La lettre juridique n°219 du 15 juin 2006 : Marchés publics

[Jurisprudence] La Cour de justice et l'exception in house : du rigorisme au pragmatisme ?

Réf. : CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo, Consorzio Alisei c/ Commune du Busto Arsizio, AGESP SpA (N° Lexbase : A3283DPB)

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Dans l'arrêt "Teckal", la Cour de justice a estimé qu'il pouvait être dérogé aux Directives communautaires pour les marchés passés entre une collectivité publique et une autre personne juridique dans les hypothèses "où, à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent" (CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia N° Lexbase : A0591AWS, Rec. p. I-8121, spéc. n° 50). Cette exception a été étendue aux situations dans lesquelles la passation du marché est soumise à une obligation de mise en concurrence, non pas, en vertu des Directives communautaires, mais en vertu du Traité lui-même en application de la jurisprudence "Telaustria" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG N° Lexbase : A1916AWU, Rec., p. I-10745) (v. CJCE, 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Consorzio Aziende Metano (Coname) c/ Comune di Cingia de' Botti N° Lexbase : A1664DKT ; CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG N° Lexbase : A7748DK8). Deux conditions doivent donc être réunies pour que puisse jouer l'exception in house. La première est d'ordre organique, puisqu'il s'agit d'examiner si le contrôle exercé par les pouvoirs adjudicateurs sur le cocontractant est analogue à celui exercé sur ses propres services. La seconde est matérielle, puisqu'il s'agit d'exiger que l'entreprise réalise l'essentiel de son activité avec la collectivité publique. La Cour de justice avait jusqu'à présent adopté une conception très restrictive des deux conditions posées dans l'arrêt Teckal. Elle a, en effet, jugé que "la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services" (CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH, Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna N° Lexbase : A9511DEY). Mais la détention de tout le capital par la collectivité n'est pas une condition suffisante. Dans une autre affaire, la Cour de justice a estimé que dans la mesure où la société à capitaux entièrement publics avait acquis une vocation de marché, le contrôle que la commune pouvait exercer était précaire et l'exception in house était donc exclue (CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG, précité). Dans ce dernier arrêt, la Cour de justice semblait d'ailleurs largement confondre le premier et le second critère (v. en ce sens, D. Szymczak, JCP éd. A 2006, n° 1021).

Dans l'arrêt "Carbotermo", la Cour de justice semble avoir, sous l'influence de son Avocat général C. Stix-Hackl, adopté une position moins stricte. La commune de Busto Arsizio avait confié, sans mise en concurrence, un marché pour la fourniture d'énergie et l'entretien des installations de chauffage à la société AGESP. La commune estimait qu'il y avait là un contrat in house car la société AGESP appartient dans sa totalité à la Holding AGESP SpA qui est une société anonyme dont le capital est détenu à 99,8 % par la commune. Les autres actions sont possédées par des communes voisines. La Cour de justice a donc eu l'occasion de se prononcer sur l'interprétation des deux critères de la jurisprudence "Teckal" : la collectivité dispose-t-elle d'un pouvoir de contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services et l'essentiel de l'activité est-il réalisé avec la collectivité ?

I. La collectivité dispose-t-elle d'un pouvoir de contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services ?

Face à la situation de la société AGESP, la Cour a procédé en deux temps. Elle admet qu'une société qui n'est pas uniquement détenue par la collectivité puisse bénéficier de l'exception in house (A). Mais il faut toutefois que son contrôle sur une telle entité soit effectif (B).

A. Les détenteurs du capital social

Dans l'arrêt "Teckal", la Cour de justice n'avait pas exclu en principe que la notion de contrat in house soit applicable lorsque la société est détenue par plusieurs collectivités. Cette possibilité découlait surtout d'une décision de 2003 (CJCE, 8 mai 2003, aff. C-349/97, Royaume d'Espagne c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A9190B47, Rec. p. I-3851). Dans l'arrêt "Carbotermo", la situation était toutefois particulière dans la mesure où la commune de Busto Arsizio détenait 99,8 % de la Holding AGESP. Toutefois, dans des hypothèses moins caricaturales, on ne voit pas très bien comment une société détenue à parts plus ou moins égales par des collectivités locales pourrait échapper à l'obligation de mise en concurrence : chacune des collectivités contrôle la société, donc, aucune n'exerce un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services.

Plus intéressante semble l'ouverture de la Cour de justice en faveur des actionnaires privés. Elle semble donc abandonner les rigueurs de la jurisprudence "Stadt Halle", pourtant réitérée par une très récente décision (CJCE, 6 avril 2006, aff. C-410/04, Associazione Nazionale Autotrasporto Viaggiatori (ANAV) c/ Comune di Bari, AMTAB Servizio SpA N° Lexbase : A9381DNR). La Cour ne semble pas considérer comme un obstacle à la qualification de contrat in house, le fait que des actionnaires privés puissent entrer dans le capital de la Holding AGESP. Elle précise, toutefois, que les statuts de cette société prévoient, non seulement, que la majorité du capital reste détenu par la commune de Busto Arsizio, mais qu'un actionnaire ne peut avoir plus d'un dixième du capital de cette société. Mieux encore, elle rappelle que si la société AGESP appartient, pour l'instant, entièrement à la Holding AGESP, son capital peut être ouvert à des actionnaires privés à condition, toutefois, qu'aucun d'entre eux ne dispose de plus de 10 % des parts sociales.

Cette conception du contrat in house semble donc être plus conforme que la jurisprudence antérieure à l'article 295 CE selon lequel, "le présent Traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres". Surtout, les sociétés d'économie mixte, qui avaient semblé être exclues du champ des contrats in house (B. Leplat, La création de SPL, condition nécessaire et suffisante au bénéfice de l'exception "in house" ?, Petites affiches, 26 octobre 2005, p. 5), pourraient en bénéficier. La Cour de justice rejoint ainsi la position du Conseil d'Etat (CE, 9 juillet 2003, n° 239879, Fédération française des entreprises gestionnaires de services, aux équipements, à l'énergie et à l'environnement et autres N° Lexbase : A2034C99, Contrats et marchés publics, octobre 2003, comm. n° 169, P. Delelis).

Cette ouverture aux capitaux privés comporte toutefois des limites. La Cour a ainsi, récemment, précisé qu'après l'attribution du marché à une société entièrement publique, la collectivité ne pouvait procéder à une privatisation même partielle, en l'occurrence à hauteur de 49 % du capital social (CJCE, 10 novembre 2005, aff. C-29/04, Commission des Communautés européennes c/ République d'Autriche N° Lexbase : A4961DLC). L'opération pouvait d'ailleurs être considérée comme une fraude, dans la mesure où elle ne visait qu'à contourner l'application des règles communautaires.

Quoi qu'il en soit, au-delà d'une approche finalement assez formelle centrée sur la propriété du capital social, le juge communautaire privilégie ici une démarche plus pragmatique relative à l'effectivité du contrôle de la collectivité sur la société.

B. L'effectivité du contrôle sur la société

Pour apprécier cette effectivité, la Cour rappelle qu'"il convient de tenir compte de l'ensemble des dispositions législatives et des circonstances pertinentes. Il doit résulter de cet examen que la société adjudicataire est soumise à un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d'influencer les décisions de ladite société. Il doit s'agir d'une possibilité d'influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société". Elle ajoute que "la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d'autres pouvoirs publics, la totalité du capital d'une société adjudicataire tend à indiquer, sans être décisive, que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services" (n° 36 et 37).

Dans l'affaire "Carbotermo", la Cour souligne que les statuts d'AGESP Holding et d'AGESP confèrent des pouvoirs importants à leurs conseils d'administrations respectifs et que ces sociétés restent finalement très largement soumises au droit des sociétés. La commune de Busto Arsizio a donc des pouvoirs comparables à un associé "normal". Surtout, l'influence de la commune ne peut s'exercer que par le truchement de la Holding AGESP, ce qui est de nature à affaiblir le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur. Tout en ayant sensiblement assoupli le premier critère, la Cour de justice estime qu'il n'est toutefois pas satisfait.

Elle s'est, néanmoins, prononcée sur le second critère qui, jusque là, n'avait guère été élucidé par sa jurisprudence.

II. L'essentiel de l'activité de l'entité est-il réalisé avec la collectivité ?

La Cour a explicité la raison d'être de ce second critère (A) avant de préciser sa mise en oeuvre (B).

A. La raison d'être du critère

On rappellera d'abord que dans l'arrêt "Parking Brixen" (préc.), la Cour de justice confondant le premier critère avec le second avait estimé que l'extension de l'objet social de la société et de sa sphère d'action territoriale rendait le contrôle de la commune sur la société éminemment "précaire" (pt. 67). La clarification de l'arrêt "Carbotermo" est donc bienvenue.

Le droit communautaire des marchés publics a pour objectif la libre circulation des marchandises et des services et une concurrence non faussée dans les Etats membres. La Cour en déduit alors que "l'exigence que la personne en cause réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent a particulièrement pour objet de garantir que la Directive 93/36 [LXB=L7739AU8] demeure applicable dans le cas où une entreprise contrôlée par une ou plusieurs collectivités est active sur le marché, et donc susceptible d'entrer en concurrence avec d'autres entreprises.[...] En effet, une entreprise n'est pas nécessairement privée de liberté d'action du seul fait que les décisions la concernant sont contrôlées par la collectivité qui la détient, si elle peut encore exercer une partie importante de son activité économique auprès d'autres opérateurs" (n° 60 et 61). P. Delvolve avait, ainsi, souligné que "si l'organisme peut agir dans une large proportion au profit d'autres personnes, il retrouve une liberté d'action révélant qu'il n'est pas seulement le prolongement de la collectivité" (P. Delvolve, Marchés publics : les critères des contrats-maison, RDUE 2002, p. 53, spéc. p. 56).

La Cour en déduit qu'il faut donc que l'activité de l'entreprise soit "consacrée principalement à cette collectivité, tout autre activité ne revêtant qu'un caractère marginal" (n° 63). Les termes employés par la Cour de justice ne laissent donc pas une place très importante à la diversification des activités. C'est plutôt dans la mise en oeuvre du principe que le juge communautaire fait preuve d'un certain pragmatisme.

B. La mise en oeuvre du critère

Pour déterminer si l'activité est, pour l'essentiel, réalisé avec la collectivité adjudicatrice, la Cour estime qu'il faut tenir compte de données à la fois quantitatives et qualitatives. Le juge a une approche très globale : "les activités d'une entreprise adjudicataire dont il convient de tenir compte sont toutes celles que cette entreprise réalise dans le cadre d'une attribution faite par le pouvoir adjudicateur et ce, indépendamment de l'identité du bénéficiaire, qu'il s'agisse du pouvoir adjudicateur lui-même ou de l'usager des prestations" (n° 66). Il ne peut donc se limiter au seul chiffre d'affaire réalisé directement avec la collectivité. Le chiffre d'affaire pertinent doit également inclure les rémunérations versées par les usagers. Cette précision est évidemment essentielle dans le cadre des délégations de service public. Il n'est pas non plus nécessaire de se cantonner aux prestations fournies uniquement sur le territoire de la collectivité locale.

Enfin, la Cour de justice a pris soin de préciser que "dans le cas où plusieurs collectivités détiennent une entreprise, la condition relative à l'essentiel de son activité peut être satisfaite si cette entreprise effectue l'essentiel de son activité, non nécessairement avec telle ou telle de ces collectivités, mais avec ces collectivités prises dans leur ensemble" (n° 70).

Finalement, on ne peut que se réjouir de cette interprétation plus souple de l'exception in house tant la jurisprudence antérieure avait semblé la vider de sa substance. Reste que la jurisprudence communautaire, en ce domaine comme dans bien d'autres, est de plus en plus empirique, pour ne pas dire aléatoire. Vaut-il mieux des juges rigoureux ou des juges imprévisibles ?

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