La lettre juridique n°226 du 7 septembre 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Application d'une convention collective et compétence élargie du conseil de prud'hommes

Réf. : Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-47.550, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière, FS-P+B (N° Lexbase : A4454DQZ)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

L'éparpillement du contentieux du travail constitue l'un des traits marquants, et l'une des faiblesses, du droit du travail qui n'a pas su, ou pas voulu, réformer en profondeur la compétence des conseils de prud'hommes. C'est pour tenter de remédier à cette situation que la Cour de cassation retient de la compétence du juge prud'homal une conception large, comme le confirme cet arrêt rendu par la chambre sociale le 12 juillet 2006 dans une affaire où était en cause l'application à un salarié d'un accord de réduction du temps de travail. Si l'affirmation de la compétence du juge prud'homal doit être pleinement approuvée (I), le fondement retenu est des plus contestables (II).
Résumé

Il résulte de l'article L. 135-6 du Code du travail que chaque salarié est recevable à agir individuellement afin d'obtenir l'exécution des engagements énoncés dans le cadre d'une convention ou d' un accord ou des dommages-intérêts contre les personnes liées par cet accord qui violeraient à leur égard ces engagements.

Décision

Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-47.550, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière, FS-P+B (N° Lexbase : A4454DQZ)

Cassation (cour d'appel de Lyon, chambre sociale, 14 octobre 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 135-6 (N° Lexbase : L5719ACS) et L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT)

Mots clef : accord collectif ; inexécution ; action individuelle des salariés ; compétence du conseil de prud'hommes

Liens base :

Faits

1. M. Dorveaux était employé par l'association centre médical de l'Argentière. Etait applicable à cette association la convention collective nationale du 31 octobre 1951.

L'avenant 99-01 à cette convention a prévu, dans le cadre de la mise en place de la réduction du temps de travail à 35 heures, d'une part, que les entreprises ou établissements compris dans son champ d'application s'engageaient à augmenter leurs effectifs dans un délai maximum d'un an, les recrutements étant de 7 % pour une réduction du temps de travail de 10 %, et, d'autre part, que la durée des échelons pour les salariés présents au moment de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail était prolongée de seize mois.

L'accord collectif relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail signé le 17 décembre 1999 entre l'association et deux syndicats pour la mise en oeuvre de cet avenant a prévu que le temps de travail serait ramené à 35 heures, l'association s'engageant à procéder à des embauches représentant au minimum 6 % de son effectif.

2. M. Dorveaux a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande tendant à la réparation du préjudice résultant pour lui du non-respect des dispositions de l'avenant 99-01.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent.

3. La cour d'appel de Lyon a rejeté le contredit formé contre le jugement du conseil de prud'hommes au motif que la demande tendant à la réparation du préjudice résultant du non-respect de l'avenant, qui suppose l'interprétation de cet avenant et l'appréciation de l'accord d'entreprise au regard des obligations qu'il contiendrait, ne s'inscrit pas dans le cadre d'un litige individuel entre employeur et salarié à l'occasion d'un contrat de travail, tel qu'il est défini par l'article L. 511-1 du Code du travail, dès lors que le salarié qui présente une demande de dommages-intérêts purement formelle ne justifie pas de l'incidence que la question de la compatibilité de l'accord d'entreprise avec l'avenant qu'il demande de voir tranchée aurait sur son propre contrat de travail et ne justifie pas davantage d'un quelconque intérêt à agir, et que pour fonder son action, il se réfère lui-même aux dispositions de l'article L. 135-6 du Code du travail, cette action relevant de la compétence du tribunal de grande instance.

Solution

1. "Vu l'article L. 135-6 du Code du travail, ensemble l'article L. 511-1 du même code" ;

"il résulte du premier de ces textes que chaque salarié est recevable à agir individuellement afin d'obtenir l'exécution des engagements énoncés dans le cadre d'une convention ou d' un accord ou des dommages-intérêts contre les personnes liées par cet accord qui violeraient à leur égard ces engagements".

En rejetant le contredit, "alors qu'il ressort des énonciations de l'arrêt que le salarié demandait la réparation du préjudice résultant pour lui de la non-application au sein de l'entreprise des dispositions de l'avenant 99-01, lequel prévoyait l'obligation pour les entreprises de recruter 7 % de leurs effectifs tandis que les salariés se voyaient imposer un retard dans le passage à l'échelon supérieur, ce dont il résulte qu'il s'agissait d'une action individuelle relevant de la compétence du conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

2. Cassation en ce qu'il a rejeté le contredit formé à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Givors, l'arrêt rendu le 14 octobre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; dit n'y avoir lieu à renvoi sur la compétence ; dit que le conseil de prud'hommes de Givors est compétent pour connaître de la demande relative au non-respect de l'avenant 99-10 et du préjudice en résultant pour le salarié ; renvoie en application de l'article 86 du nouveau code de procédure civile, l'affaire devant ce conseil de prud'hommes, et dit que, conformément à l'article 97 du même code, le dossier de l'affaire sera immédiatement transmis à cette juridiction par le greffe de la cour de cassation ; condamne le centre médical de l'Argentière aux dépens.

Commentaire

I - La confirmation de la compétence élargie du conseil de prud'hommes

  • Compétence du conseil de prud'hommes et notion de litiges individuels

Les différends qui naissent de l'exécution d'une convention collective sont de deux ordres.

Une première série de litiges relève purement et simplement du droit conventionnel et oppose les parties à l'accord. A l'instar des solutions qui prévalent en droit commun des contrats, les parties à la convention, qu'il s'agisse des syndicats signataires ou du chef d'entreprise contractant, peuvent agir afin d'obtenir l'exécution forcée de l'accord ou pour obtenir des dommages et intérêts en cas d'inexécution (C. trav., art. L. 135-5 N° Lexbase : L5718ACR et L. 135-6).

Il s'agit, ici, de différends "purement conventionnels", collectifs "par nature", et qui relèvent de la seule compétence du tribunal de grande instance. Ainsi, les salariés pris individuellement ne disposent d'aucune action propre dès lors qu'ils n'invoquent aucun intérêt personnel, qu'il s'agisse d'obtenir l'interprétation du texte conventionnel (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 95-43.227, M. Gosse et autres c/ Société niçoise d'exploitation balnéaire Casino Ruhl N° Lexbase : A2126ACQ, Bull. civ. V, n° 153) ou même d'en réclamer l'application à l'ensemble du personnel sans présenter de requête propre (Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-41.712, Société Les Verreries de la Somme c/ M. Salle N° Lexbase : A2893AC7, Dr. soc. 1998, p. 731, obs. G. Couturier).

D'autres différends peuvent opposer les salariés, bénéficiaires de l'accord, mais qui n'y sont pas partie, au sens juridique du terme. Les dispositions de l'article L. 135-6 du Code du travail ne sont alors pas directement applicables, la convention collective constituant un acte juridique auquel ils sont juridiquement tiers. Cet accord est, toutefois, susceptible de faire naître, à leur profit, un certain nombre de droits (mais également de devoir) et il est alors normal que les salariés disposent d'actions judiciaires pour se faire rétablir dans leurs droits. L'action du salarié est alors rattachée au contrat de travail et relève bien de la compétence du conseils de prud'hommes (en ce sens, Cass. soc., 24 avril 1975, n° 74-40.509, CIE AIR-INTER SA c/ Chaminade Syndicat national des pilotes de ligne N° Lexbase : A3209AGX).

De manière constante, la Cour de cassation a jugé que la compétence du conseil de prud'hommes ne pouvait être écartée sous prétexte qu'il conviendrait, pour trancher le litige, de régler une difficulté d'interprétation de l'accord collectif applicable (Cass. soc., 10 mars 1965, n° 60-40.177 N° Lexbase : A2946AUN, D. 1965, p. 624, note J. Villebrun. Cass. soc., 21 mars 1984, n° 81-42.320, Colombo c/ SARL Sotrasi N° Lexbase : A0112AAE, JCP éd. E 1985, I, 14472, n° 2, obs. B. Teyssié), ni même que la demande concernerait plusieurs salariés (Cass. soc., 11 juin 1975, n° 74-40749, Besset et autres N° Lexbase : A0511CHE, Bull. civ. V, n° 321) ou émanerait de plusieurs salariés (Cass. soc., 26 mars 1981, n° 79-41.610, Société Sogara Carrefour c/ Dame Laffont N° Lexbase : A3648ABQ, Bull. civ. V, n° 264. Cass. soc., 3 octobre 1991, n° 87-43.250, M. Beninca et autres c/ Société CGA-HBS N° Lexbase : A3872ABZ).

C'est cette conception large de la compétence du conseil de prud'hommes que vient confirmer cet arrêt en date du 12 juillet 2006.

  • L'affaire en cause

Dans cette affaire, un salarié se plaignait du non-respect par l'employeur d'un accord de réduction du temps de travail et réclamait des dommages et intérêts. Le conseil de prud'hommes, puis la cour d'appel, avaient considéré la juridiction prud'homale comme incompétente après avoir jugé, en substance, que la demande du salarié était artificielle et mal fondée, puisque ce dernier visait l'article L. 135-6 du Code du travail applicable en principe aux seules parties signataires.

L'arrêt ayant rejeté le contredit est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant qu'il résulte de l'article L. 135-6 "que chaque salarié est recevable à agir individuellement afin d'obtenir l'exécution des engagements énoncés dans le cadre d'une convention ou d' un accord ou des dommages-intérêts contre les personnes liées par cet accord qui violeraient à leur égard ces engagements".

  • Une compétence élargie parfaitement justifiée

La conception large de la compétence du conseil de prud'hommes, confirmée par cet arrêt, ne peut qu'être approuvée. L'éparpillement actuel du contentieux du travail doit, en effet, être combattu dans la mesure où il nuit à une interprétation homogène du droit du travail. Dans la mesure où les demandes émanent de salariés agissant en leur nom personnel et pour leurs propres intérêts, il est souhaitable que le conseil de prud'hommes soit compétent pour apprécier un litige incontestablement individuel.

Il appartiendra, par conséquent, au conseil de prud'hommes de renvoi d'examiner la demande présentée par le salarié et de déterminer si le manquement invoqué est avéré et s'il a bien causé un préjudice.

Compte tenu de la nature de l'accord "donnant-donnant", il est plus que vraisemblable qu'il obtiendra gain de cause. Comme dans beaucoup d'accords de réductions du temps de travail issus de la loi "Robien" (loi n° 96-502 du 11 juin 1996 N° Lexbase : L7981AIG) ou de la loi "Aubry I" (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 N° Lexbase : L7982AIH), le bénéfice des aides publiques (réductions de charges salariales) dans le cadre d'une réduction de la durée du travail était en effet subordonné à l'existence d'engagements en termes d'emplois sauvés (accords défensifs) ou créés (accords offensifs). Ces accords s'accompagnaient souvent d'un gel partiel ou total des salaires, comme c'était le cas ici (la durée des échelons pour les salariés présents au moment de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail était en effet prolongée de seize mois). Or les entreprises manquent parfois à leurs engagements en terme d'emplois, mais rarement au gel des salaires, ce qui entraîne un préjudice évident pour les salariés (ainsi Cass. soc., 10 octobre 2002, n° 00-42.906, F-P N° Lexbase : A9712AZQ, Dr. soc. 2002, p. 1158, et les obs., où la responsabilité de l'entreprise avait été retenue bien que celle-ci ait été placée en redressement judiciaire).

II - Le fondement contestable du droit des salariés de réclamer l'application d'une convention collective

  • La nécessaire distinction de la recevabilité et du bien-fondé

Le débat sur le bien-fondé de la demande présentée par le salarié ne doit pas venir polluer la question de sa recevabilité et de la juridiction compétente pour en connaître. Or le conseil de prud'hommes, puis la cour d'appel de Lyon, avaient, semble-t-il, mélangé les deux questions.

De ce point de vue, la solution semble donc pleinement justifiée.

  • L'autonomisation de l'article L. 135-6 du Code du travail

La question du fondement retenu pour justifier la solution est, en revanche, plus délicate.

Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation se fonde sur l'article L. 135-6 du Code du travail pour reconnaître aux salariés le droit de réclamer à l'employeur des dommages et intérêts lorsque ce dernier n'a pas respecté ses obligations conventionnelles, singulièrement lorsque sont en cause des engagements en terme d'emploi (en ce sens Cass. soc., 22 janvier 1998, n° 95-45.400, Briou N° Lexbase : A2585ACQ, Dr. soc. 1998, p. 375, obs. G. Couturier).

C'est, en revanche, de manière totalement inédite que la Cour de cassation affirme très clairement que ce droit se fonde sur le seul article L. 135-6 du Code du travail. Dans ses décisions précédentes, et singulièrement dans l'arrêt "Briou" rendu en 1998 (préc.), la Cour visait, aux côtés des articles L. 135-5 et L. 135-6 du Code du travail, l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) qui concerne bien la responsabilité civile contractuelle de l'employeur, justifiant alors parfaitement le caractère individuel du litige et, partant, la compétence du conseil de prud'hommes.

  • Une solution contestable sur le plan strictement juridique

Toute référence au Code civil disparaît donc des textes ici applicables, au profit des seules dispositions du Code du travail.

L'éviction de l'article 1147 du Code civil est audacieuse. L'article L. 135-6 du Code du travail ne concerne, en effet, que "les personnes liées par une convention ou un accord collectif de travail", c'est-à-dire les seules parties à l'accord. Or les salariés ne sont pas parties à l'accord, puisqu'ils y sont "représentés", tout au moins leurs intérêts, par les syndicats représentatifs qui seuls ont compétence pour conclure les accords collectifs. Certes, l'article L. 135-6 du Code du travail fonde bien l'obligation faite aux parties signataires d'exécuter les accords et conventions collectives, mais il ne contient aucune disposition de nature à fonder l'action personnelle des salariés, bénéficiaires de l'accord.

La mise à l'écart de l'article 1147 du Code civil s'inscrit, par conséquent, dans un mouvement plus vaste d'autonomisation du droit du travail par rapport au droit civil, très sensible ces dernières années singulièrement lorsque est en cause la responsabilité civile des employeurs et des salariés (en matière contractuelle, en revanche, l'article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC règne en maître. Notre étude La figure du contrat dans le rapport de travail, Dr. soc. 2001, p. 802), comme en témoignent les derniers développements de la jurisprudence en matière de harcèlement moral (en ce sens, Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9600DPA notre chron. L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0835ALI).

Cette mise à l'écart des dispositions du Code civil, et le forçage des textes du Code du travail, n'est pas satisfaisante. Elle ouvre, en effet, la porte à tous les arbitraires et à toutes les interprétations, renforçant encore un peu plus le sentiment d'insécurité en droit du travail.

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