La lettre juridique n°653 du 5 mai 2016 : Fiscalité internationale

[Le point sur...] L'exit tax à la française, une frontière fiscale de dissuasion

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par François Stifani, Avocat au barreau de Grasse, Karim Berthet, Docteur en droit fiscal international et Philippe Létienne, Doctorant en droit privé

le 05 Mai 2016

L'exit tax est présentée comme une mesure susceptible de corriger les effets des principes de liberté d'aller et venir ; de liberté d'installation et de liberté de circulation des capitaux ; lesquels assurent la fluidité de l'économie mais peuvent être également néfastes en raison de profondes disparités socio-économiques et de l'attractivité de fiscalités privilégiées (affaire des "Panama papers"). Véritable chape fiscale des contribuables français qui souhaitent s'implanter ailleurs dans le paysage européen, tout en s'appuyant sur la doctrine administrative (QE n° 12686 de M. Christophe-André Frassa, JO Sénat du 31 juillet 2015, réponse publ. 10 mars 2016, p. 958, 14ème législature N° Lexbase : L2494K7I, v. Lexbase, éd. fisc., n° 648, 2016 N° Lexbase : N1951BW8) pour la définition expresse des titres concernés par l'imposition immédiate, l'exit tax est codifiée à l'article 167 bis du CGI (N° Lexbase : L1784IZ4).

En clair, le contribuable qui transfère son domicile fiscal à l'étranger est assujetti à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Or, si la France n'est plus attractive sur un plan économique, est-ce que des mesures de dissuasion fiscales peuvent raisonnablement suffire à retenir ses propres assujettis ?

D'autant qu'une mise en perspective du système actuel met en lumière que faute d'harmonisation des législations fiscales en Europe, outre des délocalisations, viennent s'ajouter des expatriations plus ou moins effectives en vue de rechercher "des cieux fiscaux plus cléments" (N. Melot et M. Buchet, L'attractivité de la fiscalité portugaise pour les personnes physiques, La revue fiscale du patrimoine, n° 3, mars 2016, étude 7).

L'exit tax, codifiée à maintes reprises, est donc le fruit de l'orthodoxie française, visant à contrebalancer un manque d'attractivité patent de l'Etat, par le verrouillage du départ de ses contribuables sous couvert d'un objectif d'intérêt général (I). Face à l'ardeur de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui pointe des contradictions flagrantes de l'exit tax avec les libertés posées par le marché unique, la France fut contrainte de remanier le dispositif pour préserver sa souveraineté de levée de l'impôt et maintenir un protectionnisme fiscal tolérable (II).

I - Une captivité fiscale originelle abandonnée

L'adage "fructus augent hereditatem" (les fruits accroissent l'hérédité) fut éludé lors de l'instauration de la taxation des plus-values latentes en cas de transfert du domicile fiscal hors de France (loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998, de finances pour 1999, art. 24 N° Lexbase : L1137ATB). Les mesures nationales entendent contrer l'évasion fiscale et détricoter des montages artificiels, en pénalisant les ressortissants qui souhaitent prendre avantage d'un "forum fiscal" entre Etats membres, à l'instar d'un "forum shopping" dans les règles des conflits de lois.

Survivance de l'entêtement fiscal français, "phoenix renaissant de son bûcher communautaire" pour certains commentateurs, la CJUE n'a eu de cesse de tirer à boulets rouges sur l'exit tax (Emilie Bokdam-Tognetti, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, Portée et limites des exit tax : quelques enseignements jurisprudentiels, chron., RJF, 2013).

Par ailleurs, l'entier système doit reposer sur "une raison" (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT) voire "des raisons" "impérieuses d'intérêt général" (CJUE, 29 novembre 2011, aff. C-371/10 N° Lexbase : A0292H39). Or, en réalité, la Commission des finances de l'Assemblée nationale l'a conçu pour "éviter une forme d'évasion fiscale" qui aboutit aujourd'hui à "faire fuir les start-up" (proposition de loi n° 2646 visant à abroger l'exit tax - 11 mars 2015, compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle sur le tabac).

En effet, les juridictions européennes prennent majoritairement appui sur la liberté d'établissement qui a un "caractère fondamental" (CJCE, 21 juin 1974, aff. C-2/74 N° Lexbase : A7281AH7) et qui a pour corollaire une égalité de traitement entre les contribuables des Etats membres. A défaut de ladite égalité, tant l'entrée que la sortie du territoire français seront entravées du fait de la non-attractivité d'un Etat fiscalement dissuasif.

L'abrogation cinglante de la première mouture d'exit tax fait écho à une décision de la CJCE, "Hughes de Lasteyrie du Saillant" pour motif de contrariété de la liberté d'établissement (article 52 du Traité CE devenu article 43 du Traité de Rome) avec les modalités d'imposition des plus-values de valeurs mobilières : "le principe de la liberté d'établissement [...] doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre institue, à des fins de prévention d'un risque d'évasion fiscale, un mécanisme d'imposition des plus-values non encore réalisées" (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, préc.).

Les conclusions de l'Avocat général soulignent à juste titre que "le Gouvernement français ne conteste pas l'existence d'une entrave et concentre ses observations sur la question d'éventuelles justifications à celle-ci". C'est sur ce point que l'adaptation du nouveau régime tentera une consolidation artificielle au droit européen. Mais "face aux changements perpétuels du dispositif [...] se pose la question de son efficacité en pratique" (L. Faulcon, "Exit tax", encore de nouveaux aménagements..., Lexbase, éd. fisc., n° 559, 2014 N° Lexbase : N0853BU7), car la lutte contre l'évasion fiscale peut être effective via des mesures moins astreignantes ou restrictives.

En toute logique, le Conseil d'Etat, se calquant sur le positionnement précité, "est donc fondé, par ce moyen, à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions du décret n° 99-590 du 6 juillet 1999 (N° Lexbase : L5391G9K) en tant qu'elles ont trait à l'application à ces contribuables des dispositions dudit article 167 bis du CGI" (CE, 9° et 10° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 211341, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7339AX4).

A contrario, manipulant sciemment le concept, le Conseil d'Etat écarte d'un revers de manche l'invocation de la liberté d'aller et venir, puisque c'est le transfert de résidence qui est en cause. Autrement dit, l'atteinte s'essouffle car elle ne frappe pas intrinsèquement la liberté de circulation des personnes et des capitaux mais stricto sensu le transfert du domicile fiscal d'un ressortissant (CE 3° s-s., 19 septembre 2011, n° 346012, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9824HX7). Une certaine tempérance prend place en lien avec la réécriture du dispositif d'exit tax.

En pratique, le fait générateur de l'imposition est le transfert et les conditions de déclenchement du dispositif pour les membres du même foyer fiscal tiennent compte de seuils, du patrimoine des redevables et de leur résidence fiscale. Il s'agit soit d'une détention d'"au moins 50 % des bénéfices sociaux d'une société", soit d'un patrimoine en valeurs mobilières et droits sociaux qui "excède 800 000 euros" à compter du 1er janvier 2014 (CGI, art. 167 bis).

Or, auparavant, les seuils étaient respectivement fixés à 1 % et 1,3 million d'euros, ce qui indique un abaissement fort du seuil correspondant au patrimoine en valeurs mobilières et droits sociaux, ainsi qu'une augmentation du seuil de détention des bénéfices sociaux d'une société, et in fine traduit un échec du dispositif, qui a nécessité un réaménagement profond.

Un simple dégrèvement en cas notamment de retour en France, ou un sursis de paiement (CE 3° et 8° s-s-r., 12 juillet 2013, n° 359994, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8324KI7) est envisageable si le contribuable transfert son domicile fiscal dans un état tiers à l'EEE (Espace économique européen), mais encore faut-il qu'il en fasse une demande expresse (imprimé de déclaration n° 2074-ETD) et qu'il apporte des garanties suffisantes (LPF, R. 277-1 N° Lexbase : L6603IEB et s.) car il s'agit d'une simple faculté. Nous pensons que la poursuite des obligations déclaratives pendant la période de résidence à l'étranger parachève l'imbroglio du dispositif français.

Reste que l'idée d'un recouvrement immédiat d'une imposition, sans possibilité de report nous semble disproportionnée, faute de cohérence fiscale (CJUE, 18 juillet 2013, aff. C-261/11 N° Lexbase : A0851KKQ).

L'orthodoxie française de rétention fiscale qui reposait sur une présomption malsaine d'évasion fiscale a dû s'adapter, se nourrissant de la substantifique moelle du marché unique. Habilement, le dispositif français est actuellement présenté comme une gêne et non comme une entrave aux libertés d'établissement et de circulation, il est conforme mais non adapté.

II - Une contrainte fiscale actuelle tolérée

L'arrêt précité rendu par la CJUE du 29 novembre 2011 marque un tournant majeur, tout en confirmant la possibilité d'une exit tax pour les personnes morales, en posant qu'"à l'égard d'une réglementation d'un Etat membre visant à imposer les plus-values générées sur son territoire, la situation d'une société constituée selon la législation dudit Etat membre qui transfère son siège dans un autre Etat membre est similaire à celle d'une société constituée également selon la législation du premier Etat membre".

L'intention du législateur est savamment précisée pour éviter toute intempérance européenne. Le champ d'application du dispositif est cantonné "aux seuls droits sociaux et valeurs mobilières relevant du régime d'imposition des plus-values mobilières des particuliers", "les parts de sociétés ou groupements à prépondérance immobilière relèvent du régime d'imposition des plus-values immobilières, ne sont donc pas placées dans le champ d'application de l'exit tax" (Réponse du secrétariat d'Etat, QE n° 12686, JO Sénat, 10 mars 2016, p. 958, préc.).

En conséquence, un système européanisé d'exit tax tend à colorer les systèmes nationaux, la Commission européenne ayant publié le 28 janvier 2016 une proposition de Directive à cet effet, intégrant une "imposition à la sortie au sein de l'Union" (proposition de Directive du Conseil, établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur, 28 janvier 2016, COM/2016/26 final).

Et pourtant, les restes d'imprégnation du formalisme français et de la rigueur qui en découle persistent dans l'idée même d'imposer préventivement le contribuable (s'il restait en France, les plus-values litigieuses ne seraient imposables qu'après leur réalisation), pour contrer le droit futur d'imposer une plus-value qui appartiendra à l'Etat de résidence car "l'Etat d'imposition de la plus-value s'entend de celui dont le contribuable était résident au moment de sa réalisation" (CE 10° s-s., 2 mars 2015, n° 354932, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9136NCD).

Autre exemple, la durée de domiciliation à l'étranger pour bénéficier d'une exemption a presque doublé (de 8 à 15 ans, loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, art. 17 N° Lexbase : L7405IYW), ce qui conforte la lourdeur sus évoquée. Par ailleurs, la mise en place d'un "fichier automatisé des exilés fiscaux" n'y arrange rien. Bien au contraire, elle est source de dérives car rien ne garantit la protection des données archivées "pendant trois ans" et/ou leur effacement a posteriori (arrêté du 8 avril 2015, JORF n° 0105 du 6 mai 2015, p. 7755, texte n° 5 N° Lexbase : L5189I8P).

Le droit fiscal français est présenté en conformité avec la jurisprudence de la CJUE (à l'instar du droit allemand : CJUE, 23 janvier 2014, aff. C-164/12 N° Lexbase : A9843KZL) puisqu'"il n'y avait pas de violation de l'article 63 TFUE (libre circulation des capitaux) (N° Lexbase : L2713IP8) en présence d'une imposition sur les plus-values latentes, sous réserve que l'Etat membre intéressé soit effectivement dans l'impossibilité de taxer les plus-values lors de leur réalisation effective et que concernant le recouvrement immédiat d'une telle imposition, un tel recouvrement est proportionnel pour autant que l'obligation de constituer des garanties bancaires soit fixée en fonction du risque réel de non-recouvrement de l'impôt dû" (K. Berthet, L'évolution de la lutte contre les paradis fiscaux : Europe, Etats-Unis, Larcier, 2015, p. 130, § 306).

L'absence d'une fiscalité européenne globale qui nourrit les disparités entre Etats est une forme de rupture d'égalité devant l'impôt en Europe. L'exit tax à la française n'a de sens que si elle mute en une exit tax européenne. Divisés, les dispositifs nationaux affaiblissent la coopération fiscale unitaire entre Etats. Une réorganisation complète du système de prélèvement de l'impôt ne serait pas inenvisageable en-soi.

Les réformateurs européens et nationaux pourraient tout aussi bien, à terme, envisager une verticalité de l'impôt, par le biais de chaque administration fiscale nationale, qui agirait au nom et pour le compte de l'Union européenne, à l'instar de ce qui se fait déjà à un échelon inférieur en France entre les communes et l'Etat ou sur un autre modèle, fédéral, de l'Allemagne avec ses fameux länder... En revanche, l'idée d'une exit tax globalisée, chapotée par une entité mondiale nous semble utopique du seul fait de la concurrence naturelle entre Etats qui s'accentue de par leurs distances, d'où l'idée d'une exit tax de proximité.

L'effet dissuasif est consolidé par le régime du report d'imposition : "les reports d'imposition des plus-values [...] à la date du transfert du domicile hors de France sont rétablis de plein droit" (CAA Versailles, 27 mai 2015, n° 12VE02942 N° Lexbase : A1489NM4). En d'autres termes, l'article 167 bis du CGI met fin purement et simplement au report en raison du transfert du domicile fiscal hors de France, ce qui en fait un choix parfois impossible, le contribuable étant alors "un détenu fiscal".

Au surplus, si le dispositif intègre un opportunisme fiscal présupposé, il élude les cas d'invocations du droit à la vie privée. La pratique nous enseigne que le déclenchement d'un transfert peut avoir une origine autre que fiscale, tel que "l'exil pour les familles de confession juive à la suite des évènements dramatiques du début de l'année 2015" (L. Ribes et R. Gaudet, "L'exit tax" français est-il euro-compatible ?, Petites affiches, 30 septembre 2015, n° 195, p. 7). Est-ce à dire que le dispositif en cause est amoral lorsque l'exil familial forcé produit les mêmes effets fiscaux que l'exil opportuniste d'optimisation ?

Le bilan de l'exit tax est peu flatteur, le rapporteur général du projet de loi de finances pour 2016, M. Albéric de Montgolfier, précisa lors de l'examen en commission que "l'exit tax n'a pas suffi à contrecarrer ce phénomène [d'expatriation] : le dernier rapport annuel sur l'exil fiscal a mis en évidence une augmentation du nombre de départs et surtout du montant de base imposable ainsi perdu par l'Etat" (projet de loi de finances pour 2016, examen en Commission réunie le 12 novembre 2015, articles additionnels après l'article 2 quinquies).

De manière générale, il semblerait que la tendance soit à davantage de pragmatisme au risque de se heurter à des contradictions qui résultent de la distance qui peut exister entre des effets d'annonce (simple projet d'abrogation de l'exit tax) et les réalités économiques (flux continu des départs). Nous pouvons légitimement espérer le retrait définitif de ces dispositions qui, comme toute mesure de dissuasion, incite à l'évasion...

En tout état de cause, si l'exit tax reste une mesure française instaurée à l'origine contre l'évasion des capitaux des redevables français à l'impôt, force est de constater que la frontière fiscale qui entoure ce dispositif est de plus en plus perméable au point que la question de son maintien se pose ; d'où la percée que nous préconisons d'un réel système d'exit tax de l'Union pour poser la première pierre de l'édifice d'une frontière fiscale commune.

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