Lexbase Public n°384 du 3 septembre 2015 : Urbanisme

[Jurisprudence] Contentieux des autorisations d'urbanisme et référés : la présomption d'urgence est-elle une fiction ?

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 8 juillet 2015, n° 385043, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7006NMG)

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par Marie-Odile Diemer, docteur en droit public, élève avocate, cabinet Fidal

le 08 Septembre 2015

Le Conseil d'Etat poursuit sa jurisprudence appliquant la présomption d'urgence en matière d'urbanisme. Il rappelle, dans un arrêt rendu le 8 juillet 2015, au moyen d'un considérant désormais classique, que "la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque les travaux vont commencer ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés". Cependant, il reconnaît dans l'espèce qui lui est soumise que l'intérêt public qui s'attache à l'exécution du permis attaqué et à la poursuite des travaux permet de renverser la présomption selon laquelle la condition d'urgence est remplie. En effet, le permis contesté permet de réaliser la construction d'un établissement administratif et d'enseignement se substituant à des constructions temporaires. La circonstance que les constructions projetées masquent la chambre funéraire de la société requérante et que des constructions temporaires existent déjà sur le site n'empêche pas la Haute juridiction de rejeter le pourvoi formé devant elle.

Il n'est jamais surprenant de constater qu'une autorisation d'urbanisme est contestée. Il est toujours intéressant de comprendre comment le juge va articuler, interpréter ou préciser les règles applicables.

En matière de procédure d'urgence, la jurisprudence est abondante mais rarement étonnante. Elle s'adapte surtout aux circonstances de chaque espèce puisque le juge doit nécessairement s'imprégner du contexte afin de décider si la condition d'urgence est remplie et si la suspension de l'exécution de l'acte administratif s'impose.

Le succès de la réforme du contentieux en 2000 concernant les procédures d'urgence (loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives N° Lexbase : L0703AIU) n'est plus à démontrer. Il permet au justiciable de détourner la sacro-sainte règle du droit administratif qui considère que les recours contre les actes administratifs exécutoires ne sont pas suspensifs. Une condition cependant, le référé-suspension est dépendant d'un recours au fond, c'est-à-dire d'un recours pour excès de pouvoir.

La société requérante a donc utilisé en l'espèce les dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) qui précise que "quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision".

Elle souhaitait contester une décision du 2 mai 2013 par laquelle le maire d'une commune avait délivré un permis de construire pour la réalisation d'un bâtiment à usage administratif et d'enseignement à une chambre de commerce et d'industrie. Ce même permis avait fait l'objet d'un transfert (en effet, le permis est attaché au sol et non à la personne) par un arrêté du 11 juin 2014 à une SCI. La SARL souhaite suspendre les deux décisions délivrant et confirmant l'autorisation d'urbanisme puisque les constructions projetées aboutiront à masquer une chambre funéraire.

Tout le contentieux qui va s'en suivre tourne alors autour de la question de l'urgence. Pivot du référé-suspension, elle a été définie et stabilisée depuis la célèbre décision "Confédération nationale des radios libres" de la manière suivante : "la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre" (1).

Le juge avait également précisé que l'urgence devait être appréciée de manière concrète. La jurisprudence ultérieure devait compléter la formule en rappelant que l'urgence s'apprécie de manière concrète et objective, ce qu'a d'ailleurs repris le juge administratif dans l'affaire qui lui été soumise en rajoutant l'idée d'appréciation globale.

Afin de souligner l'urgence de la situation, l'on remarquera que, d'un point de vue procédural, le juge administratif avait effectivement répondu très rapidement en première instance. Dans le cadre d'une instruction nécessairement accélérée, le tribunal administratif de Caen a produit une ordonnance le 23 septembre 2014. Le référé suspension ne pouvant faire l'objet d'un appel, mais pouvant faire l'objet d'un pourvoi devant la plus haute juridiction, la société requérante ne s'en était pas privée et il appartenait donc au Conseil d'Etat de se prononcer. L'urgence, ou du moins la rapidité, n'est cependant pas ce qui l'a motivé au vu de la date de l'arrêt, qui est du 8 septembre 2015. L'accélération des procédures et des délais de jugement est pourtant une volonté actuelle des juridictions administratives.

L'absence d'urgence a toutefois été déterminante pour rejeter la requête. Elle a ainsi été neutralisée par le juge afin de ne pas donner une issue favorable au recours.

Rappelons au préalable, qu'au détour d'un considérant, le juge administratif, pour justifier d'ailleurs sa décision ainsi que de reconnaître l'erreur de droit du tribunal administratif, a confirmé sa jurisprudence sur l'intérêt à agir dans le contentieux de l'urbanisme et notamment l'application dans le temps des nouvelles dispositions du Code de l'urbanisme.

Le tribunal administratif de Caen avait en effet rejeté le référé en estimant que la société requérante était dépourvue d'intérêt pour agir.

Interprétant les dispositions de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4348IXC), il avait en effet estimé que la SARL n'apportait aucun élément permettant de justifier son intérêt à demander l'annulation et la suspension des décisions litigieuses. Ainsi, la demande était manifestement irrecevable. Toutefois, le juge avait précisé que les dispositions du Code de l'urbanisme entrées en vigueur le 19 août 2013 étaient inapplicables à l'instance en cours puisque le permis avait été délivré antérieurement.

Le Conseil d'Etat confirme l'erreur de droit du tribunal en rappelant sa jurisprudence du 9 avril 2014 qui avait précisé que "s'agissant des dispositions nouvelles qui affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, elles sont, en l'absence de dispositions contraires expresses, applicables aux recours formés contre les décisions après leur entrée en vigueur" (2).

Le contentieux de l'urbanisme est définitivement encadré et presque barricadé par le juge qui s'attache à protéger les autorisations délivrées par les autorités administratives.

Paradoxalement, le juge administratif ne va pas faire droit à la demande de la société requérante et se concentrer sur la condition d'urgence.

Le Conseil d'Etat confirme dans un premier temps l'existence d'une présomption d'urgence. Cette présomption existe en effet dans de nombreux contentieux où l'absence de recours suspensifs peut avoir des conséquences graves et irréversibles sur la situation des requérants. Dans cette perspective, la présomption d'urgence a été reconnue dans le contentieux des étrangers (3), dans le cadre de l'exercice du droit de préemption (4), de l'expropriation (5), et bien sûr dans le contentieux des permis de construire (6). Cette présomption avait d'ailleurs été récemment étendue aux décisions de non-opposition à déclaration préalable (7).

Le Conseil d'Etat ne fait alors pas exception à la règle et pose d'abord la présomption d'urgence en rappelant l'imminence de la construction eu égard notamment au début des travaux.

Cependant, il va approfondir le contexte dans lequel les constructions sont projetées. Elles visent en effet à se substituer à des constructions temporaires. Mais le Conseil d'Etat va plus loin et ne se contente pas de regarder l'objet général du projet, il s'attache également à regarder la destination des constructions. L'établissement sera en effet administratif et d'enseignement. Il accueillera alors un personnel varié, à savoir celui de la chambre de commerce et d'industrie et celui de la mission locale, ainsi que des stagiaires d'un organisme de formation.

Le Conseil d'Etat souligne donc dans un second temps l'intérêt que présente la construction en précisant que les bâtiments permettront d'accueillir l'ensemble de ces personnes de manière décente. L'appréciation est alors à la frontière du subjectif. Pourtant, le juge administratif doit s'attacher à une appréciation objective et globale. Même s'il ne le dit pas explicitement, sa décision a surtout été appréciée de manière très concrète.

Dans cette perspective, le juge administratif balaye d'un revers les arguments de la société requérante d'un "alors même" soulignant l'impossibilité pour les requérants d'obtenir gain de cause malgré la pertinence de leur argumentation.

En effet, bien que la construction masque partiellement une chambre funéraire appartenant à la société requérante, et qu'il n'est pas nouveau que des constructions temporaires soient utilisées et maintenues dans les administrations, le juge administratif a mis la balance des intérêts en présence en réalisant un bilan coût/avantages permettant de mesurer les avantages et les inconvénients d'un projet. Il met alors en valeur l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des décisions attaquées.

L'appréciation de l'urgence dans la procédure de référé oscille entre opportunité et légalité. Un contrôle concret imprègne la méthode du juge et permet d'avoir une jurisprudence casuistique mais au plus près des réalités concernant, notamment, ce contentieux si délicat de l'urbanisme.

Le Conseil d'Etat maintient alors dans cet arrêt l'esprit de l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW), qui a redéfini l'intérêt à agir et s'attache à prévenir les recours abusifs, qui sont nombreux dans cette matière. La jurisprudence concernant les autorisations d'urbanisme n'est décidément plus surprenante au regard de ces rejets toujours plus nombreux et il semble qu'elle ne soit étonnante que lorsqu'elle donne une issue favorable à un recours. Le Conseil d'Etat confirme qu'une présomption est donc faite pour être renversée.


(1) CE, Sect., 19 janvier 2001, n° 228815, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6576APA).
(2) CE 9° et 10° s-s-r., 9 avril 2014, n° 338363, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1026MK9).
(3) CE , Sect., 14 mars 2001, n° 229773, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2494ATK).
(4) CE 1° et 2° s-s-r., 13 novembre 2002, n° 248851, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0784A4S).
(5) CE 1° et 6° s-s-r., 5 décembre 2014, n° 369522, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9062M4E).
(6) CE 5° et 7° s-s-r., 27 juillet 2001, n° 230231, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5472AU9).
(7) CE 1° s-s., 25 juillet 2013, n° 363537, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1249KKH).

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