Lexbase Social n°872 du 8 juillet 2021 : Social général

[Actes de colloques] Usages et valeurs de l'idée d'autonomie à la lumière de quelques grilles d'évaluation médico-légales

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[Actes de colloques] Usages et valeurs de l'idée d'autonomie à la lumière de quelques grilles d'évaluation médico-légales. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/69658709-document-elastique
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par Stéphane Zygart, Docteur en philosophie à l'Université de Lille, Membre de l'ERER des Hauts-de-France, UMR STL 8163

le 12 Juillet 2021

 


Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).

Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


On peut considérer que les notions d’autonomie et de dépendance ont bien des défauts, notamment de schématisme et d’excès. Nous ne sommes par exemple jamais autonomes sans conditions, ce qui implique que nous ne soyons jamais complètement autonomes. Mais nous ne sommes jamais totalement dépendants non plus il y a toujours une part de nous-mêmes par laquelle nous vivons, en dernière instance corporelle, à laquelle nul secours et nulle médecine ne peuvent se substituer. En un mot, le couple de l’autonomie et de la dépendance effacerait et raterait l’interdépendance qui caractérise la réalité de nos existences.

Le caractère abstrait, dualiste et trop tranchant de ce couple pourrait justifier de leur préférer d’autres concepts, plus concrets, plus aptes à décrire finement ce que sont les choses. Celui de vulnérabilité, désormais d’un usage courant, en serait un exemple.

On voudrait cependant montrer ici que le schématisme de l’autonomie et de la dépendance est précisément ce qui en fait la pertinence et l’utilité, à la façon dont la forme artificielle et épurée des outils leur donne leur efficacité, supérieure à celle que peuvent avoir nos mains et nos doigts, pourtant plus souples et sensibles. C’est l’abstraction des notions qui nous permet d’agir à partir d’elles avec sensibilité, et pas directement notre sensibilité. Ce sont les possibilités d’analyse et de décision rendues possibles par l’usage de l’idée d’autonomie qui explique sa pertinence malgré la part de fiction qu’elle comporte.

On procédera en deux temps, d’abord en examinant les usages de ce couple de notions dans nos nomenclatures médico-légales ayant trait au handicap, à l’enfance et à la vieillesse, afin de mettre en valeur quelques points clés et quelques nœuds de ces usages. Puis on formulera quelques principes et problèmes généraux posés par ces usages à partir du cas des vieillards [1], afin de défendre la valeur et l’utilité de la notion d’autonomie, à condition d’aller jusqu’au bout de ce qu’impliquent les usages que nous en faisons. Si nous nous inquiétons de l’autonomie à cause de la sécurité vitale des personnes, c’est parce que nous savons aussi que l’autonomie est la capacité de créer des liens, la capacité de mobiliser et de modifier selon les urgences, les besoins mais aussi les désirs, les multiples liens d’interdépendance qui nous lient aux autres. La dualité de l’autonomie et de la dépendance n’est pour cette raison pas une ignorance de l’interdépendance, mais le moyen d’en réfléchir les conditions – quotidiennes – et la valeur – qui réside dans la possibilité des changements et des ruptures.

I. L’autonomie et la dépendance dans nos nomenclatures médico-légales

Les analyses qui vont suivre s’appuieront sur trois grilles, et ce qu’elles permettent comme recoupements et comparaisons

  • la grille AGGIR (Autonomie Gérontologique du Groupe Iso Ressources), qui est utilisée pour évaluer le taux de dépendance des vieillards [2] ;
  • le GEVA (Groupe d’évaluation des besoins des personnes handicapées), qui sert à déterminer quels sont les droits ouvrables aux personnes handicapées en fonction de leurs incapacités [3] ;
  • le guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées qui est une des bases du GEVA [4].

Ces trois grilles sont à la fois des grilles techniques d’expertise, élaborées à partir de nos savoirs et de nos valeurs ; des textes juridiques, visant à établir des droits et à les défendre ; et des outils qui rendent possible la coordination de nos interventions médicales et sociales. Elles nous permettent de la sorte d’accéder à ce que sont globalement, pour nous, l’autonomie et la dépendance, parce qu’elles expriment autant qu’il est possible l’unité de nos perspectives scientifiques, légales et pragmatiques sur certaines personnes ou catégories de personnes.

Que peut-on en dire ou en tirer de révélateur ? On peut y relever quelques points remarquables, voire étranges, en en retenant six ici.

1. Tout d’abord, à s’en tenir au titre de ces différentes grilles médico-légales, l’autonomie n’est mise en avant que pour les vieillards. En matière de handicap, on mène une « évaluation des déficiences et incapacités », autrement dit on calcule des besoins, on cherche à compenser des pathologies individuelles et des inaptitudes fonctionnelles considérées dans leur singularité et dans leur pluralité. En matière de vieillissement, l’interrogation porte sur l’« autonomie gérontologique ». On cherche à cerner ce qui reste globalement d’autonomie. Cette différence de dénomination suivant les grilles et « cas » indique le caractère unificateur des notions d’autonomie et de dépendance, que l’on fait intervenir dans un but de synthèse.

2. Deuxièmement, cette fonction de synthèse de l’autonomie et de la dépendance s’explique par la gravité des situations et des diagnostics pour lesquels ces notions sont mobilisées. Autrement dit, ce n’est pas par souci dialectique que nous pensons sans cesse ensemble, en vis-à-vis, l’autonomie et la dépendance. C’est bien plutôt parce que l’autonomie, comme capacité globale, apparaît sous la forme d’un souci face à de multiples incapacités que l’on peut confondre, elles aussi, simultanément et symétriquement, dans une dépendance globale. Les deux notions apparaissent l’une avec l’autre dans leur généralité en tant qu’elles sont antagonistes, et tandis qu’une valeur supérieure est donnée à l’autonomie.

On trouve de multiples occurrences de ce phénomène dans la définition des taux du guide barème d’évaluation des déficiences et des incapacités des personnes handicapées. En matière de handicap lié à des troubles viscéraux, l’autonomie apparaît comme critère pour les taux supérieurs à 50 %. On considère que pour les taux entre 50 % et 79 %, l’autonomie est conservée pour les actes de la vie quotidienne tandis que, au-delà de 79 %, il y a entrave majeure à la vie quotidienne de la personne avec une atteinte à l’autonomie individuelle.

Ainsi, l’autonomie comme critère apparaît avec les handicaps importants et majeurs et non pas légers, tout en étant un repère immédiat et permanent lorsqu’il s’agit d’évaluer l’état des vieillards.

3. De là le troisième point, indiqué par le point de bascule qu’est l’autonomie au quotidien, dont la possession ou l’absence fait passer d’une catégorie de handicap à l’autre (50-79 %, plus de 79 %). Quelles que soient les nomenclatures considérées, handicapés adultes, enfants handicapés ou vieillards, nos critères pour juger des atteintes de l’autonomie suivent toujours le même ordre [5]. Ils sont d’abord sociaux, puis quotidiens, et enfin vitaux, par une dégradation continue où ces trois aspects de l’autonomie forment autant de seuils.

Par exemple, pour délimiter les handicaps les plus atténués, dont les taux sont fixés entre 0 % et 50 %, on considère le maintien de la vie sociale, scolaire, professionnelle, ordinaire, avant que ne soit touchée l’autonomie individuelle au quotidien qui correspond aux taux de 80 % ou plus, tandis que le taux de 100 % est réservé au coma, où les personnes sont jugées incapables de faire quoi que ce soit pour se maintenir en vie. Ce type de scansion concerne aussi les handicaps physiques ou mentaux, où la même logique est suivie. Au sujet des déficiences intellectuelles, les critères de jugement sont les suivants, suivant une échelle de gravité croissante : difficultés de déplacements locaux, à faire ses courses, à faire la cuisine, à s’habiller, à faire sa toilette. La hiérarchisation des critères va bien du social (déplacement hors de chez soi) au vital (assurer son hygiène) en passant par les actes où social et vital se mêlent à un niveau de plus en plus quotidien (courses et capacité à s’habiller).

D’une façon plus schématique, mais aussi beaucoup plus essentielle, on peut dire que la perte d’autonomie correspond à nos yeux, systématiquement, à une réduction de nos rapports possibles à l’espace et au temps, réduction qui va jusqu’à limiter nos actes possibles à l’action sur notre propre corps, nous empêchant d’accéder à l’environnement, ce qui met notre vie en danger à brève échéance. C’est là la véritable raison du taux de 100 %, quelque peu intrigant, donné aux comateux. Ils ne sont plus que capables de vivre. Ce n’est certes pas une incapacité totale, mais une capacité ; celle-ci s’exerce cependant sans que les comateux puissent encore agir sur quoi que ce soit, y compris sur leur propre corps. Et c’est de la même façon que la gravité des handicaps psychiques est définie par cette réduction des rapports possibles à l’espace et au temps. On juge les personnes de plus en plus handicapées psychiquement suivant qu’elles ne manifestent pas, dans l’ordre : d’intérêt pour l’environnement, de curiosité, de perception du danger, de perception du temps en général, de l’espace en général, et enfin de conscience de soi, terme où la capacité à se maintenir en vie est réduite à l’automatisme des processus vitaux.

4. On peut alors souligner une quatrième caractéristique de nos usages des notions d’autonomie et de dépendance, qui indique que l’on aurait tort d’y voir une abstraction oublieuse de la réalité de l’existence humaine – oublieuse de ce que cette existence implique de conditions et de rapports constants avec d’autres que nous qui nous permettent de vivre, et pas seulement de force personnelle.

Nous définissons en effet précisément dans nos nomenclatures médico-légales la perte d’autonomie comme perte des rapports possibles d’abord aux autres en société, puis au temps et à l’espace au risque de sa vie. C’est dire que la dépendance, qui réduit petit à petit le périmètre spatio-temporel des actions possibles des personnes, appelle comme réponse non un retour ou la promotion d’une autonomie solitaire, mais au contraire un rétablissement des rapports d’interdépendance par l’intermédiaire de secours. La dépendance appelle l’aide, c’est-à-dire l’interdépendance. La personne dépendante n’est ainsi jamais seule et l’on peut affirmer, sans paradoxe, que l’on est toujours dépendant à plusieurs, et que la dépendance est toujours commune. Elle produit une suite de liens qui nous sont devenus familiers sous une multitude de formes, étudiés par exemple dans les  travaux sur la valorisation des métiers du soin via le care, ou sur la nécessité d’aider les aidants.

Les demandes d’aide à l’éducation spéciale illustrent très clairement ce point, dans la façon dont nous codons ces demandes dans nos nomenclatures médico-légales. Les aides sont accordées aux parents en fonction du temps supplémentaire que leur demande un enfant handicapé par rapport à un enfant normal ou dit tel. Et ce temps est jugé par des critères symétriques à ceux par lesquels nous évaluons les handicaps, et dans un ordre similaire qui va toujours graduellement du social au vital, suivant que le temps supplémentaire à accorder à l’enfant handicapé ne laisse pas de temps pour le travail, implique la nécessité d’une surveillance, la nécessité d’un temps de soin, la nécessité d’une surveillance permanente alors, juge-t-on utile de préciser, qu’un enfant handicapé ne dort pas autant qu’un nourrisson.

Ainsi, quelle que soit leur sécheresse apparente, nos nomenclatures n’impliquent pas que la dépendance doive être pensée et combattue à partir des seuls individus considérés comme dépendants et qu’il faudrait rendre à nouveau individuellement autonomes. La dépendance n’apparaît que sur fond de la modification des interdépendances ; il n’y a jamais de dépendance individuelle, il n’y a que des interdépendances collectives.

5. Suivant cette perspective, on ne peut qu’être frappé, cinquièmement, par le mélange de systématicité et de pragmatisme, par l'empirisme qui traverse nos grilles d’évaluation de l’autonomie et de la dépendance. Si abstraction il y a, elle ne tient pas à la rigidité des modèles et des repères.

Un seul exemple de cette souplesse peut suffire. Dans le guide barème d’évaluation des handicaps, les catégories canoniques qui définissent ceux-ci – le triptyque pathologie, incapacité, handicap qui correspond aux strates anatomophysiologiques, fonctionnelles et sociales constituantes des invalidités – n’est utilisé que pour les handicaps physiques. Pour les autres types de handicaps, tout est immédiatement mêlé. Il est en effet délicat, pour ne pas dire impossible, de séparer cliniquement dans les handicaps mentaux ou psychiques l’individu de ses relations, les fonctions et leurs conditions, les pensées individuelles et le monde, comme on le fait avec les handicaps physiques où le corps offre un repère simple, au moins en apparence, pour effectuer ces distinctions.

D’autres critères sont certes constants, comme la différenciation des adultes et des enfants. Mais cela va nous amener au sixième et dernier point à relever dans ces classifications, et à cibler enfin, plus particulièrement, les nomenclatures appliquées aux vieillards dits dépendants.

6. Au sujet de ces distinctions d’âge, on peut passer rapidement sur la différence entre adultes et enfants, qui concerne les handicaps. Les enfants sont par définition dépendants, et sortent de l’enfance en parcourant en sens inverse le chemin qui va du social au vital par lequel nous définissons la dépendance. Au départ totalement dépendants (0-18 mois), on juge qu’ils conquièrent ensuite les premières autonomies individuelles (18 mois-3 ans), puis une autonomie sociale (7-12 ans), par laquelle leur autonomie devient personnelle, c’est-à-dire achevée. La différence entre les enfants considérés comme handicapés et ceux considérés comme normaux se fait alors par le temps éducatif supplémentaire que certains enfants requièrent, conformément à la logique repérée au point 3.

Qu’en est-il des vieillards ? On peut relever principalement deux choses, à partir de la grille AGGIR.

D’abord, les critères d’évaluation de la dépendance qu’on leur applique sont ceux par lesquels on évalue la déficience mentale et psychique soit, dans un ordre de gravité croissante : les mouvements à l’extérieur et locaux (transferts), l’alimentation, l’habillage, la toilette, la perception de l’espace et du temps, la cohérence mentale. Ces catégories empruntent aux cas de handicap les plus graves, en particulier à ceux des enfants, sans considérer à aucun moment les incapacités les plus légères.

En d’autres termes, la dépendance des vieillards est conçue comme un handicap grave, vital, où les activités sociales et relationnelles sont implicitement perdues. La convergence de la nomenclature AGGIR avec une autre grille d’évaluation des actions à mener en EPHAD, dénommée PATHOS, est sur ce point remarquable [6]. Cette seconde grille ne concerne que les pathologies médicales, corporelles des personnes âgées, réduites à cette dimension non sans paradoxe puisque les EPHAD ne sont officiellement pas des établissements à fonction médicale.

Cette médicalisation individualisante des vieillards se retrouve en un autre endroit de la grille AGGIR. Deux séries de critères sont en effet distinguées pour déterminer leur dépendance, d’une part les critères dits « discriminants », corporels et mentaux, d’autre part, les critères dits « illustratifs », qui sont par ordre d’importance : la gestion du budget, la cuisine, le ménage, l’usage des transports, les achats, les loisirs.

La place des loisirs, relégués à la dernière place, est emblématique des différences que nous faisons entre les cas de dépendance, et tout particulièrement de notre point de vue sur les vieillards. Le jeu est en effet un critère prioritaire pour déterminer la gravité des handicaps intellectuels, il vient avant l’évaluation des capacités d’apprentissage pour les handicaps psychiques à tout âge, alors que la capacité à avoir des loisirs ne semble guère compter pour les vieillards.

Que peut-on généraliser et formaliser à partir de tout cela ?

II. Perspectives générales sur nos conceptions de l’autonomie et la dépendance à partir du cas des vieillards

D’abord, bien loin d’être rigides et abstraits, nos usages des notions de dépendance et d’autonomie semblent souples et même naturels. Il y a en effet une évidence naturaliste dans notre recours aux repères que sont le temps, l’espace, le corps, la vie et l’interdépendance, tout comme il y a une adaptation réaliste à la variété des cas suivant les pathologies et les âges.

Ce réalisme et ce naturalisme sont suspendus à des représentations collectives qu’on serait tenté de dire de « bon sens », du moins en première approche. Les enfants deviennent autonomes par l’âge et par l’éducation, et les adultes cessent de l’être par la vieillesse. De même, c’est la quotidienneté qui définit le noyau de l’autonomie et de la dépendance, et au travers de la quotidienneté, la vie.

Mais derrière le bon sens se trouve un problème complexe, qui n’est, sur ces bases, sans doute pas celui que l’on attend en matière d’autonomie. D’une part, cette notion est souvent, si ce n’est toujours, critiquée pour son oubli de l’interdépendance. L’examen de nos grilles médico-légales montre que nous y réfléchissons, en réalité, à cause de cela : l’autonomie nous sert de repère pour élaborer nos interventions face à la dépendance, c’est-à-dire l’interdépendance. D’autre part, les difficultés que nous cherchons à résoudre à partir de là ne concernent pas la liberté, mais la vie : c’est la vie et la sécurité vitale qui donne son horizon à notre souci de l’autonomie. De là, enfin, la critique ne doit pas tant porter sur l’abstraction de l’autonomie, mais plutôt sur les implicites sociopolitiques qui sous-tendent le pragmatisme de nos grilles et de nos évaluations. Pourquoi effaçons-nous le social dans le cas des vieillards ? Pourquoi accédons-nous spécifiquement à la dépendance des vieillards au travers de valeurs vitales, médicales et sanitaires, bien que l’essentiel des établissements qui leur sont destinés n’ait officiellement pas ce type de vocation ?

Ce dernier problème et ses jalons peuvent aisément, sans doute, s’expliquer par les cadres et les valeurs sociopolitiques qui sont les nôtres. Nous plaçons très haut la valeur de la vie humaine et sa préservation ainsi que la liberté individuelle, d’où le privilège accordé à la capacité à vivre seul dont l’idée d’autonomie est devenue l’expression canonique.

Comment toutefois, à partir de là, retrouver la fécondité de la notion d’autonomie pour penser l’interdépendance ? Les usages de cette idée dans des cadres médico-légaux ou médico-sociaux révèlent que le souci que nous avons de l’autonomie correspond aussi à une problématisation spécifique de l’interdépendance, de ses conditions (suivant les types de handicaps et les âges), de ses effets (extension et entrelacement des dépendances entre soignants et soignés) et de ses formes (sociales, quotidiennes ou vitales).

Considérer l’autonomie empêche ainsi de concevoir l’idée d’interdépendance comme de quelque chose d’évident, de simple ou de constant. L’autonomie ne doit pas être caricaturée comme un individualisme des capacités vitales, ce pourquoi l’interdépendance ne doit pas être tenue pour une solution aux difficultés posées par les handicaps et par le vieillissement.

Le « nomos » que l’on a dans l’autonomie, ce n’est pas seulement la capacité pure à se donner sa propre loi idée que l’autonomie kantienne a imposée. Le « nomos », la loi en grec, c’est aussi la coutume, et ce qui lie. En ce sens, si la dépendance révèle la nécessité des liens et d’autrui, il est faux de croire que la visée de l’autonomie serait une négation abstraite de cette nécessité des liens, nécessité que la dépendance fait pourtant percevoir et comprendre. La notion d’autonomie permet tout au contraire de souligner deux choses. D’abord, que l’existence des personnes correspond à un ensemble d’habitudes concrètes, sédimentées et particulières avec lesquelles les personnes se confondent. Puis que l’autonomie fait contrepoint à la dépendance non parce qu’elle nie l’interdépendance, mais parce qu’elle indique que les personnes peuvent être, au moins en partie, les points de départ des liens qu’elles entretiennent, qu’elles choisissent et qu’elles peuvent donc rompre.

Être autonome, ce n’est donc pas pouvoir être sans lien, absolument seul ou autosuffisant ; ce n’est pas non plus être porteur d’une singularité ou d’une puissance subjective purement arbitraire. C’est pouvoir, à partir du déroulement de sa biographie et de ses histoires propres, essayer, abandonner, réagencer les rapports que nous entretenons avec les autres et avec le monde, dans la mesure où ces rapports sont multiples, de telle sorte qu’aucune de nos relations particulières ne nous soit indispensable. De la même façon que les rapports de l’autonomie au temps et à l’espace dans nos classifications médico-légales indiquent que celle-ci ne devrait pas être uniquement conçue en termes de fonctions et de performance, mais aussi à partir des durées, des efforts, de la fatigue, des surprises et des risques qui caractérisent les possibilités de vivre des personnes, l’autonomie comme capacité à agir sur les liens appelle à faire attention à la pluralité de ces liens et au maintien de cette pluralité. 

Au-delà de la valeur du maintien de la vie à tout prix et de l’idée que la liberté doit être conçue en dehors de toute dépendance, nos usages précis et pragmatiques de la notion d’autonomie indiquent que celle-ci pourrait nous permettre de mieux concevoir la liberté des vieillards : par les liens de cette liberté, de ses temporalités et de ses espaces propres avec la multiplicité de celles et ceux qui ne sont pas, pas encore, ou pas tout à fait vieux.

 

[1] On utilisera ce terme et non pas celui de personnes âgées en tant que la vieillesse est un âge particulier de la vie auquel aucune valeur péjorative ou méliorative ne doit être accordée a priori, alors que tout un chacun peut être qualifié de personne âgée.

[2] Définie cf. annexes 1-1 à 4-10 du Code de l'action sociale et des familles, suivant l'article 5 du décret n° 2017-882, du 9 mai 2017, portant diverses mesures relatives aux aides et concours financiers versés par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, au financement et aux procédures d'autorisation des services d'aide et d'accompagnement à domicile et au conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie (N° Lexbase : L2625LEX).

[3] Décret n° 2008-110, du 6 février 2008, relatif au guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées et modifiant l’article R. 146-28 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L7995H3I), art. 1.

[4] Décret n° 2007-1574, du 6 novembre 2007, modifiant l'annexe 2-4 du Code de l'action sociale et des familles établissant le guide-barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées (N° Lexbase : L2204H3Z), annexes 1 et 2.

[5] Sauf indication contraire, les analyses qui suivent sont basées sur Le guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées précité.

[6] Ce guide publié par la CNSA est disponible [en ligne].

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