La lettre juridique n°304 du 15 mai 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Les activités sociales et culturelles du comité d'entreprise doivent bénéficier à tous les salariés sans discrimination

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.839, Comité interentreprises du groupe Banques populaires c/ Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers (FNSF-CGT) et a., FS-P+B (N° Lexbase : A9612D77)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Destinées prioritairement aux salariés et à leur famille, les activités sociales et culturelles du comité d'entreprise doivent, surtout, profiter à l'ensemble du personnel sans discrimination. La Cour de cassation veille, de longue date, au respect de cette exigence fondamentale et l'arrêt rendu le 16 avril 2008 ne constitue donc qu'une illustration de cette jurisprudence et du principe précité. Cette décision n'en conserve pas moins un intérêt certain, ne serait-ce que parce qu'il est rare que la Cour de cassation vienne approuver l'annulation d'une décision d'un comité d'entreprise pour violation de l'interdiction de toute discrimination dans l'exercice des ses prérogatives en matière sociale. Au-delà, la décision commentée mérite de retenir l'attention en ce qu'elle démontre qu'une discrimination, pour ne pas être directe, n'en reste pas moins réelle et condamnable, spécialement lorsqu'elle revient à prendre en compte l'appartenance ou les choix syndicaux des salariés.
Résumé

Dès lors que le bénéfice des prestations servies aux salariés au titre des activités sociales et culturelles pour compenser les frais exposés par eux dans l'exercice d'un droit individuel à congé qu'ils tiennent du Code du travail dépend de leur appartenance ou de leurs choix de nature syndicale, certains étant privés du remboursement de leurs frais lorsque le plafond de remboursement prévu pour le syndicat dont ils ont suivi les formations est atteint, alors qu'il ne l'était pas pour les autres organisations, la délibération du comité interentreprises et les décisions subséquentes s'y rattachant doivent être annulées.

Commentaire

I L'interdiction de toute discrimination

  • Le principe

En application de l'article L. 432-8 du Code du travail (N° Lexbase : L6415ACL, art. L. 2323-83, recod. N° Lexbase : L0786HXE), les activités sociales et culturelles dont le comité d'entreprise assure le contrôle ou la gestion bénéficient "prioritairement" au personnel de l'entreprise ou à leur famille. Bien que le Code du travail ne l'affirme pas de manière expresse, il n'a jamais été contesté que ces activités sociales et culturelles doivent profiter à l'ensemble du personnel sans discrimination aucune. Au demeurant, l'interdiction de toute discrimination en la matière peut être tirée de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L9686HWN), dont on ne saurait oublier qu'il ne concerne pas que le seul employeur.

La Cour de cassation fait application de l'interdiction précitée de longue date. Ainsi, a-t-il été jugé qu'un comité d'entreprise a la possibilité d'octroyer des bourses de congé-éducation ouvrières si elles sont offertes à tous les salariés sans discrimination (Chbres réunies, 20 mai 1965, n° 63-13.144, Syndicat de la métallurgie CTFC de Nantes c/ SA JJ Carnaud et Forges de Basse-Indre N° Lexbase : A1783ABN, Dr. soc., 1965, p. 558, note J. Savatier). De même, n'est pas discriminatoire le versement d'une allocation de secours opéré sans interdiction de favoriser les grévistes et destinée à aider les seules familles dans le besoin (Cass. soc., 8 juin 1977, n° 75-13.681, Lesclous c/ Comité d'Etablissement de l'Usine Pechiney à Saint-Jean-de-Maurienne N° Lexbase : A1636AB9, Bull. civ. V, n° 380) (1).

Ce dernier exemple démontre qu'il peut être tenu compte des besoins et des ressources de chacun. Par suite, une prime de vacances peut être modulée selon les ressources et une bourse d'étude peut être attribuée en fonction des besoins (2).

  • L'espèce

En l'espèce, par délibération du 14 avril 1989, le comité interentreprises du groupe Banques populaires avait décidé de modifier les conditions de prise en charge, au titre des activités sociales et culturelles, des frais exposés par les salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale. Pour ce faire, la dotation globale affectée à cette prise en charge avait été répartie entre les organisations syndicales en fonction de leur représentativité au sein du groupe, les salariés bénéficiant, alors, du remboursement de leurs frais par le comité d'entreprise dont ils dépendent dans la limite de la dotation attribuée au syndicat organisateur du stage choisi par eux. Afin de permettre la prise en charge des frais exposés par les salariés suivant une formation dispensée par un organisme agréé n'appartenant pas aux cinq confédérations syndicales représentatives au plan national interprofessionnel, le comité interentreprises avait, par une seconde délibération du 16 mars 2004, décidé d'affecter une somme à ces autres formations.

Il était reproché à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la décision prise par le comité interentreprises du groupe Banques populaires le 14 avril 1989 et les décisions subséquentes s'y rattachant en ce qu'elles instituaient un dispositif d'indemnisation des congés de formation syndicale en attribuant à chaque organisation syndicale une ligne budgétaire calculée au prorata de sa représentativité dans le groupe.

La décision des juges du fond est approuvée par la Cour de cassation qui considère "que la cour d'appel ayant relevé que le bénéfice des prestations servies aux salariés au titre des activités sociales et culturelles pour compenser les frais exposés par eux dans l'exercice d'un droit individuel à congé qu'ils tiennent du Code du travail dépendait de leur appartenance ou de leurs choix de nature syndicale, certains étant privés du remboursement de leurs frais lorsque le plafond de remboursement prévu pour le syndicat dont ils avaient suivi les formations était atteint, alors qu'il ne l'était pas pour les autres organisations, elle en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux dernières branches du moyen, que la délibération du comité interentreprises et les décisions subséquentes s'y rattachant devaient être annulées".

Cette solution doit être entièrement approuvée. Bien que la Cour de cassation ne l'affirme pas de manière expresse, sa décision se justifie au regard de la discrimination à laquelle conduisait la décision du comité interentreprises.

II La discrimination prohibée

  • L'activité sociale concernée

En vertu de l'article L. 451-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6527ACQ, art. L. 3142-7, recod. N° Lexbase : L1367HXW), les salariés bénéficient, à leur demande, d'un droit individuel à congé pour participer à des stages ou sessions de formation économique et sociale ou de formation syndicale organisés soit par des centres rattachés à des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives sur le niveau national, soit par des instituts spécialisés (3).

Dans les entreprises occupant au moins dix salariés, l'employeur est tenu de rémunérer ce congé à la hauteur de 0,08 pour mille du montant de l'ensemble des salaires payés pendant l'année en cours (C. trav., art. L. 451-1, al. 2 et D. 3142-1, recod.). Il faut donc comprendre que les salariés ne peuvent prétendre au maintien de leur salaire intégral si le budget de 0,08 pour mille est dépassé (Cass. soc., 4 décembre 1991, n° 88-44.889, Société Manufacture vosgienne de meubles c/ Mme Khelil et autre N° Lexbase : A4860ABM). Mais, le comité d'entreprise est en mesure, au titre de ses activités sociales et culturelles, d'instituer une indemnité au profit des bénéficiaires du congé (4). A plus forte raison lui est-il loisible, comme en l'espèce, de prendre en charge les frais exposés par les salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale.

  • La discrimination en cause

A première vue, la décision du comité interentreprises n'était pas discriminatoire, puisque la prise en charge des frais occasionnés par le départ en congé de formation économique, sociale et syndicale avait vocation à bénéficier à l'ensemble du personnel. Toutefois, et ainsi que le relève la Cour de cassation, la décision litigieuse revenait à faire dépendre le bénéfice des prestations servies aux salariés de leur appartenance ou de leurs choix de nature syndicale, certains étant privés du remboursement de leurs frais lorsque le plafond de remboursement prévu pour le syndicat dont ils avaient suivi les formations était atteint, alors qu'il ne l'était pas pour les autres organisations.

Or, on ne saurait tolérer que le bénéfice d'une prestation, quelle qu'elle soit, dépende, de manière directe ou indirecte (5), de l'appartenance ou d'un choix de nature syndicale. Il y a là, à n'en point douter, une cause de discrimination exclue tant par l'article L. 122-45 du Code du travail, que par l'article L. 412-2 du même code (N° Lexbase : L6327ACC, art. L. 2141-5, recod. N° Lexbase : L0412HXK) (6). En outre, et il convient de le rappeler, la liberté syndicale s'entend de la faculté, pour toute personne, d'adhérer à un syndicat et, pour ce qui nous intéresse ici, au syndicat de son choix s'il en existe plusieurs.

On remarquera que, dans son motif de principe, la Cour de cassation prend soin de viser le droit individuel à congé que les salariés "tiennent du Code du travail". Est-ce à dire que la solution aurait pu être différente si les salariés avaient bénéficié d'un droit à congé en vertu d'une autre source que la loi. A notre sens, la réponse doit être négative. Peu importe la source de l'avantage. Dès lors que l'on est en présence d'un droit individuel (7) pour l'exercice duquel est mise en place une prestation au titre des activités sociales et culturelles, il ne saurait y avoir de distinction en fonction d'un critère d'appartenance ou de choix syndical.

Cela étant, ce qui vaut pour le comité d'entreprise, ne saurait être appliqué au législateur. A ce titre, il nous semble que ce dernier pourrait, sans craindre la censure du Conseil constitutionnel, réserver les dispositions conventionnelles aux salariés membres du groupement signataire. Mais ceci est une autre histoire...


(1) Pour une illustration d'une mesure discriminatoire, v. Cass. soc., 21 novembre 1990, n° 89-13.056, Comité d'entreprise de la société EFS c/ Société Europe Falcon Service (N° Lexbase : A1611AAW), Bull. civ., V, n° 580.
(2) V. en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 704.
(3) Le congé de formation économique et sociale et de formation syndicale est de droit, sauf dans les cas où l'employeur estime, après avis conforme du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, que cette absence pourrait avoir des conséquences préjudiciables à la production et à la bonne marche de l'entreprise (C. trav., art. L. 451-3 N° Lexbase : L9631GQR, art. L. 3142-13, recod. N° Lexbase : L1373HX7).
(4) C'est ce qu'a admis, certes de manière indirecte, la Cour de cassation en décidant que la part de ces indemnités destinée à compenser la perte de salaire subie par les intéressés est soumise à cotisations sociales (Cass. soc., 5 mai 1995, n° 92-19.024, Urssaf de Lille c/ Société Automobiles Peugeot N° Lexbase : A1930AAQ).
(5) La discrimination est, ici, indirecte puisqu'elle découle du fait que la prise en charge des frais inhérents au congé de formation économique, sociale et syndicale dépend de la représentativité du syndicat dans le groupe.
(6) Article qui, il est vrai, ne vise que l'employeur.
(7) La notion d'avantage individuel est importante. En effet, il nous semble qu'une convention collective est en droit de moduler les avantages qu'elle réserve à un syndicat en fonction de sa représentativité (v. sur la question, notre thèse, Les accords d'entreprise relatifs au droit syndical et à la représentation du personnel, Bordeaux IV, 1997).

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.839, Comité interentreprises du groupe Banques populaires c/ Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers (FNSF-CGT) et a., FS-P+B (N° Lexbase : A9612D77)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 15 juin 2006, n° 05/08109, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers c/ Banque fédérale des banques populaires (N° Lexbase : A6223DRW)

Textes concernés : C. trav., art. L. 432-8 (N° Lexbase : L6415ACL, art. L. 2323-83, recod. N° Lexbase : L0786HXE) et L. 451-1 (N° Lexbase : L6527ACQ, art. L. 3142-7, recod. N° Lexbase : L1367HXW)

Mots-clefs : comité d'entreprise ; activités sociales et culturelles ; bénéficiaires, non-discrimination ; congé de formation économique ; sociale et syndicale.

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