La lettre juridique n°554 du 16 janvier 2014 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Solde de tout compte : caractère obligatoire et libératoire

Réf. : Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-24.985, FS-P+B (N° Lexbase : A7339KSM)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 16 Janvier 2014

Le reçu pour solde de tout compte est une vieille institution du droit du travail qui, comme son nom l'indique, a pour objet de solder les comptes des parties au moment de la rupture du contrat de travail. Son régime juridique a plusieurs fois varié mais semble s'être stabilisé depuis la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), en particulier s'agissant de son effet libératoire. Ainsi, comme le confirme la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 18 décembre 2013, le reçu pour solde de tout compte a retrouvé son effet libératoire mais celui-ci demeure limité aux seules sommes qui y sont mentionnées. Cette confirmation, fort logique au demeurant, s'accompagne cependant d'une nouvelle précision qui fait tout l'intérêt de la décision sous examen. L'établissement d'un inventaire des sommes dues au salarié, d'un solde de tout compte est désormais clairement et certainement imposé à l'employeur sans que l'on perçoive tout l'intérêt d'une telle obligation.
Résumé

L'employeur a l'obligation de faire l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.

Le reçu pour solde de tout compte n'a d'effet libératoire que pour les seules sommes qui y sont mentionnées, peu important le fait qu'il soit, par ailleurs, rédigé en des termes généraux.

I - La confirmation des effets juridiques du solde de tout compte

  • Effet libératoire du reçu pour solde de tout compte : une histoire mouvementée

Le reçu pour solde de tout compte est une "institution politiquement instable" (1) qui a connu une histoire mouvementée (2). Créé en 1946 (3), il avait à l'origine un très vaste effet libératoire, au-delà des seules sommes qu'il visait.

Temporairement, il a été déclassé en simple document probatoire par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9), avant de retrouver ses fonctions initiales, quoique aménagées, dans la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (4). Le reçu pour solde de tout compte a donc à nouveau un effet libératoire pour l'employeur, mais cet effet libératoire est désormais limité.

Avant la loi de 2002, en effet, le reçu pour solde de tout compte avait, après l'écoulement d'un délai de deux mois sans que le salarié ne le dénonce, un effet libératoire pour toutes les sommes dues par l'employeur en raison de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail. Ce caractère libératoire avait donc un domaine si vaste que, par certains aspects, il pouvait se confondre avec celui de la transaction (5).

  • L'encadrement du caractère libératoire du reçu pour solde de tout compte

Peu à peu, cet effet très vigoureux fut limité par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui jugea que le reçu n'avait d'effet libératoire que pour les sommes qui y étaient mentionnées (6). Étaient ainsi repoussés les reçus pour solde de tout compte rédigés en des termes généraux qui, avant cela, permettaient de dénier au salarié le droit de demander, par exemple, des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail (7).

Ce domaine prétorien plus restreint a été explicitement repris par la loi de modernisation du marché du travail puisque l'article L. 1234-20 du Code du travail (N° Lexbase : L8044IA8) limite désormais les effets libératoires du reçu "aux sommes qui y sont mentionnées". Quoique rendue en application des dispositions du Code du travail antérieure à la loi de modernisation du marché du travail, une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation semblait déjà montrer, en 2011, la volonté judiciaire de conserver ce domaine relativement restreint (8).

  • L'espèce

Une salariée avait démissionné en 2009 et signé, un mois après sa démission, un reçu pour solde de tout compte qui détaillait un certain nombre de sommes (paiement d'heures de recherche d'emploi, d'heures travaillées, de préavis, d'une indemnité de congés payés, etc.). Le reçu stipulait en outre, par une formule fort générale, que les sommes mentionnées avaient été versées "pour solde de tout compte en paiement des salaires, accessoires de salaires, remboursement de frais et indemnités de toute nature dus au titre de l'exécution et de la cessation de mon contrat de travail" et que "tout compte" entre l'employeur et la salariée se trouvait " entièrement et définitivement apuré et réglé".

Neuf mois plus tard, la salariée saisissait le juge prud'homal pour obtenir la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail. Elle obtint, devant le juge, cette requalification et la condamnation de l'employeur au paiement de plusieurs indemnités, en particulier pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour compensation du préjudice subi du fait de l'existence d'un harcèlement moral.

Confirmée par la cour d'appel de Douai, cette solution fit l'objet d'un pourvoi en cassation de l'employeur qui soutenait que le reçu pour solde de tout compte, qui n'avait pas été dénoncé, avait, compte tenu de sa rédaction, un effet libératoire général après l'écoulement d'un délai de six mois et que le juge d'appel en avait dénaturé les termes en refusant de lui faire produire un effet aussi général.

Par un arrêt rendu le 18 décembre 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Par un chapeau interne, elle juge que, par application de l'article L. 1234-20 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, "l'employeur a l'obligation de faire l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail" et "que le reçu pour solde de tout compte n'a d'effet libératoire que pour les seules sommes qui y sont mentionnées, peu important le fait qu'il soit, par ailleurs, rédigé en des termes généraux ".

Si la seconde partie de l'argumentation n'étonne guère, la première est plus audacieuse et innovante.

II - Le renouveau des effets juridiques du solde de tout compte

  • Confirmation des limites de l'effet libératoire du reçu pour solde de tout compte

Cette décision est la première rendue à propos d'un reçu pour solde de tout compte signé après l'entrée en vigueur de la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 (9). Quoique la réponse à cette question ne suscitât que peu de doute, on pouvait donc se demander si l'application de la loi nouvelle allait avoir pour effet de modifier la jurisprudence de la Cour de cassation quant au domaine de l'effet libératoire du reçu pour solde de tout compte.

La Chambre sociale conserve donc la même ligne que celle qu'elle avait adopté avant la loi de 2002, à savoir que seules les sommes mentionnées par le reçu peuvent être considérées comme ayant été payées par l'employeur et le libèrent de toute action du salarié après l'écoulement du délai de repentir de six mois. Sans surprise donc, les reçus pour soldes de tout compte rédigés de manière trop générale restent sans effet.

La solution est parfaitement logique de deux points de vue. D'abord, d'un point de vue théorique, il a déjà été démontré qu'une telle généralité ne peut être obtenue que par le jeu d'une transaction (10). Ensuite, sur le plan textuel, la loi du 25 juin 2008 a précisément pris soin de limiter les effets du caractère libératoire aux seules sommes mentionnées par le reçu. Certainement, le nouvel article L. 1234-20 du Code du travail est-il sur ce point plus restrictif que ne l'était l'ANI du 11 janvier 2008 relatif à la modernisation du marché du travail qui entendait, au nom de la flexicurité, redonner un effet libératoire plus vaste au reçu. Pour autant, la rédaction de l'article L. 1234-20 est d'une grande clarté si bien qu'aucune interprétation, fût-elle téléologique, ne devait être retenue.

  • Le caractère obligatoire du reçu pour solde de tout compte

La décision de la Chambre sociale surprend davantage lorsqu'elle énonce que "l'employeur a l'obligation de faire l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail" (11).

Jusqu'ici, le solde de tout compte pouvait être perçu comme un document rédigé dans l'intérêt de l'employeur dont il aurait pu, par conséquent, librement se dispenser, à condition bien entendu que les sommes dues au salarié soit effectivement versées et constatées par un dernier bulletin de paie.

La rédaction de l'article L. 1234-20 du Code du travail, issue de la loi du 25 juin 2008, dont on perçoit ici l'intérêt que sa mention soit portée dans la décision, comporte cependant une formule bien plus impérative qu'il n'y paraît. Le texte dispose en effet que "le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié". Or on sait, en matière de linguistique, que l'usage du présent de l'indicatif implique le caractère obligatoire de la norme prescrite. L'administration du travail avait, en outre, déjà eu l'occasion de se prononcer sur le solde de tout compte et de considérer par circulaire que son établissement par l'employeur était obligatoire (12).

Sur le fond, cette obligation n'est pas très contraignante pour l'employeur puisque celui-ci est ici astreint à établir l'inventaire des sommes dues mais qu'en contrepartie de cette obligation, il sera considéré comme étant libéré des sommes en question si le salarié signe le reçu et ne le conteste pas dans le délai imparti. L'exécution de l'obligation lui confère donc potentiellement un avantage tout en permettant, par la même occasion, d'offrir au salarié une information détaillée sur le calcul des sommes perçues au moment de la rupture et, ainsi, sur l'éventuelle nécessité de contester les manquements de l'employeur qui ne se serait pas acquitté d'autres sommes qui n'y sont pas mentionnées.

  • Portée de l'obligation de dresser le solde de tout compte

Il semble toutefois qu'il ne faille pas donner d'effet exagéré au constat que le texte est rédigé au présent de l'indicatif.

Ainsi, bien que le texte précise que le salarié "donne reçu", il ne peut en être déduit que le salarié soit contraint d'avaliser le contenu du décompte effectué par l'employeur. En effet, le reçu pour solde de tout compte est un acte juridique unilatéral émanant du salarié qui exprime sa volonté, son accord au contenu énoncé par l'employeur. Aucune volonté ne pourrait plus être identifiée si la signature devenait obligatoire.

On peut en revanche s'interroger sur les effets précis de cette obligation pesant sur l'employeur au moment de la rupture du contrat de travail. Bien entendu, aucune sanction n'est envisagée par le texte ni par le juge, en l'espèce, qui apporte cette précision alors même que l'employeur s'était acquitté de son obligation.

Il est fort peu probable, par exemple, que les moyens utilisables en cas d'absence de remise des autres documents obligatoires tels que le certificat de travail ou l'attestation pôle emploi puissent être mobilisés. Si l'urgence et l'absence de contestation sérieuse justifient le recours au référé pour l'obtention de ces deux titres, ils ne permettent pas au contraire de soutenir une action pour obtenir le solde de tout compte alors que, d'une certaine manière, le salarié tirera profit de l'absence de solde de tout compte puisque l'employeur ne sera libéré du paiement d'aucune somme au bout de six mois.

Assez probablement, seule la réparation du préjudice causé du fait de l'absence d'information quant aux sommes dues par l'entreprise au moment de la rupture devrait raisonnablement pouvoir être exigée, à condition toutefois que l'existence de ce préjudice soit démontrée, ce qui sera loin d'être toujours évident.


(1) A. Bugada, Perturbations temporelles autour du reçu pour solde de tout compte, Dr. soc., 2008, p. 1244.
(2) Cette instabilité reste vivace, comme en témoigne une récente question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant une juridiction prud'homale quant à la conformité de l'article L. 1234-20 (N° Lexbase : L8044IA8) du Code du travail, question cependant refoulée compte tenu de son absence de caractère sérieux, v. Cass. soc., 18 septembre 2013, n°13-40.042, FS-P+B (N° Lexbase : A4854KLD) et les obs. de Ch. Radé, Refus de transmission d'une QPC mettant en cause la constitutionnalité du droit du salarié de dénoncer le reçu pour solde de tout compte, Lexbase Hebdo n° 542 du 3 octobre 2013 édition sociale (N° Lexbase : N8745BT3).
(3) Loi n° 46-2157 du 8 octobre 1946.
(4) A. Bugada, préc. ; G.- P. Quétant, Le reçu pour solde de tout compte, vraie ou fausse résurrection ? JSL 2010, n° 272-1.
(5) H. Blaise, Reçu pour solde de tout compte et transaction, RJS 1991, 287.
(6) "La signature d'un reçu pour solde de tout compte rédigé en termes généraux ne peut valoir renonciation du salarié au droit de contester la cause réelle et sérieuse de son licenciement", Cass. soc., 30 juin 1998, n° 96-40.394 (N° Lexbase : A5592AC4) ; Dr. soc., 1998, 841, obs. C. Marraud ; Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-43.632, publié (N° Lexbase : A7231AX4), Dr. soc., 2002, 361, obs. J. Savatier.
(7) Effet libératoire interdisant une demande de dommages et intérêts, Cass. soc., 3 juin 1981, n° 79-41.502, publié (N° Lexbase : A3582AGR) ; Cass. soc., 13 janvier 1983, n° 80-41.473, publié (N° Lexbase : A2544CHP) ; Cass. soc., 7 mars 1990, n° 86-43.944, inédit (N° Lexbase : A4021AGZ).
(8) Cass. soc., 21 juin 2011, n° 10-10.833, F-D (N° Lexbase : A5217HUR).
(9) V. par ex., sous l'empire de la loi ancienne, Cass. soc., 15 janvier 2013, n° 11-17.152, F-D (N° Lexbase : A4834I3G).
(10) H. Blaise, préc.
(11) V. déjà une affaire jugée au mois d'octobre 2013 par laquelle la Chambre sociale refusait d'examiner un moyen qui contestait qu'une juridiction d'appel ait condamné l'employeur à remettre au salarié un solde de tout compte, le moyen n'étant "pas de nature à permettre l'admission du pourvoi", Cass. soc., 23 octobre 2013, n° 12-16.349, F-D (N° Lexbase : A4713KNU).
(12) Circ. DGT, n° 2009-05, du 17 mars 2009, relative à l'application des dispositions législatives et réglementaires concernant la modernisation du marché du travail, art. 5 (N° Lexbase : L0564IDA).

Décision

Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-24.985, FS-P+B (N° Lexbase : A7339KSM).

Rejet, CA Douai, 29 juin 2012, n° 11/02744 (N° Lexbase : A2600IQD).

Textes concernés : C. trav., art. L. 1234-20 (N° Lexbase : L8044IA8) dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B).

Mots-clés : solde de tout compte, obligation, reçu pour solde de tout compte, effet libératoire.

Liens base : (N° Lexbase : E9987ESP).

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