La lettre juridique n°585 du 2 octobre 2014 : Filiation

[Jurisprudence] Le recours à la PMA à l'étranger n'est pas un obstacle à l'adoption d'un enfant par la concubine de sa mère

Réf. : Cass. avis, 22 septembre 2014, n° 15010 (N° Lexbase : A9175MWQ) et n° 15011 (N° Lexbase : A9174MWP)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 02 Octobre 2014

Inquiétudes. Le refus récent de deux tribunaux de grande instance de prononcer l'adoption d'un enfant par l'épouse de sa mère au motif que l'enfant avait été conçu à l'étranger par procréation médicalement assistée avec tiers donneur (1), avait jeté le doute sur une question qui paraissait pourtant résolue depuis la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 (N° Lexbase : L7926IWH). En effet, selon la note de la Direction des affaires civiles et du sceau du 17 juillet 2014, la plupart des requêtes en adoption de l'enfant de la conjointe au sein des couple de même sexe avaient été jusqu'alors satisfaites par les tribunaux. Seules neuf décisions refusant le prononcé de l'adoption ont été comptabilisées, parmi lesquelles trois décisions du TGI de Versailles et une décision du TGI d'Aix-en-Provence qui se fondaient sur la fraude à la loi que constituerait le recours à la PMA à l'étranger.

Demande d'avis. Quoique minoritaires, ces refus ont logiquement conduit certains juges du fond, et particulièrement le TGI de Poitiers ainsi que le TGI d'Avignon, à saisir la Cour de cassation d'une demande d'avis (2) pour déterminer si "le recours à la procréation médicalement assistée, sous forme d'un recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu à l'étranger par un couple de femmes, dans la mesure où cette assistance ne leur est pas ouverte en France, conformément à l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7144IQN), est de nature à constituer une fraude à la loi empêchant que soit prononcée une adoption de l'enfant né de cette procréation par l'épouse de la mère ?" La demande formulée par le TGI de Poitiers contenait par ailleurs une question complémentaire pour savoir si "l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à la vie privée et familiale exigent [...] au contraire de faire droit à la demande d'adoption formulée par l'épouse de la mère de l'enfant ?".

Clarification du débat. La Cour de cassation ne se dérobe pas et tranche clairement le débat dans les deux avis du 22 septembre 2014 en affirmant que "le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant". Ce faisant, elle répond aux questions posées par les TGI de Poitiers et d'Avignon, affirmant d'abord que les conditions de la conception de l'enfant ne doivent pas être prises en compte dans le cadre de son adoption (I) mais en rappelant également que cette adoption n'est pas un droit de l'épouse de la mère et qu'elle doit être conforme à l'intérêt de l'enfant (B).

I - L'indifférence des conditions de conception de l'enfant

Motifs du refus de l'adoption. Selon les juridictions du fond qui ont refusé de prononcer l'adoption de l'enfant par la femme de sa mère, le fait pour un couple de femmes de recourir à une insémination artificielle légale à l'étranger pour concevoir un enfant, et de recourir ensuite en France à une adoption intraconjugale, constitue une fraude qu'il appartient au juge d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant, de réprimer. Le tribunal d'Aix-en-Provence s'est fondé sur la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe (3), aux termes de laquelle "l'éventualité d'un détournement de la loi lors de son application n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité, et qu'il appartient aux juridictions compétentes d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant de réprimer de telles pratiques". Le tribunal de grande instance de Versailles affirme en outre qu'"établir une distinction entre les couples homosexuels hommes, pour lesquels le recours à la gestation pour autrui est pénalement répréhensible, et les couples homosexuels femmes qui ont physiologiquement la possibilité de mener à bien un grossesse, serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité devant la loi".

Absence de motivation. L'avis de la Cour de cassation ne contient aucune motivation et ne répond donc à aucun des arguments soulevés tant par les partisans d'une admission de l'adoption de l'enfant né par PMA que par les partisans de son refus. Il convient, quoiqu'avec une certaine prudence, de rechercher ses motivations dans le rapport de Mme Le Cotty -dont les conclusions ne sont cependant pas publiques- et dans l'avis de M. Sarcelet, avocat général -dont les préconisations ne sont pas totalement suivies par la Cour de cassation-, qui accompagnent l'avis de la Cour et dont il est probable qu'elle s'est inspirée.

Rejet implicite de la fraude. La formule selon laquelle "le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère", peut soit signifier qu'il n'y a pas de fraude, soit signifier, comme semble le considérer l'avocat général, que cette fraude "caractérisée par le recours à assistance médicale à la procréation dans des conditions où elle n'est pas ouverte en France", ne doit pas empêcher que soit prononcée l'adoption par le conjoint de l'enfant ainsi conçu. En effet, si l'article 16-7 du Code civil (N° Lexbase : L1695ABE) prohibe toute convention portant sur la gestation pour autrui, aucune disposition relative au respect du corps humain n'interdit l'assistance médicale à la procréation. La solution rappelle celle de l'arrêt du 8 juillet 2010 dans lequel la Cour de cassation avait affirmé que "le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu'il n'en est pas ainsi de la décision qui partage l'autorité parentale entre la mère et l'adoptante d'un enfant" (4). Certaines dispositions du droit français n'ont pas une importance telle que leur contournement par des dispositions étrangères favorables constitue une atteinte à l'ordre public. L'avis du 22 septembre 2014 permet de penser qu'il en va ainsi des conditions de l'accès à la PMA prescrites par l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique, contrairement à ce que la Cour de cassation a décidé pour les enfants nés de convention de gestation pour autrui à l'étranger (5). Comme le souligne le rapport de Madame Le Cotty, le principe est que l'illicéité originaire des conditions de conception est indifférente pour l'établissement ultérieur d'une filiation adoptive. Seules deux exceptions donnent lieu à un contrôle des conditions des conditions de conception des enfants : "la gestation pour autrui, car elle fait intervenir le corps d'une autre femme que la mère d'intention, et l'inceste absolu car l'article 310-2 du Code civil interdit expressément tout lien de filiation".

Ouverture de l'adoption aux couples homosexuels mariés. L'avocat général souligne dans son avis que "les débats parlementaires ont montré combien l'assistance médicale à la procréation ne pouvait pas demeurer étrangère à la reconnaissance du mariage des couples de même sexe". Lors du vote de la loi du 17 mai 2013, il apparaissait évident, même aux détracteurs du mariage pour tous, que l'ouverture de celui-ci aux couples de même sexe allait permettre la création par la voie de l'adoption de familles composées de deux parents de même sexe, en particulier par le recours à la PMA.

Sécurité juridique. En affirmant clairement que les conditions de la conception de l'enfant qui fait l'objet d'une demande d'adoption par la femme de sa mère doivent être indifférentes, la Cour de cassation évite aux couples de femmes qui ont conçu ensemble un projet parental qui passe par le recours à le mariage, la PMA et l'adoption de l'enfant par le conjoint, de se retrouver dans une situation d'insécurité juridique. Le rattachement de l'enfant, objet de ce projet de couple, à la femme qui ne l'a pas mis au monde, ne pourra donc pas être refusé par un juge au motif que les conditions de sa conception sont contraires au droit français. L'avis de la Cour de cassation, s'il ne s'impose pas, en droit, aux juges du fond, est en effet pourvu d'une autorité de fait qui rend peu probable une résistance des juges du fond qui prendraient alors le risque de voir leur décision cassée. Il n'en demeure pas moins qu'une évolution de la législation française dans le sens d'un accès à la PMA pour les couples de femmes serait plus logique (6).

II - L'exigence de la conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant

Seconde question. Alors que l'avocat général avait proposé à la Cour de cassation de "dire qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la seconde question" portant sur l'intérêt de l'enfant, et de se contenter d'affirmer l'indifférence des conditions de conception de l'enfant pour admettre son adoption, la Haute juridiction a tenu à préciser dans son avis que l'adoption de l'enfant par l'épouse de sa mère doit satisfaire les conditions légales de l'adoption et être conforme à l'intérêt de l'enfant. Par cette précision, la Cour de cassation répond par la négative à la question posée par le tribunal de grande instance de Poitiers consistant à déterminer si "l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à la vie privée et familiale exigent-ils au contraire de faire droit à la demande d'adoption formulée par l'épouse de la mère de l'enfant ? , et impose au juge de procéder à une appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant, objet de la demande d'adoption.

Rejet d'une présomption de conformité de l'adoption du conjoint à l'intérêt de l'enfant. En précisant que l'adoption de l'enfant par l'épouse de sa mère doit être conforme à son intérêt, la Cour de cassation semble rejeter l'idée qu'il existerait une présomption selon laquelle cette adoption serait conforme à l'intérêt de l'enfant. Ni l'intérêt supérieur de l'enfant, ni le droit à la vie privée et familiale ne peuvent, de manière abstraite, imposer qu'il soit fait droit à la demande d'adoption formulée par l'épouse de la mère de l'enfant. Si l'adoption de l'enfant du conjoint est sans nul doute favorisée par le droit français qui lui accorde un régime dérogatoire, la rendant plus accessible, elle ne saurait être considérée comme un droit pour le conjoint. Ce dernier, comme tout adoptant, doit démontrer que l'adoption envisagée est bien conforme à l'intérêt de l'enfant. L'avis de la Cour de cassation fait, sur ce point, écho à la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 qui érige au rang constitutionnel l'exigence de la conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant en se fondant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (7).

Appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant. En refusant de poser une présomption de conformité de l'adoption par le conjoint à l'intérêt de l'enfant, la Cour de cassation impose au juge de procéder à une appréciation concrète et spéciale de l'intérêt de l'enfant dans le cadre de son adoption par la conjointe de sa mère. Il est évident que cette appréciation tiendra compte des circonstances particulières tenant à l'existence d'un projet parental commun, et du fait que les deux femmes élèvent l'enfant ensemble. Il n'en reste pas moins que le rappel de la Cour de cassation relatif à l'intérêt de l'enfant permet d'écarter toute idée d'un droit à l'enfant qui ne saurait être admis dans la famille homosexuelle, pas plus que dans la famille hétérosexuelle.


(1) TGI Versailles, 29 avril 2014, n° 13/00168 (N° Lexbase : A9405MKK) ; TGI Aix-en-Provence, 23 juin 2014 n° 14/01472.
(2) Sur le fondement de l'article 1031-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6935IA4).
(3) Cons. const., décision n° 2013-669 DC, du 17 mai 2013 (N° Lexbase : A4431KDH).
(4) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1235E4I), et nos obs., Le rattachement d'un enfant à la compagne de sa mère : la Cour de cassation inverse la tendance..., Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6436BP3).
(5) Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 (N° Lexbase : A5705HMA), n° 10-19.053 (N° Lexbase : A5707HMC) et n° 09-17.130 (N° Lexbase : A5704HM9), FP-P+B+R+I ; nos obs., Convention de gestation pour autrui à l'étranger : l'intérêt de l'enfant sacrifié sur l'autel de l'ordre public, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N9639BRG), D., 2012, p. 22, obs. F. Granet-Lambrechts ; Dr. fam., 2012, n° 5, p. 19, obs. C. Neirinck. Cass. civ. 1, 13 septembre 2013, 2 arrêts, n° 12-18.315 (N° Lexbase : A1669KLE), et n° 12-30.138 (N° Lexbase : A1633KL3), FP-P+B+I+R ; nos obs., La fraude plus forte que l'intérêt supérieur de l'enfant !, Lexbase Hebdo n° 542 du 3 octobre 2013 - édition privée (N° Lexbase : N8755BTG) ; RJPF, 2013, n° 11, p. 6, obs. M.-C. Le Boursicot, D., 2014, p. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; Cass. civ. 1, 19 mars 2014, n° 13-50.005, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0784MHI), RJPF, 2014, n° 5, obs. I. Corpart ; D., 2014, p. 905, obs. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon.
(6) En ce sens le Rapport d'I. Théry et A.-M. Leroyer, Filiation, origines, parentalité, AJfam., 2014, p. 293.
(7) Cons. const., décision n° 2013-669 DC, du 17 mai 2013 (N° Lexbase : A4431KDH).

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