La lettre juridique n°954 du 20 juillet 2023

La lettre juridique - Édition n°954

Bancaire

[Jurisprudence] Prêts en devise : règles applicables aux procédures de restitution

Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2023, n° 22-17.030, FS-D N° Lexbase : A54021AC

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N6345BZZ

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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR à l'Université de Strasbourg

Le 19 Juillet 2023

Mots-clés : prêts en devise • action en restitution des sommes versées • point de départ du délai de prescription • clauses abusives • montant des sommes à restituer à l’emprunteur 

Le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution des sommes versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
Par ailleurs, la banque doit restituer à l’emprunteur la contrevaleur en euros de chacune des sommes perçues selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.


 

Il est bien connu, aujourd’hui, que le droit applicable aux prêts en devise a connu une évolution considérable suite à deux décisions remarquées de la CJUE du 10 juin 2021 [1]. En effet, depuis lors, une multitude de décisions se sont montrées plus favorables aux emprunteurs, tant sur le fondement du droit des clauses abusives que sur celui de l’obligation d’information du banquier prêteur [2].

Cependant, de nouvelles incertitudes sont apparues concernant les règles à appliquer aux procédures de restitution suivant le prononcé de la nullité des prêts en devise. L’arrêt étudié vient néanmoins clarifier l’état du droit applicable.

Les faits étaient les suivants. Par acte notarié du 30 septembre 1999, la banque X. avait consenti à M. N. un prêt immobilier in fine souscrit en francs suisses, à taux variable et indexé sur le LIBOR francs suisses 3 mois. Faute de paiement de l’intégralité du capital emprunté à l’échéance, la banque a mis en œuvre des mesures d’exécution, levées à la suite du règlement du solde du prêt au moyen d’un nouvel emprunt souscrit auprès d’une autre banque.

Le 6 novembre 2014, l’emprunteur avait assigné la banque en constatation du caractère abusif de clauses de remboursement et de change, ainsi qu’en restitution. La cour d’appel de Paris [3] avait cependant, par un arrêt 30 mars 2022, rejeté les demandes de la banque. Cette dernière avait alors formé un pourvoi en cassation par l’intermédiaire duquel elle invoquait cinq moyens.

La décision de la Cour de cassation, en date du 12 juillet 2023, se veut alors riche en enseignements, même si elle rejette le pourvoi en question.

  • Sur la prescription de l’action en restitution

En premier lieu, le débat portait sur la prescription de l’action en restitution. La banque commençait par déclarer que l’action tendant à la restitution de sommes versées sur le fondement de clauses prétendument abusives relatives au remboursement d’un prêt en devise et au risque de change supporté par l’emprunteur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le consommateur a été en mesure de constater une importante dépréciation de l'euro par rapport à la devise empruntée. Or, pour dire non-prescrite l’action en restitution fondée sur le caractère prétendument abusif des clauses 5.3 et 10.5 relatives au remboursement du prêt en devises et au risque de change, la cour d'appel avait retenu que les effets du changement de parité entre le franc suisse et l’euro s’étaient manifestés à la date de l'échéance du remboursement du capital du prêt in fine, soit le 31 août 2014, de sorte que l'action introduite le 6 novembre 2014 n'était pas prescrite. Dès lors, pour l’établissement prêteur, en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’appréciation significative du franc suisse par rapport à l'euro ne s'était pas fait ressentir sur le marché des changes dès janvier 2009, mettant ainsi l'emprunteur en mesure de prendre conscience du risque de change encouru, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.

La Haute juridiction, pour sa part, commence par rappeler que par un arrêt du 10 juin 2021 [4], la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 6, § 1, et l’article 7, § 1, de la Directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette Directive.

La CJUE a également précisé, par la même décision, que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale, que, cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) [5].

En outre, par un autre arrêt en date du 9 juillet 2020 [6], la CJUE a dit pour droit que l'article 2, sous b), l’article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la Directive n° 93/13 ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l’action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l’exécution intégrale de ce contrat, lorsqu’il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu’à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.

La Cour de cassation déduit alors de cette jurisprudence européenne que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du Code civil et à l’article L. 110-4 du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.

Or, la cour d’appel avait jugé abusives les clauses 5.3 et 10.5 du contrat.

Il en résulte alors, pour la Haute juridiction, que l’action en restitution fondée sur le caractère abusif de ces clauses était recevable.

  • Sur le caractère abusif des clauses

En deuxième lieu, la banque X. faisait aussi grief aux juges du fond d’avoir jugé abusives les clauses 5.3 et 10.5 du contrat. Plusieurs arguments étaient alors mis en avant par l’établissement. Ceux-ci ne parviennent cependant pas à convaincre la Haute juridiction.

Aux termes de cette dernière, la cour d'appel avait constaté que le contrat de prêt comportait une clause 5.3 « remboursement du crédit » qui disposait : « Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée. Les échéances seront débitées sur tout compte en devise ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. La monnaie de paiement est le franc français ou l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en francs français ou en euros les échéances au moment de leur prélèvement. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en francs français ou en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du prêteur. Les frais des garanties seront payables en francs ou en euros. Si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en francs français ou en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en francs français ou en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du coemprunteur. Le cours du change appliqué sera le cours du change tiré », ainsi qu'une clause 10.5 stipulant : « Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».

Or, après avoir énoncé que l’exigence de clarté et d’intelligibilité d’une clause ne se réduisait pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical et que le contrat devait exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référait la clause afin que le consommateur soit en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour lui, la cour d’appel avait retenu que la première stipulation comportait des informations contradictoires sur la devise de remboursement du prêt, que le contrat ne comportait aucune information sur la manière selon laquelle elle était mise en œuvre et sur les modalités de remboursements en francs suisses, alors que l’emprunteur percevait ses revenus en francs français puis en euros, que les autres clauses du contrat ne permettaient pas de déterminer le taux de change applicable pour le paiement des intérêts et le remboursement du capital payable in fine, qu’il n’était justifié d’aucune information délivrée à l’emprunteur sur les éléments fondamentaux tenant au risque de change susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement et que celui-ci n’avait pas pu évaluer les conséquences économiques de la clause sur ses obligations financières et prendre conscience des difficultés auxquelles il serait confronté en cas de dévaluation de la monnaie dans laquelle il percevait ses revenus.

Dès lors, en faisant ainsi ressortir, d’une part, que la banque n’avait pas fourni à l’emprunteur, en sa qualité de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, des clauses litigieuses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, d’autre part, que la banque ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard de l'emprunteur, à ce que celui-ci acceptât, à la suite d'une négociation individuelle, les risques disproportionnés susceptibles de résulter de telles clauses, la cour d'appel, qui avait procédé aux recherches prétendument omises, en avait exactement déduit que la clause de remboursement, qui portait sur l’objet du contrat, n’était ni claire ni compréhensible et qu’elle créait un déséquilibre significatif entre la banque et les emprunteurs, de sorte qu’elle devait, avec la clause de change en lien avec elle, être réputée non écrite.

  • Sur le montant des sommes à restituer à l’emprunteur

En dernier lieu, la banque faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Paris de l’avoir condamnée à restituer les sommes perçues en exécution du contrat de prêt, soit la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements, et condamné l'emprunteur à lui payer la contrevaleur en euros de la somme prêtée selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds et d’avoir dit que la somme due après compensation porterait intérêt au taux légal à compter de la signification de l'arrêt avec capitalisation. Or, pour l’établissement, l’accipiens tenu de restituer la contrevaleur en euros d'une somme d'argent perçue en devise doit opérer la restitution en appliquant le taux de change en vigueur au jour où il restitue. Dès lors, en l’occurrence, en prenant en considération la contrevaleur en euros de la somme prêtée selon le taux de change en vigueur à la date de la mise à disposition des fonds, la cour d’appel aurait violé l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L6710IMH.

La Cour de cassation ne partage cependant pas cette affirmation, et considère le moyen non fondé.

Elle rappelle à cette occasion que, par un arrêt du 21 décembre 2016 [7], la CJUE a jugé que l’article 6, § 1, de la Directive n° 93/13 doit être interprété en ce sens qu'une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l'égard du consommateur et que, partant, la constatation judiciaire du caractère abusif d’une telle clause doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause et emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes.

Or, ayant relevé que les clauses réputées non écrites constituaient l’objet principal du contrat et que celui-ci n’avait pu subsister sans elles, la cour d'appel a exactement retenu que l’emprunteur devait restituer à la banque la contrevaleur en euros, selon le taux de change à la date de mise à disposition des fonds, de la somme prêtée et que celle-ci devait lui restituer toutes les sommes perçues en exécution du prêt, soit la contrevaleur en euros de chacune des sommes selon le taux de change applicable au moment de chacun des paiements.

Nous voici, pour conclure, en présence d’une importante décision puisque, comme l’indique le communiqué de la Cour de cassation l’accompagnant, elle « permet de répondre aux interrogations soulevées dans de nombreux dossiers en cours devant les juridictions ».

 

[1] CJUE, 10 juin 2021, deux arrêts, aff. C-609/19 N° Lexbase : A00894W9 et aff. C-776/19 à C-782/19 N° Lexbase : A00904WA, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2021, n° 680 N° Lexbase : N7922BY3).

[2] V. par ex., Cass. civ., 1, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B N° Lexbase : A64737R8, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2022, n° 712 N° Lexbase : N1010BZG –  Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 19-11.599, FS-B N° Lexbase : A08927UL, J. Lasserre Capdeville,Lexbase Affaires, 12 mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1425BZS – Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 20-16.316, FS-B N° Lexbase : A08787U3, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1304BZC – Plus récemment encore, Cass. civ. 1, 28 juin 2023, n° 21-24.720, F-B N° Lexbase : A2675979, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, juillet 2023, n° 763 N° Lexbase : N6176BZR.

[3] CA Paris, 5-6, 30 mars 2022, n° 20/02033 N° Lexbase : A04197SC.

[4] CJUE, 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, préc.

[5] Point 27.

[6] CJUE, 9 juillet 2020, aff. C-698/18 et C-699/18 N° Lexbase : A80993QZ.

[7] CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-154/15 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 36700738, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CJUE, 21-12-2016, aff. C-154/15, Francisco Guti\u00e9rrez Naranjo c/ Cajasur Banco SAU", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A7086SXQ"}}.

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Commercial

[Brèves] Publication du Code de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce

Réf. : Décret n° 2023-609, du 13 juillet 2023, relatif au code de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce N° Lexbase : L1839MIX

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N6359BZK

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par Vincent Téchené

Le 19 Juillet 2023

► Un décret, publié au Journal officiel du 18 juillet 2023, crée un Code de déontologie des greffiers de tribunaux de commerce.

Une réforme de la déontologie et de la discipline est entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2022. En effet, l'article de l’ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels N° Lexbase : L3778MCW prévoit, notamment, la mise en place d'un collège de déontologie et l'élaboration d'un Code de déontologie édicté par décret en Conseil d'État.

Le décret du 13 juillet met donc en œuvre cet article 2 pour la profession de greffiers des tribunaux de commerce. Il énonce à cette fin les grands principes applicables aux greffiers des tribunaux de commerce dans leurs relations avec les justiciables, les magistrats, leurs confrères et l’ensemble de leurs interlocuteurs.

Un article liminaire précise que le greffier de tribunal de commerce, officier public et ministériel, est, comme il est dit à l’article L. 721-1 du Code de commerce N° Lexbase : L7622HNM, une composante de la juridiction consulaire, placé sous la surveillance du ministère public et est soumis à des inspections sous l’autorité du Garde des sceaux, ministre de la Justice. En sa qualité d’officier ministériel, le greffier prête son ministère au président de la juridiction, aux juges, au ministère public, aux administrations, aux personnes physiques et aux personnes morales. En sa qualité d’officier public, délégataire de la puissance publique, il confère l’authenticité aux actes relevant de sa compétence. Professionnel libéral, délégataire d’une mission de service public, il exerce son activité à titre individuel, en société ou en qualité de greffier salarié, dans le respect des obligations juridiques, fiscales et sociales propres à chaque mode d’exercice.

Les articles 1er à 8 énonce et définit les principes et devoirs essentiels de la profession, à savoir :

  • la probité à l’égard des personnes avec lesquelles il collabore dans l’accomplissement de ses missions ;
  • la dignité ;
  • l’indépendance ;
  • le respect du secret professionnel par lui-même et ses collaborateurs ;
  • un devoir général de réserve et de discrétion ;
  • un devoir de mise à disposition ses compétences, d’exactitude, de diligence et de prudence ;
  • l’interdiction exercer une activité de nature à porter atteinte à son indépendance, à sa dignité et au caractère libéral de son exercice professionnel ;
  • le respect des dispositions tarifaires en vigueur. Il est en outre prévu que le greffier peut percevoir des honoraires au titre de prestations non rémunérées par un émolument. Ces honoraires sont alors fixés dans le respect des dispositions du Code de commerce en vigueur lors de la délivrance desdites prestations.

Les articles 9 et 10 du décret définissent les missions du greffier du tribunal de commerce. Ainsi il est précisé que les missions du service public de la justice commerciale comprennent tant les missions judiciaires que celles relatives à la sécurisation de la vie économique par la tenue de registres légaux, en ce compris le contrôle et la diffusion des informations qui y sont portées. En outre sont rappelées ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Sont ensuite définies les obligations des greffiers en ce qui concerne leurs relations :

  • au sein de la juridiction et ses liens avec le ministère public (art. 11 et 12) ;
  • avec les tiers (art. 13, 14 et 15) ;
  • entre greffiers (art. 16 et 17) ;
  • avec le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (art. 19, 20, 21 et 22).

Le Code de déontologie entrera en vigueur le 1er octobre 2023. D'ici l'entrée en vigueur du code de déontologie, ce sont les actuelles règles professionnelles établies le 13 mai 2019 par le Conseil national et formellement validées par un arrêté du Garde des Sceaux en date du 11 juin 2019 qui s'appliquent. Ces règles professionnelles sont consultables, sur le site du CNGTC [en ligne].

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Comité social et économique

[Brèves] Commission santé, sécurité et conditions de travail : précisions utiles sur sa composition

Réf. : CA Aix-en-Provence, 4 juillet 2023, n° 22/10423 N° Lexbase : A167699X

Lecture: 2 min

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par Lisa Poinsot

Le 20 Juillet 2023

La commission santé, sécurité et conditions de travail, instaurée au sein du comité social et économique des entreprises d’au moins cinquante salariés, comprend au minimum trois membres représentants du personnel, dont au moins un représentant du second collège, ou le cas échéant du troisième collège ;

Les membres de la commission sont désignés par le comité social et économique parmi ses membres pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité.

Faits et procédure. Dans un des neuf établissements regroupés dans une unité économique et sociale est institué un CSE.

Les treize élus membres titulaires de ce CSE ont désigné sept membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).

Le tribunal judiciaire est saisi de demandes d’annulation de la délibération du CSE désignant les membres de la CSSCT et de l’enjoindre de procéder à une nouvelle désignation des membres de la CSSCT en réservant un siège au troisième collège.

Le tribunal a rejeté ces demandes. Un appel a été interjeté.

La cour d’appel interprète les dispositions de l’article L. 2315-39 du Code du travail N° Lexbase : L8350LGD.

Selon elle, en cas de constitution du troisième collège, le texte impose seulement la désignation d’un membre soit du second collège, soit d’un membre du troisième collège, sans rendre obligatoire la présence d’un cadre.

Cette disposition vise à privilégier, dans la composition de la CSSCT des salariés qui sont les plus exposés aux risques chimiques et biologiques, dans la mesure où les ingénieurs, chefs de service et les cadres moins exposés relèvent pour leur part, sauf exception, du même collège (le second).

La cour d’appel considère que cette lecture de l’article L. 2315-39 du Code du travail respecte la logique relative à la désignation du représentant non issu du collège des ouvriers et employés prévue à l’alinéa 2 de cet article.

De manière identique, que soient constitués deux ou trois collèges, la CSSCT doit comprendre au moins trois membres représentants du personnel, dont au moins un représentant non ouvrier ou employé.

La solution. Énonçant les solutions susvisées, la cour d’appel considère que la CSSCT présente une composition conforme aux dispositions d’ordre public de l’article L. 2315-39 du Code du travail, de sorte que le jugement de première instance est approuvé entièrement.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La composition du comité social et économique dans les entreprises d’au moins 50 salariés, Les dispositions d’ordre public encadrant la mise en place de commissions, santé, sécurité et conditions de travail, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2007GAL.

newsid:486365

Droit des biens

[Brèves] Le partage a un effet déclaratif et non constitutif…

Réf. : Cass. civ. 3, 13 juillet 2023, n° 22-17.146, FS-B N° Lexbase : A80051AQ

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N6402BZ7

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 24 Juillet 2023

► L'effet déclaratif du partage ne s'appliquant qu'aux actes ou droits existants et valablement constitués, il ne permet pas de faire revivre l'acceptation d'une proposition d'achat donnée sous condition et devenue caduque à l'issue du délai fixé pour la signature de la promesse de vente.

Faits et procédure. En l’espèce, deux sociétés, propriétaires indivis d'un immeuble, avaient donné mandat à une agence de le vendre.

Le 15 décembre 2015, une société avait fait une offre d'achat que l’un des indivisaires avait acceptée le 22 décembre 2016, sous réserve de l'accord de son coïndivisaire.

L'acceptation avait été réitérée avec la même réserve le 2 février 2017, la signature de la promesse de vente étant fixée au 15 mars 2017.

À la suite du refus, par le coïndivisaire, de vendre le bien, celui-ci avait été remis en vente et la société avait fait une nouvelle offre d'achat le 8 mars 2017.

Le 28 mars 2017, la société indivisaire qui avait initialement accepté l’offre, avait informé la société ayant fait l’offre de l'absence d'acceptation ferme de cette offre faute d'accord de la société coïndivisaire, et s'était prévalue de la caducité, au 15 mars 2017, des accords donnés à la suite de l'offre d'achat initiale du 15 décembre 2015.

Le 13 novembre 2017, la société avait acquis les parts indivises de la société coïdivisaire qui avait opposé son refus.

La société offrante avait assigné les sociétés indivisaires ainsi que l’agence afin qu'il soit jugé qu'à la suite de l'acceptation de l'offre initiale par la société indivisaire et à l'acquisition, par elle, de la totalité des parts indivises du bien, la vente était parfaite au prix de la première offre et que, le jugement valant acte de vente, elle soit condamnée à régulariser cette dernière et à lui payer des dommages et intérêts.

La cour d’appel de Paris avait rejeté sa demande tendant à voir dire parfaite la vente acceptée (CA Paris, 4, 1, 18 mars 2022, n° 20/09224 N° Lexbase : A97567QE). Elle avait alors formé un pourvoi faisant valoir que la vente est parfaite entre les parties dès qu'elles sont convenues de la chose et du prix ; et que tout acte mettant fin à une indivision est un partage et que par l'effet déclaratif du partage, celui qui reçoit le bien est censé en avoir été propriétaire depuis le jour de son entrée dans l'indivision.

Solution. L’argument semblait convaincant, mais il manquait un élément dans le raisonnement : l'acceptation donnée sous condition était devenue caduque à l'issue du délai fixé pour la signature de la promesse de vente ; or l'effet déclaratif du partage ne s'applique qu'aux actes ou droits existants et valablement constitués.

La Haute juridiction relève, en effet qu’il résulte de l'article 883 du Code civil N° Lexbase : L0023HPK que le partage a un effet déclaratif et non constitutif, qui confère au titulaire du lot dont le bien fait partie l'ensemble des actes valablement accomplis sur ce bien depuis son entrée dans l'indivision.

Elle approuve ainsi le raisonnement des conseillers parisiens qui avait relevé qu'après l'offre d'achat de l'intégralité du bien immobilier pour 18 millions d'euros, il n'y avait pas eu d'acceptation ferme et définitive de vente de la part de la société indivisaire, celle-ci n'ayant jamais manifesté son intention de ne vendre que ses droits indivis et ayant subordonné son consentement à celui de son coïndivisaire.

La cour d'appel avait ainsi retenu à juste titre qu'à la suite du refus par la société coïndivisaire de vendre, l'acceptation donnée sous condition par l’indivisaire était devenue caduque à l'issue du délai fixé pour la signature de la promesse de vente.

Elle en avait exactement déduit que si, du fait du rachat des parts de son coïndivisaire, la société était devenue seule propriétaire de l'immeuble, l'effet déclaratif du partage ne permettait pas de faire revivre l'acceptation qu'elle avait donnée à la proposition d'achat, atteinte de caducité depuis le 15 mai 2017, l'effet déclaratif du partage ne s'appliquant qu'aux actes ou droits existants et valablement constitués.

newsid:486402

Droit des étrangers

[Questions à...] Les conséquences de la nature de la mission « consultative »​​​​​ ​​de la CNDA sur la possibilité (ou non) de former un recours contre ses avis - Questions à Delphine Burriez, Maître de conférences, Université Paris 2 - Panthéon Assas

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 1er juin 2023, n° 468549, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A78469XU

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N6322BZ8

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Le 27 Juillet 2023

Mots clés : CNDA • réfugiés • recours contentieux • éloignement • OFPRA

Dans un arrêt rendu le 1er juin 2023, le Conseil d’État a dit pour droit qu’un avis de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) concernant l’annulation d’une mesure d’éloignement d’un « ex-réfugié » ne peut faire l’objet d’un recours contentieux. Une solution logique au vu des conclusions du rapporteur public Philippe Ranquet, dans lesquelles celui-ci indiquait que « la CNDA ne décide pas à la place de l’administration ni du juge de la mesure d’éloignement : l’avis les éclaire mais il leur appartient de déterminer quelles conséquences ils en tirent. On se trouve entièrement (…) dans une mission 'consultative' ». Pour revenir sur cette décision, Lexbase Public a interrogé Delphine Burriez, Maître de conférences, Université Paris 2 - Panthéon Assas*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les compétences générales de la CNDA ?

Delphine Burriez : La Cour nationale du droit d’asile dispose d’attributions contentieuses. Elle statue sur les recours formés contre les décisions de l’OFPRA relatives à l’octroi d’une protection internationale (décision reconnaissant la qualité de refugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, décision mettant fin au statut de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire, décision rejetant une demande de réexamen…). Elle exerce cette compétence en qualité de juge de plein contentieux appréciant la situation du requérant au titre de l’asile au regard des éléments de fait dont elle a connaissance au moment où elle statue, et non en tant que juge de la légalité de la décision prise par l’OFPRA.

Au-delà de cette compétence, dont l’exercice représente l’essentiel de son activité (61 552 recours introduits en 2022), la CNDA « examine » les « requêtes » des réfugiés faisant l’objet de certaines mesures visées par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés N° Lexbase : L6810BHP, et formule des « avis » favorables au maintien ou à l’annulation de ces mesures (CESEDA, art. L. 532-4 N° Lexbase : L3458LZ4). Sont principalement visées les mesures d’éloignement (obligation de quitter le territoire français, expulsion…) qui peuvent être prises à l’encontre d’une personne à qui la qualité de réfugié a été reconnue.

Lexbase : Le Conseil d’État a-t-il déjà eu à se prononcer sur les avis rendus par la CNDA ?

Delphine Burriez : Par le passé, le Conseil d’État s’est prononcé à une seule reprise sur un avis rendu dans le cadre de cette procédure par une décision du 28 juillet 1995 [1]. Il s’agissait, en l’espèce, d’un avis de la Commission des recours des réfugiés qui déclinait sa compétence du fait que le requérant ne bénéficiait pas de la qualité de réfugié. Il a fallu attendre la décision du 1er juin 2023 pour que le Conseil d’État soit à nouveau saisi d’un recours contre un avis rendu par le juge de l’asile. Il faut dire que le nombre d’avis rendus par la Cour sur ce fondement est faible (12 avis rendus en 2022). Il est toutefois en augmentation ces dernières années, ce qui confère à cette saisine une certaine importance. Cette évolution tient en partie à une jurisprudence récente de la CJUE, suivie par le Conseil d’État, qui dissocie qualité et statut de réfugié [2]. Dans ce sens, l’OFPRA peut mettre fin au statut de réfugié (en application de l’article L. 511-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L7583L7Y) sans remettre en cause la qualité de réfugié. Ne bénéficiant plus du statut, l’intéressé est susceptible de faire l’objet de mesures d’éloignement qui entrent dans le champ de cette procédure d’avis assez particulière, réservée aux personnes reconnues comme réfugiés.

Lexbase : En l'occurrence, il dénie à l'avis de la CNDA la nature d'acte juridictionnel. Êtes-vous d'accord avec cette position ?

Delphine Burriez : Alors qu’il n’avait pas expressément tranché la question dans sa décision du 28 juillet 1995, le Conseil d’État rejette la requête au motif que l’avis de la CNDA sur le maintien ou l’annulation de la mesure d’expulsion du réfugié « n’est pas susceptible de recours contentieux ». On comprend en effet, à la lecture de la décision et des conclusions du rapporteur public, que la haute juridiction dénie à cet avis le caractère d’acte juridictionnel. La question méritait d’être posée – on remarque qu’elle a passé le filtre de l’admission du recours devant le Conseil d’État – tant la procédure applicable à la demande d’avis s’apparente à une procédure juridictionnelle. Ainsi, la Cour est saisie d’une « requête » qui suspend l’exécution de la mesure et qui est soumise à des obligations procédurales (délai, obligation de joindre la mesure litigieuse à la requête…). De plus, la demande est soumise à une instruction contradictoire avec communication de la requête au ministère de l’Intérieur et convocation du requérant à une audience (en principe collégiale). Mais malgré l’importance que ces éléments revêtent en termes de garantie procédurale, ils ne sont pas suffisants à qualifier l’avis d’acte juridictionnel.

L’avis rendu par la CNDA est en effet dépourvu de caractère obligatoire. Il ne s’impose ni à l’administration qui a pris la mesure d’éloignement, ni au juge administratif qui a pu être saisi d’un recours contre cette dernière. La pratique offre ainsi des exemples de décisions du juge administratif qui rejette la requête dirigée contre la mesure litigieuse alors que la CNDA avait formulé un avis favorable à son annulation [3]. À défaut de caractère obligatoire, l’avis du juge de l’asile est dépourvu d’autorité de la chose jugée et ne peut revêtir le caractère d’acte juridictionnel. On ne peut donc que souscrire à la solution retenue par le Conseil d’État et on pourrait d’ailleurs questionner l’intérêt d’un tel recours contentieux contre un avis qui ne s’impose ni à l’administration ni au juge administratif. Il aurait toutefois peut-être été utile de préciser le fondement du caractère non contraignant de l’avis rendu par la CNDA. Si la solution semble acquise en pratique, on relèvera que les textes applicables sont silencieux sur ce point.

Lexbase : Au final, la non-admission d'un recours contre un avis de la CNDA fait-elle œuvre ou non de simplification du contentieux du droit des étrangers ?

Delphine Burriez : La procédure d’avis à la CNDA a vocation à intervenir en lien avec un recours dirigé contre les mesures d’éloignement, que ce soit au titre d’une procédure en référé ou d’un recours en légalité. En pratique, la saisine pour avis de la CNDA est généralement effectuée avant la saisine du juge administratif, afin de suspendre l’exécution desdites mesures. Au juge administratif d’apprécier alors les conséquences qu’il entend tirer, pour le contentieux dont il est saisi, de l’avis rendu par la Cour en faveur du maintien ou de l’annulation des mesures d’éloignement. Dans ce contexte, la non-admission d’un recours contre l’avis de la CNDA a pour effet d’éviter la juxtaposition de deux instances, l’une relative aux mesures d’éloignement et l’autre relative à l’avis de la CNDA. Sont ainsi écartées les difficultés d’articulation qui peuvent être source de complexification du contentieux mais aussi d’allongement de la procédure. L’admission d’un tel recours aurait, par ailleurs, soulevé de nombreuses questions relatives aux règles qui lui sont applicables (qualité de partie au recours, effet suspensif du recours…), du fait du silence des textes. Ainsi, la solution retenue par le Conseil d’État, même si elle ne se fonde pas sur ces préoccupations, évite une complexification certainement peu utile du contentieux du droit des étrangers, ou plus précisément du contentieux de l’éloignement du réfugié qui en constitue une composante assez spécifique.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] CE, 28 juillet 1995, n° 149067 N° Lexbase : A5151AN4.

[2] CJUE, 14 mai 2019, aff. C-391/16, C-77/17, C-78/17 N° Lexbase : A1555ZB9 et CE, 19 juin 2020, n° 416032, 416121, 422740, 425231 N° Lexbase : A33503PR.

[3] Voir par exemple, TA Paris, 24 juin 2022, n° 2213568/9.

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Droit pénal de l'environnement

[Questions/Réponses] Écologi(sm)e et politique pénale des autorités judiciaires

Lecture: 7 min

N5835BZ7

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par Emmanuel Ferrand, vice-procureur près le tribunal judiciaire d’Agen, référent environnement

Le 20 Juillet 2023

Mots-clés : contentieux pénal environnemental • droit pénal de l’environnement • justice environnementale • parquet • pratiques judiciaires


 

D’après votre expérience, comment le choix de l’affectation de magistrats en tant que référent environnement ou dans les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement se fait-il? Sur candidature spontanée motivée par un intérêt particulier pour le contentieux pénal environnemental? Pour d’autres raisons, plus pragmatiques (expérience, disponibilité des magistrats, etc.)? Personnellement, qu’est-ce qui vous a conduit à vous consacrer à la délinquance environnementale et à avoir une connaissance pointue de ces dossiers particuliers?

Les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement sont trop récents pour avoir le recul nécessaire et répondre de manière pertinente à votre question. Généralement dans les parquets de taille moyenne, le contentieux de l’environnement est attaché aux contentieux dits complexes tels que les infractions économiques et financières et l’urbanisme notamment.

Me concernant, j’ai découvert le contentieux de l’environnement lors de ma première affectation sur le tribunal judiciaire de Cayenne où le contentieux de l’environnement est particulièrement nourri par l’orpaillage illégal, la pêche illégale, le trafic d’espèces protégées ou encore les coupes illégales de bois. J’ai depuis lors toujours suivi le contentieux de l’environnement.

Quelle place prennent les considérations environnementales dans la détermination de la politique pénale d’un parquet par comparaison avec l’ensemble des autres contentieux? D’une part, que représente le contentieux pénal environnemental, spécialement pour les juridictions agenaises, parmi lesquelles l’un des nouveaux pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement? D’autre part, qu’est-ce qui peut vous conduire à privilégier, compte tenu des moyens et du temps dont vous disposez, à traiter une affaire de délinquance environnementale de préférence à un autre type d’affaire?

Les considérations environnementales sont devenues depuis quelques années un axe important de la politique pénale des parquets, mais, au point de vue quantitatif, cela reste marginal. Le parquet d’Agen n’a pas été saisi à ce jour en tant que pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement.

La question des moyens se joue principalement au niveau des services d’enquêtes. Nous disposons bien évidemment de l’Office français de la biodiversité, la police de l’environnement, dont les moyens sont restreints au regard de leur champ de compétence, mais nous bénéficions de l’aide de plusieurs administrations spécialisées chacune dans un domaine de compétence (Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations, Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt ou encore Direction départementale des territoires) qui nous permet également de saisir plus largement les groupes de contrôle des forces de sécurité intérieure (FSI) grâce à cet appui technique.

Lorsque vous avez à donner une réponse pénale à une infraction environnementale, comment déterminez-vous celle à adopter? Qu’est-ce qui guide votre appréciation de l’opportunité des poursuites?

Les politiques pénales sont établies par département et dépendent donc fortement des territoires. La première raison en est que l’on cherche à éviter de stigmatiser certains secteurs d’activité. La seconde réside tout simplement dans le fait que la délinquance environnementale ne prend pas la même forme dans tous les départements. Deux exemples. Dans le Tarn-et-Garonne et le Lot-et-Garonne, premièrement, la question de l’eau est particulièrement sensible, car elle est source d’agissements infractionnels en lien avec un secteur agricole très organisé et mobilisé. En Guyane, secondement, les problématiques sont différentes : les formes d’atteintes à l’environnement sont plus diverses – il peut s’agir de pêche illégale ou, plus généralement, d’atteinte à la biodiversité, en particulier aux espèces protégées, mais encore d’orpaillage – et les auteurs ont des profils différents, en lien souvent avec l’immigration clandestine et la criminalité organisée.

Lorsque l’on détermine la réponse à apporter à une infraction environnementale, on prend également en compte la sécurité physique des agents qui interviennent pour mener les enquêtes de police administrative et judiciaire. Il ne s’agit pas de les mettre en danger et il convient parfois, tout en rappelant les règles et en restant ferme, de tenter d’apaiser la situation. Par exemple, une tension est née récemment, à la suite d’un contrôle opéré par un agent de l’Office français de la biodiversité, entre cette autorité administrative indépendante et le monde agricole. Dans ce cadre il a été nécessaire d’expliquer la politique pénale qui serait suivie aux différents protagonistes. La solution classique en matière de contentieux de l’environnement a été de rappeler que les personnes qui mettraient fin à l’infraction feraient l’objet d’un classement sans suite. Par contre, les personnes qui refuseraient de régulariser la situation feraient l’objet de poursuites sous la forme d’une ordonnance pénale.

Un autre élément réside dans la prise en compte du profit tiré des faits commis par l’auteur de l’infraction. La délinquance environnementale est avant tout une délinquance lucrative et l’on prend cela en considération lorsque l’on choisit le montant de l’amende. L’amende, dans certains territoires, peut encore être choisie pour pallier l’impossibilité de procéder à des confiscations, faute de structures aptes à gérer les biens saisis. C’est le cas notamment des barges des orpailleurs qui ne peuvent être démantelées faute de structure sur le département de la Guyane. Le paiement de l’amende, notamment dans le cadre de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, est alors exigé comme préalable à la restitution des biens saisis.

Avez-vous eu l’occasion de faire usage des «nouveaux» outils consacrés par les réformes récentes : convention judiciaire d’intérêt public environnementale? Assistants spécialisés? Recours aux officiers judiciaires de l’environnement?

Ces outils sont, en pratique, réservés aux atteintes graves à l’environnement et s’apprécient en fonction de plusieurs critères notamment les antécédents de la personne morale, le caractère spontané de la révélation parmi d’autres critères. À Agen, nous n’en bénéficions pas ou n’y avons pas eu recours pour le moment.

Cela ne nous empêche pas de nouer des relations avec les multiples instances partenaires, qui peuvent nous fournir des informations ou une expertise. Par exemple, un protocole est établi de longue date avec la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Cela est facilité par le partage d’un objectif commun : la remise en état. La politique pénale menée pouvant dépendre de l’implication de tel ou tel membre du ministère public, les relations avec les autorités administratives peuvent parfois varier. Personnellement, mon expérience en matière environnementale me conduit à avoir une attitude proactive qui a pu parfois déconcerter les administrations compétentes. Elles ont néanmoins toujours su répondre à mes attentes.

On parle beaucoup de spécialisation des magistrats et des juridictions de l’ordre judiciaire afin d’améliorer l’effectivité du droit pénal de l’environnement. On constate cependant que le législateur emprunte une autre voie : celle de l’augmentation des prérogatives pénales des agents administratifs spécialisés, spécialement les inspecteurs de l’environnement. Quelle option vous paraît la plus pertinente pour renforcer la protection judiciaire de l’environnement?

Les deux voies doivent être empruntées. Le contentieux de l’environnement est éminemment technique et nécessite une formation à long terme pour l’ensemble des protagonistes de la chaîne pénale. Les choses évoluent en ce sens.

 

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Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Opération d’achat / revente de biens immobiliers : marchands de biens ou exonération de la résidence principale ?

Réf. : CE 9° ch., 14 juin 2023, n° 461960, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A095093L

Lecture: 11 min

N6311BZR

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 19 Juillet 2023

Mots-clés : biens immobiliers • marchands de biens • résidence principale

1.- Le Conseil d’Etat vient de prendre une position intéressante, dans le cadre d’un arrêt inédit au recueil Lebon, au cas d’un couple ayant réalisé plusieurs opérations d’achat/revente de biens immobiliers sur une période de douze ans.

Avant détailler la décision du Conseil d’État (I), nous vous proposons de refaire un point la qualification de marchands de biens (II).


 

I. Le nombre d’opérations et la faible durée de détention des biens sont susceptibles de justifier une qualification en marchand de biens 

2.- L’activité de marchands de biens relève de l’article 35 du Code général des impôts N° Lexbase : L3342LCR. Il s’agit ainsi d’une activité relevant du régime des bénéfices industriels et commerciaux.

L’une des particularités de ce régime est notamment liée à l’imposition des biens immobiliers. En effet, les immeubles construits constituent des stocks de l’entreprise. Dès lors, la cession de ces derniers est imposée dans les conditions de droit commun, sans pouvoir bénéficier du régime des plus-values professionnelles visé à l’article 39 duodecies du Code général des impôts N° Lexbase : L5456MAC.

3.- Exercent une activité de marchand de biens, les personnes qui, habituellement achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles.

Trois conditions [1] doivent être réunies :

  • les opérations doivent être habituelles et les achats doivent être effectués avec l’intention de revendre ;
  • elles doivent consister en achats suivis de ventes ;
  • et porter sur des biens limitativement énumérés par le 1° du I de l’article 35 du Code général des impôts (des immeubles dans la présente affaire).

4.- La caractérisation de l’habitude et de l’intention spéculative sont susceptibles de donner lieu à des contentieux avec l’administration fiscale.

La doctrine administrative [2] définit la notion d’habitude de la manière suivante : « Elle résulte soit de la pluralité des ventes réalisées dans le cadre d'une même opération, soit de l'activité passée ou présente du cédant. Si celui-ci est un professionnel du commerce des biens ou de la promotion immobilière (marchand de biens, promoteur-constructeur, société de construction-vente), il est évident que la notion d'habitude est sous-jacente à la profession exercée ou à l'objet social défini dans les statuts. S'il s'agit, en revanche, d'un particulier, un examen plus approfondi des « antécédents » du redevable peut s'avérer nécessaire. Les opérations qu'il a pu réaliser dans le passé -y compris au cours d'années couvertes par la prescription- doivent être recensées de façon à établir le nombre, l'importance et la fréquence de ces opérations ».

5.- On comprend également en creux, qu’une cession isolée [3] ou unique [4] n’est pas susceptible de caractériser l’existence d’une activité de marchand de biens.

Le nombre et la fréquence des opérations sont ainsi des éléments susceptibles de caractériser la notion d’habitude.

À titre d’exemple, le Conseil d’Êtat [5] a pu considérer qu’une personne ayant acquis 5 immeubles et en ayant revendu 11 en l’espace de trois ans, exerçait une activité de marchand de biens.

En revanche [6], un contribuable qui achète un appartement pour y vivre avec sa famille et qui procède à plusieurs opérations d’achat/revente n’a pas été considéré comme un marchand de biens.

6.- Concernant l’intention spéculative, celle-ci s’apprécie au moment de l’achat [7], et non au moment de la cession. Plusieurs éléments sont susceptibles de caractériser celle-ci ;

  • court délai séparant les acquisitions des opérations de reventes ;
  • montant des bénéfices réalisés ;
  • profession du vendeur ;
  • lotissement effectué immédiatement après l’acquisition ;
  • ….

Pour autant, l’existence d’un délai important entre l’achat et la revente ne suffit pas nécessairement pour exclure l’intention spéculative [8].

7.- La jurisprudence du Conseil d’État a notamment eu l’occasion d’indiquer qu’il convient d’opérer une différence entre « les achats fait avec l’intention de revendre et les opérations concernant le patrimoine privé » [9]. Les cessions relevant du patrimoine privé sont ainsi en dehors de l’activité de marchand de biens.

La jurisprudence a d’ailleurs eu l’occasion d’indiquer que l’intention spéculative ne se présume pas, elle doit être recherchée lors de l’achat.

Sur qui porte la charge de la preuve ?

Il convient de relever ici, que certains arrêts [10] ont pu appliquer un régime de preuve objective.

Dans le cadre de l’arrêt rendu le 2 juin 2006 [11], a utilisé un régime de preuve objective.

Le Commissaire du gouvernement Emmanuel Glaiser [12], dans le cadre de ses conclusions, semblait plutôt s’orienter vers une charge de la preuve pesant sur l’administration fiscale.

Certaines décisions font peser la charge de la preuve sur l’administration fiscale [13].

II. L’absence de remise en cause de la qualification de résidence principale, ou de mise en œuvre de l’abus de droit : l’exclusion du régime de marchand de biens

8.- Ce rapide rappel étant fait, nous pouvons maintenant aborder la position prise par le Conseil d’État le 14 juin 2023.

Dans le cadre de cette affaire, un couple a procédé à neuf opérations d’achat de terrains et de revente de biens immobiliers.

La chronologie des opérations retracées dans l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux [14] est très intéressante.

Entre 1999 et 2012, Monsieur et Madame ont procédé à neuf opérations d’achat de terrains et de revente de biens immobiliers :

  • Le 16 octobre 2006, le couple achète un terrain à Marmande. Une maison est construite sur ce terrain. Celle-ci est achevée le 14 janvier 2008, et vendue le 1er juillet 2008 (moins de 7 mois après l’achèvement des travaux).
  • Le 25 avril 2008, le couple achète un premier terrain à Beaupuy, puis un second le 29 juillet 2008.

Une première maison a été édifiée le 8 janvier 2009, et la vente de celle-ci est intervenue le 16 mars 2009.

Une seconde maison a été achevée le 7 janvier 2010. Un terrain voisin a été acquis le 13 août 2009. La maison et ce terrain ont été mis en vente dans une agence immobilière le 1er octobre 2010.

  • Trois nouveaux terrains ont été acquis les 31 mars 2010 et le 28 juillet 2010, sur lesquels trois maisons ont été édifiées. La première a été achevée le 14 mars 2011 et mise en vente le 1er octobre 2010. Elle a été vendue le 18 mars 2011. La seconde a été achevée le 2 mai 2011 et revendue le 11 août 2011. La troisième a été achevée le 23 août 2011 et revendue le 27 juin 2012.
  • Le 6 août 2011, le couple a acquis un terrain sur lequel une maison a été achevée le 24 mai 2012. Elle a été mise en vente le 30 janvier 2012 et cédée le 3 octobre 2012.
  • Un autre terrain a été acquis le 13 juillet 2012 à Beaupy. Une maison a été achevée le 22 octobre 2012 et vendue le 27 août 2013.
  • Le couple a acquis trois parcelles à Castelnau-sur-Gupie, et fait édifier trois maisons, le 26 juin 2014 et le 6 février 2015. Elles ont été revendues entre le 18 décembre 2014 et le 25 avril 2015.

9.- Le couple a considéré qu’il s’agissait de la cession de résidence principale. Les services de l’administration fiscale ont considéré que, le couple exerçait une activité de marchand de biens relevant du régime des bénéfices industriels et commerciaux. Le couple a ainsi reçu un rappel d’impôt sur le revenu au titre des années 2011 à 2014, et un rappel de TVA du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, et du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015.

Le couple faisait valoir que 7 des 9 cessions portaient sur des immeubles ayant constitué leur résidence principale.

10.- Cependant, cette argumentation n’a pas été suivi, ni par le tribunal administratif Bordeaux (jugement du 5 mars 2020 – n°1801295, n°1801514, n° 1805364, n°18053636), ni par la cour administrative d’appel de Bordeaux.

La juridiction bordelaise a considéré que l’activité de marchand de biens était caractérisée par :

  • le nombre d’opérations réalisées sur la période ;
  • le court délai qui séparait l’achèvement des travaux de constructions de maisons et la revente ;
  • l’achat de nouveaux terrains avant même la réalisation de la vente.

11.- Le couple se défendait notamment en indiquant que sept des opérations visées plus haut ont porté sur des habitations qui constituaient, au moment de leur cession, leur résidence principale. Ils considéraient que ces opérations relevaient de la gestion de leur patrimoine.

La juridiction du fond a notamment considéré qu’ils n’apportaient aucun élément au soutien de leurs allégations. En outre, cette argumentation a été écartée au motif que les factures d’électricité et de téléphone produites montraient une consommation trop faible pour établir que la famille résidait effectivement dans ces maisons.

12.- Dans ce contexte, le Conseil d’État a dû déterminer si la cession habitations qui constituaient la résidence principale du cédant au jour de la cession, en raison du nombre d’opérations et la brièveté entre l’achat et la cession, était susceptible de caractériser une activité de marchand de biens.

Le Conseil d’État a également dû s’interroger sur la charge de la preuve.

13.- Le Conseil d’État précise : « Il résulte de ces dispositions que les bénéfices et le chiffre d'affaires réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l'activité de marchand de biens, sauf pour l'intéressé à établir soit que les immeubles qu'il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale.
La seule circonstance qu'un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d'immeubles qu'il affecte à sa résidence principale, sans que l'administration fiscale n'établisse ni qu'il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d'un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l'exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l'article 150-U du Code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens ».

14.- Le positionnement apporté par le Conseil d’État est d’autant plus intéressant lorsque celui-ci est lu au regard du positionnement de la CAA de Bordeaux. L’arrêt rendu par la CAA de Bordeaux s’inscrit dans le cadre jurisprudentiel classique, en identifiant l’habitude et l’intention spéculative.

Il s’inscrit vraisemblablement dans une logique de preuve objective, dans la mesure où il considère que le contribuable n’apporte pas les éléments permettant de caractériser la qualification de résidence principale.

15.- Le Conseil d’État ne se situe pas tout à fait sur cette approche. Premier élément, le Conseil d’État semble adopter une position commune tant pour le régime des bénéfices industriels et commerciaux, que pour la TVA. Ce point est intéressant dans la mesure où les critères de qualification pour ces impôts sont indépendants [15].

Il est étonnant que la haute juridiction administrative ne fasse pas référence à la notion d’intention, alors même qu’il s’agit d’un des points de débats résultant de la position de la CAA de Bordeaux.

16.- Deuxième élément, le Conseil d’État donne l’une des voies d’échappatoire de la caractérisation de l’activité de marchand de biens : l’intéressé doit établir qu’il avait acquis les biens immobiliers pour des besoins personnels ou familiaux. On retrouve ici, la jurisprudence classique en la matière. Cette partie de la solution apportée par le Conseil d’État reprend notamment l’analyse de l’intention au moment de l’acquisition du bien. En considérant que le contribuable doit démontrer celle-ci, là encore, on peut légitimement penser que c’est une référence à la jurisprudence du 2 juin 2006 (déjà citée).

 

[1] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n° 1 et suivant, en vigueur depuis le 4 janvier 2017 [en ligne].

[2] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n° 30, en vigueur depuis le 4 janvier 2017 [en ligne].

[3] Cass. com., 16 février 2010, n° 09-65.157, F-D N° Lexbase : A0598ESX.

[4] CAA Bordeaux, 8 décembre 2003, n° 00BX02333 N° Lexbase : A6590DAC.

[5] CE 7° et 8° ssr., 22 juillet 1977, n° 02610 N° Lexbase : A5299B8R.

[6] CE 7° et 9° ssr., 1er juin 1990, n° 48902 N° Lexbase : A5101AQY.

[7] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n° 50, en vigueur depuis le 4 janvier 2017 [en ligne].

[8] CE Contentieux, 18 novembre 1983, n° 32098 N° Lexbase : A2295AMX.

[9] CE 9° et 7° ssr., 16 décembre 1987, n° 39389 N° Lexbase : A3119AP9.

[10] CE 9° et 10° ss., 25 avril 2003, n° 205099 N° Lexbase : A7641BSS.

[11] Voir note n° 7.

[12] Conclusions Emmanuel Glaser, BDCF, 8-9/06, n° 95.

[13] CE 8° et 9° ssr., 22 mai 1989, n° 57832 N° Lexbase : A1138AQ9.

[14] CAA de Bordeaux, 13 janvier 2022 n° 20BX01455 N° Lexbase : A23037HR.

[15] JCl. Fiscal chiffe d’affaires – Fasc.2055 : taxe sur le chiffre d’affaires.- opérations concourant à la production ou à la livraison d’immeubles.- Champ d’application.- Assujettis, n° 23, du 17 février 2022, Roseline Brieu.

newsid:486311

Internet

[Brèves] Réseaux sociaux et protection des mineurs : la majorité numérique est fixée

Réf. : Loi n° 2023-566, du 7 juillet 2023, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne N° Lexbase : L1125MII

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N6249BZH

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par Adélaïde Léon

Le 26 Juillet 2023

► La loi n° 2023-566, du 7 juillet 2023, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne fixe à 15 ans le « seuil de maturité » numérique et ajoute de nouveaux objectifs de contrôles et de lutte contre la haine aux fournisseurs et éditeurs.

La loi n° 2023-566, du 7 juillet 2023, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne constitue l’une des réactions du législateur au « double défi de santé publique et de protection de l’enfance » posé par l’utilisation des réseaux sociaux par des mineurs.

Elle a vocation à fixer un âge « seuil de maturité nécessaire à partir duquel un mineur est apte à pouvoir s’inscrire seul, avec un consentement éclairé, sur une plateforme sociale » [1].

En dessous de cet âge, il sera de la responsabilité desdites plateformes de recueillir la preuve de l’autorisation d’au moins un des titulaires de l’autorité parentale.

À l’image de l’âge retenu par la loi informatique et liberté en matière de consentement aux traitements de données à caractère personnel, la loi du 7 juillet 2023 fixe ce « seuil de maturité » à quinze ans.

Réseaux sociaux. Le texte débute par la définition des « services de réseaux sociaux en ligne ». Il s’agit de « toute plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter et de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d'autres utilisateurs et d'autres contenus, sur plusieurs appareils, en particulier au moyen de conversations en ligne, de publications, de vidéos et de recommandations. ».

Lutte contre la haine en ligne. Le texte modifie la liste des motifs auxquels l’intérêt général est attaché et qui justifie l’obligation faite aux fournisseur d’accès et les éditeurs de contenus sur internet de concourir à la lutte contre la diffusion des contenus y contrevenant. Sont ajoutés : la représentation, la vie privée, la sécurité des personnes et la lutte contre toutes les formes de chantage et de harcèlement. Sont ajoutés au nombre des infractions contre la diffusion desquelles les fournisseurs et éditeurs doivent lutter notamment le harcèlement, la mise en danger, la traite des êtres humains, le montage illicite de l’image ou de la parole d’autrui…

Plus spécifiquement, le texte modifie l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 N° Lexbase : Z67469TK pour prévoir que les fournisseurs et éditeurs diffusent auprès de leurs utilisateurs des messages de prévention contre le harcèlement et indiquent aux personnes auteurs de signalement les structures d’accompagnement face au harcèlement en ligne.

Majorité numérique. C’est dans l’article 4 de la loi que réside la mesure phare de ce texte. Celui-ci prévoit que les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne exerçant leur activité en France devront refuser l’inscription à leurs services des mineurs de quinze ans, sauf si l’autorisation est donnée par l’un des titulaires de l’autorité parentale.

L’un des titulaires de l’autorité parentale pourra demander aux fournisseurs la suspension du compte du mineur.

Pour les comptes déjà créées et détenus par des mineurs, les fournisseurs seront tenus de recueillir dans les meilleurs délais l’autorisation expresse de l’un des titulaires.

Informations et sensibilisation. Les fournisseurs devront par ailleurs délivrer aux utilisateurs mineurs ainsi qu’aux titulaires de l’autorité parentale une information sur les risques liés au usages numériques et les moyens de prévention. Une information claire et adaptée sur les conditions d’utilisation de ses données et de ses droits devra également être délivré au mineur.

Vérifications. Les solutions techniques utilisées pour vérifier l’âge des utilisateurs et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale devront être conformes à un référentiel élaboré par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (ARCOM) et numérique après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Mise en demeure. Lorsqu’il constatera qu’un fournisseur n’a pas mis en œuvre de telle solution technique certifiée, le président de l’ARCOM lui adressera une mise en demeure de prendre toutes les mesures requises pour satisfaire aux obligations prévues.

Débute alors un délai de 15 jours au terme duquel, en cas d’inexécution, le président de l’ARCOM pourra saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner au fournisseur de mettre en œuvre une solution technique conforme.

Amende. Le fait de ne pas satisfaire à ces obligation est puni d’une amende ne pouvant excéder 1 % du chiffre d’affaires mondiale pour l’exercice précédent du fournisseur de service de réseaux sociaux.

Réponse aux réquisitions judiciaire. Le VI de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 est également modifié pour prévoir qu’il devra être répondu aux réquisitions judiciaires relatives aux données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création d’un contenu dans un délai « de dix jours à compter de la réception de la demande ou, en cas d'urgence résultant d'un risque imminent d'atteinte grave aux personnes, dans un délai de huit heures ».

 

[1] Loi n° 2023-566, du 7 juillet 2023, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, Exposé des motifs [en ligne].

newsid:486249

Marchés publics

[Brèves] Résiliation d’un marché public d'assurance : la personne publique peut imposer la poursuite du contrat pendant la durée nécessaire à la passation d'un nouveau marché

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 12 juillet 2023, n° 469319, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A78231AY

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N6332BZK

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par Yann Le Foll

Le 19 Juillet 2023

Lorsque l'assureur résilie unilatéralement le marché public d'assurance qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d'assurance, cette dernière peut lui imposer de poursuivre l'exécution du contrat pendant la durée nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché.

Faits. Le Grand port maritime de Marseille a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3059ALU, d'enjoindre à la société Montmirail-Groupe Verspieren et à la compagnie d'assurances AFM de maintenir, a minima jusqu'au 31 décembre 2023, la police d'assurances « dommages aux biens » et les garanties contractuelles qui en font l'objet dans les conditions prévues par le marché public n° MI1903922.

Position TA. La juge des référés du tribunal administratif de Marseille (TA Marseille, 16 novembre 2022, n° 2208713 N° Lexbase : A30318TG) a jugé que cette demande se heurtait à une contestation sérieuse, au seul motif que la résiliation unilatérale de ce contrat par la compagnie d'assurances AFM trouvait son fondement dans les dispositions de l'article L. 113-12 du Code des assurances N° Lexbase : L1505LR8, selon lequel l'assureur a la faculté de résilier unilatéralement le contrat à l'expiration d'un délai d'un an suivant sa conclusion, avec un préavis d'au moins deux mois.  

Décision CE. En ne prenant pas en compte l'opposition, qu'elle avait pourtant relevée, du Grand port maritime de Marseille à cette résiliation, qui était susceptible d'obliger ses cocontractantes à poursuivre l'exécution du marché, elle a commis une erreur de droit (sur la possibilité pour la personne publique de s’opposer à la résiliation du marché pour un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, CE, 8 octobre 2014, n° 370644, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0011MY3).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, L’exécution du marché public, La résiliation du marché, in Droit de la commande publique, (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E4522ZL3.

newsid:486332

Responsabilité

[Brèves] Pension d’invalidité : imputation exclusive sur les postes de PGPF et d’IP, attention revirement !

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juillet 2023, n° 21-24.283, F-B N° Lexbase : A368498X

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N6326BZC

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 19 Juillet 2023

► La pension d’invalidité ne réparant pas le déficit fonctionnel permanent (DFP), il n’y a pas lieu de l’imputer sur le déficit fonctionnel permanent, mais exclusivement sur les postes de perte des gains professionnels futurs (PGPF) et d’incidence professionnelle (IP).

C’est incontestablement en raison du moyen relevé d’office par la Cour de cassation que l’arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la deuxième chambre civile attire l’attention. Elle y opère un revirement quant à l’imputation de la pension d’invalidité.

Faits et procédure. En l’espèce, un automobiliste avait été victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un autre véhicule. L’assureur de ce dernier et la victime ont signé une transaction limitant l’indemnisation de la victime à hauteur de 75 % de son préjudice, en conséquence de quoi, la victime assigna l’assureur devant le tribunal judiciaire. La cour d’appel avait considéré qu’en application du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la pension d’invalidité s’impute d’abord sur les pertes des gains professionnels futurs et l’incidence professionnelle et, en cas de reliquat, sur le déficit fonctionnel permanent (CA Douai, 9 septembre 2021, n° 20/03059).

Solution. C’est au terme d’un arrêt à motivation enrichie que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l'article L. 341-1 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L4440ADS dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-1446, du 24 décembre 2019, l'article 31 de la loi n° 85-677, du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Alors que par le passé, elle considérait, tout comme l’avait fait la cour d’appel de Douai, que cette pension indemnise les préjudices de pertes de gains professionnels et d'incidence professionnelle et le déficit fonctionnel permanent (Cass. civ. 2, 13 juin 2013, n° 12-10.145 N° Lexbase : A5824KGS), elle considère désormais que « la pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».

La solution s’inscrit dans la continuité des arrêts rendus par l’Assemblée plénière le 20 janvier 2023, n° 21-23.947 N° Lexbase : A962588Y et n° 20-23.673 N° Lexbase : A63674YH), qui a admis cette solution s’agissant de la rente accident du travail. En outre, le calcul de cette pension se faisant sur une base forfaitaire, il n’y a pas lieu de distinguer selon que l’organisme social exerce son recours.

newsid:486326

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Intégration du bonus discrétionnaire dans l'assiette de calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-16.694, F-B N° Lexbase : A2673977

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N6383BZG

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par Charlotte Moronval

Le 19 Juillet 2023

► Doit être intégrée à l'assiette de calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés la somme due au salarié à titre de bonus qui, bien que qualifié de « discrétionnaire » par l'employeur, lui a été attribuée régulièrement, chaque année au mois d’avril, pendant 7 ans.

Faits et procédure. Licencié pour motif économique, un salarié saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes salariales et indemnitaires relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

La cour d’appel (CA Paris, 6-11, 16 mars 2021, n° 18/13652 N° Lexbase : A14604LN) condamne notamment l'employeur au paiement d'une certaine somme au titre des congés payés afférents au rappel de bonus pour 2015/2016.

L’employeur forme un pourvoi en cassation. Il estime que le bonus en question, qui présentait un caractère discrétionnaire, ne constituait pas un élément de rémunération dont le paiement serait obligatoire pour l'employeur et doit, dès lors, être exclu de l'assiette de calcul des congés payés.

La solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La cour d'appel, qui a relevé que :

  • l'examen des bulletins de salaire établissait que le salarié avait régulièrement perçu un bonus chaque année au mois d'avril et pour la première fois en 2009 pour l'année 2008/2009 ;
  • qu'il avait travaillé normalement du 1er avril 2015 au 31 mars 2016, son entretien annuel l'ayant évalué « highly effective », et qu'il n'était pas en période de préavis au mois d'avril 2016 ;

a fait ressortir que le bonus, nonobstant la qualification de discrétionnaire qui lui était donnée par l'employeur, n'était pas exceptionnel et avait été attribué au salarié régulièrement, chaque année, pendant sept ans.

La cour d’appel a pu retenir, abstraction faite de motifs surabondants portant sur une inégalité de traitement, qu'il constituait un élément de la rémunération du salarié.

Elle en a exactement déduit son intégration à l'assiette de calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents à la somme due à l'intéressé au titre de ce bonus pour 2015/2016, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité pour manquement à l'obligation de respect de la priorité de réembauche.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les congés annuels payés, Les éléments inclus dans le calcul de l'indemnité de congé payé, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0877GAQ.

 

newsid:486383

Sociétés

[Jurisprudence] La compétence de la juridiction prud'homale pour connaître du préjudice résultant de l’application d’une clause de rachat forcé de bons de souscription d’actions

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2023, n° 21-24.514, FS-B N° Lexbase : A69079YH

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N6328BZE

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par Quentin Tirole, Avocat, BDO Avocats

Le 19 Juillet 2023

Mots clés : compétence de la juridiction prud’homale • pacte d’actionnaires

La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 7 juin 2023, confirme sa position et précise que la juridiction prud’homale est compétente pour connaître d’une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en œuvre d’un pacte d’actionnaires prévoyant la cession immédiate de ses actions en cas de licenciement.


Afin de se montrer compétitives sur le marché du travail, les entreprises disposent d’une palette d’avantages sociaux pour attirer les salariés occupant des postes à responsabilité dont elles souhaitent s’attacher les services.

Dans le cadre de cette politique incitative à travers l’actionnariat salarié, les bénéficiaires peuvent notamment se voir attribuer des actions gratuites ou à prix préférentiel.

Ainsi, peuvent-ils bénéficier de bons de souscription d’actions, valeurs mobilières donnant le droit à son bénéficiaire d'acheter une ou plusieurs actions d'une société à un prix fixé à l’avance, jusqu’à une date d’échéance.

Ces instruments présentent des caractéristiques avantageuses et représentent un levier financier important et motivant pour les salariés auxquels ils sont accordés.

Cependant, compte tenu des enjeux financiers pour les entreprises, nombreuses sont celles qui se protègent de l’application effective de cette rémunération complémentaire en cas de rupture du contrat de travail.

En effet, une grande majorité des pactes d’actionnaires ou d’associés prévoient qu’en cas de rupture du contrat de travail, quel qu’en soit le motif, les titres dont l’allocation n’est pas acquise à la date de rupture sont perdus.

Certaines conventions de ce type prévoient également qu’en cas de licenciement d’un salarié, ce dernier doit procéder à la cession immédiate de ses actions ou des bons de souscription d’actions accordés par la société dans le cadre de la relation de travail.

De telles clauses, subordonnant leur bénéfice à la présence du salarié lors de la date d’exercice de ces actions ou options d’actions, sont considérées comme licites par la Cour de cassation.

S’il s’estime lésé, le salarié doit alors se tourner vers le juge pour tenter d’obtenir une indemnisation du préjudice subi du fait de l’application de la clause, à défaut de parvenir à négocier une issue amiable lors de la rupture du contrat de travail.

Toutefois, la difficulté qui se pose en amont repose sur le fait que l’actionnariat salarié confère également au bénéficiaire la qualité d’actionnaire de la société dont il détient ses titres.

Cette qualité a-t-elle pour effet de soustraire les litiges portant sur l’indemnisation de la privation de telles actions à la compétence du conseil de prud’hommes ?

Si la Cour de cassation a déjà, plusieurs fois, eu l’occasion de se prononcer sur le partage de compétence entre le conseil de prud’hommes et le tribunal de commerce dans ce type de litige (I.), ce nouvel arrêt en date du 7 juin 2023 vient confirmer cette position tout en élargissant son application aux clauses prévoyant le rachat forcé de bons de souscriptions d’actions en cas de licenciement (II.). Par cette décision, la Haute Cour estime qu’un tel différend est né à l’occasion du contrat de travail, conformément aux dispositions issues du Code du travail (III.).

I. Le partage de compétence opéré par la jurisprudence

Selon les dispositions issues du Code du travail, le conseil de prud’hommes règle les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail [1], disposant que ce dernier règle et juge « les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient ».

Si cette compétence est particulièrement étendue, elle trouve sa limite dans les dispositions issues de l'article L. 1411-4 du Code du travail N° Lexbase : L1883H9M, qui établit que les conseils de prud’hommes « ne peuvent connaître les litiges dont la connaissance est attribuée à une autre juridiction par la loi ».

Par conséquent, les attributions de la juridiction prud’homale se heurtent, en matière commerciale, aux dispositions du Code de commerce, qui prévoit, quant à lui, que les tribunaux de commerce connaissent des « contestations […] relatives aux sociétés commerciales » [2].

Cela concerne notamment les litiges susceptibles de survenir entre les associés et la société, ce type de relation étant régie par un pacte d’actionnaires ou d’associés.

L’objet principal de ce type de pacte est de régir les règles spécifiques de fonctionnement de l’entreprise et les mouvements de titres : il a vocation à apporter des précisions sur les modalités de gestion et de contrôle de la société, mais il permet également de déterminer les rapports entre associés ou actionnaires.

Compte tenu de ces éléments, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère de manière constante que les relations entre le salarié devenu actionnaire et la société relèvent du tribunal de commerce [3].

Il en va en revanche différemment des litiges qu’elle estime être en lien avec le contrat de travail.

Dans un arrêt en date du 27 février 2013 [4], la Chambre sociale de la Cour de cassation a en effet considéré que « si les différends pouvant s’élever dans les relations entre la société et le salarié devenu actionnaire, indépendamment des conditions d’acquisition de ses actions, sont de la compétence de la juridiction commerciale, l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions constitue un accessoire du contrat de travail dont la connaissance relève du conseil de prud’hommes ».

Il en résulte que si les relations entre le salarié actionnaire et la société relèvent nécessairement du tribunal de commerce, les litiges liés à l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions dans le cadre de sa relation de travail sont bien de la compétence du conseil de prud’hommes.

Afin d’opérer une telle distinction, la Chambre sociale de la Cour de cassation se fonde sur la théorie de l’accessoire du contrat de travail.

Cette notion d'accessoire au contrat de travail, consacrée par la jurisprudence, permet au juge d'étendre le champ d’application textuel de la compétence du conseil de prud'hommes.

La Cour de cassation considère en l’espèce que cette option offerte au salarié constitue un élément de rémunération complémentaire au bénéfice du salarié, et qu’à ce titre elle constitue un accessoire au contrat de travail le liant avec son employeur.

Mais alors qu’en est-il lorsque le litige porte sur une clause prévoyant le rachat forcé de bons de souscription d’actions en cas de rupture du contrat de travail ?

C’est à cette question connexe que va répondre la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 7 juin dernier.

II. La dernière illustration de la position de la Cour de cassation : le litige portant sur la validité d’une clause de rachat forcé de bons de souscriptions d’actions

Dans cette affaire, une salariée avait souscrit à l’émission de bons de souscription d’actions de la société qui l’employait.

Elle avait ensuite saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, avant de prendre acte de la rupture de son contrat.

La société lui avait alors notifié le rachat forcé de ses bons de souscription.

Or, cette clause de rachat forcé, imposé en application d’un pacte d’actionnaires, était fixée sur un prix largement inférieur au prix de souscription supporté par la salariée.

Lésée par cette situation, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes afin que celui-ci se prononce sur la validité de la clause litigieuse.

Il était demandé à la juridiction prud’homale de déclarer la cession de bons de souscription d’actions abusive et irrégulière, et par conséquent de condamner l’employeur à lui payer une somme à titre d’indemnisation du préjudice subi.

Cependant, le conseil de prud’hommes s’était déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce sur la question de la validité de la clause incluse dans le pacte d’actionnaires.

La cour d’appel avait adopté une position identique à celle du juge de première instance, considérant que la clause de rachat forcé d’actions n’est pas un accessoire du contrat de travail, mais est insérée dans un pacte d’actionnaires distinct portant sur des actions de la société, dont l’examen de la validité relève exclusivement de la juridiction commerciale.

La salariée s’est donc pourvue en cassation.

Selon cette dernière, le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître de l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions, dans la mesure où celui-ci constitue un accessoire du contrat de travail, conformément à la position adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Elle estime par conséquent qu’il devrait en être de même du retrait du bon de souscription consécutif à son rachat forcé par l’employeur à la suite de sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

La Cour de cassation invalide le raisonnement adopté par la cour d’appel.

À cette occasion, elle affirme que si la juridiction prud’homale est incompétente pour statuer sur la validité d’un pacte d’actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d’exception, d’une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en œuvre d’un pacte d’actionnaires prévoyant en cas de licenciement d’un salarié la cession immédiate de ses actions.

Ainsi, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison de la cession des bons de souscription d’actions à la suite de la rupture du contrat de travail de la salariée.

Par cette récente décision en date du 7 juin 2023, la Cour de cassation confirme sa position au regard de la compétence prud’homale sur ce type de litige entre le salarié actionnaire et son employeur.

En revanche, il est intéressant de noter que la Haute Cour ne reprend pas la notion d’accessoire au contrat de travail dans son argumentaire, contrairement à l’arrêt précité.  

III. La compétence prud’homale pour tout litige « né à l’occasion du contrat de travail »

Dans cette affaire, la cour d’appel avait rejeté la compétence du conseil de prud’hommes, considérant que la clause de rachat forcé d’actions n’est pas un accessoire du contrat de travail.

La salariée avançait, pour sa part, qu’une telle clause constituait bien un accessoire au contrat la liant à son employeur, estimant qu’une telle pratique constitue un complément de rémunération en lien avec le contrat de travail. 

Pour finalement retenir la compétence de la juridiction prud’homale, la Cour de cassation va adopter un raisonnement différent.

Elle considère en effet que la demande par un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié, à la suite de la rupture du contrat de travail, constitue un différend né à l’occasion du contrat de travail.

Il s’agit en l’espèce d’une application plus textuelle de l’article L. 1411-1 du Code du travail, qui dispose que la juridiction prud’homale règle et juge « les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail ».

Si le juge n'utilise pas la notion d’accessoire dans cette affaire, c'est qu’il estime que le préjudice pour la salariée, résultant de l’application de la clause de rachat forcée à la suite de sa prise d’acte, est né directement de la rupture du contrat de travail.

Il considère que la compétence du conseil de prud’hommes ne se limite pas à la conclusion et à l'exécution du contrat, mais s'étend également à ses suites, et notamment à la rupture du contrat de travail.

Par cette décision, le juge change de prisme et considère ainsi que le contentieux secondaire, lié au pacte d’actionnaire, est en lien direct avec le conflit principal, à savoir la rupture du contrat de travail.

Cette solution avait déjà été affirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Dans un arrêt en date du 9 juillet 2008 [5], la Cour de cassation avait en effet déjà eu l’occasion de juger que la juridiction prud’homale est compétente pour connaître d’une action en réparation du préjudice subi par un salarié en exécution d’un pacte d’actionnaires prévoyant en cas de licenciement d’un salarié la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé annuellement par la majorité des actionnaires.

La Haute Cour considérait alors qu’un tel litige constituait aussi un différend né à l’occasion du contrat de travail, et plus particulièrement de la perte de la qualité de salarié.  

Dans cette affaire également, la contrainte pour le salarié de vendre ses actions à vil prix résultait directement de son licenciement, le prix de ses actions étant déterminé annuellement par la majorité des actionnaires.

Ainsi, par une application extensive des dispositions issues du Code du travail, la Haute Cour accorde une primauté de compétence au conseil de prud’hommes sur ce type de litige, issu de l’actionnariat salarié.


[1] C. trav., art. L. 1411-1 N° Lexbase : L1878H9G.

[2] C. com., art. L.  721-3, al. 2 N° Lexbase : L2718LBB.

[3] Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-20.444, F-P+B N° Lexbase : A4071EAZ.

[4] Cass. soc., 27 février 2013, n° 11-27.319, FS-D N° Lexbase : A8725I8N.

[5] Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800, F-P N° Lexbase : A6205D9P.

newsid:486328

Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Délivrance des legs & prescription : gare aux pièges !

Réf. : Cass. civ. 1, 21 juin 2023, n° 21-20.396, FS-B N° Lexbase : A984093T

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par Jérôme Casey, Maître de Conférences à l’Université de Bordeaux, Avocat associé au Barreau de Paris

Le 28 Juillet 2023

Mots-clés : succession • légataire particulier • délivrance du legs • transfert de propriété • délivrance du legs • envoi en possession • fruits de la chose léguée

Il résulte de l'article 1014 du Code civil que, si le légataire particulier devient, dès l'ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu'il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès.


 

La question de la délivrance des legs n’est pas des plus simples, d’autant qu’elle se complique d’autres notions voisines mais distinctes : le paiement, la saisine successorale, l’envoi en possession. L’ensemble de ces sujets forme indiscutablement une zone fort dangereuse pour les praticiens, et sauf à être un civiliste pur jus, il est fort probable que le dossier ne se terminera pas comme le plaideur l’aurait espéré. C’est ce qui s’est passé dans la présente affaire, où ce sont les juges du fond qui n’ont strictement rien compris aux notions en cause.

En l’espèce, Wanda est décédée le 3 juillet 2010, laissant à sa survivance ses deux enfants, Yves et Marc, en l'état d'un testament authentique reçu le 4 juin 2010 par lequel elle a institué Dorothée légataire des biens et droits immobiliers dont elle était propriétaire à Brisou et Palbec, ce dernier bien produisant des loyers commerciaux [noms imaginaires]. Yves s’est opposé à Dorothée estimant que cette dernière n’avait pas demandé la délivrance de ses legs à temps. Une cour d’appel décide : (i) que Dorothée ayant pris possession des biens avec l’accord de la testatrice avant le décès de celle-ci, n’avait pas à demander la délivrance ; (ii) que l’action en délivrance étant prescrite, mais que malgré tout Dorothée peut prétendre aux loyers commerciaux du bien de Palbec, et ceci depuis le 29 septembre 2017, date de ses premières conclusions au fond, valant demande de délivrance (CA Rennes, 1er juin 2021, n° 19/03151 N° Lexbase : A67324TI).

Sur pourvoi formé par Yves, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur les deux points précités :

(i) le légataire doit demander la délivrance de son legs, peu important que le défunt l’ait mis en possession avant son décès ;

(ii) pour prétendre aux fruits de son legs, le légataire doit demander la délivrance, de sorte que si la demande de délivrance est prescrite, le légataire ne peut prétendre aux fruits dudit legs.

On reste songeur devant les motifs de l’arrêt d’appel, tant ils sont éloignés des concepts et des règles du Code civil. Rappelons, tout d’abord, que la délivrance s’impose lorsque le légataire n’est pas ensaisiné, ce qui correspond au cas de l’espèce. En effet, les héritiers disposant de la saisine (donc les héritiers légaux, qu’ils soient réservataires ou non) n’ont pas besoin de demander l’accord de leurs cohéritiers pour entrer en possession des biens à eux légués, puisqu’ils sont continuateurs de la personne du défunt. Ainsi, leur saisine leur donne la possession, mais non la propriété des biens légués (pour la propriété, il faudra que le legs leur soit payé, ce qui est une question distincte sur laquelle nous reviendrons). Au contraire, lorsque le légataire ne dispose pas de la saisine (comme en l’espèce), il doit demander la délivrance de son legs. Or, le régime de la délivrance n’est pas unique, étant dépendant à la fois de la nature du testament (authentique ou non), de la présence ou non d’héritiers réservataires, et surtout de la nature du legs lui-même (universel ou non), sachant que la question peut se compliquer, par exemple lorsqu’un légataire à titre universel est en présence à la fois d’un héritier réservataire et d’un légataire universel (pour une présentation d’ensemble, et un rappel fort bien fait, v., C. Peuble et D. Boulanger, Délivrance et exécution des legs : retour sur une classique distinction . - À propos de Cass. civ. 1, 21 septembre 2022, n° 19-22.693, FS-B N° Lexbase : A984093T Étude, JCP N 2023, 1020).

Au cas d’espèce, Dorothée n’était pas une héritière légale, mais une étrangère à la succession de Wanda. Elle n’avait donc pas d’autre choix que demander la délivrance, ainsi qu’en dispose l’alinéa 2 de l’article 1014 du Code civil N° Lexbase : L0171HPZ : « (…) Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie ». Ces dispositions sont limpides et il importe donc peu que le légataire particulier soit entré en possession du vivant du testateur, puisqu’un legs ne saurait commencer à s’exécuter (au sens de transférer la propriété) du vivant de celui qui le consent. Il s’agit d’une disposition à cause de mort librement révocable, de sorte que l’occupation antérieure au décès, fût-ce avec l’accord du défunt, ne vaut rien. Mieux encore, même en imaginant que le légataire puisse justifier d’un bail consenti par le défunt, cela ne changerait rien à son obligation de demander la délivrance afin de pouvoir devenir propriétaire à cause de mort (grâce au legs particulier) du bien légué. Le bail lui donnerait donc le droit de rester dans les lieux en qualité de locataire, mais il serait neutre en termes de droit de propriété.

Ainsi, il n’existe aucune possibilité de dérogation : la délivrance doit être demandée par le légataire particulier aux successeurs légaux (ou exécutée spontanément par le ou les héritiers légaux).

Ceci posé, on aura garde de vérifier, préalablement, que la demande de délivrance ne soit pas prescrite. On tombe alors sur une question non tranchée à ce jour : quel est le délai de prescription de l’action en délivrance d’un legs, depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ? Est-ce trente, dix ou cinq ans ? La question divise la doctrine, et la présente décision n’en dit rien, personne ne l’ayant mise dans les débats. Certes, on notera qu’en l’espèce le décès de Wanda date de 2010 et que la prescription est retenue, ce qui paraît, prima facie, exclure un délai de trente ou dix ans au profit d’un délai de cinq ans. Cependant, nous nous garderons bien d’écrire que l’arrêt va implicitement en ce sens, puisque le moyen de cassation ne saisissait pas la Cour de cette question. La prudence doit donc être de mise et il faudra disposer d’un arrêt explicite sur ce point pour en avoir le cœur net. À titre personnel, il nous semble évident que l’action en délivrance est une action personnelle, et nous voyons dès lors mal comment elle pourrait échapper aux dispositions de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC, ce qui milite en faveur d’un délai de cinq ans, lequel serait compatible avec la présente décision. Mais ce n’est là qu’une opinion, l’arrêt ne le dit pas. Il faut donc espérer que la question sera rapidement tranchée par la Cour de cassation, car les conséquences pratiques attachées à cette question sont évidemment majeures.  

Quant au point de départ de la prescription, ce sera l’ouverture de la succession et non l’arrêt mettant fin à la contestation des droits du légataire, ainsi qu’il a été jugé de façon bien peu convaincante (mais bien réelle) par la Cour de cassation (v., Cass. civ. 1, 30 septembre 2020, n° 19-11.543, FS-P+B N° Lexbase : A68893W3, J. Casey, obs. n° 18 in Sommaires d’actualité de droit des successions & libéralités - Année 2020, Lexbase Droit privé n° 855, 25 février 2021 N° Lexbase : N6565BYS). La solution est sévère, puisqu’elle expose le légataire à une prescription extinctive avant même que l’on ne sache si le legs est valable ou pas. Voilà qui tranche avec ce qui est jugé par la Cour de cassation en matière de responsabilité notariale, où, plus logiquement, il est décidé que le point de départ de la prescription est la décision de justice définitive statuant sur le droit en cause, v., pour une vente, Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 18-26.390, FS-P+B N° Lexbase : A52973TD et en matière de nullité d’une donation, Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 19-19.409, F-D N° Lexbase : A00067AH, J. Casey, obs. n° 19, in Sommaires d’actualité de droit des successions & libéralités 2021-2 (août à décembre 2021), Lexbase Droit privé, n° 895, 24 février 2022 N° Lexbase : N9242BYX). Nous peinons donc à comprendre comment le légataire pourrait être prescrit en sa demande de délivrance, alors même que le titre qui fonde son droit est contesté. Sans doute l’arrêt précité du 30 septembre 2020 mériterait-il d’être reconsidéré, à l’aune du bon sens et des arrêts précités rendus en matière de responsabilité notariale.

Au total, c’est peu dire que le régime de la prescription applicable à une demande de délivrance n’est pas encore très net et qu’il reste pour une large part à l’éclaircir.

Il y a enfin un dernier point à mentionner pour faire un tour d’horizon complet des questions que pose l’arrêt commenté. Le légataire particulier devait demander la délivrance, et faute de l’avoir fait à temps, il n’aura jamais le bénéfice de son legs, de sorte que les fruits de la chose léguée lui échapperont aussi. Soit. Mais… la délivrance n’est pas le paiement du legs ! De sorte que si le légataire demande la délivrance, mais qu’il oublie de demander le paiement de son legs, il aura fait tout cela pour… rien ! Il lui faudra tout recommencer en demandant cette fois le paiement, en espérant que cette demande ne sera pas elle-même prescrite (ce qu’elle aura toute chance d’être compte tenu du sens de l’arrêt précité du 30 sept. 2020). C’est ce qui a été rappelé très cruellement par la Cour de cassation dans un arrêt de principe tout récent (Cass. civ. 1, 21 septembre 2022, n° 19-22.693, FS-B N° Lexbase : A25228KM, J. Casey, obs. n° 4, in Sommaire d’actualité du droit des successions et libéralités 2022-2 (juillet à décembre 2022), Lexbase Droit privé, n° 950, 22 juin 2023 N° Lexbase : N5942BZ4), qui rappelle que l’arrêt définitif accordant la délivrance ne peut constituer un titre exécutoire au profit du légataire, précisément, parce que le paiement du legs n’a pas été demandé, et donc ordonné par la décision en cause). Le paiement doit absolument être demandé par le légataire, et s’il n’est pas accordé amiablement, c’est le juge qui l’ordonnera. Mais cela suppose une demande judiciaire claire, laquelle n’est pas contenue dans la demande de délivrance puisque les deux notions poursuivent des objectifs différents, quoique proches. Gare aux approximations !

Plus que jamais, les avocats devront être attentifs et méthodiques dans la rédaction de leurs conclusions. Si jamais les héritiers légaux ne sont pas coopératifs et que le légataire doit se tourner vers le juge, il faudra que son conseil pense, pour éviter toute mauvaise surprise, à demander expressément la délivrance ET le paiement du legs, ce que cet avocat fera en formulant deux chefs distincts de demandes au dispositif de ses conclusions devant les juridictions du fond, quand bien même le défunt aurait laissé le légataire jouir de la chose avant son décès (comme en l’espèce). En cas de procès-verbal de dires et de difficultés, l’avocat devra penser à présenter ces demandes avant le rapport du juge commis, et donc avant le PV en question, toujours par souci de prudence…

Où l’on voit que ces questions relèvent d’une vraie spécialité. C’est vrai pour les avocats, mais cela est vrai aussi des magistrats. Dans le cas présent, la cour d’appel était très loin du compte, et sans la Cour de cassation, on aurait gardé un arrêt d’appel absolument illicite. Bravo à la Cour de cassation d’avoir remis les choses en ordre, mais cela n’efface pas le sentiment de malaise que l’on ressent devant les errances des juges du fond. Voilà qui prouve, une fois de plus, combien le droit civil le plus classique se perd de nos jours, et combien la Cour de cassation est nécessaire dans son rôle de juge du droit. On frémit à l’idée que certains ont eue, jusque en son sein, de la faire devenir une Cour suprême, tant elle laisserait alors sans recours des décisions du fond qui violeraient ouvertement les principes les mieux établis du Code civil. À méditer… 

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Avis du Conseil d’État relatif à la TVA et la parahôtellerie

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 5 juillet 2023, n° 471877, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4390984

Lecture: 3 min

N6313BZT

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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh & Associés

Le 19 Juillet 2023

La décision du Conseil d’État du 5 juillet 2023 concerne l’assujettissement à la TVA des prestations de location de meublés avec services.

La location de locaux résidentiels, même meublés et pour de courtes durées, constitue une activité, en principe, exonérée de TVA. Cette exonération peut s’avérer intéressante puisqu’elle réduit le coût du loyer pour des locataires particuliers pour qui la TVA constitue un coût définitif.

En revanche, lorsque les locaux font l’objet de travaux de rénovation et d’aménagements importants, eux-mêmes soumis à TVA, l’assujettissement à la taxe permet au propriétaire de récupérer la TVA sur ces dépenses et par le biais du remboursement du crédit de TVA d’alléger le montant de son investissement.

L’assujettissement des loyers à la TVA est réglé par les dispositions de l’article 261-D-4° du Code général des impôts N° Lexbase : L2401LEN qui prévoient que la taxe s’applique sur les loyers dès lors que la location s’accompagne d’au moins trois des quatre prestations suivantes :

  • le nettoyage régulier de locaux ;
  • le petit déjeuner ;
  • la fourniture de linge de maison, et ;
  • la réception, même non personnalisée, de la clientèle.

L’objectif de ce dispositif est d’éviter que l’exonération de TVA prévue de manière générale pour la mise à disposition de locaux d’habitation permette aux loueurs de meublés de proposer une alternative à l’hébergement hôtelier, en bénéficiant d’un avantage concurrentiel sous forme d’exonération de TVA.

Le Conseil d’État vient de conclure, dans son avis du 5 juillet 2023 que cette règle pratique est partiellement incompatible avec la Directive TVA, en cela que l’exigence qu’au moins trois des prestations annexes soient fournies n’apparaît pas suffisante pour identifier toutes les situations de location qui viendraient en concurrence potentielle avec le secteur hôtelier.

Ainsi, alors que la fourniture d’au moins trois des prestations identifiées entraîne toujours l’assujettissement des locations à la TVA, la fourniture de deux prestations seulement ne suffira plus pour assurer l’exonération de TVA. Il reviendra à l’administration fiscale de déterminer, au cas par cas, de l’appréciation de la concurrence entre l’industrie hôtelière et l’activité de location meublée par les propriétaires, qui ne fourniront pas au moins trois des quatre prestations. Cet avis introduit une zone grise aussi bien pour ceux de ces propriétaires qui estimeraient relever de la TVA pour pouvoir récupérer la taxe ayant grevé les travaux réalisés, voire le prix d’acquisition des immeubles neufs, que ceux qui estiment pouvoir y échapper. Pour nombre de ces derniers, le régime de la franchise en base devrait permettre d’opposer d’autres arguments contre l’application de la TVA si leurs recettes annuelles ne dépassent pas 36 800 euros.

À moins que les autorités n’y voient un nouveau moyen de décourager cette activité tant décriée, il est fortement souhaité que le législateur intervienne pour rétablir une règle exempte de toute appréciation subjective.

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