Lexbase Droit privé n°344 du 2 avril 2009 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Avril 2009

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N9973BI9

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, deux arrêts du 19 février 2009, rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, et portant sur le droit au rachat et sur la renonciation en matière d'assurance vie ; et deux arrêts du 11 février 2009, l'un rendu par la troisième chambre civile et traitant de la responsabilité contractuelle de l'assureur dommages-ouvrage manquant à son obligation d'assurer le préfinancement de travaux efficaces afin de remédier aux désordres et, l'autre, rendu par la première chambre civile, rappelant l'office du juge dans la recherche de la teneur de la loi étrangère en matière de contrat d'assurance international.
  • Droit au rachat en matière d'assurance vie et droit transitoire (Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 08-12.140, FS-P+B N° Lexbase : A4024EDE)

Bien que le droit transitoire ait reçu de nombreuses explications doctrinales (1), parmi lesquelles figurent au premier chef l'ouvrage de notre bon maître (2), le doyen Jacques Héron, la matière fait encore l'objet d'applications erronées. En droit du contrat d'assurance, il n'a pas été si souvent susceptible de susciter un vaste contentieux car les lois relatives au contrat d'assurance n'étaient pas si nombreuses, avant une période récente. Du 13 juillet 1930 aux années 2000, on ne compte pas tant d'interventions du législateur que cela : c'était, d'ailleurs, une preuve que les rédacteurs de la loi de 1930 avaient effectué un travail de qualité et efficace sur le plan prospectif, en adéquation avec les attentes et les besoins des divers protagonistes. Certes, on observera que, contrairement à de nombreux autres pays (3), la France ayant pris autant de temps pour enfin élaborer une législation en ce domaine, la moindre des attentes était qu'elle fut de qualité.

Quoiqu'il en soit, si une difficulté de droit transitoire était attendue, c'était plutôt à propos des derniers textes comme les lois n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB) ou n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance (N° Lexbase : L5277HDS), adoptée afin de procéder à la transposition de la Directive européenne du 5 novembre 2002, 2002/83/CEE, concernant l'assurance directe sur la vie (N° Lexbase : L7763A8Z), ou encore la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés (N° Lexbase : L5472H33). Une difficulté de droit transitoire concernant la loi n° 81-5 du 7 janvier 1981, relative au contrat d'assurance et aux opérations de capitalisation (N° Lexbase : L4697GUI) surprend donc a priori.

En réalité, le contexte dans lequel a été rendu l'arrêt rapporté du 19 février dernier explique cette situation. Concrètement donc, une femme avait souscrit un contrat d'assurance vie à terme fixe, à la fin de l'année 1978, c'est-à-dire à une date où aucune disposition légale ne venait interdire à l'assureur de refuser le rachat des primes d'un contrat d'assurance vie versées les deux premières années. Deux ans plus tard, après avoir réglé les quatre premières primes semestrielles, cette assurée écrit à l'assureur lui faisant part qu'elle souhaite cesser les versements et récupérer les primes déjà acquittées. L'assureur refuse et son assurée l'assigne en paiement. Or, ce que l'arrêt ne fait que suggérer, c'est qu'à la date de l'assignation, le contrat d'assurance n'était pas résilié. Et, entre temps, la loi du 7 janvier 1981 avait donc été publiée, introduisant une disposition par laquelle il était désormais interdit aux assureurs de refuser le rachat des primes des contrats d'assurance vie, y compris les toutes premières, c'est-à-dire celles versées au cours des deux premières années d'exécution de ce contrat d'assurance.

La cour d'appel donne raison à l'assureur d'avoir opposé un refus à son assurée, en s'attachant au constat que la loi n'était pas applicable à un contrat souscrit en 1978. Dans le même temps, cette cour d'appel devine la difficulté potentielle, puisqu'elle prend le soin d'indiquer, en toutes lettres : "à supposer même qu'il [le contrat] soit en cours [...]". Mais elle maintient son refus, de façon contradictoire dans les mots comme les idées, en énonçant que "l'assurée avait mis un terme à l'exécution de son contrat" par une lettre du 30 octobre 1980. C'était encourir la censure, quasi certaine, de la Cour de cassation. Cette dernière, au visa de l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4), comme des articles L. 113-3 (N° Lexbase : L0062AAK) et L. 132-23 (N° Lexbase : L9745CZX) du Code des assurances, rétorque donc que les dispositions de la loi du 7 janvier 1981 modifiant l'article L. 132-23 du Code des assurances étaient d'application immédiate.

Pour comprendre une partie de l'enjeu, il faut se souvenir que les assureurs imposaient, dans le passé, le règlement d'un minimum de primes d'assurance. La raison est de pure gestion. Ceux-ci souhaitent ne pas avoir engagé pour rien des frais de constitution de dossier. Par conséquent, le versement obligatoire de quelques primes évitait que l'assureur ne soit perdant à l'opération. En clair, c'était un moyen de supporter les charges fixes. Or, la loi du 7 janvier 1981 est venue limiter cette exigence aux deux seules premières primes.

Au-delà du pur problème de droit transitoire qui ne l'était qu'en partie, un autre aspect du litige est tout aussi fondamental, si ce n'est davantage. Il s'entend de l'incidence ou de la portée de la lettre rédigée par l'assurée par laquelle elle décidait de ne plus verser de primes et même de récupérer celles précédemment versées. En procédant ainsi, l'assurée faisait-elle ou non, sous une forme particulière, une demande de résiliation de son contrat d'assurance vie ?

La Cour de cassation n'y répond pas de manière définitive et universelle. L'affaire le lui permet. En effet, en refusant de faire droit aux exigences de l'assurée et de lui restituer les sommes versées, l'assureur a laissé le contrat d'assurance vie s'exécuter. Ce n'est pas sans raison, ni sans conséquences que l'article L. 132-20 du Code des assurances (N° Lexbase : L0149AAR) prévoit que l'assureur ne dispose d'aucune action pour exiger de l'assuré le paiement de primes dans nombre de contrats d'assurance vie. Ne s'applique pas, chacun le sait, la règle de l'article L. 113-2, alinéa 1, du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI), selon laquelle la première obligation de l'assuré est de "payer la prime ou cotisation aux époques convenues", ce qui autorise l'assureur à résilier le contrat d'assurance lorsque l'assuré ne s'acquitte pas de celles-ci. Autant dire que si ledit contrat comporte un terme et que ce dernier n'est pas arrivé, le contrat perdure. L'assureur ne peut résilier le contrat. Et, dans le cas présent, il n'y avait, bien entendu, pas procédé. La règle n'est pas spécifique aux contrats d'assurance vie, mais aux contrats à durée déterminée, quelle que soit la durée de ceux-ci. Or, en l'espèce, c'est bien un contrat d'assurance à terme fixe qui avait été conclu. L'assureur devait supporter toutes les évolutions légales venant affecter de tels contrats. Par conséquent, dans le présent arrêt commenté, la loi du 7 janvier 1981, quand bien même sa prise d'effet aurait-elle eu lieu au 1er février 1982, s'appliquait au contrat d'assurance qui était "en cours" d'exécution.

Sans doute cette situation représente-elle un inconvénient pour les assureurs, encore qu'il ne soit pas, dans le cas présent, d'une incidence si terrible. On ne peut pas condamner ce type de décision dans le cadre de contrats conclus pour de très longues durées : vingt, trente ans et même davantage. Parce que l'assuré est enfermé dans une relation contractuelle dont il ne peut se désengager aisément, des protections lui sont accordées. Cette souplesse est d'autant plus compréhensible que la liberté de versement de primes d'assurance de l'article L. 132-20 du Code des assurances vaut pour tous les contrats d'assurance en cas de vie et non pas seulement pour les contrats à terme fixe. Admettre une autre solution pourrait aussi effrayer les assurés qui, craignant de ne pas avoir de véritable marge de manoeuvre, se détourneraient de ce type de contrats trop rigides, trop stricts, pour se retourner vers des formes de placements plus classiques, plus traditionnels. Les assureurs ne devraient donc pas tant s'en plaindre.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, vice-doyen, directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP

  • Rachat et renonciation en assurance vie (Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 08-12.280, FS-P+B N° Lexbase : A4025EDG)

Le droit au rachat en matière d'assurance vie était à l'honneur ce 19 février 2009 (4), comme en témoignent plusieurs arrêts, dont celui-ci. Il l'est, en l'espèce, de façon presque choquante, au delà du problème juridique essentiel qu'il comprend. En effet, il est des organismes financiers qui ont une force de persuasion sans quasi limite. En effet, qu'un homme ait contracté un contrat d'assurance vie est classique. En revanche, signe des temps, en septembre 1999, qu'il ait emprunté une partie de la somme d'argent à sa banque n'est certes pas original, sans être tout à fait banal. Ce qui l'est encore moins, c'est qu'il a également accepté de nantir son contrat en garantie de l'emprunt obtenu. Et l'attention du lecteur doit être attirée sur le fait que le nantissement ne porte pas sur la seule partie des sommes octroyées, mais l'intégralité du contrat. La même opération est effectuée quelques mois plus tard, en novembre 2000. Or, à cette occasion, l'emprunteur va jusqu'à accorder à sa banque, en cas d'exigibilité de sa créance, le droit d'exercer la faculté de rachat partiel ou total du contrat d'assurance vie, comme le permet la loi. Enfin, les deux contrats de prêt indiquaient aussi qu'en cas de diminution de la valeur des garanties, la banque était autorisée à faire jouer une exigibilité anticipée.

De tels blancs seings seraient-ils rarement accordés ? En réalité, de telles pratiques sont plus fréquentes que l'on peut, de prime abord, l'imaginer. Par conséquent, ce qui devait arriver se produisit. Ainsi, en 2002, à la suite d'une baisse de la valeur du contrat d'assurance la banque a exercé les droits contractuels qu'elle s'était -il faut bien le reconnaître- accordée, c'est-à-dire notamment le rachat total du contrat d'assurance vie. Il faut savoir ne pas aller trop loin. Pourtant, la banque exige aussi de son emprunteur le règlement des sommes restant dues. Celui-ci -on peut le comprendre- assigne son établissement de crédit en responsabilité pour absence d'information et de conseil. Toutefois, en sa qualité d'assuré, il a exercé sa faculté de renonciation au contrat d'assurance vie, conformément à l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7), ce qui -a priori- peut laisser dubitatif voire perplexe.

L'interrogation -on l'aura deviné- portait sur la validité de cette renonciation et de la demande, auprès de l'assureur, de la restitution des sommes versées. La cour d'appel donne raison à l'assuré et condamne l'assureur à restituer les sommes qu'il avait donc reçues. Elle estime que le rachat total d'un contrat d'assurance vie n'a pas pour effet de vider celui-ci de toute substance ; il perdure. Par conséquent, s'appliquent les règles imposées par la loi, tel le délai de réflexion. Or, dans le cas présent, ce délai n'avait pas pu commencer à courir puisque les documents que l'assureur devait remettre à l'assuré ne l'avaient pas été. La cour d'appel en déduit donc que l'assuré pouvait encore exercer sa faculté de renonciation. Luxe suprême : elle ajoute qu'il s'agit d'un droit d'ordre public, qu'il est discrétionnaire pour l'assuré et même indépendant de l'exécution du contrat.

Arrêtons-nous tout de suite pour apprécier cette triple affirmation. Si le droit au rachat est, en effet, d'ordre public (5), et si l'exercice de la faculté de renonciation de l'assuré a pu être qualifiée de discrétionnaire par la Cour de cassation (6), la troisième assertion appelle plus de commentaires. Soutenir que la faculté de renonciation est indépendante de l'exécution du contrat heurte, de prime abord, la logique juridique. Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation casse la décision d'appel, pour violation de la loi, car elle estime, au contraire, que le rachat interdit tout exercice de la faculté de renonciation au contrat d'assurance. Mais ce que la Cour de cassation ne dit pas explicitement c'est si le rachat total entraîne l'extinction du contrat d'assurance.

Le principe du rachat est ancien ; il existait, en pratique, dès avant la loi du 13 juillet 1930. Il résultait de dispositions conventionnelles imaginées par les assureurs eux-mêmes pour éviter les engagements à très long terme que représentent certaines formes d'assurance vie (7). A partir de ce constat, a été créée la provision mathématique des contrats d'assurance vie comportant une valeur de rachat (8). Lors de l'adoption de la loi du 13 juillet 1930, le législateur a fait de cette faculté laissée au bon vouloir de l'assureur, un droit pour le souscripteur. Ainsi, selon l'article L. 132-21, alinéa 4, du Code des assurances (N° Lexbase : L7163ICB) : "L'entreprise d'assurance [...] doit, à la demande du contractant, verser à celui-ci la valeur de rachat du contrat". Toutefois, cette création ou transformation ne s'est pas accompagnée de l'adoption d'un régime juridique correspondant, ce qui a pu faire dire à un auteur : "Du fait que le mécanisme ne repose sur rien (ou presque), il soulève en pratique des difficultés importantes" (9).

Parmi celles-ci est apparue, ces dernières années, celle relative à la détermination du titulaire de cette faculté de rachat lorsque, en outre, il y a un démembrement de propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire. Mais, la réflexion a vite révélé aussi que d'autres problèmes naîtraient, dont celui de la coexistence et de la mise en oeuvre de deux droits : le droit au rachat et le droit de renonciation au contrat prévu à l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7). Et c'est cette juxtaposition de droits appartenant tous deux au souscripteur qui est au coeur du présent arrêt. Lorsque celui qui dispose de la faculté de rachat est aussi celui ayant la faculté de renonciation, c'est-à-dire le souscripteur et assuré, la situation est simple ; une contradiction d'action n'est guère envisageable. En revanche, lorsque le droit au rachat a fait l'objet d'une mesure particulière : démembrement ou nantissement, c'est-à-dire lorsqu'une tierce volonté peut s'opposer à celle de l'assuré, titulaire initial de ces droits, chacun devine que des conflits d'intérêts peuvent naître si le champ d'application de l'un des droits empiète aussi sur l'autre.

Ainsi, en l'espèce, était-il possible que la renonciation au contrat d'assurance vie, après les multiples versions dont ce texte a, de surcroît, été l'objet au cours de ces dernières décennies, vienne se superposer au droit au rachat "fourni" en garantie ? Pour mieux expliciter cette problématique, l'interrogation peut encore être formulée d'une autre manière : l'exercice du droit au rachat total vide-t-il de sa substance l'intégralité du contrat d'assurance vie ? C'est-à-dire aussi en quelque sorte : la provision mathématique constitue-t-elle l'essentiel du contrat d'assurance vie, mis à part -cela s'impose- les chargements réclamés par l'assureur ? Et, enfin, pour exprimer la situation de manière juridique : le rachat total doit-il être assimilé à une résiliation du contrat d'assurance ?

La doctrine, majoritaire, s'était prononcée en ce sens (10). La Cour de cassation n'avait pas été aussi tranchée ; elle vient donc, par cet arrêt du 19 février 2009, de confirmer, ce dont on se doutait. Ce faisant, elle évite des heurts de volontés distinctes inextricables ; mais elle institue aussi une forme de hiérarchie entre ces droits : le droit au rachat fourni en garantie prime le droit à la renonciation du contrat, notamment parce que les informations nécessaires relatives à ce dernier n'ont pas été données par l'assureur. Autant dire que la protection voulue par le législateur ayant créé cette faculté de renonciation disparaît dès que le souscripteur cède à l'insistance de son préteur de deniers. Autant dire donc qu'alors même qu'une absence d'information suffisante ouvrant droit à renonciation est caractérisée, le souscripteur -peu renseigné et conscient des conséquences de ses engagements- est néanmoins tenus par ceux-ci. Les bonnes intentions protectrices du profane ne tiennent donc guère lorsque celui-ci s'éprend de placements et autres spéculations, qu'il emprunte des sommes d'argent et se soumet donc aux exigences d'un organisme financier averti, maître du jeu et lui-même épris de sécurité et de recherche de garanties.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, vice-doyen, directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP

  • La responsabilité contractuelle de l'assureur dommages-ouvrage manquant à son obligation d'assurer le préfinancement de travaux efficaces afin de remédier aux désordres : la Cour de cassation persiste ! (Cass. civ. 3, 11 février 2009, n° 07-21.761, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1247EDK)

Par cette décision du 11 février 2009, promise à la plus large diffusion (P+B+R+I), la troisième chambre civile entend rappeler à tous, spécialement aux juges d'appel parisiens, ici censurés, qu'elle tient garder le cap de la jurisprudence qu'elle a inaugurée par un "précédent" rendu le 24 mai 2006 (11).

Elle avait alors énoncé un attendu aux termes duquel "ayant constaté que l'assureur 'dommages-ouvrage' avait proposé à l'acceptation de son assuré non professionnel, un rapport d'expertise unilatéral défectueux conduisant à un préfinancement imparfait qui, de plus, avait été effectué avec retard et que les travaux préconisés et exécutés n'avaient pas été suffisants, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur les stipulations du contrat d'assurance, a pu retenir que l'assureur n'avait pas rempli ses obligations contractuelles en ne préfinançant pas des travaux efficaces de nature à mettre fin aux désordres".

La troisième chambre civile entendait là énoncer une articulation entre régime spécial de responsabilité de l'assureur dommages-ouvrage, attaché à l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP), et le jeu, complémentaire, de la responsabilité de droit commun, fondée sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), pour sanctionner un manquement de l'assureur.

L'article L. 242-1 du Code des assurances énonce les obligations de l'assureur dommages-ouvrage en fixant les délais dans lesquels il doit :

- faire connaître à l'assuré "sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat dans un délai de soixante jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre" ;

- en cas de prise en charge, présenter "dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d'indemnité" ;

- en cas d'acceptation de l'offre indemnitaire verser cette indemnité dans un délai de quinze jours.

Cet article fixe une sanction, "lorsque l'assureur ne respecte pas l'un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante". En ce cas, "l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages" et "l'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal".

La jurisprudence a consacré le caractère limitatif des sanctions prévues par l'article L. 242-1, énonçant cette règle avant (12) comme après (13) 2006.

Toutefois, il est indéniable que cet article n'envisage pas, textuellement, tout manquement de l'assureur dans l'exécution de son obligation : le non-respect des délais ou le versement d'une indemnité sous-évaluée n'absorbent pas tous les manquements potentiels de l'assureur. Il y avait donc place pour un usage du droit commun à titre de complément.

L'arrêt du 24 mai 2006 a consacré un cas de responsabilité contractuelle du fait d'autrui, lié aux fautes de l'expert, mandaté par l'assureur dommages-ouvrage, causales de travaux de reprise inefficaces, et imputé à l'assureur une obligation de résultat, celui-ci devant diligenter des "travaux efficaces de nature à mettre fin aux désordres". Logiquement, cet arrêt condamnait l'assureur dommages-ouvrage, sur le fondement de l'article 1147, à répondre des dommages immatériels consécutifs à ces travaux insuffisants.

Il importe peu que les dommages immatériels ne soient pas couverts par l'assurance obligatoire (il est bien sûr possible de souscrire une extension de garantie sur ce point), dès lors que la responsabilité est ici fondée sur le droit commun.

Et cette jurisprudence est parfaitement compatible avec cet important arrêt rendu le 7 décembre 2005, publié au Rapport annuel (Cass. civ. 3, 7 décembre 2005, n° 04-17.418, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9233DLK, RCA, 2006, comm. 101, note H. Groutel (14)), qui, dans le cas des dommages matériels directs garantis, s'est fondé sur l'article L. 242-1 du Code des assurances pour décider que "le maître de l'ouvrage ayant souscrit une assurance dommages-ouvrage est en droit d'obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres" et censurer un arrêt d'appel ayant retenu que "l'assureur 'dommages-ouvrage' n'est pas tenu de garantir l'efficacité des travaux de reprise".

L'ensemble de ces arrêts aboutit, par conjugaison, à imputer à l'assureur dommages-ouvrage une obligation d'efficacité, sur le strict terrain de l'article L. 242-1 du Code des assurances comme, au-delà, sur le terrain du droit commun fondé sur l'article 1147 du Code civil.

Il est pourtant avéré que certaines juridictions n'ont pas compris, ou pas voulu suivre, l'articulation proposée par la Cour de cassation. Aussi la troisième chambre civile avait-elle, par deux arrêts rendus en 2007 (15), précisé sa doctrine, énonçant le principe selon lequel "l'article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l'assureur dommages-ouvrage à ses obligations" pour repousser toute condamnation de l'assureur à des dommages-intérêts immatériels trouvant leur cause dans le retard apporté par l'assureur à l'exécution de son obligation de préfinancement des travaux. Dans le champ de l'article L. 242-1, les sanctions légales sont exclusives de tout usage de l'article 1147 du Code civil.

En revanche, dès lors que le manquement reproché à l'assureur dommages-ouvrage ne relève pas d'une faute visée et sanctionnée par la règle légale, qui tient lieu de droit spécial, il y a place pour déployer le droit commun (C. civ., art. 1147).

L'arrêt du 11 février 2009 vient "couronner" ce mouvement jurisprudentiel en réitérant la "leçon" selon laquelle engage sa responsabilité contractuelle l'assureur dommages ouvrage tenu de l'assureur de garantir l'efficacité des travaux de reprise et de répondre des manquements de son expert. Sur le fondement de cette responsabilité, il doit indemniser l'assuré du préjudice immatériel (préjudice de jouissance) que lui a causé ce manquement.

La jurisprudence est désormais solidement ancrée. Il restera peut-être quelques voix, isolées, pour en contester la pertinence (6). La majorité, au rang desquels nous nous rangeons, considère que l'assureur doit, légitimement, répondre des imperfections des préconisations des experts qu'il fait intervenir et en assumer l'entière responsabilité.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • Contrat d'assurance international et office du juge dans la recherche de la teneur de la loi étrangère (Cass. civ. 1, 11 février 2009, n° 07-13.088, FS-P+B+I N° Lexbase : A1195EDM)

Le droit international privé des assurances n'est guère souvent à l'honneur en jurisprudence. La perspective de l'entrée en vigueur du Règlement "Rome I" du 17 juin 2008 (Règlement n° 593/2008 N° Lexbase : L7493IAR) consacrant de nouvelles dispositions au contrat international d'assurance nous a permis d'attirer l'attention des lecteurs de cette chronique (17).

Avec l'arrêt du 11 février 2009, ici rapporté, auquel la Cour de cassation a souhaité donner une large publication, la Haute juridiction entend rappeler les solutions par elles récemment établies relatives à l'autorité de la règle de conflit de lois, plus particulièrement quant au rôle du juge quant à la preuve de la teneur de la loi étrangère compétente d'après nos règles de conflit de lois.

Pour la clarté du propos, il convient de rappeler que cette question de l'office du juge (donc également celle de l'office des parties) se pose, s'agissant de la règle de conflit de lois, à deux stades :

- d'une part, au stade de l'applicabilité de la règle de conflit de lois (sur l'initiative de mise en mouvement de nos règles de droit international privé, selon que l'une ou l'autre des parties soulève le bénéfice d'une loi étrangère ou, à l'inverse, qu'elles s'abstiennent d'en soulever le bénéfice) ;

- d'autre part, au stade de l'application de la loi étrangère désignée compétente, qui pose le problème de savoir sur qui (les parties et/ou le juge) pèse la charge de la preuve d'établir le contenu de cette loi.

En ce domaine, les spécialistes se souviendront, peut-être, que le droit des assurances avait apporté sa contribution.

Il y a encore quelques années, on pouvait, à l'étude de la jurisprudence, enseigner que la Cour de cassation avait souhaité lier la question de la charge de la preuve du contenu de la loi étrangère à celle de l'office du juge quant à l'applicabilité de la règle de conflit, pour laquelle elle a tant tâtonné de l'arrêt "Bisbal" rendu en 1959 (Cass. civ. 1, 12 mai 1959) jusqu'aux arrêts "Mutuelle du Mans IARD" (Cass. civ. 1, 26 mai 1999, n° 96-16.361, Société Mutuelle du Mans assurances c/ M. Boëdec et autres N° Lexbase : A5080AW3) et "Belaïd" (Cass. civ. 1, 26 mai 1999, n° 97-16684, M. X c/ Mme Y, publié au bulletin N° Lexbase : A0845CKI) de 1999, pour finir par dégager une obligation pour le juge de relever d'office l'applicabilité de notre règle de conflit en matière indisponible, ne supportant qu'une simple faculté en matière disponible.

Aussi, puisque sur cette dernière question on en était parvenu à distinguer entre droits disponibles (simple faculté pour le juge) et indisponibles (obligation pour le juge), la dichotomie trouvait son prolongement sur le terrain de la charge de la preuve de la teneur de la loi étrangère, à savoir :

- recherche obligatoire par le juge du contenu substantiel de la loi étrangère pour les droits indisponibles (ex. : Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-17.925, Driss Abou N° Lexbase : A0625AC7, RCDIP, 1998, p. 60, note P. Mayer) ;

- recherche obligatoire par le juge quand, pour des droits disponibles, il avait usé de la faculté de soulever l'application de la règle de conflit (ex. : Cass. civ. 1, 27 janvier 1998, n° 95-20.600, M. Ababou c/ M. Mazzat et autres N° Lexbase : A2023ACW, JCP éd. G, 1998, II, 10098, note H. Muir Watt) ;

- preuve à la charge exclusive des parties quand ce sont elles qui saisissaient le juge de l'application d'un droit étranger (cf., Cass. com., 16 novembre 1993, n° 91-16.116, Société Amerford France et autre c/ Compagnie Air France et autres N° Lexbase : A5759ABW et Cass. civ. 1, 24 novembre 1998, n° 96-15078, Société Lavazza France c/ M. Koen et autre., publié N° Lexbase : A8898CIE, GAJF DIP, arrêts n° 82 et 83).

Et de préciser que dans un contentieux portant sur des droits disponibles, la seule allégation d'une loi étrangère par l'une des parties ne suffisait pas à déclencher l'obligation pour le juge de "mettre en oeuvre" cette loi étrangère. En effet, il incombait alors à la partie qui soulevait l'application de cette loi étrangère de rapporter la preuve de sa teneur différente par rapport à la loi du for. C'était l'un des enseignements de la jurisprudence "Masson-Amerford" (préc.) (18).

Mais cette analyse a été abandonnée, d'abord par la première chambre civile puis, plus tard par la Chambre commerciale.

Ce mouvement jurisprudentiel s'est amorcé en 2002, année au cours de laquelle la première chambre civile a, par une série d'arrêts, fait comprendre qu'elle entendait rénover l'office du juge en lui faisant obligation de rechercher à côté des parties, à établir la teneur de la loi étrangère compétente.

Le premier de ces arrêts, rendu sous la présidence du Conseiller Aubert qui s'y entendait en droit des assurances, fut rendu le 18 juin 2002 (19) à propos d'un contentieux international de droit des assurances, lié à un conducteur français, assuré par un assureur français, impliqué dans un accident de la circulation en Espagne.

En cette matière, l'article L. 211-4 du Code des assurances (N° Lexbase : L4186H9W) dispose : "L'assurance prévue à l'article L. 211-1 doit comporter une garantie de la responsabilité civile s'étendant à l'ensemble des territoires des Etats membres de la Communauté européenne ainsi qu'aux territoires de tout Etat tiers pour lequel les bureaux nationaux de tous les Etats membres de la Communauté européenne se portent individuellement garants du règlement des sinistres survenus sur leur territoire et provoqués par la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel dans cet Etat tiers. Cette garantie, lorsqu'elle est appelée à jouer hors du territoire français, est accordée par l'assureur dans les limites et conditions prévues par la législation nationale de l'Etat sur le territoire duquel s'est produit le sinistre ou par celle de l'Etat où le véhicule a son stationnement habituel lorsque la couverture d'assurance y est plus favorable".

L'assureur s'était, en l'espèce, prévalu de la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle du risque ; la cour d'appel avait rendu une décision passablement confuse en retenant que "si la loi espagnole dispose que les 'exceptions de garantie' ne sont pas opposables aux tiers [...] la nullité du contrat d'assurance liant la MCA et M. B. a pour effet, conformément au droit commun, de faire tomber rétroactivement le contrat d'assurance, ne peut être assimilée à une exception de garantie découlant du contrat d'assurance et demeure, donc, opposable aux tiers, même sur le territoire espagnol". Il semble donc que les juges du fond, tout en reconnaissant applicable la loi espagnole, avaient appliqué le droit français pour considérer que la nullité, au sens français, était opposable à un tiers dans un litige soumis au droit espagnol.

La Cour de cassation avait opéré une censure pour manque de base légale, au visa de l'article L. 211-4 du Code des assurances (on notera donc qu'elle n'avait pas visé l'article 3 du Code civil !), en ces termes : "Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher ce que la loi espagnole, applicable en l'espèce, entendait par 'exception de garantie' et sans vérifier spécialement si cette formule incluait la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé".

Les juges du fond étaient donc invités à approfondir le droit espagnol des assurances, compétent d'après notre article L. 211-4, pour en mesurer la teneur.

Par suite, la première chambre civile devait approfondir cette voie d'une obligation pour le juge de rechercher la teneur du droit étranger tant en matière de droit indisponible que disponible, jusqu'à être rejoint par la Chambre commerciale. C'est par deux arrêts (20) rendus dans des termes rigoureusement identiques par ces deux chambres le 28 juin 2005 que l'unité jurisprudentielle a été assurée. Ces deux arrêts du 28 juin 2005 énoncent  : "Attendu qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger".

Le Rapport annuel 2005 précise : "Par l'arrêt du 28 juin 2005, la Chambre commerciale abandonne la jurisprudence qu'elle avait maintenue dans un arrêt du 11 mars 2003. En adoptant le même principe, les deux chambres de la Cour de cassation unifient leur jurisprudence, en décidant qu'en matière de droits disponibles, lorsque le juge reconnaît un droit étranger applicable, il doit en rechercher sa teneur, soit parce qu'il le fait d'office, soit parce qu'une partie l'a invoqué. Cette application de la règle de conflit n'est pas subordonnée à la preuve de la différence du contenu du droit étranger au droit français. [...] Les deux arrêts du 28 juin 2005 réaffirment la règle selon laquelle la carence des parties ne justifie pas la mise à l'écart du droit étranger. Le juge doit s'assurer du concours des parties (productions de certificats de coutume ou autre preuve) ou en rechercher la teneur, même d'office, par son action personnelle. A cet égard, les conventions internationales ou le règlement communautaire facilitent, avec le concours du service international de la Chancellerie, l'obtention de la preuve du contenu du droit étranger. L'établissement du droit étranger relève désormais de son office. Il ne peut s'y soustraire que s'il établit par des motifs précis et circonstanciés que cette recherche est impossible ou n'a pas permis de prouver le contenu du droit en cause. Enfin, lorsqu'il déclare un droit étranger applicable, l'application qu'il en fait, quelle qu'en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de cassation. [...] Des aménagements ont été reconnus en jurisprudence :
- la théorie de l'équivalence entre la loi appliquée par le juge du fond et celle désignée par la règle de conflit de loi -en ce que la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences juridiques en vertu de ces deux lois- justifie la décision qui fait application d'une autre loi (le plus souvent, la loi française) au lieu de la loi normalement compétente ;
- la notion d'accord procédural, en matière de droits disponibles : c'est l'accord résultant ou déduit des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle désignée par un traité, par le contrat ou par la règle de conflit.
Cette jurisprudence recherche un équilibre entre les devoirs du juge et ses pouvoirs au regard du droit étranger au contenu parfois difficile à établir".

Ce renforcement de l'office du juge satisfera assurément les plaideurs, qui pourront compter avec le devoir du juge de les aider à établir la teneur du droit étranger, même lorsqu'ils auront articulé un raisonnement de droit international un peu approximatif voire erroné.

C'est dans ce cadre que se situe l'arrêt examiné du 11 février 2009, dans lequel la première chambre civile énonce : "Attendu qu'il incombe au juge français saisi d'une demande d'application d'un droit étranger de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l'aide des parties, et de l'appliquer".

La formule ne varie guère de celle employée dans ces arrêts du 28 juin 2005.

En l'espèce, pour garantir son activité de bijouterie-joaillerie en France, la société française Tourmaline s'est adressée à son courtier français lequel a pris contact avec un courtier anglais qui s'est adressé à un courtier italien (société Funk) qui a présenté le risque à un courtier allemand (du même groupe société Funk). Au terme de cette "sous-traitance" en cascade, le risque a été présenté par le courtier allemand à l'assureur allemand Allianz. Ayant subi un sinistre, l'assuré a sollicité l'intervention de son assureur, qui a refusé sa garantie. Saisi par l'assuré, un tribunal de grande instance a condamné l'assureur au paiement et a rejeté toutes les demandes formées contre les intermédiaires.

Pour réformer le jugement en ce qu'il avait rejeté l'appel en garantie formé par l'assureur et condamner les courtiers allemand et italien à garantie, l'arrêt, "après avoir constaté que la couverture du risque était expressément soumise au paiement de la prime dans les soixante jours et que les conditions de la police demeuraient régies par le droit italien, retient que le courtier a l'obligation de s'assurer de l'efficacité des conventions dont il est l'intermédiaire et que, en tardant à transmettre les conditions de la police à la société Tourmaline, les sociétés Funk ont privé la compagnie Allianz d'une chance de pouvoir dénier sa garantie".

La Cour de cassation censure car les juges du fond devaient "déterminer, ainsi qu'il lui était demandé, en l'absence d'accord exprès ou tacite des parties la loi applicable, selon la règle de conflit, dans les rapports de l'assureur avec les deux sociétés de courtage, ni rechercher le contenu de cette loi pour l'appliquer, la cour d'appel a violé" l'article 3 du Code civil.

Les juges du fond avaient donc, tout en identifiant le droit italien comme étant applicable au contrat d'assurance litigieux, admis l'appel en garantie de l'assureur allemand contre les deux courtiers allemand et italien, sans identifier le droit applicable à la relation entre ces sociétés de courtage et l'assureur allemand.

Pour cela, ils avaient considéré que la faute des courtiers étaient évidente : "le courtier a l'obligation de s'assurer de l'efficacité des conventions dont il est l'intermédiaire et, en tardant à transmettre les conditions de la police à la société Tourmaline, les sociétés Funk ont privé la compagnie Allianz d'une chance de pouvoir dénier sa garantie". En l'espèce, comme l'indique le moyen annexé, les motifs de la cour d'appel avaient retenu que "sachant que le risque était situé en France, il appartenait aux sociétés Funk International SpA et Funk International GmbH qui l'avaient placé auprès de la compagnie Allianz de s'assurer que la société Tourmaline entrait en possession des conditions générales et particulières en langue française, dans un délai raisonnable compte tenu des obligations qu'elles renfermaient, soit à l'intérieur d'un délai de 60 jours à compter du 1er mars 2001, délai qui n'était pas insurmontable, même en présence de plusieurs courtiers, compte tenu des nouvelles technologies de la communication dont les pièces fournies au dossier démontrent qu'ils en avaient chacun la maîtrise".

Mais, faute d'avoir fondé en droit sur la loi applicable à la relation entre ces courtiers et l'assureur les fautes de ces deux courtiers, la cassation était inéluctable.

Il appartiendra à la cour de renvoi de procéder à cette recherche. On notera que la lecture du pourvoi annexé indique que, sans grande surprise, chacun des courtiers et l'assureur avaient plaidé l'application de sa loi du for (ce qui résulte de cet extrait du pourvoi annexé : "qu'en se déterminant ainsi, quand les parties revendiquaient l'application de la loi allemande ou de la loi italienne"). Le Règlement "Rome I" du 17 juin 2008 n'étant pas encore applicable (il le sera aux contrats conclus après le 17 décembre 2009), le juge devra faire usage de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et, à défaut de désignation par les parties du droit applicable, c'est, en application de son article 4, la loi de l'Etat avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits, entendu comme celui du siège du débiteur de la prestation caractéristique, qui devrait être désigné compétent, sauf au juge français à faire usage de la "clause d'exception" de l'article 4 in fine.

Voilà qui ouvre plusieurs possibilités :

- soumettre le rapport entre le courtier allemand et l'assureur allemand pour placer un risque "français" (localisé en France, siège de l'assuré) au droit allemand ;

- soumettre le rapport entre le courtier italien et l'assureur allemand soit au droit italien, en considérant que dans un contrat liant un courtier à l'assureur, c'est le courtier qui exerce la prestation caractéristique en plaçant le risque pour le compte de son client, soit au droit allemand en considérant que la couverture du risque constitue la prestation caractéristique. Nous avouons notre préférence pour la première branche de l'alternative ;

- soumettre les deux rapports au droit français, en application de la "clause d'exception" fondée sur le principe de proximité, en considérant que les contrats d'intermédiation sont soumis au même droit que le contrat d'assurance, soit ici vraisemblablement au droit français (en application de l'article L. 181-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0240AA7).

Il faudra rester vigilant et suivre ce prochain arrêt de la cour d'appel de Paris.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) L. Bach, Contribution à l'étude de la loi dans le temps, RTDCiv., 1969, p. 405 ; Th. Bonneau, La Cour de cassation et l'application de la loi dans le temps, Thèse, PUF, 1990, préf. M. Gobert ; J. Héron, Etude structurale, RTDCiv., 1985, p. 277 ; Roubier, Les conflits de la loi dans le temps, Paris 1929-1933 ; Le droit transitoire, 2ème éd., Paris, 1960 ; Mélanges Maury, Dalloz, 1960, Tome II, p. 513.
(2) J. Héron, Principes de droit transitoire, Dalloz, Coll. Philosophie et théorie générale du droit, 1996.
(3) V. Nicolas, Traité de droit des assurances : le contrat d'assurance, Tome III, n° 296, p. 206.
(4) Voir l'autre arrêt commenté supra, Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 08-12.140, Régine Pétry.
(5) Cass. civ.1, 1er décembre 1998, n° 96-19.199, Consorts Jay et autres c/ Compagnie Norwich Union., publié (N° Lexbase : A7006CE9).
(6) Cass. civ. 2, 10 juillet 2008, n° 07-12.072, Société Sogecap (N° Lexbase : A6238D9W) et nos obs., L'obligation d'information de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances : confirmation et amplification, Lexbase Hebdo n° 316 du 4 septembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7363BGS) ; Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-12.338, Société La Mondiale Partenaire c/ M. Philippe Sénacq, publié (N° Lexbase : A4391DNX) ; Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-10.366, Société Axa Courtage c/ M. François Varagne, publié (N° Lexbase : A5091DNU) ; Cass. civ. 2, 5 octobre 2006, n° 05-16.329, Société Axa France, publié (N° Lexbase : A4986DR4).
(7) Traité de droit des assurances, Les assurances de personnes, LGDJ, Tome IV, n° 150, p. 116, par J. Bigot.
(8) Traité de droit des assurances , Les assurances de personnes, préc., n° 33, p. 16.
(9) Ouvrage préc., Tome IV, n° 252, p. 192.
(10) Ouvrage préc., Tome IV, n° 404, p. 383 et n° 412, p. 395.
(11) Cass. civ. 3, 24 mai 2006, n° 05-11.708, M. Yves Dupouy c/ Société civile professionnelle (SCP) Becheret-Thierry, FS-P+B (N° Lexbase : A7564DPT), Bull. civ. III, n° 133, JCP éd. G, 2007, I, 148, n° 6, obs. J.-P. Karila, RD imm., 2006, p. 266, obs. P. Dessuet, RGDA, 2006, p. 685, note M. Périer, RCA, octobre 2006, comm. 314, obs. H. Groutel.
(12) Cf. Cass. civ. 1, 17 juillet 2001, n° 98-21.913, Compagnie d'assurances Albingia c/ Société de construction (N° Lexbase : A2181AUC), Bull. civ. I, n° 232, RGDA, 2001, p. 982, note J.-P. Karila ; RCA assur., 2001, comm. 333 : "l'article L. 242-1 du Code des assurances, qui oblige l'assureur dommages-ouvrage à prendre position sur la demande de garantie qui lui est adressée par son assuré dans des délais déterminés, fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l'assureur à ces obligations" ; adde Cass. civ. 3, 17 novembre 2004, n° 02-21.336, Mutuelle des architectes français c/ M. Luc Buhannic, FS-D (N° Lexbase : A9323DDN), RCA, 2005, comm. 45.
(13) Cf. Cass. civ. 3, 7 mars 2007, n° 05-20.485, SCI Lam c/ Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6576DU4), RCA, juillet 2007, comm. 224, par H. Groutel : "Mais attendu que l'article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l'assureur dommages-ouvrage à ses obligations ; qu'ayant constaté que l'assuré fondait sa demande de dommages-intérêts sur la faute en soutenant que la perte locative qu'il avait subie trouvait sa cause dans le retard apporté par l'assureur à l'exécution de son obligation de préfinancement des travaux, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif à l'absence de souscription de la garantie des dommages immatériels, a légalement justifié sa décision".
(14) Présenté comme suit par le Rapport annuel 2005 : "L'assurance obligatoire de dommages prévue à l'article L. 242-1 du Code des assurances garantit, en dehors de toute recherche de responsabilité, le paiement au maître de l'ouvrage de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du Code civil.
Si cette assurance garantit la réparation des désordres, doit-elle, aussi, garantir l'efficacité des travaux de réparation qu'elle est destinée à financer ?
Deux réponses sont possibles.
Ou bien la nature et le montant des travaux de réparation ayant été déterminés par voie d'expertise, amiable ou judiciaire, l'assureur qui a payé le coût de ces prestations a rempli ses obligations, en sorte qu'il ne peut être tenu de garantir l'efficacité de tels travaux. Le maître de l'ouvrage qui a perçu l'indemnité aux fins de réparation et qui est tenu d'affecter les sommes ainsi perçues aux travaux de réparation doit faire son affaire personnelle des risques inhérents à de tels travaux, notamment, en souscrivant une nouvelle police 'dommages-ouvrage'.
Ou bien l'obligation d'assurance de dommages prévue à l'article L. 242-1 du Code des assurances étant destinée à garantir, en toute hypothèse, le maître de l'ouvrage contre les dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du Code civil, cette garantie est due par l'assureur tant qu'il n'a pas été mis fin aux désordres, fût-ce par des travaux de réparation complémentaires. C'est ce que vient de décider la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 décembre 2005 en exigeant que les travaux réalisés soient efficaces pour mettre fin aux désordres.
Dans cette affaire, l'assureur 'dommages-ouvrage' avait été condamné par une décision devenue irrévocable à payer une indemnité au maître de l'ouvrage destinée à réparer des désordres. L'indemnité avait été payée mais les travaux de réparation avaient été mal exécutés par l'entrepreneur. La cour d'appel avait retenu que l'assureur 'dommages-ouvrage' n'était pas tenu de garantir l'efficacité des travaux de reprise. Sa décision est cassée au motif que 'le maître de l'ouvrage ayant souscrit une assurance dommages-ouvrage est en droit d'obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres'.
Cet arrêt vient compléter et préciser la portée de l'arrêt du 17 décembre 2003 en se fondant sur l'objet même de cette assurance obligatoire que doit souscrire le maître de l'ouvrage qui a droit à un immeuble exempt de vices".
(15) Cass. civ. 3, 7 mars 2007, n° 05-20.485, SCI LAM c/ Lemble et a., FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6576DU4) et Cass. civ. 3, 22 mai 2007, n° 06-13.821, Société AMC c/ Lavau et a., F-D (N° Lexbase : A4931DWK), commentés conjointement in RGDA, 2007-3, p. 631, note J.-P. Karila.
(16) Cf. M. Périer, RGDA, 2006, p. 685 et s., qui réfute que l'expert puisse engager la responsabilité de l'assureur comme un mandataire engage celle de son mandant (à dire vrai, peu importe, on rétorquera que les agences de voyages sont contractuellement responsables des entrepreneurs de service auxquels elle fait appel), et insiste sur le caractère limitatif des sanctions applicables à l'assureur dommages-ouvrage pour manquement à ses obligations à l'alinéa 5 de l'article L. 242-1 du Code des assurances.
(17) Et nos obs., Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 320 du 2 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3732BHP).
(18) "Mais attendu que, dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en oeuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du droit français, de démontrer l'existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu'elle invoque, à défaut de quoi le droit français s'applique en raison de sa vocation subsidiaire".
(19) Cass. civ. 1, 18 juin 2002, n° 99-12.339, Fonds de garantie automobile (FGA) c/ M. Manuel Mesquita, FS-D (N° Lexbase : A9460AYZ).
(20) Cass. com., 28 juin 2005, n° 02-14.686, Société Itraco c/ Société Fenwick shipping services Ltd, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A8402DIZ) et Cass. civ. 1, 28 juin 2005, n° 00-15.734, M. François Aubin c/ M. Henry Bonal, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8389DIK).

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