcer et le problème rémunératoire, s'étoffer. Toutes les études sérieuses sur l'impact financier d'une telle réforme montrent les cruels manquements du financement de l'aide juridictionnelle à venir, alors qu'à périmètre d'action constant cette problématique est, d'ores et déjà, critique.
Et puis, à partir du moment où l'on ne peut que rejeter l'idée d'une taxe sur le chiffre d'affaires des avocats, comme le préconisait le rapport "Darrois", comme si les médecins devaient financer le régime de Sécurité sociale, il convenait d'aller au-delà des idées reçues, de se réunir et d'être rapidement une force de proposition auprès, d'abord, de nos instances nationales (CNB et Conférence des Bâtonniers), ensuite, des pouvoirs publics. D'aucuns, comme le Bâtonnier Castelain, proposent d'adopter le régime du pro-bono selon lequel l'avocat consacre une partie de son temps de travail pour abonder un fond ; la solution comporte les mêmes travers que les préconisations du rapport "Darrois" et revient à faire payer les avocats pour financer l'aide juridictionnelle, avec une injustice patente entre les gros et les petits cabinets.
La réponse au financement ne peut pas être le désengagement de l'Etat ; l'aide juridictionnelle est un service public ; il est, certes, nécessaire de trouver des sources complémentaires, mais lesquelles et pour quelle aide juridictionnelle ? Tels sont les enjeux de cette journée de "mobilisation cérébrale".
Lexbase : En quoi la question de l'aide juridictionnelle relève-t-elle d'une question beaucoup plus philosophique dans nos sociétés démocratiques, celle de l'accès au droit ?
René Despieghelaere : L'un des problèmes du champ d'application de l'aide juridictionnelle et, plus globalement, de l'accès au droit est constitué par le moment où l'on recourt aux services de l'avocat : le plus souvent en phase contentieuse ! Or, bien entendu, l'intervention des avocats doit intervenir en amont : en phase de conseil. Et, il appartient à l'aide juridictionnelle de prendre en charge une partie de frais afférents à cette phase de conseil et de rédaction d'acte ; d'autant que les avocats disposent d'un nouvel outil à valeur probante et garant de moindre contentieux, et donc d'économies structurelles : l'acte d'avocat. C'est un acquis pour la profession qui aura montré combien l'on peut discuter avec le Garde des Sceaux actuel qui s'y était engagé, non sans difficultés ; peut-être le gage d'un dialogue constructif sur le problème de l'aide juridictionnelle. Il reste que les démarches entreprises auprès des sociétés de protection juridiques évoquées dernièrement par Michèle Alliot-Marie demeurent opaques, à l'heure où, au contraire, il s'agirait de réunir tous les acteurs autour de la table et de trouver une solution réaliste, en toute transparence.
Lexbase : Quel est votre sentiment sur le douloureux problème de la fixation et de la taxation d'honoraires ?
René Despieghelaere : Tout d'abord, je demeure attaché au principe de la liberté contractuelle. Une fois encore, la transparence doit être de mise : établir, d'entrée de jeu, une convention d'honoraires avec son client pour se prémunir de toute contestation, sur la base d'un taux horaire normal, encore qu'il convient de réévaluer certains honoraires, notamment de postulation, non réévalués depuis les années 70. Ensuite, se greffe l'inévitable question des frais irrépétibles, aujourd'hui, fixés à la louche selon un barème complètement sous évalué. Le principe devrait être le remboursement des frais réels d'avocat assorti d'un plafond.
Lexbase : Quelles sont les suites à donner, selon vous, à cette journée de mobilisation ?
René Despieghelaere : Il s'agit, désormais, de communiquer un maximum sur l'étendue du problème auprès des justiciables, de rassembler la profession et d'avoir un discours unitaire auprès des pouvoirs publics ; un dialogue qui, s'il n'est pas entendu, pourra aller jusqu'aux mouvements sociaux... Le problème de l'aide juridictionnelle est finalement un problème éminemment politique dont la solution sera l'expression d'une volonté politique, d'une part, de respecter les engagements de 2000 et, d'autre part, d'assurer la réalité d'un service public de l'accès au droit. Mais, la réponse doit être rapide maintenant, car les dotations de l'Etat sont, non seulement maigres, mais aussi versées avec un retard préjudiciable pour nos CARPA.
Lexbase : Quels sont, selon vous, les principaux contours d'une solution au financement de l'aide juridictionnelle ?
René Despieghelaere : La solution qui devrait se dessiner est, sans conteste, la création d'un fond abondé majoritairement par l'Etat, puis par les sociétés de protection juridique ; mais, de toutes les manières ce fond ne peut être géré que par les avocats à travers les CARPA, déjà en charge de gérer l'actuel système, et dont la gestion est irréprochable selon la Cour des comptes et les différentes instances d'audit.
Lexbase : Enfin, que pensez-vous des nouveaux champs de compétence qui s'offrent aujourd'hui aux avocats ?
René Despieghelaere : La question du périmètre du droit et du champ de compétence des avocats me hérisse quelque peu : parler d'étendre le champ de compétence, c'est déjà reconnaître avoir perdu certains champs d'actions. Alors qu'il est évidement hors de question que le judiciaire échappe au monopole de l'avocat, et ce d'autant que la déjudiciarisation des règlements de conflit est rampante. L'acte d'avocat vient, désormais, rééquilibrer les comptes avec la profession de notaire, notamment, et redonner son juste titre de "rédacteur d'acte" à l'avocat qui, même sous seing privé, engageait déjà sa responsabilité professionnelle pour les actes les plus importants et les plus techniques (notamment en droit des sociétés). Quant à l'interprofessionnalité via des structures sociétales interprofessionnelles, le risque majeur est de voir les avocats tomber sous la coupe des notaires et autres professionnels du droit au pouvoir financier notoirement plus important. Enfin, j'ajouterai que l'un des futurs combats de la profession pourrait être la reconnaissance d'une véritable certification juridique des actes ayant cours dans les sociétés, au même titre qu'il y a une certification comptable. Il est tout de même aberrant que les actes juridiques, via leur traduction financière et comptable, soient certifiés par une profession non juridique : les experts comptables et commissaires aux comptes.
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