La lettre juridique n°216 du 25 mai 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le jeu de l'exception d'ordre public international dans le cadre d'un litige international du travail

Réf. : Cass. soc., 10 mai 2006, n° 03-46.593, M. Janah Moukarim, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3293DPN)

Lecture: 15 min

N8593AKH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Le jeu de l'exception d'ordre public international dans le cadre d'un litige international du travail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208351-jurisprudence-le-jeu-de-lexception-dordre-public-international-dans-le-cadre-dun-litige-internationa
Copier

par Nadia Chekli, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En recourant à l'exception d'ordre public international, le juge national cherche à évincer la loi étrangère dont l'application aboutirait à un résultat en total désaccord avec sa conception fondamentale d'un ordre juridique. En matière de statut personnel, les exemples dans lesquels l'exception d'ordre public est utilisée abondent. Il en va tout autrement en matière de relations internationales de travail, où un tel recours est suffisamment exceptionnel pour être souligné. C'est tout l'intérêt de l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 mai 2006. Dans cette espèce, l'exception d'ordre public international a été utilisée pour justifier de la compétence des juridictions françaises et de l'application de la loi française à un contrat de travail international. La loi française étant applicable à la relation de travail litigieuse, les juges ont été amenés à se pencher sur la question de l'existence d'un travail dissimulé.

Résumé

L'exception d'ordre public international justifie la compétence de la juridiction française et l'application de la loi française à un contrat de travail exécuté à l'étranger.

La loi française étant applicable et un travail dissimulé ayant été caractérisé, il y a lieu de faire application des dispositions d'ordre public de l'article L. 324-11-1 du Code du travail.

Décision

Cass. soc., 10 mai 2006, n° 03-46.593, M. Janah Moukarim, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3293DPN)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 17ème ch. soc., 24 juin 2003)

Textes concernés : mécanisme de l'exception d'ordre public international ; C. trav., art. L. 324-11-1 (N° Lexbase : L6212AC3) ; NCPC, art. 1015 (N° Lexbase : L1818ADP).

Mots-clefs : contrat de travail international ; ordre public international ; juridiction compétente ; loi applicable ; rattachement ; travail dissimulé ; ordre public interne.

Liens base : ; .

Faits

1. Mlle Isopehi, de nationalité nigériane, alors âgée de 22 ans, a été engagée en qualité d'employée de maison par M. Moukarim, de nationalité britannique, en vertu d'une convention rédigée en langue anglaise et passée le 13 octobre 1994 à Lagos, au Nigéria. Alors qu'elle se trouvait à Nice, Mlle Isopehi a abandonné son emploi.

EIle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un rappel de salaires ainsi que de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé.

2. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les époux Moukarim et a fait application de la loi française à la relation contractuelle établie avec Mlle Isopehi. Partant, la cour d'appel a condamné M. Moukarim à lui payer des salaires et indemnités.

Solution

1. Rejet.

2. "Mais attendu que l'exception d'ordre public international s'oppose à ce qu'un employeur puisse se prévaloir des règles de conflit de juridictions et de lois pour décliner la compétence des juridictions nationales et évincer l'application de la loi française dans un différend qui présente un rattachement avec la France et qui a été élevé par un salarié placé à son service sans manifestation personnelle de sa volonté et employé dans des conditions ayant méconnu sa liberté individuelle [...]".

3. "[...] la cour d'appel, qui a constaté que la salariée avait travaillé en France sans avoir été déclarée aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, a exactement fait application des dispositions d'ordre public de l'article L. 324-11-1 du Code du travail, peu important que l'employeur ait accompli ou non des formalités équivalentes dans un autre Etat [...]".

Commentaire

Lorsqu'un litige éclate dans le cadre d'une relation de travail internationale, deux questions essentielles se posent aux parties : quelle est la juridiction compétente et quelle est la loi applicable à la relation litigieuse ? Pour répondre à la première question, il convient, en principe, de se référer au droit commun de la compétence judiciaire internationale, dans la mesure où le litige en cause ne relèverait pas des dispositions de la Convention de Bruxelles de 1968 (et, partant, du Règlement n° 44/2001 du conseil du 22 décembre 2000 N° Lexbase : L7541A8S ; ce Règlement concerne la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale). Pour ce qui est du droit international privé français, il importe alors de se tourner, notamment, vers les dispositions de l'article R. 517-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0663ADW). S'agissant de la détermination de la loi applicable au contrat international, la question est réglée par les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (N° Lexbase : L6798BHA) qui sont applicables, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles.

Les règles de conflit applicables ayant désigné une juridiction et une loi étrangères, ces solutions sont-elles, pour autant, intangibles ? En d'autres termes, est-il possible d'y faire exception et ce, au profit des juridictions et législations françaises ? L'exception d'ordre public international est incontestablement l'un des moyens permettant d'écarter tant la compétence des juridictions étrangères que l'application de la loi étrangère. L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 mai 2006 illustre, d'ailleurs, parfaitement cette possibilité. Cet arrêt est d'un intérêt tout particulier dans la mesure où les décisions qui reconnaissent qu'une loi étrangère contrevient à notre conception de l'ordre public international sont suffisamment rares pour être soulignées.

Dans cet arrêt, la Chambre sociale se prononce sur un litige opposant M. Moukarim à Mlle Isopehi. En l'espèce, les principaux éléments constitutifs de la convention sont situés à l'étranger. La cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant rejeté l'exception d'incompétence et fait application de la loi française, la question du bien-fondé de ce rejet était posée. En opérant une substitution de motifs, la Cour de cassation a justifié les compétences juridictionnelles et législatives nationales par le jeu de l'exception d'ordre public international (1). La question s'est également posée de savoir si un travail dissimulé peut être caractérisé lorsque la salariée, déclarée par son employeur auprès des autorités étrangères, ne l'a pas été en France. Il a été jugé que l'employeur ayant manqué à l'accomplissement des formalités requises, le travail dissimulé est établi et doit, par conséquent, être sanctionné (2).

1. Le jeu de l'exception d'ordre public international

Les principaux éléments de la relation contractuelle liant M. Moukarim à Mlle Isopehi se caractérisent, incontestablement, par leur extranéité. Les parties à la convention sont, en effet, de nationalité étrangère. La convention a été conclue à l'étranger et rédigée en langue anglaise. En outre, le lieu d'exécution habituel de la prestation de travail se situe au Nigéria. Le caractère international du contrat de travail ne fait, alors, aucun doute. Partant, le demandeur au pourvoi pensait légitimement pouvoir revendiquer l'application des règles du droit commun de la compétence judiciaire internationale. La jurisprudence ayant, depuis longtemps, posé le principe de la transposition dans l'ordre international des règles de compétence territoriale interne (Cass. civ. 1, 19 octobre 1959, n° 58-10.628, Sieur Giorgio Pelassa c/ Sieur Marcel Charrière N° Lexbase : A6656DP9, D. 1960, p. 37, note Holleaux), il convient de se référer aux rattachements prévus par les dispositions de l'article R. 517-1 du Code du travail.

De ces dernières, il ressort différents rattachements permettant de fixer la compétence des juridictions du travail. Ainsi, à côté du lieu de situation de l'établissement, faut-il faire une place au domicile du salarié, au lieu où l'engagement a été contracté ou, encore, au lieu où l'employeur est établi ? En l'espèce, le demandeur au pourvoi prend soin de rappeler que "le lieu d'exécution habituel du contrat se situait au Nigéria" et que ce lieu d'exécution avait été "expressément prévu par les parties". Les juridictions françaises ne pouvaient donc pas se reconnaître compétentes sans opérer une violation des dispositions de l'article R. 517-1 du Code du travail.

Par ailleurs, s'agissant de la détermination de la loi applicable au contrat, M. Moukarim s'est appuyé sur les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 pour conclure à l'inapplicabilité de la loi française. Plus précisément, il a invoqué le paragraphe 2 de son article 6, aux termes duquel il est prévu que : "Nonobstant les dispositions de l'article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, le contrat de travail est régi : a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays [...]".

Or, en l'espèce, le lieu d'exécution habituel était situé à l'étranger et "les séjours temporaires effectués à Nice avec ses employeurs [ne] constituaient qu'une simple possibilité d'exécution du contrat sans incidence sur le lieu habituel". La loi française ne pouvait donc pas recevoir application. Aussi rigoureuse soit-elle, cette argumentation n'a pas, pour autant, séduit les magistrats de la Cour suprême. Il est vrai que la stricte application des règles de conflits de juridictions et de lois aurait pu emporter la conviction, mais c'était compter sans le jeu de l'exception d'ordre public international.

Pour justifier le rejet, opéré par la cour d'appel, de l'exception d'incompétence des juridictions françaises, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme, avec force, que "l'exception d'ordre public international s'oppose à ce qu'un employeur puisse se prévaloir des règles de conflit de juridictions et de lois pour décliner la compétence des juridictions nationales et évincer l'application de la loi française". Pour la Cour, le jeu de cette exception se justifie d'autant plus que l'on se situe dans le cadre d'un "différend qui présente un rattachement avec la France et qui a été élevé par un salarié placé à son service sans manifestation personnelle de sa volonté et employé dans des conditions ayant méconnu sa liberté individuelle".

Avant de se pencher sur cette motivation, il importe de souligner que, si les magistrats de la Cour de cassation sont parvenus au même résultat que ceux de la juridiction d'appel, la motivation retenue est différente. Les juges suprêmes ont, en effet, opéré par voie de substitution de motifs. Pour ce faire, ils ont pris soin d'en avertir les parties au litige et ce, conformément aux dispositions de l'article 1015 du Nouveau Code de procédure civile.

  • Définition de l'exception d'ordre public international

En matière de relations internationales de travail, le recours à l'exception d'ordre public international est assez exceptionnel. Il n'est donc pas inutile de définir ou, du moins, de tenter de cerner les contours de cette notion. A lire les écrits doctrinaux et la jurisprudence, la notion d'ordre public se définit comme étant "un correctif exceptionnel permettant d'écarter la loi étrangère normalement compétente, lorsque cette dernière contient des dispositions dont l'application est jugée inadmissible par le tribunal saisi" (Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 8ème éd., Paris, Dalloz, 2004, n° 252, p. 338 ; sur l'ordre public international v., notamment, P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, 8ème éd., Paris, Montchrestien, 2004, n° 199 et s., p. 145 et s.).

En d'autres termes, en application de l'exception d'ordre public, la loi étrangère normalement compétente peut être évincée lorsque ses dispositions consacrent une solution qui heurte la notion française d'ordre public international (la jurisprudence a, très tôt, posé cette règle : Cass. civ., 12 juin 1894, D. 1895, jp. p. 41). Cette exception remplit diverses fonctions et, parmi elles, "la défense des principes de justice universelle considérés dans l'opinion française comme doués de valeur internationale absolue" (Cass. civ., 25 mai 1948, Lautour, S. 1949, I, 21, Niboyet) mais, également, des principes qui constituent les fondements politiques, sociaux de la civilisation française.

Il ressort donc de la motivation adoptée par les juges que la juridiction normalement compétente n'était pas la juridiction française et que la loi normalement applicable n'était pas la loi française. Toutefois, la mise en oeuvre des règles de conflit pertinentes aboutit à un résultat jugé inadmissible selon la Cour de cassation. Plus exactement, cela contrevient à notre conception de l'ordre public international. La compétence des juridictions françaises et l'application de la loi française s'analysent, par conséquent, en une solution nécessairement plus favorable à la salariée, généralement considérée comme la partie faible, qui plus est, lorsque le contrat s'inscrit dans le contexte international.

  • Les justifications du recours à l'exception d'ordre public international

Cet esprit protecteur se comprend sans peine au regard de la teneur de la loi française, comparativement à celle de la loi étrangère. Il ne s'agit pas, ici, de porter un jugement de valeur sur le contenu de la loi étrangère, en l'occurrence la loi nigériane. L'esprit plus protecteur du droit du travail français se déduit, tout simplement, de l'attitude de l'employeur, qui cherche absolument à ce que le litige ne soit pas tranché par une juridiction française selon la loi du for. Par conséquent, il y a lieu d'écarter les dispositions du droit étranger applicables au contrat de travail, qui conféreraient une protection moindre que celle du droit national.

Egalement, le recours à l'exception d'ordre public international s'explique aisément lorsque l'on porte attention aux circonstances de l'espèce. Les juges insistent sur le fait que le litige présente un rattachement avec la France. Cette précision est indispensable parce que le mécanisme de l'ordre public international permet à la loi française et a fortiori à la juridiction française, d'intervenir sur la base d'un rattachement avec la France. En l'occurrence, lors des séjours effectués à Nice par M. Moukarim et sa salariée, le lieu d'exécution se situait incontestablement en France. En ce sens, les juges du fond ont pu relever que l'employeur résidait à Nice lorsque sa salariée s'est enfuie. Eu égard aux circonstances de l'espèce, la consistance du rattachement peut paraître discutable. Pourtant, il n'en demeure pas moins que les séjours n'étaient pas exceptionnels et que, lors de la naissance du litige, l'employeur résidait effectivement sur le sol français.

Par ailleurs, la Cour insiste tant sur les conditions dans lesquelles la convention a été conclue que sur les conditions de travail. Ainsi est-il permis de douter de l'existence du consentement de Mlle Isopehi lors de la conclusion du contrat. Il est, en effet, précisé qu'elle a été placée au service de M. Moukarim "sans manifestation personnelle de sa volonté". D'autres éléments de fait permettent de douter de la réalité de son consentement. La défenderesse au pourvoi a, en effet, "été placée par des membres de sa famille". S'agissant des conditions de travail, l'employeur a porté une atteinte sérieuse à la liberté individuelle de la salariée et, plus particulièrement, à sa liberté de déplacement. Les juges du fond ont, en effet, constaté qu'elle avait "obligation" de suivre son employeur à l'étranger et qu'il lui était interdit de revenir au Nigéria avant un certain temps, dans la mesure où son passeport était "retenu par l'épouse de l'employeur". Enfin, l'accent est mis sur la rémunération qui, en l'espèce, est qualifiée de "dérisoire". Des conditions de travail aussi déplorables contreviennent incontestablement à notre conception de l'ordre public international. Partant, l'application de la loi française s'en trouve légitimée. L'action en paiement d'un rappel de salaires ne peut donc qu'aboutir.

  • Le caractère exceptionnel du recours à l'ordre public international

Le recours, par la Chambre sociale, à l'exception d'ordre public international doit être d'autant plus souligné que les décisions évinçant l'application de la loi étrangère sont rares (le recours à cette exception se retrouve davantage en matière de statut personnel). Ce caractère exceptionnel s'explique, d'ailleurs, sans peine lorsque l'on sait que la Chambre sociale n'a pas jugé contraire à l'ordre public une loi sud-africaine prohibant l'exercice de la grève (Cass. soc., 16 juin 1983, n° 81-40.092 et n° 81-40.551, SA Spie Batignolles c/ Mattiesen, publié N° Lexbase : A6747C8E).

Il convient, tout de même, de signaler qu'en matière d'immunité de juridiction des organisations internationales, la Chambre sociale a eu l'occasion de juger que l'impossibilité d'exercer le droit d'accès à un juge relève de l'ordre public international et constitue, de ce fait, un déni de justice fondant la compétence des juridictions françaises lorsqu'il existe un rattachement avec la France (Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 04-41.012, FS-P+B N° Lexbase : A3089DGI, Dr. soc. 2005, p. 914, F. Jault).

Après avoir justifié de la compétence des juridictions nationales et de l'application de la loi française à la relation internationale de travail, les magistrats de la Chambre sociale se sont penchés sur l'éventuelle existence d'un travail dissimulé.

2. L'existence d'un travail dissimulé

La question qui était posée dans le quatrième moyen soulevé par M. Moukarim a trait à l'exécution des formalités requises lors de l'embauche d'un salarié. Il s'ensuit, logiquement, une interrogation relative à l'existence ou non d'un travail dissimulé.

Selon l'employeur, dans la mesure où les contrats conclus avec Mlle Isopehi ont été régulièrement exécutés au Nigéria en respectant les formalités requises, il n'était pas tenu de satisfaire aux formalités imposées par les dispositions de l'article L. 324-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6210ACY).

  • Le formalisme préalable à l'embauche

Qu'en est-il exactement de ces formalités ? L'article L. 320 du Code du travail (N° Lexbase : L8917G7E) dispose, en son alinéa 1er, que "l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative effectuée par l'employeur auprès des organismes de protection sociale à cet effet dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat". Ces conditions sont, notamment, prévues à l'article R. 320-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054ADD), qui précise que la déclaration nominative préalable à l'embauche doit être adressée par l'employeur à l'organisme de recouvrement des cotisations du régime général de Sécurité sociale.

En cas de manquement à l'accomplissement de ces formalités, la qualification de travail dissimulé peut être retenue. En effet, il ressort des dispositions de l'article L. 324-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6210ACY), que deux types de comportements peuvent être considérés comme étant du travail dissimulé : "la dissimulation d'activité salariée, qui réside dans le fait d'exercer une activité professionnelle à but lucratif sans se déclarer aux organismes sociaux, et la dissimulation d'emploi salarié qui consiste à ne pas déclarer l'existence de travailleurs employés dans l'entreprise" (en ce sens, v. Cass. soc., 10 mai 2006, n° 04-42.608, FS-P+B N° Lexbase : A3549DP7, lire les obs. de Ch. Radé, Application de la prescription trentenaire à l'action en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, Lexbase Hebdo n° 215 du 18 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8468AKT). Lorsqu'un salarié n'a pas été déclaré, il a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire.

  • Le défaut d'accomplissement des formalités requises : l'existence d'un travail dissimulé

En l'espèce, la Cour de cassation relève que la cour d'appel a constaté que "la salariée avait travaillé en France sans avoir été déclarée aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions législatives et réglementaires en vigueur". L'employeur n'ayant pas accompli les formalités requises, l'existence d'un travail dissimulé est incontestablement établie. Pour asseoir cette qualification, il importe, tout de même, de mettre en évidence un caractère intentionnel. En effet, il a été jugé que constitue le délit de dissimulation d'emploi salarié le fait, pour un employeur, de se soustraire intentionnellement à la déclaration préalable d'embauche ou à la remise du bulletin de salaire ou, encore, de mentionner un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué (Cass. soc., 8 juillet 2003, n° 01-44.445, F-D N° Lexbase : A1130C9Q).

Afin d'échapper à la qualification de travail dissimulé et, partant, au paiement de l'indemnité forfaitaire, l'employeur soutenait que ses prétendus manquements ne révélaient aucun caractère intentionnel. Dans la mesure où il avait déjà accompli les formalités au Nigéria, il n'était pas possible de caractériser "sa volonté délibérée de dissimuler l'existence de la salariée". Cette argumentation n'a pas convaincu les juges, qui ont décidé de l'application des dispositions de l'article L. 324-11-1 du Code du travail, "peu important que l'employeur ait accompli ou non des formalités équivalentes dans un autre Etat".

L'accomplissement à l'étranger des formalités requises est complètement indifférent à la caractérisation d'un travail dissimulé. En outre, la Cour de cassation prend soin de préciser que la considération suivant laquelle les formalités accomplies à l'étranger seraient "équivalentes" à celles exigées par la législation nationale est également totalement inopérante. L'exigence est donc clairement posée : comme la salariée avait effectivement travaillé en France, son employeur aurait du satisfaire aux formalités exigées par la législation française. A défaut, il doit être condamné au paiement d'une indemnité forfaitaire.

  • L'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

Il n'est pas possible de déroger aux dispositions de l'article L. 324-11-1 du Code du travail relatives à la sanction du travail dissimulé dans la mesure où il s'agit de dispositions d'ordre public. Elles s'imposent donc à l'employeur négligent qui devra verser à sa salariée une indemnité égale à 6 mois de salaire. S'agissant du bénéfice de cette indemnité, la Chambre sociale a eu, récemment, l'occasion de poser en principe que "les dispositions de l'article L. 324-11-1 du Code du travail ne font pas obstacle au cumul de l'indemnité forfaitaire qu'elles prévoient avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail, à la seule exception de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement" (Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 03-44.777 N° Lexbase : A3378DM3 ; n° 04-42.190 N° Lexbase : A3488DM7 ; n° 04-43.105 N° Lexbase : A3492DMB ; n° 04-40.991 N° Lexbase : A3477DMQ ; n° 03-46.800 N° Lexbase : A3383DMA ; n° 04-41.769 N° Lexbase : A3486DM3, lire les obs. de Stéphanie Martin-Cuenot, Cumul de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 324-11-1 du Code du travail avec les indemnités de rupture : généralisation et clarification, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3592AKA).

Par ailleurs, dans un arrêt rendu également le 10 mai 2006, la Cour de cassation a affirmé que l'action en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé se prescrit par 30 ans à compter de la rupture du contrat de travail (v., Cass. soc., 10 mai 2006, n° 04-42.608, FS-P+B N° Lexbase : A3549DP7, lire les obs. de Ch. Radé, précité).

Finalement, si cette décision ne fait que confirmer la volonté des juges de lutter contre le travail dissimulé, le principal apport est, sans conteste, le recours au jeu de l'exception d'ordre public international. Par ce moyen, la Cour rejette l'incompétence des juridictions françaises et évince la loi étrangère au profit de la loi nationale. Eu égard aux circonstances de l'espèce, l'utilisation d'un tel mécanisme doit absolument être saluée.

newsid:88593

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.