La lettre juridique n°273 du 20 septembre 2007 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007)

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N4649BC8

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[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209341-cite-dans-la-rubrique-b-responsabilite-medicale-b-titre-nbsp-i-panorama-de-responsabilite-civile-med
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut des Assurances de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le nouveau panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, consacré essentiellement à la responsabilité médicale pour faute et aux infections nosocomiales. En matière de faute, la jurisprudence récente de la Cour de cassation précise que la faute médicale doit ainsi être distinguée de la simple erreur commise par le médecin, qui n'engage sa responsabilité que si cette erreur présente une certaine gravité. De même les Hauts magistrats rappellent que la mise en cause de la responsabilité du médecin suppose que soient établis, le préjudice subi par la victime, la faute du médecin et le lien de causalité entre la faute et le préjudice. Cette exigence du caractère causal de la faute est souvent rappelée et opposée aux victimes qui mettent en cause la responsabilité civile des praticiens ou des établissements. Enfin, concernant la réparation du préjudice consécutif à un manquement à l'obligation d'information en matière médicale fait classiquement difficulté, la jurisprudence impose, depuis 2004, l'application de la théorie de la perte de chance de s'être soustrait au préjudice qui s'est finalement réalisé. En matière d'infections nosocomiales, l'auteur revient sur la différence entre le régime légal, issue de la loi du 4 mars 2002, au terme duquel le médecin n'est donc plus responsable qu'en raison de sa faute prouvée, et le régime jurisprudentiel qui continue, depuis 1999, à mettre à la charge du professionnel une obligation de sécurité de résultat. I - Responsabilité pour faute médicale

A - Caractère de la faute médicale

Principe. L'exigence d'une faute est une constante du droit de la responsabilité médicale qui a résisté aux changements de fondements intervenus au vingtième siècle et figure aujourd'hui comme principe à l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3).

Erreur et faute. La Cour de cassation affirme, depuis l'arrêt "Mercier" rendu en 1936 et de manière constante, que le médecin doit "sinon bien évidemment, de guérir le malade [...] du moins de lui donner des soins, non pas quelconques [...] mais consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science" (1).

Le simple fait que les soins n'aient pas permis de guérir le malade ne suffit donc pas à engager la responsabilité du médecin, ou de l'établissement de soins, encore faut-il prouver que ce dernier a bien commis une faute.

Dégagé dans le cadre de la responsabilité contractuelle fondée sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), ce principe demeure dans la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 (N° Lexbase : L1457AXA) qui a réaffirmé, en créant un article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique, que "hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute".

La faute médicale doit, ainsi, être distinguée de la simple erreur commise par le médecin, qui n'engage sa responsabilité que si cette erreur présente une certaine gravité (2).

Prise en compte des difficultés du diagnostic. La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt inédit rendu le 31 mai 2007, que les juges du fond ne doivent pas confondre erreur et faute médicale et qu'ils doivent prendre en compte, pour juger le comportement du médecin, notamment les difficultés du diagnostic : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-12.641, M. Gérald Bureau, F-D (N° Lexbase : A5130DWW).

Dans cette affaire, un médecin généraliste, appelé au chevet d'un patient âgé de 75 ans qui présentait des troubles digestifs, avait posé le diagnostic de gastro-entérite virale et prescrit un traitement en conséquence ; trois jours plus tard, en l'absence d'amélioration, le médecin avait ordonné une prise de sang ; informé d'une forte fièvre de son patient, le médecin conseillait le lendemain une l'hospitalisation sans délai ; le patient devait malheureusement décéder quelques heures plus tard d'un choc sceptique.

Alors que le tribunal de grande instance avait mis hors de cause le médecin généraliste, la cour d'appel allait le condamner en raison d'une faute commise dans le diagnostic ayant fait perdre au patient une chance de survie.

Cet arrêt est cassé, la première chambre civile de la Cour de cassation reprochant à la cour d'appel de ne pas avoir recherché "comme elle y était invitée, si le diagnostic de la pathologie ayant entraîné l'issue fatale était difficile à établir", après avoir affirmé que "ne commet pas de faute le médecin qui ne peut poser le diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficile à établir".

Comme nous l'avions indiqué lors du précédent panorama, la Cour de cassation se montre plus indulgente en matière de diagnostic qu'en matière de gestes chirurgicaux où elle admet plus volontiers qu'une simple maladresse permette de condamner son auteur (3).

B - Nécessité d'établir le caractère causal de la faute médicale

Principes. La mise en cause de la responsabilité du médecin suppose que soient établis, comme d'ailleurs cela doit l'être d'une manière générale, le préjudice subi par la victime, la faute du médecin et le lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Cette exigence du caractère causal de la faute est souvent rappelée et opposée aux victimes qui mettent en cause la responsabilité civile des praticiens ou des établissements.

Application au cas d'aggravation prétendue du préjudice. Ainsi, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 31 mai 2007 fait application de ce principe dans une affaire où une victime réclamait en justice un complément d'indemnisation à la suite de ce qu'elle considérait être une aggravation de son état de santé postérieure à l'offre provisionnelle qui lui avait été faite par l'assureur : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-16.398, Mme Catherine Paquis, épouse Ley, F-D (N° Lexbase : A5170DWE).

Celle-ci prétendait, en effet, que la nouvelle opération qu'elle avait dû subir l'avait privée d'une chance de trouver un emploi. La cour d'appel l'avait déboutée de cette demande, après avoir relevé, à la suite de l'expert, que son taux d'incapacité permanente partielle ne s'était pas aggravé à la suite de cette nouvelle intervention. Le pourvoi dirigé contre cet arrêt est rejeté, la Cour de cassation le considérant comme suffisamment motivé.

Application au cas d'erreur de diagnostic. Un autre arrêt inédit rendu le 28 juin 2007 conduit à une solution comparable s'agissant des conséquences d'une erreur de diagnostic commise par un médecin : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-17968, n° 06-17.968, M. Pascal Leprêtre, F-D (N° Lexbase : A9486DWA).

Dans cette affaire, un patient âgé de 82 ans s'était plaint brutalement de violentes douleurs abdominales. Son médecin traitant l'avait adressé à la clinique pour une suspicion d'appendicite où le patient avait été examiné, le praticien ayant réalisé l'examen ayant exclu le diagnostic d'appendicite aiguë, tout en prescrivant plusieurs examens. Le lendemain, le patient a été victime d'un malaise, associé à une forte chute de tension, et avait dû subi une appendicectomie. L'appendice s'était révélé sain tandis que l'état du patient avait continué à se détériorer. Transféré en urgence au centre hospitalier, il avait été de nouveau opéré, le chirurgien constatant la rupture d'un volumineux anévrisme de l'aorte abdominale. Le patient était décédé quelques jours plus tard. Ses héritiers considéraient qu'une faute de diagnostic avait été commise et que ce retard avait fait perdre au patient une chance d'éviter le décès, mais la cour d'appel les avait déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

Le pourvoi contre cet arrêt est ici rejeté, la Cour de cassation considérant "que, se fondant sur le rapport d'expertise, l'arrêt, qui retient que si le diagnostic avait été posé plus tôt grâce aux résultats de l'échographie abdominale, l'anévrisme n'aurait pu être opéré en raison de son volume, de sa localisation et de l'âge du patient", les juges du fond ayant valablement pu "en déduire, sans dénaturer le rapport d'expertise ni se contredire, l'absence de lien causal entre le retard de diagnostic et le décès du patient".

Application au cas de manquement à l'obligation d'information. Une part très importante de ce contentieux concerne les préjudices consécutifs à un manquement à l'obligation d'information (4).

On sait, depuis le second arrêt rendu dans l'affaire "Hédreul" en 2000, que les juges du fond sont invités à apprécier le caractère causal de la faute "en prenant en compte l'état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, les effets qu'aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus". Lorsqu'ils considèrent que le manquement à l'obligation d'information n'a pas été déterminant dans le choix opéré par le patient, alors ils le déboutent de ses demandes car il ne peut relier le préjudice qui s'est finalement réalisé à la faute constatée, celle-ci ayant été sans incidence réelle sur le choix qui se serait imposé à lui.

Nouvelles illustrations. C'est ce que confirment de nouveaux arrêts inédits de la première chambre civile de la Cour de cassation rendus le 31 mai 2007 : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 03-19.365, M. Hammou Jaafar, FS-D (N° Lexbase : A5085DWA).

Dans une première affaire, un gynécologue avait, compte tenu des résultats d'une échographie de contrôle laissant supposer un poids élevé du foetus et de l'hypertension artérielle de la mère, obtenu l'accord de celle-ci pour un accouchement par césarienne. Ressentant les premières contractions et après une nouvelle échographie, ce même médecin avait pris la décision de pratiquer l'accouchement par les voies naturelles, sans l'accord de la patiente sur l'abandon du recours à la césarienne initialement prévue. L'enfant était né, au terme d'un accouchement compliqué par une dystocie des épaules ayant provoqué une paralysie du plexus brachial droit, aggravée d'une paralysie du nerf phrénique droit. Les parents avaient, donc, mis en cause la responsabilité civile de ce médecin, mais avaient été déboutés par la cour d'appel pour qui "l'information complète de [la mère] ne lui aurait pas offert les arguments d'un choix autre que celui retenu par [le médecin]". Cet arrêt est, ici, confirmé par le rejet du pourvoi, la cour d'appel ayant "exactement déduit" de ces éléments "qu'il n'existait pas de lien de causalité entre les manquements allégués et les préjudices subis".

Si la solution peut se comprendre, d'un strict point de vue juridique, il est tout de même paradoxal, et en toute hypothèse assez frustrant pour les victimes, de les débouter de leur action, sous prétexte qu'ils auraient, de toute façon, suivi le médecin dans son choix s'ils avaient été informés de l'alternative thérapeutique qui s'offrait à eux, tout en reconnaissant que le médecin a commis une faute, celui-ci n'étant "pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait que l'intervention serait médicalement nécessaire" (5).

Il nous semble que, lorsque la faute n'a pas été déterminante du consentement, il conviendrait de réparer au moins le préjudice moral consécutif au non-respect du droit de consentir, de manière éclairée, aux soins, en détachant ce préjudice du préjudice corporel final, et ce, contrairement à ce que juge aujourd'hui la Cour de cassation (cf. infra) (6).

Pouvoir d'appréciation des juges du fond. Les juges du fond disposent ici d'une large marge d'appréciation de l'existence du lien de causalité, la Cour de cassation se contentant d'un simple contrôle disciplinaire.

C'est ce que montre clairement un autre arrêt rendu le même jour que le précédent, mais aboutissant au contraire à la condamnation du médecin : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-18.262, M. André Gabriel, F-D (N° Lexbase : A5174DWK).

Dans cette affaire, une patiente avait été victime d'un accident vasculaire cérébral à la suite d'un examen artériographique. Elle avait obtenu en référé la désignation d'un expert et au vu du rapport d'expertise l'allocation d'une provision, ce qui fut confirmé en appel.

La Cour de cassation confirme ces décisions et rend ici un arrêt de rejet. La cour d'appel avait, en effet, considéré, "en se fondant sur les constatations de l'expert, que prévenue des risques accrus du fait de ses antécédents, la patiente aurait pu préférer ne pas effectuer l'examen".

Importance de l'expertise médicale. On le voit ici, même si l'expertise ne lie jamais le juge qui la demande, celle-ci constitue un élément important de la motivation de la solution retenue.

Un autre arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 juin 2007 permet de s'en convaincre : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-15.540, Mme Nathalie Rabiller, F-D (N° Lexbase : A9465DWH).

Dans cette affaire, un patient prétendait souffrir, aux lendemains d'une intervention chirurgicale à la main, de l'avant-bras gauche. Le juge des référés avait condamné le chirurgien à payer une provision à la victime après avoir affirmé que "en principe, étant donné qu'il s'agit d'une paralysie partielle, le diagnostic de compression au moment ou dans les suites immédiates de l'intervention est le plus probable". Or, l'arrêt est cassé au double visa des articles 1147 du Code civil, et 809, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC). Après avoir rappelé le principe selon lequel "l'auteur d'une faute ne peut être condamné à réparation que si sa faute a contribué de façon directe à la production du dommage dont la réparation est demandée", la Cour de cassation constate "qu'il résulte de ses propres constatations que les avis divergents et hypothétiques des experts n'établissaient pas l'existence d'un lien entre le préjudice subi et la cause alléguée, ce dont il résultait que l'obligation était sérieusement contestable" et, donc, que "la cour d'appel a violé les textes susvisés".

C - Evaluation du préjudice consécutif à un défaut d'information

Situation du problème. La réparation du préjudice consécutif à un manquement à l'obligation d'information en matière médicale fait classiquement difficulté. On sait que deux thèses se sont affrontées, tant en doctrine qu'en jurisprudence. Pour certains, le préjudice résultant du défaut d'information ne pourrait constituer qu'un préjudice moral, échappant au recours des tiers payeurs, distinct du préjudice corporel qui s'est finalement réalisé et qu'il conviendrait d'évaluer de manière autonome. Pour d'autres, ce préjudice ne constituerait qu'une fraction du préjudice final qui ne pourrait donc être évalué qu'en prenant en compte l'étendue de ce dernier tout en l'affectant d'un pourcentage de réduction dans le cadre de l'application de la théorie de la perte de chance.

Le débat a été définitivement tranché par la Cour de cassation qui impose, depuis 2004, l'application de la théorie de la perte de chance de s'être soustrait au préjudice qui s'est finalement réalisé (7).

Méthode d'évaluation imposée. C'est bien ce que confirme un nouvel arrêt inédit rendu le 28 juin 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui permet de bien comprendre ce que sont précisément les attentes de la Haute juridiction : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-13.859, Mme Nicole Ropars, épouse Caurret, F-D (N° Lexbase : A9437DWG).

Dans cette affaire, un anesthésiste n'avait pas suffisamment informé le patient concernant l'opportunité de l'intervention et les risques de la survenance d'événements graves. La cour d'appel avait bien constaté l'existence d'une faute mais avait refusé de faire droit à la demande d'expertise portant sur l'étendue des préjudices économiques, matériels et moraux soufferts en conséquence de la réalisation du risque anesthésique non signalé. Elle avait, au contraire, choisi d'évaluer le préjudice résultant de la perte d'une chance d'avoir pu se soustraire au dommage de manière forfaitaire et considéré que ce préjudice n'était pas d'ordre économique et ne concernait pas l'état de dérèglement mental grave du patient, provoqué par les suites anesthésiques exemptes de toute faute. En d'autres termes, il s'agissait d'un préjudice autonome étranger au préjudice résultant de l'accident médical.

Cet arrêt est, comme cela était prévisible, cassé, au visa de l'article 1147 du Code civil, la Cour de cassation reprochant aux juges du fond d'avoir ainsi statué "sans évaluer, au préalable, le montant total des préjudices corporels, matériels et moraux subis, pour déterminer et évaluer la perte de chance". Comme le rappelle la Cour à titre liminaire, dans un attendu de principe classique, "déterminée en fonction de l'état de la victime et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle, l'indemnité de réparation de la perte d'une chance d'obtenir une amélioration de son état ou d'échapper à la situation qui s'est réalisée doit correspondre à la fraction, souverainement évaluée, des différents chefs de préjudice supportés par la victime".

II - Infections nosocomiales

Régime prétorien. La Cour de cassation a consacré, en 1999, l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, en matière d'infections nosocomiales, qui pèse tant sur le médecin libéral que sur l'établissement (8).

Régime légal. Le régime légal, issu des lois du 4 mars et 30 décembre 2002 (loi n° 2002-1577du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale N° Lexbase : L9375A8Q), se distingue sensiblement de ces solutions.

En premier lieu, seuls les établissements de santé se trouvent, désormais, soumis à un régime légal de responsabilité sans faute qui ne cède que devant la preuve d'un cas de force majeure ; les médecins ne sont donc plus responsables qu'en raison de leur faute prouvée (9), comme c'était le cas avant 1996 (10).

En second lieu, la responsabilité de plein droit des établissements ne vaut que si la victime n'est pas décédée et présente un taux d'IPP inférieur à 26 %. Dans l'hypothèse contraire, l'article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique impose à l'ONIAM d'indemniser la victime, à charge pour lui de se retourner contre l'établissement, le succès de ce recours étant toutefois subordonné à la preuve d'une faute commise par cet établissement, notamment en cas de non-respect des prescriptions légales ou réglementaires relatives à la prévention des infections nosocomiales.

Tentatives de réinterprétation du droit commun. Les médecins ont donc tout intérêt à se placer dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, ce qui n'est toutefois possible que pour les actes médicaux réalisés à compter du 5 septembre 2001, ou à peser sur la jurisprudence pour que celle-ci, faisant une sorte d'application indirecte immédiate de la loi nouvelle, "déclasse" leur obligation de sécurité de résultat en obligation de moyens et impose à la victime la preuve d'une faute, comme c'était le cas avant 1996 et comme c'est de nouveau le cas lorsque l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique est applicable.

Si certaines cours d'appel se sont montrées sensibles à ces arguments (11), la Cour de cassation n'a pas modifié les solutions dégagées depuis 1999 (12).

Confirmation de l'obligation de sécurité de résultat. Dans un arrêt inédit rendu le 31 mai 2007, la Cour de cassation confirme cette fermeté : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-17.888, Société La Clinique des Franciscaines, F-D (N° Lexbase : A5173DWI).

Dans cette affaire, les juges de la cour d'appel de Nîmes avaient débouté la victime d'une infection nosocomiale de son action, sous prétexte qu'elle n'avait pas prouvé la faute du médecin (13). L'arrêt est logiquement cassé, la Cour indiquant très clairement au double visa des articles 1147 du Code civil et L. 1142-1 du Code de la santé publique, qu'"en statuant ainsi, alors que l'article L. 1142-1 du Code la santé publique n'étant pas applicable en la cause, ce dont il résultait que, s'agissant des conséquences dommageables d'une éventuelle infection nosocomiale, la clinique et le chirurgien étaient, l'un et l'autre, tenus à l'égard de la patiente d'une obligation de sécurité de résultat dont ils ne pouvaient se libérer que par la preuve d'une cause étrangère et non par la preuve d'une absence de faute, la cour d'appel a violé le premier des textes susvisés par refus d'application, et le second par fausse application".

Cette solution est logique car l'application "anticipée" que la cour d'appel de Nîmes prétendait faire de la loi du 4 mars 2002 aboutissait, en réalité, à violer l'esprit de la loi nouvelle, alors même qu'elle prétendait en faire application. Il est, en effet, pour le moins paradoxal d'affirmer qu'il est nécessaire de respecter la volonté du législateur, en ramenant l'intensité de l'obligation de sécurité qui pèse sur le médecin en présence d'une infection nosocomiale d'une obligation de résultat à une simple obligation de moyens. La loi du 4 mars 2002 a, en effet, décidé de limiter son application dans le temps aux seuls actes réalisés à compter du 5 septembre 2001. Si la cour souhaitait respecter la volonté du législateur, alors elle aurait au contraire dû refuser de faire application du nouveau régime de la responsabilité des professionnels libéraux aux actes réalisés antérieurement au 5 septembre 2001. Dans une autre affaire, et alors qu'elle y était pourtant invitée, la cour d'appel de Reims avait, d'ailleurs, très justement affirmé que "ne pas appliquer la jurisprudence qui s'était développée avant cette loi serait priver de toute signification la date du 5 septembre 2001 telle que fixée par le législateur" (14).

Enfin, et c'est là sans doute que le raisonnement pêche le plus, la cour d'appel de Nîmes n'avait semble-t-il pas compris la philosophie même de la loi du 4 mars 2002. L'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique n'a, en effet, allégé le régime de la responsabilité des professionnels libéraux en matière d'infections nosocomiales que parce que les victimes disposent désormais, si elles ne parviennent pas à établir la faute, d'une indemnisation auprès de l'ONIAM, certes limitée aux dommages les plus graves. Or, la cour de Nîmes rompait totalement les termes mêmes de cet équilibre en faisant une application anticipée de ce nouveau régime de responsabilité, sans que la victime ne puisse bénéficier en contrepartie du droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale. Croyant aller dans le sens du législateur, la cour de Nîmes violait au contraire totalement la philosophie de la loi nouvelle.

Tentatives de restriction de la notion d'infection nosocomiale. Face à ce refus catégorique de modifier le régime de la responsabilité des médecins, certains plaideurs ont eu l'idée de tenter de restreindre le champ d'application même de ce régime en soutenant une conception très stricte de l'infection nosocomiale qui se réduirait aux seules infections d'origine exogène, à l'exclusion donc des infections d'origine endogène.

Après de nombreuses juridictions du fond (15), la Cour de cassation a rejeté cette conception très restrictive de l'infection nosocomiale et ne tient pas compte de l'origine du germe en cause dans l'infection (16).

Le Conseil d'Etat a, pour sa part, refusé de considérer comme relevant de ce régime les infections d'origine endogène (17), de telle sorte que l'on pouvait s'interroger sur la pérennité de la jurisprudence de la Cour de cassation, peut-être soucieuse d'harmonisation.

La confirmation d'une conception large. Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 juin 2007, et publié au Bulletin, confirme la conception large de l'infection, la Cour réaffirmant que "la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l'établissement de santé en matière d'infection nosocomiale n'est pas limitée aux infections d'origine exogène", et "que seule la cause étrangère est exonératoire de leur responsabilité" : Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-10.812, M. François Maucourt, FS-P+B (N° Lexbase : A7882DWT).


(1) Cass. civ., 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier (N° Lexbase : A7395AHD).
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1974, n° 72-14.161 (N° Lexbase : A7537AHM), Bull. civ. I, n° 4 (erreur de diagnostic). Sur les solutions qui prévalent lorsqu'est en cause la maladresse du geste chirurgical, voir le Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0717BB8).
(3) A propos de deux arrêts rendus le 3 avril 2007 : Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-13.457, Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), F-D (N° Lexbase : A9123DUG) et Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 05-10.515, M. Jean-Baptiste Leblanc, F-D (N° Lexbase : A8931DUC) ; voir Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), préc..
(4) Ce depuis le second arrêt "Hédreul" rendu en 2000 : Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 98-23.046, Hédreul c/ Cousin (N° Lexbase : A3773AUB), D. 1999, jur. p. 46, note H. Matsopoulou. Dans le même sens, Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 01-00.377, Mme Edith Legros, épouse Riallant c/ M. Francis Duval, FS-P+B (N° Lexbase : A7151A3A), Resp. civ. et assur. 2003, comm. 77 ; RTD civ. 2003, p. n° 4, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-15.572, Mlle Corinne Brier c/ Mutuelle complémentaire de la Ville de Paris, F-P (N° Lexbase : A9175A4L), Resp. civ. et assur. 2003, comm. 143. ; CA Paris, 1ère ch., sect. B, n° 2002/06720, Société Le sou médical c/ Madame R. (N° Lexbase : A7006DAQ), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 76, obs. Ch. Radé. ; ainsi que les décisions analysées dans le Panorama préc..
(5) Cass. civ. 1, 18 juillet 2000 n° 99-10.886, Mme X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A9593AGE), Resp. civ. et assur. 2000, comm. 336.
(6) Resp. civ. et assur. 2003, chron. 7, Ch. Radé.
(7) Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 02-10.957, M. Pierre Pazat c/ Mme Martine Julienne, épouse Huet, F-P+B (N° Lexbase : A3421DEG), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 60 ; dernièrement Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 06-12.372, Bruno Franck, F-D (N° Lexbase : A2249DUT), commenté dans le précédent Panorama, préc..
(8) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, trois arrêts, n° 97-14.254 (N° Lexbase : A6656AHY), n° 97-15.818 (N° Lexbase : A6644AHK) et n° 97-21.903 (N° Lexbase : A7452AHH), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos. Pour des applications récentes : CA Paris, 8 décembre 2006, n° 02/05256 (N° Lexbase : A8813DS9).
(9) C. santé publ., art. L. 1142-1.
(10) C'est en effet l'arrêt "Bonnici" qui a reconnu aux victimes le bénéfice d'une présomption simple de faute (Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-16.586, M. Bonnici c/ Clinique Bouchard et autre N° Lexbase : A8567ABW, Bull. civ. I, n° 219 ; Resp. civ. et assur. 1996, chron., 29, par H. Groutel), avant que la Cour de cassation ne consacre, en 1999, l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, c'est-à-dire une responsabilité sans faute.
(11) CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 4 mai 2004 (N° Lexbase : A9392DD9) : Resp. civ. et assur. 2004, comm. 343, et les obs. ; CA Caen, 1ère ch., 30 janvier 2007, B. c. / O. (N° Lexbase : A2277DWA).
(12) Cass. civ 1, 18 octobre 2005, n° 04-14.268, M. Jean-Luc Delalande c/ Mme Marie-Claude Bindel, épouse Kraszewski, FS-P+B (N° Lexbase : A0296DLK) ; Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 04-17.097, M. Joël Aknin c/ Mme Iris Amram, F-D (N° Lexbase : A8434DMC) ; Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 04-20.627, M. Jean-Pierre Fargette c/ Société Polyclinique de Keraudren, F-D (N° Lexbase : A7990DNA).
(13) CA Nîmes, 1ère chambre civile, sect. A, 9 septembre 2006.
(14) CA Reims, 22 septembre 2003, Boge Gloaguen c/ Jacob.
(15) CA Montpellier, 1ère ch., sec. B, 15 juin 2004, Polyclinique St-Jean c/ Rault (N° Lexbase : A9275DNT) ; CA Rennes, 8 décembre 2004, : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 133, et les obs..
(16) Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-17.491, M. Pierre Lévy c/ Mme Jeanine Rault, FS-P+B (N° Lexbase : A9651DNR), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 244 ; RTD civ. 2006, p. 567, obs. P. Jourdain.
(17) CE, 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 275700, CHU de Brest (N° Lexbase : A4812DSZ) ; dans le même sens, CAA Nancy, 3ème ch., 25 janvier 2007, n° 06NC00684 (N° Lexbase : A9867DTM).

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