La lettre juridique n°919 du 6 octobre 2022

La lettre juridique - Édition n°919

[Brèves] Devoir de mise en garde de la caution : prise en compte des parts sociales détenues par la caution au sein de la société cautionnée

Réf. : Cass. civ. 1, 28 septembre 2022, n° 21-14.673, F-B N° Lexbase : A34248LE

Lecture: 5 min

N2830BZT

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par Vincent Téchené

Le 05 Octobre 2022

► Lorsqu'une caution invoque un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, les parts sociales dont elle est titulaire au sein de la société cautionnée doivent être prises en considération pour apprécier ses capacités financières au jour de son engagement.

Faits et procédure. Une banque a consenti à une SCI un prêt immobilier, garanti par le cautionnement solidaire d’une caution professionnelle et d’une personne physique (la caution) dans la limite de la somme de 385 833,50 euros. Le 7 octobre 2015, à la suite de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt, la banque a prononcé la déchéance du terme.

Après avoir payé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle a assigné la SCI et la caution en paiement, lesquelles ont appelé la banque en intervention forcée et garantie, en invoquant une disproportion de l'engagement de caution et un manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde.

La caution a été condamnée à payer solidairement avec la SCI un certain montant à la caution professionnelle et la banque a été condamnée à payer la même somme à la caution pour manquement à son obligation de mise en garde. 

La banque s’est alors pourvue en cassation tandis que la caution a formé un pourvoi incident.

Décision. La Cour de cassation s’est prononcée, d’abord, sur le pourvoi de la caution et, ensuite, sur celui de la banque.

  • Pourvoi de la caution : proportionnalité de l’engagement

La Cour de cassation rappelle ici qu’il résulte de l’article L. 332-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L1162K78 et l'article 2310 du Code civil N° Lexbase : L1209HIM, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D, que la sanction prévue au premier de ces textes prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire, que ce soit sur le fondement de leur recours subrogatoire ou personnel.

Or, pour condamner la caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu'elle a acquittées, l'arrêt d’appel a retenu que celle-ci ne peut se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal, comme la disproportion de l'engagement de la caution.

Par conséquent, en statuant ainsi la cour d’appel a violé les textes précités.

Cette solution ne surprendra pas le lecteur, la Cour de cassation ayant déjà jugé en ce sens à plusieurs reprises (Cass. mixte, 27 février 2015, n° 13-13.709, P+B+R+I N° Lexbase : A3426NCU, G. Piette, Lexbase Affaires, mars 2015, n° 417 N° Lexbase : N6558BUG ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-17.903, FS-P+B N° Lexbase : A2007X8T ; Cass. civ. 1, 8 septembre 2021, n° 19-24.129, F-D N° Lexbase : A245844S, V. Téchené, Lexbase Affaires, septembre 2021, n° N° Lexbase : N8842BY7).

Pour les cautionnements souscrits après le 1er janvier 2022 et donc soumis au droit issu de l’ordonnance de réforme du 15 septembre 2022, on rappellera que la sanction applicable au cautionnement disproportionné n’est plus de priver d’effet le cautionnement, mais la réduction de ce dernier au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager (C. civ., art. 2300, nouv. N° Lexbase : L0174L8X).

  • Pourvoi de la banque : obligation de mise en garde

La Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte de l’article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

Elle précise ensuite que les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.

Ainsi, elle censure l’arrêt d’appel qui, pour condamner la banque au titre de son devoir de mise en garde, s’est déterminé, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI cautionnée.

Le devoir de mise en garde de la caution, d’origine jurisprudentielle (Cass. com., 20 septembre 2005, n° 03-19.732, F-P+B N° Lexbase : A5020DK7 ; Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-16.790, FS-P+B+I N° Lexbase : A0222WZA) a été consacré par l’ordonnance de réforme du 15 septembre 2021 (C. civ., art. 2299, nouv. N° Lexbase : L0173L8W). En outre, pour remédier aux incertitudes liées à la notion de caution avertie, ce texte ne se limite pas aux cautions profanes. Sur ce point, la solution retenue ici par la Cour de cassation nous semble pleinement reconductible.

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : Proportionnalité et cautionnement, Le champ d'application des dispositions relatives à la proportionnalité du cautionnement des personnes physiques envers les créanciers professionnels, in Droit des sûretés, (dir G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E7179E9R ;
  • v. ÉTUDE : Les effets du cautionnement entre le créancier et la caution, La responsabilité du créancier à l'égard de la caution pour non-respect de son obligation de mise en garde, in Droit des sûretés, (dir G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E3566E4T.

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Avocats/Procédure pénale

[Jurisprudence] Écoutes téléphoniques : la régularité des interceptions entre un avocat et la compagne de son client

Réf. : Cass. crim.,13 septembre 2022, n° 21-87.45, F-B N° Lexbase : A99668HL

Lecture: 5 min

N2719BZQ

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par Pauline Dufourq, Avocate pénaliste, cabinet Soulez Larivière

Le 06 Octobre 2022

Mots clefs : interception téléphonique • secret professionnel • nullité • instruction • avocat

La Chambre criminelle s’est prononcée le 13 septembre dernier sur la régularité d’un procès-verbal d’interception de communications. Pour la Cour de cassation, ne constitue pas une interception des correspondances émises par la voie des télécommunications, la surveillance ayant pour but de rendre compte des circonstances ayant permis la localisation d’un véhicule. Par ailleurs, la conversation entre l’avocat et la compagne de son client ne pouvait relever de l’exercice des droits de sa défense dans la mesure où l’intéressée n’avait pas été placée en garde à vue et n’était pas partie à la procédure.


 

Dans un arrêt remarqué en date du 13 septembre dernier, la Chambre criminelle a été saisie de la question de la régularité de l’interception de la communication entre un avocat et la compagne de son client.

En l’espèce, une information judiciaire était ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment. Dans ce cadre, plusieurs actes d’investigations étaient mis en œuvre par les enquêteurs et tout particulièrement l’interception de conversations entre une femme et l’avocat de son compagnon. Ces écoutes retranscrites par procès-verbal visaient les indications délivrées par l’avocat concernant le déferrement de son client et un rendez-vous au tribunal.

C’est dans ce contexte qu’une demande d’annulation était déposée visant notamment les conversations interceptées entre l’avocat et la compagne de son client. Les requérants invoquaient au soutien de leur demande les dispositions de l’article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1325MAC lequel dispose : « À peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense et couvertes par le secret professionnel de la défense et du conseil […] ».

Cette demande d’annulation était néanmoins écartée par la chambre de l’instruction laquelle retenait que le procès-verbal a pour objet une surveillance, qu’il ne s’agit pas d’un procès-verbal de transcription d’une conservation téléphonique et qu’il ne ressort pas de cet acte que l’avocat en question assure la défense de la personne titulaire de la ligne surveillée.

Non satisfaits de cette décision, les requérants formaient alors un pourvoi devant la Chambre criminelle.

Plusieurs moyens étaient alors formulés par ces derniers contre l’arrêt d’appel. Tout d’abord, ils critiquaient la chambre d’instruction d’avoir dénaturé le procès-verbal en relevant qu’il s’agissait d’un procès-verbal de surveillance et non de retranscription alors que la teneur d’une conversation entre un avocat et la compagne de son client y était retranscrite.

Ensuite, les requérants reprochaient à la cour d’appel d’avoir eu une lecture stricte des exigences prévues à l’article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale en retenant qu’il n’était pas établi que l’avocat dont l’interception était retranscrite assurait la défense de la compagne de son client. Pour les requérants, l’interdiction de la transposition n’est pas limitée aux seules conversations avocat-client mais s’étend aux échanges entre un avocat et un proche de son client, lorsque la conversation concerne les droits de la défense dudit client.

Enfin, les requérants critiquaient l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il avait retenu, pour écarter la demande de nullité, qu’il ne ressortait pas de la conversation interceptée que « cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique susvisée ainsi placée sous surveillance » sans rechercher, indépendamment de l’écoute, si l’avocat n’était pas celui de la compagne.

Pour rappel, la Chambre criminelle relève, au terme d’une jurisprudence constante, que la règle de libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, qui interdit l’interception de correspondances ou communications téléphoniques échangées entre eux, ne fait pas obstacle à l’interception des communications d’un proche de cette personne avec l’avocat de celle-ci, sauf si l’avocat est aussi le défenseur de ce proche (Cass. crim., 10 mai 1994, n° 93-81.522 N° Lexbase : A9171CGR et Cass. crim., 18 janvier 2006, n° 05-86.447, F-P+F+I N° Lexbase : A5634DMM).

Saisie de la question de la régularité de la retranscription de cet échange, la Chambre criminelle confirmait l’analyse de la chambre de l’instruction en considérant qu’il ne s’agissait pas d’un procès-verbal de retranscription mais de surveillance : « si l’interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense de son client s’étend à celles échangées à ce sujet entre l’avocat et les proches de celui-ci, les échanges litigieux relatifs au déférement de M. (K) au tribunal et au rendez-vous pris entre l’avocat et la compagne de celui-ci n’ont été rapportés que pour rendre compte des circonstances ayant permis la localisation du véhicule, de sorte que le procès-verbal en cause a eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension des investigations ».

Ensuite, la Cour de cassation constate que la compagne de M. (K) n’avait pas encore été placée en garde à vue dans le dossier au moment où s’est tenu l’échange téléphonique litigieux et n’était pas partie à la procédure au moment où la chambre de l’instruction a statué, de sorte que cette conversation avec l’avocat ne pouvait relever de l’exercice des droits de sa défense.

À travers cet arrêt, la Chambre criminelle retient une approche restrictive de la retranscription téléphonique en expliquant que le procès-verbal avait pour finalité de rendre compte des circonstances ayant permis la localisation du véhicule et ce faisant qualifie l’acte de surveillance. Cette décision peut être rapprochée d’un arrêt rendu le 2 avril 1997 à l’occasion duquel la Chambre criminelle a considéré que ne constitue pas une interception de correspondance émise par la voie des télécommunications, au sens des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L4798AQR ou 100 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1324MAB, le simple compte rendu de propos entendus par des policiers au cours d’une conversation téléphonique qui s’est déroulée en leur présence, sans artifice ni stratagème (Cass. crim., 2 avril 1997, n° 97-80.269 N° Lexbase : A1402ACW / n° 97-80.270).

newsid:482719

Avocats/Procédure

[Brèves] Différends entre avocats de barreaux différents : faute de décision du Bâtonnier tiers dans le délai imparti, la saisine de la cour d’appel est une simple faculté et une nouvelle demande d’arbitrage peut être formulée

Réf. : Cass. civ. 1, 14 septembre 2022, n° 21-10.911, F-D N° Lexbase : A47888I8

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N2687BZK

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par Adélaïde Léon

Le 06 Octobre 2022

► Lorsqu’un litige oppose des avocats de barreaux différents, la procédure de l’article 179-2 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, prévoit la saisie d’un Bâtonnier d’un barreau tiers. Lorsqu’à l’expiration du délai, éventuellement prolongé, dont dispose le Bâtonnier tiers pour statuer, celui-ci n’a pas pris de décision, la saisine de la cour d’appel dans le délai d'un mois constitue une simple faculté, non exclusive de celle de saisir le Bâtonnier d’une nouvelle demande d’arbitrage.

Rappel des faits et de la procédure. À l’occasion d’un différend opposant des avocats de barreaux différents, le Bâtonnier de Nantes a été saisi en qualité de Bâtonnier tiers. Après avoir prolongé de quatre mois le délai initial de quatre mois dont il disposait pour statuer, le Bâtonnier n’a pas pris de décision.

À la suite d’une nouvelle demande d’arbitrage, la présidente du Conseil national des barreaux, saisie par les Bâtonniers des deux barreaux auxquels appartenaient les confrères en litige, a désigné le Bâtonnier de Bordeaux pour arbitrer ce différend.

En cause d’appel. Le premier président près la cour d’appel de Bordeaux a déclaré irrecevable le recours des intéressés au motif que, le Bâtonnier de Nantes n’ayant pas statué dans le délai prescrit, la seule voie de recours était l’appel dans le mois ayant suivi l’expiration du délai de quatre mois et non la réouverture d’une seconde procédure de Bâtonnier tiers. Le premier président avait en outre précisé qu’il importait peu que le second Bâtonnier tiers ait été régulièrement saisi.

Les intéressés ont formé un pourvoi contre cet arrêt.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief au premier président de la cour d’appel d’avoir déclaré irrecevables les recours des avocats en litige. Les auteurs du pourvoi considéraient que, dans l’hypothèse où le Bâtonnier ne rend pas de décision dans le délai prévu par l’article 179-5, alinéa 1er du décret du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID, la saisine de la cour d’appel n’est pas une voie de recours mais constitue une simple faculté pour les parties. Ils soutenaient que l’absence d’exercice de cette faculté ne les privait pas, sous réserve de la prescription, d’engager une nouvelle procédure devant le Bâtonnier.

Décision. La première chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt du premier président de la cour d’appel de Bordeaux au visa des articles 179-2 et 179-5 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991.

La Cour rappelle la procédure édictée par le premier de ces arrêts laquelle organise le règlement des différends opposant des avocats de barreaux différents et prévoit les modalités de désignation du Bâtonnier d’un barreau tiers. La Haute juridiction souligne ensuite que selon le second article, le Bâtonnier désigné rend sa décision dans un délai de quatre mois (lequel peut être prolongé de quatre mois selon la complexité du différend).

La difficulté de cette affaire porte plus spécifiquement sur le dernier alinéa de l’article 179-5 précité, lequel prévoit que lorsque le Bâtonnier n’a pas pris de décision dans le délai imparti, « chacune des parties peut saisir la cour d’appel dans le mois qui suit l’expiration de ces délais ».

La Cour déduit de cette phrase que lorsque le Bâtonnier n’a pas statué dans le délai de quatre mois éventuellement prolongé, la saisine de la cour d’appel dans le délai d’un mois est une simple faculté. Les confrères en litige demeurent, selon la Cour, libres de saisir le Bâtonnier d’une nouvelle demande d’arbitrage.

C’est donc à tort que la cour d’appel avait jugé que la seule voie de recours après la décision du Bâtonnier de Nantes était l’appel dans le mois ayant suivi l’expiration du délai de quatre mois.

Pour aller plus loin : H. Bornstein, ÉTUDE : Les rapports entre avocats et avec les professionnels de Justice, Le règlement des conflits entre avocats de barreaux différents, in La profession d’avocats, (dir. H. Bornstein), Lexbase N° Lexbase : E39583RZ.

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Bancaire

[Le point sur...] Calcul du taux d’usure : difficultés et propositions

Lecture: 17 min

N2809BZ3

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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg

Le 05 Octobre 2022

Mots-clés : crédit • crédit aux consommateurs • crédit immobilier • taux d’intérêts • taux d’usure • modalités de calcul • inflation

Le droit régissant le calcul du taux d’usure pose des difficultés en période d’inflation et de hausse du taux d’emprunt. Plusieurs conséquences fâcheuses en découlent, et notamment une augmentation des refus de crédit et une fragilisation du secteur de l’immobilier. Étudions alors les solutions qui pourraient être mises en œuvre pour atténuer les difficultés relevées.


 

1. Si le banquier dispensateur de crédit est, en principe, libre pour déterminer le montant de l’intérêt demandé [1] il convient de rappeler qu’une limite non négligeable existe à travers le droit régissant l’usure.

2. Pour mémoire, l’usure est le profit qui est retiré d’un prêt au-dessus d’un seuil déterminé, appelé « seuil de l’usure », « taux de l’usure » ou « taux d’usure », et qui n’est pas jugé admissible par une disposition juridique.

3. Depuis plusieurs siècles, en effet, notre droit cherche à lutter contre l’usure, avec plus ou moins de rigueur selon les époques [2]. Longtemps rattachée à des considérations morales et religieuses, la question de l’usure est davantage liée de nos jours à des préoccupations d'ordre économique, et plus particulièrement au souci d'assainir les circuits du crédit, sur lesquels repose une part importante de la vie économique.

4. Notre droit actuel régissant l’usure a pour origine la loi n° 66-1010, du 28 décembre 1966, relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité [3], même s’il a fait l’objet, depuis, d’un certain nombre de modifications légales, notamment concernant son champ d’application. En effet, il est important de souligner que le droit régissant l’usure, trouvant aujourd’hui son siège aux articles L. 314-6 et suivants du Code de la consommation N° Lexbase : L3206K7U, n’est pas applicable à toutes les opérations de crédit.

5. Si par le passé, on devait à la jurisprudence des limitations en la matière [4], désormais les exclusions sont d’origines légales. Plus précisément, depuis la loi n° 2003-721, du 1er août 2003, relative à l’initiative économique N° Lexbase : L3557BLC et la loi n° 2005-882, du 2 août 2005, en faveur des PME N° Lexbase : L7582HEK, l’article L. 314-9 N° Lexbase : L1210K7X écarte expressément l’application des dispositions régissant l’usure « aux prêts accordés à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels ou à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale » [5]. Le droit applicable à l’usure ne s’impose ainsi aujourd’hui qu’aux crédits accordés aux consommateurs [6].

6. Or, ces derniers mois, le taux d’usure, et plus particulièrement son mode de calcul, donne lieu à des discussions. Il est vrai qu’en période de hausse des taux d’intérêt, cette limite peut occasionner un certain nombre de difficultés (I). Des solutions sont néanmoins susceptibles d’être proposées (II).

I. Les difficultés liées au calcul du taux d’usure

7. Rappelons comment est calculé le taux d’usure (A), avant d’en observer les conséquences négatives actuelles (B).

A. Le mode de calcul du taux d’usure

8. La formule pour calculer ce taux figure à l’article L. 314-6 du Code de la consommation. Selon ce dernier, il y a prêt usuraire si le taux effectif global du crédit en question « excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers [7], le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l'autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier ».

9. La procédure de calcul est alors la suivante [8]. Les différentes catégories de prêts aujourd’hui concernées par les règles régissant l’usure sont différenciées par un arrêté du ministre chargé de l'Économie [9]. Jusqu’au début des années 2010, les catégories en question étaient déterminées en prenant en compte à la fois la nature et le montant des prêts. Cependant, depuis la loi n° 2010-737, du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation N° Lexbase : L6505IMU, c’est-à-dire la loi « Lagarde », le droit a quelque peu évolué en la matière dans le but de lutter contre les catégories présentant un coût excessif [10]. Les catégories de prêts aux particuliers, à l’exception des prêts immobiliers, sont ainsi désormais définies, au regard de la notion d’usure, exclusivement en fonction de leur montant.

10. Plus concrètement, tous les trois mois, la Banque de France procède à une enquête auprès d'un « panel » d’établissements de crédit considérés comme représentatifs. Elle les interroge afin de savoir quel est le taux effectif global (TEG) ou taux annuel effectif global (TAEG [11]) qu’ils ont exigé en moyenne, au cours du trimestre précédent, pour chacune des catégories précitées de prêts. Une fois qu’elle a centralisé ces informations, la Banque de France détermine le taux effectif moyen (TEM) pratiqué par les établissements de crédit pour toutes ces catégories, puis elle calcule le taux d’usure (dit aussi seuil de l’usure ou taux de l’usure) à partir de ces TEM. Il lui suffit pour cela d’additionner à chacun de ces TEM son propre tiers. De la sorte, elle obtient le taux d’usure pour chacune des catégories. Le ministre chargé de l’Économie fait alors procéder à la publication au Journal officiel des taux effectifs moyens ainsi que des seuils d’usure correspondant. Cette publicité a lieu dans la seconde quinzaine du dernier mois de chaque trimestre civil, et ces taux servent de référence pour le trimestre suivant [12].

11. Illustrons nos propos avec des chiffres « ronds » qui faciliteront la compréhension du lecteur. Imaginons qu’après consultation des établissements de crédit, le taux effectif moyen d’une catégorie de crédit déterminée soit de 9,00 %. La Banque de France va alors ajouter à ce taux son propre tiers (en l'occurrence 3,00 %), ce qui lui permettra de déterminer le seuil d’usure : il sera ici de 12,00 %. Dès lors, si un prêteur vient à mentionner dans une offre de prêt, au cours du trimestre suivant, un TEG ou TAEG supérieur à ce seuil, par exemple 12,05 %, nous serons en présence d’un prêt usuraire.

12. Lorsque le juge est amené à déterminer si le taux d'un crédit est usuraire, il en compare le TEG ou le TAEG figurant au contrat au taux d’usure ainsi calculé pour la catégorie dans laquelle se classe le crédit en question. Le seuil de l’usure pris en considération est bien évidemment celui en vigueur au moment où le prêt a été consenti, ou, s'agissant de crédits à caractère renouvelable, à la date de chaque arrêté périodique de compte donnant lieu à perception d'intérêts [13]. Si le prêt est usuraire, le prêteur sera susceptible, en fonction des circonstances, de se voir infliger des sanctions pénales et des sanctions civiles [14].

13. Cette méthode de calcul du taux d’usure n’est cependant pas à l’abri de la controverse à la vue de certaines de ses conséquences en période d’inflation et de hausse des taux d’intérêt.

B. Les conséquence négatives du mode de calcul du taux d’usure

14. La méthode de calcul du taux d’usure fait, aujourd’hui, régulièrement l’objet de critiques, plus particulièrement en raison du contexte économique.

15. La France, comme la plupart des États dans le monde, connait, depuis un an, un niveau d’inflation important. Ainsi, entre juillet 2021 et juillet 2022, cette inflation est passée de 1,5 % à 6,8 % avant de ralentir légèrement en août (6,5 % ) [15].

16. Face à ce phénomène, la Banque centrale européenne n’a eu d’autres choix que d’augmenter ses taux directeurs. Ainsi, après une première hausse en juillet 2022 (hausse de 50 points de base), la BCE a décidé de relever à nouveau ces taux directeurs (hausse de 75 points de base) mi-septembre 2022. Il s’agit bien sûr d’une première dans l’histoire de l’euro. Elle efface ainsi une décennie de taux inférieurs à 1 %, voire de taux négatifs.

17. Sans surprise, ce contexte et ces mesures ont eu des incidences sur le taux d’emprun qui n’a cessé d’augmenter ces derniers mois. C’est manifeste pour les crédits immobiliers. Sur 15 ans, les taux d’intérêt ont carrément doublé, passant de 0,86 % fin 2021 à 1,70 % en septembre 2022. Sur 20 ans, il faut désormais compter 1,85 % (contre 1,10 % en janvier 2022), et 2 % sur 25 ans. De plus en plus de banques affichent d’ailleurs déjà des taux supérieurs à 2 % tant pour les crédits remboursables sur 20 ans que sur 25 ans.

18. Or, cette hausse ultra-rapide des taux occasionnerait l’exclusion de nombreuses demandes de prêts en raison de la limite du taux d’usure. En effet, il apparaît que ce dernier, qui est arrêté trimestriellement [16], augmente moins vite que les taux d’emprunt. On parle ici d’« effet ciseaux » [17].

19. Observons l’évolution du taux d’usure jusqu’en juillet 2022.

Les taux d’usure ont ainsi nettement diminué jusqu’en juillet, alors même qu’à ce moment-là les taux d’emprunt augmentaient fortement. En juillet 2022, l’écart entre les deux, pour les prêts immobilier à taux fixe d’une durée de 20 ans, n’était plus que de 0,6 %.

20. Un constat s’impose : il est techniquement impossible de prendre en compte tous les taux moyens pratiqués sur les 3 mois précédents, puisque le taux d’usure est publié le premier jour du trimestre. Il ne peut donc intégrer dans son calcul, au mieux, que ceux des 2 premiers mois du trimestre précédent. De surcroît, quand le taux d’usure du 1er juillet 2022 tient compte des TAEG pratiqués aux mois d’avril et mai 2022, les taux nominaux sont la plupart du temps accordés avant, soit au mois de mars ou février. Le décalage est donc encore plus grand.

21. L’effet ciseaux entraînerait une hausse notable des refus de crédit. Des chiffres se situant entre 10 % 15 % des dossiers ont pu être avancés à l’Agence France-Presse par des professionnels du crédit. Un député a même évoqué un taux de 20 % de refus [18].

22. Des effets « en chaîne » seraient alors à relever. D’une part, le secteur de l’immobilier serait en train de se figer. D’autre part, la pression se reporterait sur le marché du locatif, ce qui renforcerait l’effet d’inflation. Enfin, cette situation aurait également des conséquences pour les collectivités territoriales. En effet, il s’ensuivrait une baisse des droits de mutation versés aux départements et aux communes à l'occasion de ventes d'immeubles, ressource essentielle pour ces collectivités.

23. Face à cette situation, plusieurs établissements de crédit ont décidé de suspendre temporairement le recours aux courtiers [19]. L’idée, pour les professionnels de la banque, est ici de protéger leur marge en se passant des services de ces courtiers afin d’économiser les commissions d’apporteur qu’elles leur versent.

24. Que faire alors pour limiter l’ensemble de ces conséquences [20] ? Plusieurs solutions sont selon nous envisageables. Observons-les à présent.

II. Les propositions de solutions intéressant le taux d’usure

25. Deux solutions pourraient être mises en place pour limiter, voire remettre en cause, les difficultés liées à l’effet ciseaux précédemment évoqué. La première consisterait, simplement, à modifier le mode de calcul du taux d’usure (A). L’autre, plus radicale, chercherait à rétrécir le champ d’application du droit régissant l’usure, afin d’en exclure le crédit immobilier (B).

A. La modification du mode de calcul du taux d’usure

26. Plusieurs professionnels, et notamment les courtiers en crédit, ont demandé à l’exécutif, ces derniers mois, de déroger temporairement à l’application du taux d’usure en raison des circonstances exceptionnelles. Il est vrai que cette possibilité est envisagée par l’article D. 314-16, alinéa 2, du Code de la consommation N° Lexbase : L0682K97. Aux termes de ce dernier, en effet, « en cas de variation d'une ampleur exceptionnelle du coût des ressources des établissements de crédit, les taux effectifs moyens observés par la Banque de France peuvent être corrigés pour tenir compte de cette variation ».

27. Il a notamment été proposé par certains d’arrêter d’opérer les calculs en fonction des trois derniers mois et de ne se baser qu’à partir du dernier. Cela permettrait, pour les auteurs de cette proposition, de mieux « coller » à la réalité du marché.

28. Finalement, au mois de juin 2022, comme au mois d’octobre, le ministère de l’Économie a refusé de modifier le mode de calcul du taux d’usure [21].

29. En appliquant la méthode classique de calcul du taux d’usure, ce dernier a nettement augmenté au cours du dernier semestre [22].

30. Comment expliquer cette absence de réforme ? La fixation de ce taux d’usure a d’abord pour objectif de protéger les éventuels emprunteurs contre des taux excessifs qui lui seraient proposés. Le taux d’usure joue ainsi, comme l’indique le ministère de l’Économie sur son site internet, un rôle de « régulateur ». Toucher à ce plafond est alors « politiquement sensible ». Une modification de son calcul aurait pu être interprété comme un « cadeau » fait aux banques.

31. Peut-on se satisfaire des remontées mathématiques, évoquées précédemment, du taux d’usure ? La levée, très nette, des taux au mois d’octobre pourrait encourager à répondre par la positive. Pour autant, rien ne dit que ces seuils seront suffisants si le taux d’emprunt poursuit, pour sa part, son augmentation. Certains ont ainsi parlé d’une « embellie qui risque de ne pas durer » [23]. Une nouvelle hausse sera, peut-être, nécessaire en janvier prochain. Le relèvement proportionné du taux d’usure touche ici ses limites.

32. On ne sera donc pas surpris de noter que les critiques se poursuivent en la matière, comme en témoignent, par exemple, plusieurs questions écrites de parlementaires [24]. Les courtiers ont, pour leur part, rencontré le Gouverneur de la Banque de France pour discuter de leurs difficultés liées à l’évolution du taux d’usure [25].

33. Une mesure plus radicale ne pourrait-elle pas être préférée ici ? Quid, notamment, de l’exclusion des règles relatives à l’usure du crédit immobilier ?  

B. Le rétrécissement du champ d’application du taux d’usure

34. Le droit régissant le taux d’usure, et notamment son champ d’application, n’est pas immuable. L’histoire témoigne qu’il a déjà connu des évolutions notables. Les meilleurs exemples sont, à coup sûr, la loi n° 2003-721, du 1er août 2003, relative à l’initiative économique et la loi n° 2005-882, du 2 août 2005, en faveur des PME qui ont exclus le crédit professionnel du régime du taux d’usure. En effet, cela a été dit précédemment [26], désormais l’article L. 314-9 écarte expressément l'application des dispositions régissant l'usure « aux prêts accordés à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels ou à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale ».

35. L’objectif de l’évolution engendrée par les lois précitées était clairement de faciliter l’accès au crédit aux entreprises connaissant certaines difficultés financières et dont le crédit est, en conséquence, plus risqué. En effet, l’octroi d’un prêt à ces dernières impliquant un taux d’intérêt plus élevé, car prenant en considération ce risque, le seuil de l’usure pouvait constituer une limite empêchant le bénéfice du concours souhaité. Le législateur a donc estimé plus simple de faire échapper les crédits consentis aux entreprises au régime protecteur de l’usure afin que ces dernières puissent trouver plus facilement un partenaire financier, quel qu'en soit le coût [27].

36. Ne pourrions-nous pas alors prévoir une exclusion analogue à l’égard des crédits immobiliers ? Nous nous interrogeons.

37. Le taux d’usure est une mesure de protection essentielle, et c’est indiscutable, à l’égard du crédit à la consommation. En effet, la demande de crédit se faisant, parfois, sur un « coup de tête », il est important que les prêteurs ne puissent pas profiter de ce « besoin de crédit » pour exiger des intérêts trop élevés de l’autre partie. Or, la situation est radicalement différente en matière de crédit immobilier. La demande de crédit n’est pas réalisée dans l’instant, sous une certaine impulsion.

38. Par ailleurs, assisterions-nous nécessairement à des abus des prêteurs en cas de disparition du taux d’usure avec le crédit immobilier ? Nous ne le pensons pas. D’abord, les clients pourraient faire jouer la concurrence entre les banques. Cela aboutirait dès lors à la baisse des taux. Ensuite, il ne serait pas dans l’intérêt du banquier de rendre le crédit immobilier trop onéreux, car beaucoup de clients s’en détourneraient ou ne seraient plus à même d’en solliciter un.

39. En outre, une telle solution fragiliserait-elle la situation du client emprunteur ? Une réponse négative s’impose selon nous. On rappellera que d’autres mesures demeureraient à respecter, et notamment les exigences du Haut Conseil de stabilité financière.

40 Pour mémoire, le HCSF est l'autorité macroprudentielle française chargée d'exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d'en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. Le législateur a confié diverses missions à ce Haut Conseil, et notamment analyser les situations à risque, émettre des avis ou recommandations ou encore adapter des mesures dans son champ d'action [28]. Or, le 20 décembre 2019 [29] comme le 27 janvier 2021 [30], le HCSF a publié des recommandations cherchant à éviter une « surchauffe » sur le marché du crédit immobilier recommandation. Par ces textes, et notamment le second, le Haut Conseil est venu déclarer que les établissements prêteurs devaient veiller à ne pas accorder des crédits dont la durée de remboursement dépasserait 25 ans, et, surtout, à ne pas dépasser un taux d’effort de 35 %. Les établissements concernés sont néanmoins en droit de s’écarter de ces règles pour, au maximum, 20 % de la production trimestrielle de nouveaux crédits. Le Haut Conseil de stabilité financière a repris, dans une décision du 29 septembre 2021 [31], les exigences de la recommandation du 27 janvier 2021 [32]. En procédant de la sorte, le HCSF charge l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), c’est-à-dire le superviseur des secteurs de la banque et de l’assurance, de contrôler la bonne mise en œuvre de cette décision. L’ACPR est donc susceptible, désormais, d’infliger des sanctions disciplinaires (avertissements, blâme, etc.) et pécuniaires (qui peuvent être lourdes) aux établissements s’écartant des exigences en question.

41. Cette exigence liée au taux d’effort (qui doit d’ailleurs comprendre les charges liées à l'assurance-emprunteur) est donc déjà de nature à limiter les octrois de crédits aux clients les plus solvables. Une mise à l’écart des seuils de l’usure ne devrait donc pas remettre en cause cette situation.

 

[1] J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, N. Éréséo et J.-Ph. Kovar, Droit bancaire ?, Précis Dalloz, 2021, 3ème éd., n° 1775. Selon l’article 1907 du Code civil N° Lexbase : L2132ABL, « L’intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi, toutes les fois que la loi ne le prohibe pas ». Il découle alors de cette disposition que la fixation du taux conventionnel se fait, en principe, librement par accord entre les parties.

[2] G. Duteil et D. Thomas-Taillandier, Usure, Rép. Dalloz Pénal, 2015, n° 4 et s. ; S. Piédelièvre, Usure,  Rép. comm. Dalloz, 2012, n° 5 et s. ; J. Lasserre Capdeville, Le prêt usuraire, RLDA 2008, n° 31, p. 98, p. no 3.

[3] JORF du 20 décembre 1966, p. 11623.

[4] C’est ainsi que les règles sur l’usure ont été écartées, par les juges, en présence d’une clause pénale (Cass. com., 22 février 1977, n° 75-15.054, publié N° Lexbase : A8387AH4, D., 1977, info. rap., p. 244), d’un taux d’intérêt de retard fixé par la loi, et plus précisément la loi fiscale (Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-13.935, FS-P+B N° Lexbase : A5748DK4) ou encore d’un crédit-bail (CA Rouen, 3 juillet 1970, D., 1971, p. 465, note C. Dessens – CA Toulouse, 8 mai 1970, D., 1971, somm. 96 ; JCP, 1970, II, p. 481, note E.M. Bey).

[5]  S. Piédelièvre, Le déplafonnement de certains taux d'intérêt, JCP E, 2003, 1466. Sur cette exclusion du champ d’application, Cass. com., 25 novembre 2015, n° 14-23.224, F-P+B N° Lexbase : A0724NYH, Contr., conc. consom., 2016, comm. 50, obs. S. Bernheim-Desvaux ; RD banc. fin., 2016, comm. 53, obs. F.-J. Crédot et Th. Samin ; JCP G, 2015, 1386, obs. J. Lasserre Capdeville – Cass. civ. 1, 8 septembre 2021, n° 20-18.642, F-P+B N° Lexbase : A0724NYH, LEDB, novembre 2021, p. 4, n° 200i9, obs. N. Mathey ; RJDA, 2022, n° 36.

[6] Une exception à cette règle figure cependant l’article L. 313-5-1 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L2508IX8. Ce dernier applique en effet certaines règles relatives à l'usure aux découverts en compte consentis à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels ou à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale.

[7] Avant la loi n° 89-1010, du 31 décembre 1989, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles N° Lexbase : L2053A4S, dite loi « Neiertz », c’était 1/4. Un taux plafond était également envisagé avant cette loi.

[8]  C. consom., art. D. 314-15 et s N° Lexbase : L0681K94.

[9] Arrêté du 24 août 2006 fixant les catégories de prêts servant de base à l'application de l'article L. 313-3 du code de la consommation N° Lexbase : L3852K7S et de l'article L. 313-5-1 du Code monétaire et financier, relatifs à l’usure N° Lexbase : L8386HNW. Ce texte a été modifié à plusieurs reprises. V. not., arrêté du 16 juin 2016 portant modification de l'arrêté du 24 août 2006 fixant les catégories de prêts servant de base à l'application de l'article L. 313-3 du code de la consommation et de l'article L. 313-5-1 du code monétaire et financier, relatifs à l'usure N° Lexbase : L7530K8E. V. récemment, arrêté du 29 juin 2022 portant modification de l'arrêté du 24 août 2006 fixant les catégories de prêts servant de base à l'application de l'article L. 314-6 du code de la consommation et de l'article L. 313-5-1 du code monétaire et financier, relatifs à l'usure N° Lexbase : L2861MDC.

[10] Sur les impacts de cette réforme, J. Lasserre Capdeville, Second rapport du Comité de suivi de la réforme de l’usure, RD banc. fin., juillet-août 2013, étude 14, p. 9.

[11] Pour simplifier, on peut dire que le TAEG est le TEG applicable aux crédits à la consommation et aux crédits immobiliers.

[12]  C. consom., art. D. 314-15.

[13]  Soulignons que le juge sera dans l’obligation de faire une telle comparaison dans sa décision, et ne pourra se contenter de constater que la preuve du caractère usuraire n'est pas rapportée par les parties, Cass. civ. 1, 22 avril 1997, n° 95-13.270, publié N° Lexbase : A0407AC3, D. Affaires, 1997, p. 698 ; Contr., conc. consom., 1997, comm. 41, obs. G. Raymond – Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-19.175, F-D N° Lexbase : A1175IQL.

[14] J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, N. Éréséo et J.-Ph. Kovar, Droit bancaire, préc. n° 1923 et s. Il est bien rare aujourd’hui que le délit d’usure soit caractérisé. Pour un cas, CA Aix-en-Provence, 23 mars 2011, n° 2011/101. Le pourvoi contre cette décision a été rejeté, Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-84.438, F-D N° Lexbase : A3921INK, LEDB, novembre 2012, p. 8.

[15] La France reste néanmoins en dessous du niveau de la zone euro : 9,1 % en août 2022.

[16] V. supra, n° 10.

[17] Ch. Molin-Mabille, La réforme du courtage pourrait aussi bénéficier aux banques, Revue Banque, septembre 2022, n° 871, p. 86.

[18] QE n° 423 de M. Xavier Albertini, JOANQ 2 août 2022, réponse publ. 6 septembre 2022 p. 3957, 16ème législature N° Lexbase : L4793MEA.

[19] R. Gueugneau, G. Nedelec et E. Lederer, Immobilier : la hausse des taux contraint des banques à se passer des courtiers, Les Échos, 14 juin 2022, p. 27.

[20] On notera que ces incidences préjudiciables ne sont cependant pas partagées par la Banque de France qui considère qu’une majorité des prêts sont encore consentis à un niveau inférieur d’environ 50 points de base au taux de l’usure. Elle considère ainsi que le taux de croissance de la production de prêts reste historiquement très élevé : G. Nedelec, Taux d’usure : l’étau se desserre sur le crédit immobilier, Les Échos, 2 juillet 2022, p. 27. Une baisse très nette est pourtant relevée depuis deux mois, G. Nedelec, Crédit immobilier : la production reste forte mais commence à ralentir, Les Échos, 2 septembre 2022, p. 28.

[21] G. Nedelec, Crédit immobilier : Bercy refuse de toucher au taux d’usure, Les Échos, 28 juin 2022, p. 28 ; B. Lety, Prêt immobilier : le taux d’usure relevé au 1er octobre, mais sans coup de pouce supplémentaire, MoneyVox, 16 septembre 2022.

[22] Concernant les taux antérieurs, V. supra, n° 19.

[23] D. Guinot, Crédit immobilier : le taux maximum pour un emprunt à 20 ans dépassera les 3% au 1er octobre, Le Figaro, 28 septembre 2022.

[24] QE n° 423 de M. Xavier Albertini, JOANQ 2 août 2022, préc. ; Question n° 630 publiée au JOANQ, 9 août 2022, p. 3709 ; Question n° 712 publiée au JOANQ, 9 août 2022, p. 3712.

[25] R. Designolle, Prêt immobilier : le coup de pression des courtiers va-t-elle finir par payer ?, MoneyVox, 21 septembre 2022.

[26] V. supra, n° 5. Ne pas oublier qu’une limite existe, dans ce cas, pour les découverts, v. supra, note n° 6.

[27] Plus près de nous encore, une autre modification a été opérée. Un arrêté du 29 juin 2022 (cf. supra note 9) a été adopté afin de subdiviser en trois hypothèses distinctes le seuil de l’usure applicable aux crédits à taux fixe accordés à des personnes morales n’ayant pas d’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale. Une distinction est désormais faite entre les prêts d'une maturité supérieure à 2 ans et inférieure à 10 ans, puis de 10 ans à 20 ans, et enfin de plus de 20 ans. L’arrêté supprime également la catégorie des prêts consentis en vue d'achats ou de vente à tempérament pour les prêts à ces mêmes personnes. Ces évolutions sont entrées ne vigueur le 1er juillet 2022.

[28] C. mon. fin., art. L. 631-2-1 N° Lexbase : L8963LDC.

[29] HCSF, recommandation n° R-HCSF-2019-1, 20 décembre 2019 N° Lexbase : X9971CI7.

[30] HCSF, recommandation n° R-HCSF-2021-1, 27 janvier 2021 N° Lexbase : X6279CNU, J. Lasserre Capdeville, Crédit immobilier : adoucissement des exigences du HCSF, JCP E, 2021, n° 2, 24, p. 9.

[31] HCSF, décision n° D-HCSF-2021-7, 29 septembre 2021  relative aux conditions d’octroi de crédits immobiliers [en ligne

[32] J. Lasserre Capdeville, HCSF : des règles plus contraignantes en matière d’octroi de crédits immobiliers, JCP E, 2021, n° 39, act. 658.

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Collectivités territoriales

[Brèves] « Grands livres budgétaires » d'un département : communicabilité des données hors « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation » !

Réf. : CE 9°-10° ch. réunies, 27 septembre 2022, n° 452614, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A21378LQ

Lecture: 2 min

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par Yann Le Foll

Le 05 Octobre 2022

Sont communicables les fichiers de comptabilisation des titres de recettes et mandats de paiement émis par un département après suppression, au sein de chaque fichier, de l'ensemble des colonnes intitulées « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation »

Faits. Une demande de communication des « grands livres budgétaires » d'un département au titre des années 2015 à 2017 a été formulée par un particulier souhaitant disposer de la liste des mandats de dépenses et des titres de recettes émis par le département. Ces fichiers étaient constitués en l'espèce sous la forme de six tableaux retraçant au total plus de 300 000 mandats de paiement et 75 000 titres de perception. 

Remarque CE. À chacune de ces opérations comptables peuvent être associés des tiers, tels que, par exemple, les bénéficiaires de dépenses relatives à l'action sociale, d'insertion ou en matière de santé menée par le département.

Or, il ne revient pas à l'administration d'opérer, sur des documents d'un tel volume, une vérification ligne à ligne des informations potentiellement protégées au titre de l'article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L7092MAW, cette recherche représentant une charge disproportionnée au regard des moyens à disposition (voir pour une telle solution concernant un droit d'accès aux budgets et comptes d’une commune, CE, 9°-10° ch. réunies, 17 mars 2022, n° 449620, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A99077QY). 

Décision. Dans les circonstances de l'espèce, les documents sollicités pouvaient néanmoins être communiqués après suppression, au sein de chaque fichier, de l'ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables, telles que par exemple celles intitulées « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation », tout en conservant un intérêt pour la personne ayant sollicité leur communication.

Le requérant est donc fondé à demander, sous réserve de cette occultation, l'annulation de la décision du 27 février 2018 du département de l'Essonne, confirmant son refus de communiquer les fichiers de comptabilisation des titres de recettes et mandats de paiement émis par le département au titre des années 2013 à 2017.

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Copropriété

[Brèves] Prescription biennale du droit de la consommation : le syndicat des copropriétaires, non-professionnel, ne peut définitivement pas s’en prévaloir !

Réf. : Cass. civ. 3, 28 septembre 2022, n° 21-19.829, FS-B N° Lexbase : A34318LN

Lecture: 4 min

N2805BZW

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 05 Octobre 2022

► Un syndicat de copropriétaires, qualifié de non-professionnel au regard du Code de la consommation, ne saurait bénéficier de la prescription biennale du droit de la consommation, bénéficiant aux seuls consommateurs, et non aux non-professionnels ; cette situation n’est ni contraire à la Constitution ni contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Le litige opposait un syndicat de copropriétaires à une société qu’il avait chargée de réaliser divers travaux, laquelle société l'avait, en référé, assigné en paiement d'une provision correspondant à des factures impayées. Par arrêt du 20 mai 2021, la cour d'appel de Paris avait rejeté la fin de non-recevoir tirée d'une prescription biennale de l'action, en application de l’article L. 218-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L1585K7T.

Constitutionnalité. À l'occasion du pourvoi qu'il avait formé contre cet arrêt, le syndicat avait demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire relative à la constitutionnalité de l'article L. 218-2 précité.

Par décision rendue le 17 février 2022, la Cour de cassation avait dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC soulevée (Cass. civ. 3, 17 février 2022, n° 21-19.829, FS-B, QPC N° Lexbase : A40647NT). La Cour suprême avait estimé en effet que la question soulevée ne présentait pas un caractère sérieux, en ce qu'à la différence d'un consommateur, un non-professionnel est une personne morale, de sorte que la différence de traitement critiquée, qui est ainsi fondée sur une différence objective de situation, est en rapport avec l'objet de la loi tendant à assurer la protection des consommateurs dans leurs rapports avec les professionnels.

Conventionnalité. Le syndicat a donc tenté de faire valoir l’argument, par la voie de la conventionnalité, au regard de l'article 14 de Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Il n’obtiendra pas davantage gain de cause.

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, l'article liminaire du Code de la consommation dispose que, pour l'application de celui-ci, on entend, par consommateur, toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et, par non-professionnel, toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles.

Cette différence de statut juridique, issue de la Directive 2011/83/UE, du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs N° Lexbase : L2807IRE, est fondée sur la personnalité morale des non-professionnels qui ne les place pas dans une situation analogue ou comparable à celle des personnes physiques.

À la différence d'une personne physique, un syndicat de copropriétaires est ainsi, en application de la loi n° 65-557, du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, pourvu de trois organes distincts : le syndic, le conseil syndical et l'assemblée générale des copropriétaires, dont le fonctionnement, régi par cette loi, est également encadré par un règlement de copropriété.

Dès lors, en l'absence de différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le syndicat ne pouvait se prévaloir de la prescription biennale de l'action des professionnels, pour les biens et les services qu'ils fournissent aux consommateurs, prévue par l'article L. 218-2 du Code de la consommation.

Observations. On rappellera que, si les syndicats de copropriété, en tant que non-professionnels, ne bénéficient pas de la prescription biennale du droit de la consommation, ils ne sont pas pour autant exclus de l’ensemble des dispositions protectrices du droit de la consommation, dès lors que le texte en cause vise, à côté du consommateur, le non-professionnel ; tel est le cas s’agissant de la protection contre les clauses abusives (v. Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2950DHQ). De même, la Cour de cassation a pu juger que le syndicat des copropriétaires, non-professionnel tel que défini par l'article L. 136-1 du Code de la consommation (v. désormais, C. cons., art. L. 215-1), était concerné par l'information due par tout professionnel relative à la reconduction des contrats (Cass. civ. 1, 23 juin 2011, n° 10-30.645, FS-P+B+I N° Lexbase : A2997HUK).

Pour aller plus loin : à propos de la qualité de non-professionnel d’un syndicat de copropriétaires, v. ÉTUDE : Le syndicat des copropriétaires, spéc. La personnalité morale du syndicat des copropriétaires, in Droit de la copropriété, (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase N° Lexbase : E5906ETW.

 

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Droit social européen

[Jurisprudence] Le délégué à la protection des données n’est pas un salarié protégé, mais est soumis à une protection spécifique dans la rupture de son contrat de travail

Réf. : CJUE, 22 juin 2022, aff. C-534/20 N° Lexbase : A168278S

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par Jérôme Giusti, Avocat associé, Géraldine Salord, Avocate associée et Docteur en droit privé et Alexandre Philipponneau, Avocat, Cabinet Metalaw

Le 05 Octobre 2022

Mots clés : délégué à la protection des données • DPO • RGPD • rupture des relations de travail • licenciement • faute grave • CJUE

Par application de l’article 38, § 3 du RGPD, il n’est pas possible de sanctionner ou licencier un délégué à la protection des données dans l’exercice de ses missions. N’étant toutefois pas un salarié protégé, ce dernier dispose ainsi d’une protection spécifique contre le licenciement sauf à commettre une faute dans l’exécution de ses fonctions, au sens du droit du travail, par exemple, une incapacité professionnelle, une violation de son indépendance ou violation du secret des affaires. En droit français, cette faute n’a pas à être caractérisée par une quelconque gravité.


Un arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne nous offre l’opportunité de nous pencher sur la protection du délégué à la protection des données à l’occasion de la rupture de son contrat de travail, laquelle fait l’objet d’une disposition particulière dans le règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la circulation de ces données, dit « RGPD » N° Lexbase : L0189K8I. L’article 38, § 3 du RGPD dispose en effet que « […] le délégué à la protection des données ne peut être relevé de ses fonctions ou pénalisé par le responsable du traitement ou le sous-traitant pour l’exercice de ses missions ».

Faits et question préjudicielle. Le litige ayant donné lieu à la décision commentée opposait une salariée, qui occupait les doubles fonctions de cheffe du service des affaires juridiques et de déléguée à la protection des données (DPO), à son ancien employeur, la société allemande Leistritz AG.

Durant l’été 2018, la salariée a été licenciée, avec préavis, en raison de la décision de son employeur d’externaliser la fonction de conseil juridique et de délégué à la protection des données au bénéfice d’un prestataire tiers. Or, et en application du droit interne allemand, la salariée, DPO de la société Leistritz AG, ne pouvait être licenciée que pour faute grave [1]. En application de cette disposition de droit interne, les juges du fond ont donné raison à la salariée en ce que la mesure de restructuration alléguée ne constituait pas une faute grave et ont jugé, par voie de conséquence, le licenciement illégal.

La Cour fédérale du travail d’Allemagne, saisi d’un recours en révision, fit observer que l’illégalité du licenciement, en application des dispositions de droit interne, dépendait du point de savoir si le droit de l’Union et en particulier, l’article 38, § 3 du RGPD, autorisait la législation d’un État membre à subordonner le licenciement d’un DPO à des conditions plus strictes que celles prévues par le droit de l’Union ; autrement dit, si le DPO pouvait n’être licencié que pour un motif grave.

C’est dans ces circonstances que la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle par le Bundesarbeitsgericht [2].

Décision de la CJUE. En synthèse, la CJUE précise que l’interprétation de l’article 38, § 3 du RGPD doit se faire à la lumière des termes de cette disposition, mais aussi en prenant en compte son contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie. Au demeurant, la Cour relève que chaque État membre est libre de prévoir des dispositions particulières plus protectrices en matière de licenciement du délégué à la protection des données, pour autant que ces dispositions soient compatibles avec le droit de l’Union européenne. Ainsi, une protection accrue ne doit pas compromettre la réalisation des objectifs du RGPD, ce qui, selon la Cour, serait le cas si une telle réglementation « empêchait tout licenciement, par un responsable du traitement ou par un sous-traitant, d’un délégué à la protection des données qui ne possèderait plus les qualités professionnelles requises pour exercer ses missions ou qui ne s’acquitterait pas de celles-ci conformément aux dispositions du RGPD » [3]. En conclusion, la Cour considère qu’une réglementation nationale prévoyant le licenciement pour des motifs graves d’un délégué à la protection des données n’est pas contraire au droit de l’UE, sous réserve qu’une telle réglementation ne compromette pas la réalisation des objectifs du RGPD.

Les enseignements de l’arrêt de la CJUE

Qu’est-ce qui justifie une protection exceptionnelle contre la rupture des relations de travail au profit du DPO ?

Le RGPD se fixe deux objectifs principaux à savoir, d’une part, assurer un niveau cohérent et élevé de protection des personnes physiques à l’égard des traitements de leurs données à caractère personnel et d’autre part, lever les obstacles à la libre circulation des données à caractère personnel au sein du marché intérieur de l’UE [4].

Afin de remplir ces objectifs, il est nécessaire que les dispositions du RGPD soient appliquées uniformément dans l’UE, c’est-à-dire qu’il existe, au sein de cet espace géographique, un même niveau de droits opposables, d’obligations et de responsabilités pour les responsables de traitement et sous-traitants, des sanctions équivalentes et une coopération efficace entre les autorités de contrôle des différents États membres [5].

Le DPO est l’expert du responsable de traitement ou du sous-traitant en matière de droit des données personnelles. En effet, il est désigné sur la base de ses qualités professionnelles et, en particulier, de ses connaissances spécialisées du droit et des pratiques en matière de protection des données [6].

Le DPO a notamment pour mission de prodiguer des conseils personnels sur le traitement des données et de contrôler le respect des règles de protection des données [7] au sein de l'entreprise responsable de traitement ou du sous-traitant qui l’emploie. Il veille à la bonne application du RGPD au sein de l’entreprise. Il est la personne qui est en contact avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en France, en cas de contrôle.

Ce délégué est donc considéré comme un rouage essentiel de la bonne application du RGPD au sein des entreprises responsables de traitement ou sous-traitantes.

C’est pour ces raisons que le délégué à la protection des données doit pouvoir exercer ses fonctions et missions en toute indépendance [8], sans subir de pression de la part de son employeur ou de son donneur d’ordre.

Quelle protection pour le DPO ?

Au préalable, rappelons qu’en droit français, le DPO n’est pas un salarié protégé au sens des articles L. 2411-1 N° Lexbase : L8528LGX et suivants du Code du travail [9], si bien qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de l’Inspection du travail pour procéder à son licenciement.

Néanmoins, le DPO bénéficie d’une large protection dans l’exercice de ses missions. En effet, le RGPD est un règlement, soit un acte juridique de portée générale, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans l’ordre juridique des États membres à compter de son entrée en vigueur. Cela a notamment pour conséquence de permettre d’invoquer directement les dispositions qu’il contient devant les juridictions nationales.

Concernant plus spécifiquement les garanties matérielles instaurées par le RGPD pour protéger la fonction et l’indépendance du DPO au sein de l’entreprise/institution publique, l’on relèvera que celui-ci :

  • doit être associé, de manière appropriée et en temps utile, à toutes les questions relatives à la protection des données à caractère personnel [10] ;
  • doit bénéficier des ressources nécessaires pour exercer ses missions, avoir accès aux données à caractère personnel du responsable de traitement et aux opérations de traitements et bénéficier de formations régulières afin d’entretenir ses connaissances [11] ;
  • ne doit recevoir aucune instruction relative à l’exercice de ses missions et doit directement être en rapport avec le niveau le plus élevé de direction du responsable de traitement ou du sous-traitant [12] ;
  • est soumis au secret professionnel et à une obligation de confidentialité [13] ;
  • n’est pas personnellement responsable en cas de non-respect du RGPD chez le responsable de traitement ou le sous-traitant qu’il conseille. En effet, le respect de la protection des données relève de la responsabilité du responsable de traitement ou du sous-traitant.

Mais surtout, le DPO ne peut être « relevé de ses fonctions ou pénalisé par le responsable du traitement ou le sous-traitant pour l’exercice de ses missions » [14].

En premier lieu, la CJUE relève que cette disposition protectrice s’applique indistinctement tant au DPO qui est lié au responsable de traitement ou au sous-traitant par un contrat de travail qu’à celui qui exerce ses missions sur la base d’un contrat de prestation de service conclu avec ces derniers [15]

En deuxième lieu, la protection accordée par l’article 38, § 3 du RGPD au DPO s’applique à la fois aux cas de rupture des relations de travail, mais également à toute mesure qui lui serait défavorable. Ainsi, le comité européen de la protection des données [16] (CDPE) précise à ce sujet que : « les sanctions peuvent prendre des formes diverses et peuvent être directes ou indirectes. Il peut s’agir, par exemple, d’absence de promotion ou de retard dans la promotion, de freins à l’avancement de carrière ou d’un refus de l’octroi d’avantages dont bénéficient d’autres travailleurs. Il n’est pas nécessaire que ces sanctions soient effectivement mises en œuvre, une simple menace suffit pour autant qu’elle soit utilisée pour sanctionner le DPO pour des motifs liés à ses activités de DPO » [17].

En troisième lieu, le champ d’application de cette protection s’étend à toutes les sanctions prises pour un motif tiré de l’exercice des missions du DPO, ces missions étant déterminées à l’article 39, § 1 du RGPD [18].

Ainsi, les lignes directrices de la CEPD proposent un exemple de motif tiré de l’exercice des missions du DPO : « par exemple, si un DPD [DPO] considère qu’un traitement particulier est susceptible d’engendrer un risque élevé et conseille au responsable du traitement ou au sous-traitant de procéder à une analyse d’impact relative à la protection des données, mais que le responsable du traitement ou le sous-traitant n’est pas d’accord avec l’évaluation du DPD [DPO], ce dernier ne peut être relevé de ses fonctions pour avoir formulé cet avis » [19].

Il ressort de ce qui précède que le délégué peut être a contrario sanctionné pour des raisons relevant de la législation du travail, ou du contrat de prestation de services, comme le relève d’ailleurs l’EDPB (= CDPE en français) : « dans le cadre d’une gestion normale, et comme c’est le cas, pour tout autre employé ou sous-traitant conformément au droit des contrats ou au droit du travail […] un DPD [DPO] pourra toujours être licencié légitimement pour des motifs autres que l’exercice de ses missions (par exemple, en cas de vol, de harcèlement moral ou sexuel ou d’autres fautes graves similaires) » [20].

C’est d’ailleurs ce que rappelle également la CJUE dans l’arrêt commenté puisqu’elle précise que l’article 38, § 3 du RGPD n’a « pas pour objet de régir globalement les relations de travail, lesquelles ne sont susceptibles d’être affectées que de manière accessoire, dans la mesure strictement nécessaire à la réalisation de ces objectifs » [21].

L’interdiction de sanctionner un DPO pour un motif tiré de l’exercice de ses fonctions entraîne-t-il un risque juridique si la sanction ou la rupture des relations de travail est justifiée par l’incompétence du délégué et/ou par l’existence de graves carences dans l’application de ses missions ?

Au préalable, relevons que le RGPD se contente uniquement de prescrire une interdiction de rompre les relations de travail avec le DPO pour un motif tiré de l’exercice de ses fonctions. L’article 38 du RGPD n’instaure aucune exception à cette interdiction. Quant aux lignes directrices de l’EDPB concernant les DPO, ou encore la dernière version de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS, celles-ci sont muettes sur la possibilité de rompre les relations de travail pour incompétence ou en raison de l’existence de carence dans l’exercice des missions.

Comme le souligne, dans ses conclusions, Monsieur Richard de la Tour, Avocat général auprès de la CJUE dans cette affaire, peu d’États membres ont pris des dispositions particulières relatives au licenciement, en se limitant à l’interdiction pure et simple issue de l’article 38, § 3 du RGPD.

Toutefois, trois États, dont l’Allemagne, ont choisi de compléter et préciser cette interdiction. Ainsi, le législateur belge a choisi de rédiger cette disposition de la manière suivante : « [l]’employeur ou l’autorité compétente ne peut rompre le contrat du conseiller, mettre fin à l’occupation statutaire du conseiller ou l’écarter de sa fonction que pour des motifs qui sont étrangers à son indépendance ou pour des motifs qui démontrent qu’il est incompétent à exercer ses missions » [22]. Il en est de même du législateur espagnol qui a souhaité préciser que : « lorsque le délégué à la protection des données est une personne physique au sein de l’organisation du responsable du traitement ou du sous-traitant, il ne peut être ni révoqué ni sanctionné par le responsable du traitement ou le sous-traitant au titre de l’exercice de ses fonctions, sauf en cas de faute intentionnelle ou de négligence grave lors de l’exercice de celles-ci » [23].

Cette interprétation de l’article 38, § 3 du RGPD est d’ailleurs confirmée par l’Avocat général, mais également par la Cour, dans l’arrêt commenté, puisque cette dernière juge que la protection accrue du DPO « ne saurait compromettre la réalisation des objectifs du RGPD. Or, tel serait le cas si celle-ci empêchait tout licenciement, par un responsable du traitement ou par un sous-traitant, d’un délégué à la protection des données qui ne possèderait plus les qualités professionnelles requises pour exercer ses missions ou qui ne s’acquitterait pas de celles-ci conformément aux dispositions du RGPD » [24].

En conséquence, il nous semble possible de rompre la relation de travail avec un DPO pour un motif tiré de l’exercice de ses missions et ce, lorsque ce dernier :

  • s’avère ne pas disposer des qualités professionnelles et/ou des connaissances spécialisées du droit et des pratiques en matière de protection des données exigées par le RGPD lors de sa nomination [25] ;
  • lorsqu’il n’exerce pas de manière indépendante ses missions c’est-à-dire, d’une part, lorsqu’il reçoit des instructions concernant l’exercice de ses missions et, d’autre part, lorsqu’il n’est pas en lien direct avec le rapport le plus élevé de la direction du responsable de traitement ou du sous-traitant [26] ;
  • lorsqu’il viole le secret professionnel auquel il  est soumis par le RGPD dans l’exercice de ses missions [27] ;
  • en cas de conflit d’intérêts [28]. Relevons à ce propos que la CJUE est saisie de deux affaires par la Cour fédérale du travail d’Allemagne avec des questions préjudicielles identiques à l’arrêt commenté, mais qui concerne des cas de relèvement des fonctions pour cause de conflits d’intérêts. Dans l’une de ces affaires, la Cour fédérale d’Allemagne a également transmis une question supplémentaire qui porte sur les critères d’un tel conflit [29].

En conclusion, relevons que la protection accordée au DPO par l’article 38, § 3 du RGPD n’est pas absolue. Cette protection a été instituée afin de protéger le DPO de manœuvres ayant pour objet de faire taire un délégué consciencieux qui solliciterait l’application des règles européennes et internes en matière de données personnelles. Néanmoins, la rédaction large de l’interdiction issue de l’article 38, § 3 du RGPD ou encore l’absence de précisions du législateur dans la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés concernant la portée de cette protection risque d’entraîner un certain nombre de contentieux sur l’application de cette disposition. Partant, l’on ne peut que recommander aux responsables de traitement ou aux sous-traitants de motiver avec le plus grand soin le courrier de rupture des relations de travail, si cette rupture devait être en lien avec les missions du DPO.


[1] Article 6 § 4 du Bundesdatenschutzgesetz (loi fédérale sur la protection des données) du 20 décembre 1990, dans sa version en vigueur du 25 mai 2018 au 25 novembre 2019.

[2] Cour fédérale du travail, Allemagne.

[3] CJUE, 22 juin 2022, aff. C-534/20 N° Lexbase : A168278S, point 35.

[4] Voir en ce sens le considérant n° 10 et l’article 1er du RGPD, mais également CJUE, 6 octobre 2020, aff. C-511/18, C-512/18 et C-520/18, La Quadrature du Net et a. N° Lexbase : A78303WW, point 207 : « Quant aux exigences découlant du règlement n° 2016/679, il convient de rappeler que celui-ci vise, notamment, ainsi qu’il ressort de son considérant 10, à assurer un niveau élevé de protection des personnes physiques au sein de l’Union et, à cette fin, à assurer une application cohérente et homogène des règles de protection des libertés et des droits fondamentaux de ces personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans l’ensemble de l’Union (voir, en ce sens, CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18, Facebook Ireland Ltd N° Lexbase : A26443RD, point 101) ».

[5] Voir considérant 13 du RGPD.

[6] RGPD, art. 37, § 5.

[7] RGPD, art. 39.

[8] Considérant 97 du RGPD : « [...] De tels délégués à la protection des données, qu’ils soient ou non employés du responsable du traitement, devrait être en mesure d’exercer leurs fonctions et missions en toute indépendance ».

[9] Question écrite n° 02896 M. Claude Raynal, Haute-Garonne - SOCR, publiée dans le JO Sénat du 25 janvier 2018, p. 285.

[10] RGPD, art. 38, § 1.

[11] RGPD, art. 38, § 2.

[12] RGPD, art. 38, § 3.

[13] RGPD, art. 38, § 5.

[14] RGPD, art. 38, § 3.

[15] CJUE, 22 juin 2022, aff. C-534/20 N° Lexbase : A168278S, point 24.

[16] Organe consultatif de l’Union européenne indépendant sur la protection des données et de la vie privée.

[17] Lignes directrices concernant les délégués à la protection des données (DPO), adoptées le 13 décembre 2016, version révisée et adoptée le 5 avril 2017, p. 18 et 19.

[18] Notamment informations et conseils aux dirigeants et aux employés qui procèdent au traitement, contrôle du respect du RGPD, conseils sur la réalisation de l’analyse d’impact relative à la protection des données et la vérification de la bonne exécution de cette analyse, coopération avec les autorités de contrôle.

[19] Lignes directrices concernant les délégués à la protection des données (DPO), adoptées le 13 décembre 2016, version révisée et adoptée le 5 avril 2017, p. 18.

[20] Idem, p. 19.

[21] CJUE, 22 juin 2022, aff. C-534/20 N° Lexbase : A168278S, point 28.

[22] Arrêté royal relatif aux conseillers en sécurité et en protection de la vie privée et à la plate-forme de la sécurité et de la protection des données du 6 décembre 2015, publié le 28 décembre 2015, Belgique.

[23] Loi espagnole, article 36, § 2, Ley Organica 3/2018 de Proteccion de datos personales y garantia de los derechos digitales du 5 décembre 2018.

[24] CJUE, 22 juin 2022, aff. C-534/20 N° Lexbase : A168278S, point 35.

[25] RGPD, art. 37, § 5.

[26] RGPD, art. 38, § 3.

[27] RGPD, art. 38, § 5.

[28] RGPD, art. 38, § 6.

[29] CJUE, 13 septembre 2021, aff. C-560/21, KISA ; CJUE, 21 juillet 2021, aff. C-453/21, X-FAB

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Fiscalité des entreprises

[Actes de colloques] L’adaptation du droit des entreprises en difficulté à la créance fiscale

Lecture: 26 min

N2798BZN

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par Karine Lemercier, Maître de conférences à l’Université du Mans

Le 06 Octobre 2022

Mots-clés : procédures collectives • entreprises en difficulté • créance fiscale • créances publiques • délais de paiement

Cette contribution fait partie des interventions du colloque « La transversalité du droit fiscal » qui n’a pas pu se tenir à cause des évènements liés au Covid-19.

L’auteur tient à remercier chaleureusement Madame Armel Le Ruyet pour l’organisation de ce qui s’annonçait comme un superbe colloque et pour son invitation à y participer. Qu’elle soit également remerciée d’avoir fait en sorte que, le colloque n’ayant hélas pu se tenir, les « actes » en puissent néanmoins être publiés.


 

En droit des entreprises en difficulté, la créance fiscale n’est pas une créance comme les autres [1]. Elle fait partie d’une catégorie de créances - celle des créances publiques [2] - à laquelle le droit de l’insolvabilité a dû s’adapter [3]. Avant 1967, la créance fiscale était hermétique aux règles applicables du droit des procédures collectives. Le Trésor public était dispensé des formalités de production et de vérification de sa créance, et surtout, il conservait son droit de poursuite individuelle sur l’ensemble de l’actif mobilier du contribuable en difficulté en dépit du jugement prononçant la mise en règlement judiciaire ou la faillite de ce dernier [4]. Cette primauté était justifiée par le caractère d’ordre public des créances fiscales [5] ; l’intérêt général représenté par le Trésor public primant alors sur l’intérêt particulier - privé - des autres créanciers [6]. Ce régime de faveur a été infléchi progressivement par l’impératif de protection du droit des entreprises en difficulté qui a innervé les dernières grandes réformes. Les lois de 1967 et 1985 [7] ont ainsi contribué à ramener progressivement le Trésor public « au rang de créancier comme les autres » [8] en lui faisant subir l’impact de l’ouverture d’une procédure collective.  Le Trésor public ne pouvait notamment plus obtenir le règlement des impôts impayés [9] ou appliquer des majorations de retard de paiement des impôts à compter du jugement d’ouverture, et ce, par application de la règle de l’arrêt du cours des intérêts. La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 [10] a poursuivi ce mouvement d’assimilation de la créance fiscale aux autres créances en priant le Trésor public de consentir certains sacrifices par le biais de remises fiscales. Du rôle répressif qui lui a été longtemps assigné, le Trésor public est apparu alors de plus en plus comme « un partenaire comme les autres, susceptible d’apporter une aide considérable aux entreprises en difficulté » [11], à la condition toutefois de respecter les règles européennes sur les aides fiscales [12]. Des délais de paiement peuvent ainsi lui être imposés lors d’une procédure de conciliation pour favoriser la conclusion d’accords destinés à mettre fin aux difficultés de l’entreprise [13], ou dans le cadre d’un plan et ce, de manière uniforme - sans distinction - entre les créanciers publics et privés [14]. Bien plus, on observe que le créancier privé (de la new money) bénéficie d’un sort plus favorable que le créancier public en ce qu’il ne peut se voir imposer ni délai, ni remise.

L’assimilation complète de la créance fiscale aux autres créances fait toutefois défaut. Elle semble même parfois en recul. En témoigne l’évolution législative, avec notamment l’introduction d’une disposition dérogatoire par l’ordonnance n° 2014-326, du 12 mars 2014, portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives N° Lexbase : L7194IZH dans le cas où le débiteur est poursuivi par le Trésor public pendant l’exécution de l’accord constaté ou homologué ; l’alinéa 2 de l’article L. 611-10-1 du Code de commerce N° Lexbase : L1070KZN exclut l’octroi de délais de grâce au paiement de créances fiscales n’ayant pas fait l’objet de l’accord [15]. En témoignent également les arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui font une interprétation spécifique des dispositions du code de commerce pour la créance fiscale [16], ou simplement un rappel récurrent de la lettre des textes [17]. En témoigne aussi la pratique où l’on constate que la dette fiscale est généralement apurée en priorité lors de l’exécution du plan amiable [18]. Le rôle même du Trésor public est spécifique en ce qu’il est un interlocuteur privilégié [19] dès les premières difficultés financières de l’entreprise [20].

S’impose alors une réflexion, celle de savoir si l’assimilation de la créance fiscale aux autres créances n’est pas un vœu pieu, et si elle ne conserve pas une spécificité inhérente à la nature de cette créance. Pour y répondre, nous examinerons comment le droit des entreprises en difficulté s’adapte à la créance fiscale [21] à travers les deux temporalités d’une créance soumise à une procédure collective : celle de sa déclaration (I) et celle de son paiement (II).

I – L’adaptation des règles relatives à la déclaration de la créance fiscale

Comme tout créancier - à l’exception des salariés - le Trésor public doit respecter les dispositions classiques relatives à la déclaration de créances [22]. Il doit déclarer, à peine d’inopposabilité [23], les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture d’une procédure collective. Et en cas de non-respect du délai de déclaration à titre définitif, il peut demander un relevé de forclusion [24]. Toutefois, lorsque la créance fiscale n’est pas établie par un titre exécutoire au moment de la déclaration [25], le code de commerce prévoit des dispositions dérogatoires spécifiques (A). Bien plus, en cas de contestation de la créance fiscale, ce sont des règles propres au droit fiscal qui trouvent à s’appliquer (B).

A. L’application de règles dérogatoires pour la déclaration d’une créance fiscale non établie par un titre

Si les règles dérogatoires visent de manière générale les créances publiques non établies par un titre (1), certaines visent spécifiquement les créances fiscales en permettant l’établissement définitif de celles qui sont admises provisionnellement (2).

1) La déclaration à titre provisionnel des créances fiscales

L’alinéa 4 de l’article L. 622-24 du Code de commerce prévoit des règles dérogatoires qui accordent aux créanciers publics, et notamment au Trésor public, un droit spécifique, en lui permettant de déclarer sa créance à titre provisionnel lorsque la créance n’est pas encore établie par un titre [26]. Cette déclaration de créance se justifie par la prérogative du Trésor public d’émettre un titre exécutoire [27], et par le calendrier de calcul de la créance fiscale qui n’est pas nécessairement compatible avec le délai de principe de deux mois pour déclarer une créance. Il peut par exemple s’agir de la créance de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due sur les créances clients (clients débiteurs), de l’impôt sur les sociétés (IS), de la cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont le fait générateur n’est pas en adéquation avec la date de l’ouverture de la procédure collective. La détermination de la créance fiscale peut également résulter de procédures de taxation d’office, de contrôles sur pièces des dossiers ou de contrôles fiscaux externes en cours [28]. Dans ces situations, le créancier fiscal peut déclarer sa créance sur la base d’une évaluation qui sera définitivement liquidée par l’émission d’un titre exécutoire. L’estimation effectuée lors de la déclaration de créance doit alors couvrir le montant non encore établi. L’admission provisionnelle constitue un plafond pour l’admission définitive ultérieure, ce qui conduit les créanciers concernés à estimer très largement leur créance lors de la déclaration à titre provisionnel [29]. Selon une jurisprudence établie [30], l’évaluation ne peut être augmentée après l’expiration du délai légal de déclaration. Cette solution est cohérente avec le régime de la déclaration de créance ; admettre une créance pour un montant plus élevé que celui déclaré à titre provisionnel reviendrait à autoriser de nouvelles déclarations après l’expiration du délai légal de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC [31]. Il n’en demeure pas moins que le législateur a pris soin de préciser, dans le même alinéa, qu’ « en tout état de cause, les déclarations du Trésor […] sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration ».

2) L’établissement définitif des créances fiscales admises provisionnellement

En principe, l’établissement définitif des créances publiques est soumis au même délai que les autres créances ; il doit être effectué avant l’expiration du délai de vérification des créances fixé par le tribunal [32]. La créance non admise définitivement est inopposable à la procédure collective, au même titre qu’une créance non déclarée [33] ; le créancier peut être relevé de sa forclusion dans les conditions imparties par l’article L. 622-26 du Code de commerce N° Lexbase : L9127L78. En cas de requête en relevé de forclusion, le créancier fiscal devra établir que sa défaillance n’est pas de son fait, par exemple si le débiteur n’a pas fourni les bases de calcul de l’impôt (déclaration de TVA ou autre déclaration). Par dérogation, l’alinéa 4 de l’article L. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L8803LQ4, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2014, prévoit que le délai de droit commun s’applique à la créance fiscale « sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours ». La notion de procédure en cours ayant fait l’objet d’une interprétation stricte par la jurisprudence [34], le législateur a modifié le texte à plusieurs reprises pour envisager deux situations spécifiques selon le fait générateur des créances fiscales. Première situation : « Si la détermination de l’assiette et du calcul de l’impôt est en cours, l’établissement définitif des créances admises à titre provisionnel doit être effectué par l’émission du titre exécutoire dans un délai de douze mois à compter de la publication du jugement d’ouverture. » Seconde situation : « Si une procédure de contrôle ou de rectification de l’impôt a été engagée : l’établissement définitif des créances qui en font l’objet doit être réalisé avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire. » Cette disposition avait été modifiée par la loi PACTE, n° 2019-486, du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (1) N° Lexbase : L3415LQK pour préciser la notion de « procédure administrative d’établissement de l’impôt » car source de contentieux [35]. Dans ce prolongement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, dans un arrêt en date du 2 février 2022 [36], rappelé que le mandataire judiciaire a l’obligation d’informer l’administration fiscale du dépôt de son compte rendu de fin de mission au moins quinze jours avant celui-ci, et ce conformément à l’article R. 626-39 du Code de commerce N° Lexbase : L6273I3Q. À défaut, la forclusion pour l’établissement définitif de la créance est inopposable à l’administration fiscale. Par ailleurs, on notera que le texte précise également que « le délai de cet établissement définitif est suspendu par la saisine de l’une des commissions mentionnées à l’article L. 59 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L8958MCR jusqu’à la date de réception par le contribuable ou son représentant de l’avis de cette commission ou celle d’un désistement » [37]. Le délai ne s’applique pas lorsque le délai imparti au mandataire judiciaire pour établir la liste des créances déclarées n’est pas indiqué dans le jugement d’ouverture [38].

B. L’application de règles fiscales pour la contestation de la créance fiscale

Après vérification des créances, le mandataire judiciaire peut les contester [39]. Lorsqu’elle porte sur une créance fiscale, la contestation échappe aux règles de procédures prévues par le code de commerce pour suivre celui du livre des procédures fiscales. Des règles spécifiques relatives aux délais de réponse (1) et à la compétence du juge-commissaire (2) trouvent alors à s’appliquer.

1) Les règles fiscales appliquées aux délais de réponse

Après vérification des créances, et s’il y a discussion sur tout ou partie du montant déclaré, le mandataire judiciaire adresse une lettre de contestation au créancier concerné en l’invitant à faire connaître ses explications. Cette règle, posée à l’article L. 622-27 du Code de commerce N° Lexbase : L7291IZ3, exclut explicitement les créances salariales (par renvoi à l’article L. 625-1 du Code de commerce) et les contestations portant sur la régularité de la déclaration de créance. La loi du 25 janvier 1985 ayant exclu du texte les créances fiscales, la jurisprudence a souhaité reprendre l’exception pour en faire un principe général [40]. La règle fut d’ailleurs rappelée récemment par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 3 février 2021 [41] : « les créances fiscales ne peuvent être contestées, en cas d’ouverture d’une procédure [collective], que dans les conditions prévues par le livre des procédures fiscales. » Ce sont donc les dispositions du livre des procédures fiscales qui trouvent à s’appliquer ; dispositions qui, au demeurant, s’appliquent également à l’entreprise in bonis [42]. L’application des règles fiscales engendre alors des conséquences qui diffèrent en tous points de celles applicables aux créanciers « ordinaires ». C’est ainsi que par application des articles R*198-10 N° Lexbase : L6752ISU et R*281-3-1 N° Lexbase : L7997LM7 du Livre des procédures fiscales, l’administration fiscale dispose d’un délai plus long (six mois pour le contentieux de l’impôt et deux mois pour celui du recouvrement) pour répondre à la contestation de la créance fiscale, quand l’article L. 622-27 du Code de commerce prévoit un délai de trente jours pour les autres créanciers. C’est ainsi également que par application de l’article L. 231-4, 2° du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1843KNL, le silence du Trésor public vaut rejet implicite de la contestation émise par le mandataire judiciaire. Autrement dit, en l’absence de réponse de l’administration fiscale sur une contestation de créance, la créance est déclarée admise pour le montant figurant dans la déclaration alors que pour les autres créanciers, le silence vaut acceptation de la contestation du mandataire judiciaire.

2) La limite de compétence imposée au juge-commissaire

De manière générale, et par application de l’article L. 624-2 du Code de commerce N° Lexbase : L9131L7C, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances « au vu des propositions du mandataire judiciaire ». Les créances non contestées sont admises ; celles ayant fait l’objet de discussions avec le mandataire judiciaire peuvent être admises ou rejetées, du moins partiellement en matière fiscale notamment lorsque la déclaration de créance à titre provisionnel est supérieure à l’impôt dû par le débiteur. Toutefois, lorsque la créance fiscale reste contestée, la compétence du juge-commissaire est strictement délimitée [43]. Il ne peut alors que constater « soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ». La première situation (celle de l’instance en cours) apparaît lorsqu’une vérification de comptabilité est en cours, ou lorsqu’une réclamation contentieuse a été formée [44]. Rappelons que le Conseil d’État a précisé que la lettre de contestation du liquidateur judiciaire adressée à l’administration peut être qualifiée de réclamation contentieuse au sens du livre des procédures fiscales [45]. En l’absence de réclamation contentieuse, le juge-commissaire peut encore constater que la contestation ne relève pas de sa compétence – c’est la seconde situation - et inviter la partie concernée à mieux se pourvoir (saisir le juge administratif) dans un délai d’un mois [46]. Il ne lui appartient donc pas de se prononcer sur l’existence ou le montant des créances fiscales. Les contestations relatives à l’assiette de l’impôt, à la quotité et à l’exigibilité de l’impôt doivent être portées devant le juge de l’impôt qui a une compétence exclusive [47]. Reste que l’article L. 624-2 du Code de commerce précise qu’« en l’absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence [...] pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission », c’est-à-dire, en matière fiscale, sur la régularité de la déclaration provisionnelle ou définitive de la créance publique [48]. Il peut notamment apprécier si les éléments annexés justifient l’existence d’un titre régulier et rejeter la demande d’admission d’une créance de majoration de retard, faute de mise en demeure préalable de l’avis de mise en recouvrement [49].

II – L’adaptation des règles relatives au paiement de la créance fiscale

La créance fiscale représente souvent une partie importante du passif de l’entreprise en difficulté, et son recouvrement, une condition de sa survie. À ce titre, la créance fiscale fera nécessairement l’objet de demandes de délais de paiement et de remises, lesquelles échappent aux procédures classiques de négociation pour suivre une procédure prévue spécifiquement pour les créanciers publics (A). Des dispositions fiscales spécifiques régissent quant à elles le paiement privilégié de la créance (B).

A. Une procédure spécifique pour les délais de paiement et remises de la créance fiscale

Les demandes de délais et remises d’une créance fiscale suivent un régime strictement encadré par la loi. Ce régime permet notamment d’éviter tout risque de soutien abusif ou de qualification en aide d’État. À cet effet, une procédure spécifique relevant exclusivement de la commission des chefs de services financiers (CCSF) doit être respectée (1) pour toute demande de délais ou remises, demande qui est elle-même strictement encadrée (2).

1) Une procédure relevant exclusivement des CCSF

Que ce soit lors d’une demande amiable ou judiciaire, toute demande de délai ou de remise de la créance fiscale suit une procédure spécifique, dérogatoire, strictement encadrée par les articles D. 626-10 à 626-15 du Code de commerce. La procédure relève de la CCSF composée de représentants d’organismes publics, tels que l’URSSAF, Pôle emploi, la Direction départementale des finances publiques (DDFIP) ou encore la Banque de France. Pour en bénéficier, le débiteur ne doit pas avoir fait l’objet d’une condamnation pour travail dissimulé dans les dix dernières années [50]. La CCSF du domicile ou du principal établissement du débiteur [51] est saisie par le débiteur ou un conciliateur dans un délai de cinq mois, ou par un administrateur ou un mandataire judiciaire dans un délai de six mois à compter de la date d’ouverture de la procédure [52]. Ces demandes sont également recevables dans le cadre des modifications substantielles des plans [53]. Une documentation financière précise doit alors être produite, notamment les documents relatifs aux remises des créanciers privés [54]. Les demandes sont examinées par la commission à l’aune du triple objectif assigné par l’article L. 626-15 du Code de commerce N° Lexbase : L4064HB7 : faciliter la restructuration financière, la poursuite de l’activité et le maintien de l’emploi. Lorsque la décision de la commission est favorable (décision prise à l’unanimité des membres de la CCSF), la notification précise les montants des abandons de créances publiques ainsi que les conditions qui y sont attachées vis-à-vis des créanciers privés. En revanche, le refus de la CCSF n’a pas à être notifié et peut résulter du silence gardé pendant deux mois [55]. Il est à noter que la décision de remise de la CCSF s’impose aux différentes administrations et différents organismes chargés du recouvrement ayant participé à la décision, et ce, quelle que soit l’implantation géographique. Au regard de la procédure imposée pour l’octroi de délais ou de remises de la créance fiscale, celle-ci présente une réelle spécificité, mais elle est aussi plus lourde que la consultation des créanciers privés.

2) Les règles dérogatoires encadrant les délais de paiement et remises

Les règles régissant la remise de créances fiscales sont directement prévues dans le code général des impôts ou adaptées à la spécificité de la créance fiscale dans le code de commerce. Pour la première série de règles, le code général des impôts impose au Trésor public, à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, d’abandonner « les frais de poursuite et les pénalités fiscales encourues en matière d’impôts directs et taxes assimilées, de taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées, de droits d’enregistrement, taxe de publicité foncière, droits de timbre et autres droits et taxes assimilés, dus à la date du jugement d’ouverture » (CGI, art. 1756, I N° Lexbase : L5784MAH), à l’exception des majorations notamment des droits dus en cas de défaut, de retard, d’inexactitudes ou d’omission dans les déclarations. Pour la seconde série de règles, on notera deux dispositions dérogatoires. La première est prévue à l’article L. 626-5, alinéa 2, in fine, du Code de commerce qui prévoit que les propositions qui portent « exclusivement sur des délais de paiement » valent acceptation du Trésor public en l’absence de réponse de sa part ; a contrario, la règle ne s’applique pas aux propositions de remises faites par le mandataire judiciaire. L’absence de réponse du créancier fiscal aux propositions de remises de dettes ne suit donc pas la règle appliquée aux créanciers ordinaires. La seconde disposition dérogatoire se loge dans l’article L. 626-6 du Code de commerce N° Lexbase : L9523ICP [56] et se combine avec les articles D. 626-10 N° Lexbase : L2612I37 à D. 626-15 du code de commerce afin de régir la remise de créances fiscales dans le cadre d’une procédure de conciliation ou lors de l’élaboration d’un plan (de sauvegarde ou de redressement) [57]. Il est à noter que ces règles ont vocation à s’appliquer dans le nouveau régime des classes de parties affectées dont ne sont pas exclues les créances fiscales (contrairement à l’ancien régime des comités de créanciers) [58]. Précisément, aux termes de l’alinéa premier, les créanciers fiscaux peuvent « remettre tout ou partie » des dettes du débiteur [59]. On notera toutefois que l’article D. 626-10 in fine du Code de commerce nuance la règle en précisant que « les dettes dues au principal ne peuvent pas faire l’objet d’une remise totale ». L’article L. 626-6 du Code de commerce opère ensuite au deuxième alinéa une distinction selon que la créance porte sur « des impôts directs » qui peuvent faire l’objet de remises, ou « des impôts indirects perçus au profit de l’État » puisque dans ce cas « seuls les intérêts en retard, majorations, pénalités ou amendes peuvent faire l’objet d’une remise ». C’est d’ailleurs sur ces frais de poursuites, majorations et amendes que les remises de dettes sont consenties par priorité, avant les intérêts de retard et les intérêts moratoires, puis les droits et sommes dus au principal [60]. L’absence de remise sur les impôts indirects se justifie par le fait que « ces dettes fiscales représentent en principe des sommes dues par le débiteur en tant que collecteur d’un impôt supporté par un tiers (par exemple le consommateur final pour la TVA). Ces sommes n’appartiennent donc pas véritablement au débiteur qui les doit alors qu’il les a déjà reçues, et qui ne peut donc en disposer en tant que faisant partie de son propre patrimoine » [61]. Pour ces remises, l’État ne doit pas agir en tant que puissance publique mais comme le ferait un opérateur économique privé placé dans la même situation [62]. La restriction permet ainsi à l’État de ne pas consentir plus de délais ou de remises que les autres créanciers privés du débiteur. La CCSF doit d’ailleurs veiller à ce que la remise ne représente pas un avantage économique injustifié pour l’entreprise bénéficiaire afin de ne pas être qualifiée d’aide d’État. Autrement dit, la remise doit s’inscrire dans un effort partagé – « coordonné » - entre les créanciers publics, privés et les partenaires (not. les établissements financiers).

B. Un paiement privilégié

Si la perception d’une assimilation de la créance fiscale aux autres créances a pu apparaître avec le déclassement de son privilège, son paiement reste toutefois privilégié par application des dispositions fiscales lorsque des inscriptions sont prises par le Trésor public (1), ou par l’effet d’une interprétation jurisprudentielle permettant à la créance fiscale d’être éligible au traitement préférentiel des créances postérieures (2).

1) Un privilège soumis à publicité par le code général des impôts

Si le créancier fiscal ne figure plus au rang des créanciers privilégiés pour le paiement de sa créance, le Trésor public détient de nombreux privilèges dont la plupart sont des privilèges généraux. Ces derniers sont prévus dans les articles du code général des impôts. Ils couvrent tant le principal de l’impôt que ses accessoires (majorations, intérêt de retard, frais de poursuite) et s’exercent sur tous les meubles du redevable. C’est ainsi qu’il dispose d’un privilège général pour le recouvrement des impôts directs et taxes assimilées (impôt sur le revenu, taxe d’apprentissage, taxe sur les salaires, etc.) [63]. C’est ainsi également qu’il détient un privilège général pour le recouvrement des taxes sur le chiffre d’affaires (TVA notamment) et des taxes assimilées [64]. Ce privilège de paiement est toutefois subordonné au respect de l’exigence de publicité comme prévu par les articles 1929 quater N° Lexbase : L8657LQP et 396 bis de l’annexe II N° Lexbase : L2518LUS. À défaut, ils sont privés de leur privilège et ramenés au rang de créanciers chirographaires. Par ailleurs, le Trésor public a la possibilité de prendre des inscriptions sur les immeubles afin de bénéficier de garanties de paiement supplémentaires.

2) Le traitement préférentiel de la créance fiscale pendant la période d’observation

La créance fiscale bénéficie également d’un traitement privilégié par l’effet d’une interprétation jurisprudentielle spécifique de la lettre de l’article L. 622-17 du Code de commerce N° Lexbase : L9123L7Z qui permet de rendre éligible la créance fiscale au régime des créances considérées comme postérieures au jugement d’ouverture. C’est en ce sens que la haute juridiction s’est prononcée à plusieurs reprises. On peut relever un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 18 mai 2022 qui, par combinaison des articles L. 622-17 du Code de commerce, 38 et 223-A du code général des impôts, a retenu que, lorsque la clôture de l’exercice fiscal, qui, seule permet de déterminer le bénéfice net imposable, est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective, le paiement de l’impôt sur les sociétés constitue pour les entreprises qui y sont assujetties une obligation légale inhérente à l’activité poursuivie après le jugement d’ouverture [65]. Autrement dit, lorsque la créance résulte de la poursuite d’activité, elle est donc née pour les besoins de cette dernière et est éligible au traitement préférentiel de l’article L. 622-17 du Code de commerce. Cette solution a également été affirmée pour la taxe d’apprentissage [66] et la cotisation foncière des entreprises [67]. L’interprétation spécifique de l’article L. 622-17 du Code de commerce faite pour la créance fiscale par la haute juridiction apparaît ainsi dérogatoire mais favorable au Trésor public.

De l’étude de l’articulation de la créance fiscale avec le droit des entreprises en difficulté ressort que l’assimilation de la créance fiscale aux autres créances ne peut être qu’un « mirage » [68]. Cela s’explique par les spécificités intrinsèques de la créance fiscale (calendrier de calcul de la créance fiscale, modalités de recouvrement, autorités habilitées à se prononcer sur la remise de créances fiscales, émission de son propre titre exécutoire sans vérification judiciaire préalable [69]). Les dispositions du livre VI du code de commerce sont inexorablement imprégnées de cette spécificité, soit en ce qu’elles contiennent des règles dérogatoires spécialement prévues pour le créancier fiscal, soit en ce qu’elles laissent tout simplement les dispositions fiscales s’appliquer ; le livre VI du Code commerce étant alors inadapté.

 

[1] P. Serlooten, Le Trésor public, créancier de l’entreprise en difficulté, JCP E, 2000, n° 1, p. 24.

[2] Entrent dans cette catégorie les créances fiscales et sociales. Sur la notion de créancier public, v. P. Cagnoli et L. Fin-Langer, Les créanciers publics face aux procédures collectives -. – La notion de créancier public, Rev. proc. coll. 4/2019, dossier 27. V. également, J. Ruth et R. Vabres, La déclaration au passif des créances publiques, Rev. proc. coll. 2019/4, dossier 31.

[3] Cette spécificité se retrouve dans d’autres branches du droit. À titre d’exemple, en droit commercial, la loi n° 2022-172, du 14 février 2022, en faveur de l'activité professionnelle indépendante N° Lexbase : L3215MBP a institué un régime particulier pour les créanciers publics afin d’assurer un recouvrement efficace que possible de leurs créances en écartant la dissociation patrimoniale, notamment pour l’impôt sur le revenu et la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle (C. com., art. L. 526-2 N° Lexbase : L8616LQ8).

[4] CGI, art. 1908 anc. ; Sur l’évolution des droits du Trésor public dans les procédures collectives, v. G. Amlon, « Conciliation, sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires. -Trésor public. -Droits, privilèges et hypothèque légale », JCl. Com. Fasc. 2384, sept. 2016, n° 2 et s.

[5] G. Dedeurwaerder, « Les entreprises en difficulté face au droit fiscal », Rev. dr. Fiscal, mai 2012, 284.

[6] P. Serlooten, op. cit.

[7] Loi n° 67-563, du 13 juillet. 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8 ; Loi n° 85-98, du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises N° Lexbase : L7852AGW.

[8] P. Serlooten, op. cit., n° 5.

[9] Les comptables publics peuvent toutefois mettre en cause des tiers pour le recouvrement des sommes impayées sous réserve de la suspension des poursuites dont ils pourraient bénéficier et lorsque la liquidation judiciaire est ouverte ou prononcée (G. Amlon, op. cit., n° 18).

[10] Loi n° 2005-845, du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT.

[11] M. Douay, Procédures fiscales et loi de sauvegarde des entreprises, LexisNexis, 2007, p. 1. V. également, B. Lagarde, Le guide fiscal de la défaillance d’entreprise, LGDJ, 2001, p. 3.

[12] V. M. Cozian, in M. Douay, op. cit., p. IX.

[13] Le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut, pendant la procédure de conciliation, demander au juge les délais de grâce de l’article 1343-5 du Code civil (C. com., art. L. 611-7 al. 5). La demande peut également être formulée à l’égard d’un créancier qui n’a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance. Ce cas de figure a été inséré par l’ordonnance n° 2021-1193 en date du 15 septembre 2021, v. K. Lemercier et F. Mercier, Entreprises en difficulté : la nouvelle réforme publiée !, Dalloz actualité, 17 sept. 2021.

[14] C. com., L. 626-18, al. 4 N° Lexbase : L9139L7M.

[15] Sous l’empire de la législation antérieure, la Cour de cassation avait affirmé, dans le contexte d’un accord conclu en procédure de règlement amiable, que le président du tribunal peut accorder au débiteur des délais de paiement pour les créances non incluses dans l’accord et précisé que l’article L. 611-10-1 du Code de commerce, « dont le domaine couvre sans distinction toutes les créances non incluses dans l’accord, déroge à la loi générale qui exclut l’octroi de délais de grâce pour certaines créances, notamment fiscales », Cass. com., 16 juin 1998, n° 96-15.525 N° Lexbase : A5462ACB, RJDA, 8-9/1998, n° 999 et p. 682, concl. Piniot.

[16] Not. Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-21.852 et 20-21.888, F-B N° Lexbase : A33927XW, Dalloz actualité, 10 juin 2022, obs. B. Ferrari ; Rev. sociétés 2022, p. 514, note. Fl. Reille ; Leden, juin 2022, p. 3, obs. N. Pelletier ; Act. proc. coll., juill. 2022, repère 163, note M.-L. Coquelet ; Dict. perm. Diff. des entr., veille perm. 8 juillet 2022, obs. Th. Favario ; Dr. fisc. juillet 2022, comm. 293, note. G. Dedeurwaerder.

[17] Not. Cass. com., 3 février 2021, n° 19-20.683, F-P N° Lexbase : A01274GS ; Dalloz actualité, 22 février 2021, obs. X. Delpech ; JCP E, 15 avril 2021, 1191, n° 12, obs. A. Tehrani ; Act. proc. coll., comm. 67, obs. G. Dedeurwaerder.

[18] V. M. Laroche et E. Merly, Les créanciers publics face aux plans, Rev. proc. coll., 4/2019, dossier 33, n° 9.

[19] C. com., art. R. 621-7, 3 N° Lexbase : L3300I3M (le greffier adresse sans délai une copie du jugement ouvrant la procédure au directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques du département dans lequel le débiteur a son siège et à celui du département où se trouve le principal établissement).

[20] Notamment, dans le cadre du soutien apporté aux entreprises en difficulté, les services de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) interviennent au sein des Commissions des chefs de services financiers (CCSF), des Comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI) et du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI).

[21] Une telle adaptation tranche d’ailleurs avec l’application du droit des entreprises en difficulté dans les autres branches du droit, et tout particulièrement le droit des sociétés qui apparaît de plus en plus en recul au fil des réformes. C’est ainsi que la déchéance du terme de libération du capital social frappe les associés et déroge aux règles régissant les sociétés par l’effet du jugement d’ouverture de la procédure collective (C. com., L. 624-10 N° Lexbase : L9070LT4). C’est ainsi également qu’il peut être dérogé aux règles relatives au vote de l’augmentation de capital ou à la cession des titres afin qu’elle soit imposée aux associés récalcitrants au plan de cession (C. com., art. L. 631-19-2), v. P.-M. Le Corre, La loi Macron et le droit des entreprises en difficulté ; Gaz. Pal. 20 oct. 2015, n° 293, p. 7.

[22] C. com., L. 622-24 N° Lexbase : L8803LQ4.

[23] La créance fiscale non déclarée n’est plus éteinte comme sous le régime de la loi de 1985. Pendant la durée de la procédure, le Trésor public, comme tout créancier, perd les droits attachés à l’admission de la créance et ne peut participer ni aux répartitions intervenant avant le jugement de clôture, ni au versement de tout dividende issu d’un plan. Ce n’est qu’après la clôture de la procédure que le comptable public peut déclencher son action en recouvrement (C. com., art. L. 643-1 N° Lexbase : L3697MBK).

[24] Le relevé de forclusion implique pour le créancier d’établir que sa défaillance n’est pas due à son fait (C. com., art. L. 626-26, al. 1er) ce qui rend difficile son obtention. La question relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels rejettent souvent les demandes du Trésor public. Il a été ainsi jugé que le service de recouvrement ne saurait utilement invoquer la lenteur de celui chargé d’établir le montant de l’impôt, qui ne lui est pas extérieur car le Trésor public constitue un ensemble de services dépourvu de personnalité juridique distincte de l’État (CA Nîmes, 2e ch., sect. B, 10 février 2005, JurisData n° 2005-271435, Rev. proc. coll., 2006, p. 65).

[25] CA Paris, 27 janvier 2004, n° 2003/08770 N° Lexbase : A4410DBX. Ce titre est constitué par le rôle lorsque l’impôt est recouvré par voie d’enrôlement (Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-13.574 N° Lexbase : A0960DQM), et de l’avis de mise en recouvrement dans les autres cas.

[26] Le fait qu’une créance soit déclarée par erreur provisionnellement alors que le titre exécutoire a déjà été délivré et qu’elle aurait donc dû être déclarée à titre définitif n’est pas de nature à entraîner le rejet de la créance (Cass. com., 11 décembre 2019, n° 18-18.665, F-P+B N° Lexbase : A1581Z83).

[27] V. A. Jacquemont, N. Borga et Th. Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté, LexisNexis, 11e éd., 2019, p. 811.

[28] V. K. Lemercier, Contrôle fiscal abusif et survie de l’entreprise, Dr. et patr. juin 2020, n° 303, p. 49.

[29] Ph. Pernaud, Créances fiscales et sociales (provisionnelles et définitives) [en ligne], www.pernaud.fr

[30] Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-72.029, F-P+B N° Lexbase : A5674GDI ; Act. proc. coll. 2010, comm. 262 ; Gaz. Pal. 8 janvier 2011, p. 41, note E. Le Corre-Broly ; D. 2010, p. 2701, note A. Lienhard.

[31] En ce sens, v. P. Serlooten, op. cit., n° 49.

[32] C. com., art. L. 624-1, sur renvoi de l’article L. 622-24, al. 4, du Code de commerce.

[33] C. com., art. L. 622-26.

[34] V. M Menjucq, B. Saintourens et B. Soinnes (dir.), Traité des procédures collectives, LexisNexis, 3e éd., 2021, n° 1428.

[35] Cass. com., 25 oct. 2017, n° 16-18.938, F-P+B+I N° Lexbase : A6299WW9, D. 2017, 2150 ; Rev. sociétés 2017, 738, obs. L. C. Henry ; RTD com. 2018, 190, obs. A. Martin-Serf.

[36] Cass. com., 2 févr. 2022, n° 20-16.985, FS-B N° Lexbase : A14127LU, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. B. Ferrari.

[37] Aux termes de l’article L. 59 du Livre des procédures fiscales, les commissions visées sont : « Soit la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires prévue à l’article 1651 du Code général des impôts, soit la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires prévue à l’article 1651 H du même Code, soit le comité consultatif prévu à l’article 1653 F du même Code, soit la commission départementale de conciliation prévue à l’article 667 du même Code ».

[38] Cass. com., 12 mai 2009, n° 08-10.002, F-D N° Lexbase : A9728EGE.

[39] L’objet de la contestation peut porter sur le montant et/ou la nature de la créance.

[40] Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-13.691, F-D N° Lexbase : A0820WS8, BJE janvier 2018, n° 115k4, p. 56, note G. Dedeurwaerder. V. également, É. Desmorieux et J. Vallansan, La contestation des créances publiques déclarées, Rev. proc. coll. juillet 2019, dossier 32.

[41] Dans son commentaire de l’arrêt de la Chambre commerciale de la cour de cassation en date du 3 février 2021, Monsieur Dedeurwaerder fait remarquer que la règle « énoncée à l’article 106 de la loi du 25 janvier 1985, a survécu à l’abrogation de ce texte par la loi du 10 juin 1994, tel un principe général du droit », Cass. com., 3 févr. 2021, op. cit.

[42] V. X. Delpech, op. cit.

[43] Ces limites de compétences pour les créances fiscales ont été fixées par le tribunal des conflits, T. confl., 13 avr. 2015, n° C3988, MM. Martini c/ min. Finances et Comptes publics.

[44] Ce qui exclut en principe la phase administrative de la réclamation, v. É. Desmorieux et J. Vallansan, op. cit., n° 29 et s.

[45] CE 9° et 10° ch.-r., 22 décembre 2020, n° 428890, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A07464BA ; Act. proc. coll., comm. 67, obs. G. Dedeurwaerder.

[46] Cass. com., art. R. 624-5 N° Lexbase : L7228LEG.

[47] Cass. com., 13 septembre 2017, op. cit.

[48] Sur la notion de contestation sérieuse, v. C. Faure, Le rôle du juge-commissaire dans la vérification des créances, Rev. proc. coll. 2019, dossier 44 ; C. de Lajarte-Moukoko, Contestation des créances déclarées : le point sur les pouvoirs du juge-commissaire, BJE janvier 2020, n° 117j2, p. 54.

[49] P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, coll. Dalloz action, 2021/2022, 11e éd., 2020, n° 667.091.

[50] C. com., art. D. 626-15, al. 2 N° Lexbase : L0163IER.

[51] Il est possible de choisir l’un des autres lieux d’imposition retenu par l’administration fiscale (CGI., art. 218, A N° Lexbase : L4042HLB : direction effective des sociétés, siège social).

[52] Ces délais ont récemment été allongés par le décret n° 2021-1218, du 23 septembre 2021, portant modification du livre VI du code de commerce N° Lexbase : L0527L8Z (art. 51, I). Les délais étaient de deux mois auparavant pour les procédures amiables et judiciaires.

[53] C. com., art. L. 626-6 N° Lexbase : L9523ICP.

[54] C. com., art. L. 626-13 N° Lexbase : L3682MBY.

[55] Le défaut de réponse dans le délai de deux mois vaut rejet des demandes (C. com., art. D. 626-14, al. 4 N° Lexbase : L0142IEY).

[56] Sur renvoi de l’article L. 611-7, alinéa 3, du Code de commerce pour la procédure de conciliation.

[57] Cass. com., 26 mars 2013, Rev. sociétés 2013, p. 382, note L. C. Henry.

[58] v. Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193, du 15 septembre 2021, portant modification du livre VI du Code de commerce, JO 16 sept. 2021. L’article L. 626-30-2 du Code de commerce N° Lexbase : L9148L7X comporte à cet égard des règles spécifiques en renvoyant à l’article L. 626-6 du code de commerce les conditions dans lesquelles les créanciers publics peuvent accepter de remettre tout ou partie des dettes du débiteur. Sur le nouveau régime des classes de parties affectées, v. K. Lemercier et F. Mercier, Réforme du droit des entreprises en difficulté : instauration des « classes de parties affectées », Dalloz actualité, 20 sept. 2021.

[59] Le créancier fiscal peut également décider des cessions de rang de privilège ou d’hypothèque ou de l’abandon de ces sûretés (C. com., art. L. 626-6, al. 4).

[60] C. com., art. D. 626-10, al. 2.

[61] Rapp. Xavier de Roux, n° 2095, p. 282 [en ligne], cité par P.-M. Le Corre, op. cit., n° 512-541.

[62] CJCE, 21 mars 1991, aff. C-305/89, République italienne c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A0063AWA ; CJUE, 5 juin 2021, aff. C-124/10 P, Commission européenne c/ Electricité de France (EDF) N° Lexbase : A1021IN7.

[65] Cass. com., 18 mai 2022, op. cit.

[66] Cass. com., 22 février 2017, n° 15-17.166, F-P+B+I N° Lexbase : A6883TNA, Dalloz actualité, 7 mars 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017, p. 452 ; Dr. soc. 2018, p. 97, Y. Pagnerre et S. Dougados ; RTD com. 2017, p. 995, obs. A. Martin-Serf ; Act. proc. coll. 2017, comm. 99, obs. R. Vabres ; JCP E 2017, 1341, note Ch. Lebel ; Rev. proc. coll. 2017, comm. 146, note C. Saint Alary-Houin ; BJE 2017, n° 114p3, p. 204, obs. G. Dedeurwaerder ; Leden avr. 2017, p. 3, obs. crit. G. Berthelot.

[67] Cass. com., 24 mars 2021, n° 20-13.382 N° Lexbase : A18087T7, Dalloz actualité, 29 avril 2021, note B. Ferrari ; D. 2021, p. 1736, note F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; Rev. sociétés 2021, p. 403, obs. Fl. Reille ; Rev. prat. Rec. 2021, 25, chron. P. Roussel Galle et Fl. Reille ; RTD com. 2021, p. 434, obs. A. Martin-Serf.

[68] V. M. Laroche et E. Merly, op. cit.

[69] Cass. com., 12 juin 2019, n° 17-25.753, F-P+B N° Lexbase : A5687ZED. Sur les différents titre exécutoires, v. l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1720MAX et l’article L. 252 A du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L8293AEU.

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Libertés publiques

[Jurisprudence] Burkini dans les piscines municipales : changer de regard, changer de méthodes

Réf. : CE référé, 21 juin 2022, n° 464648 N° Lexbase : A983877I

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par Joël Andriantsimbazovina, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Toulouse 1 – Capitole, Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé Directeur de l’Ecole Doctorale Droit et Science politique

Le 06 Octobre 2022

Mots clés : Accès au service public • déféré-laïcité • neutralité • laïcité • piscine municipale

La Haute juridiction administrative confirme la suspension du nouveau règlement des piscines de la ville de Grenoble qui autorise le port du burkini, la dérogation très ciblée apportée, pour satisfaire une revendication religieuse, aux règles de droit commun de port de tenues de bain près du corps édictées pour des motifs d'hygiène et de sécurité, étant de nature à affecter le bon fonctionnement du service public et l'égalité de traitement des usagers dans des conditions portant atteinte au principe de neutralité des services publics.


 

Les règles de droit et le prétoire des juridictions sont plus que jamais le théâtre de batailles politiques et stratégiques qui font du juge le régulateur final des questions sociétales. Face à la banalisation intensive de ce phénomène, le juriste est pris au piège : il est tenté soit par l’enfermement dans un positivisme formaliste qui isolerait le droit du contexte politique d’une affaire, soit par une perméabilité sans limite aux dimensions politiques des débats.

L’affaire dite du burkini dans les piscines municipales de la ville de Grenoble en est un exemple type.

Au nom de la lutte contre les discriminations et dans un contexte de revendications de certaines associations en faveur du port de cette tenue de bain et de campagne médiatique menée par le maire de la ville, le conseil municipal de Grenoble a modifié le règlement intérieur des piscines municipales, le 16 mai 2022, pour autoriser, a contrario, le burkini. Selon l’article 10 du règlement intérieur litigieux : « (…) Les tenues non prévues pour un usage strict de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements, etc…), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasées) et les maillots de bain-short sont interdits. (…) ». Autrement dit, est autorisé l’usage de tenues de bains non près du corps moins longue que la mi-cuisse.

La veille de la délibération du conseil municipal, sur instruction du ministre de l’Intérieur, le préfet de l’Isère annonçait par communiqué de presse son intention, en cas d’adoption de la délibération, de saisir le tribunal administratif de Grenoble par un « référé laïcité en vue d’obtenir la suspension, en complément du déféré annulation » ; la délibération contrevenait selon lui au principe de laïcité posé par la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État N° Lexbase : L0978HDL, et aux dispositions de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, confortant les principes de la République N° Lexbase : L6128L74. Ce qu’il fit puisqu’effectivement le cinquième alinéa de l’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4930L84 introduit par la loi du 24 août 2021 précitée permet au préfet d’introduire un tel référé « lorsque l’acte attaqué est de nature à (…) porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ».

Le 25 mai 2022, après avoir admis l’intervention de l’association Alliances citoyennes et de la Ligue des droits de l’Homme, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble fit droit à cette demande en prononçant la suspension de la délibération litigieuse ; il s’appuyait sur les dispositions de l’article 1er de la Constitution N° Lexbase : L1277A98 qui « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes et assurant le fonctionnement des services publics » (pt 4) et sur le principe de neutralité du service public (pt 6).

La ville de Grenoble fit appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État. Dans l’ordonnance du 21 juin 2022, après avoir admis les interventions de l’association Alliances citoyennes, de la Ligue des droits de l’Homme au soutien des moyens de la requête de la ville de Grenoble, et de la Ligue du droit international des femmes au soutien du préfet de l’Isère, le juge des référés du Conseil d’État, statuant en formation collégiale, confirme la suspension de la délibération du conseil municipal de Grenoble.

Cette ordonnance a fait l’objet d’un accueil mitigé. Les uns la critiquent, soit parce qu’elle aurait été dictée par un positionnement politique nuisible aux principes juridiques [1], soit parce qu’elle manquerait de pédagogie et serait défavorable aux libertés [2], soit parce qu’elle ferait de l’égalité un creuset d’une discrimination fondée sur le sexe et la religion [3] ; les autres la louent, soit pour avoir mis un coup d’arrêt à l’offensive islamiste dans les piscines municipales [4], soit pour avoir encadré rigoureusement le pouvoir de l’administration en matière d’adaptation des règles d’organisation et de fonctionnement d’un service public aux demandes des usagers, particulièrement concernant l’accès à celui-ci [5] ; d’autres enfin, tout en approuvant le raisonnement et la pédagogie du juge des référés du Conseil d’État, s’interrogent sur leur portée future devant le juge du fond et au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme [6].

Ces commentaires contradictoires, à l’instar des opinions exprimées par une partie de la doctrine dans la presse et sur les blogs juridiques à propos de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sont généralement marqués par le propre postulat et le propre schéma de pensée de chacun des auteurs autour de la laïcité, de la neutralité des services publics, de la liberté de religion, de la lutte contre la discrimination, du degré de contrôle juridictionnel du juge administratif et de la comparaison avec des droits étrangers.

Au-delà de la position doctrinale des uns et des autres, à bien y regarder et en s’éloignant de la passion légitime que peut susciter un sujet sensible dans la société française depuis quatre décennies, l’ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’État mérite mieux que des concerts bruyants d’approbation ou de désapprobation.

Le point 8 de l’ordonnance de référés est un condensé de la jurisprudence administrative sur les principes de laïcité et de neutralité des services publics en mettant l’accent sur l’égalité de traitement des usagers ; c’est aussi un vademecum des conditions d’adaptation des services publics face à des demandes de prise en compte des convictions religieuses des usagers. Le point 9 consacré à l’application à l’espèce des conditions fixées dans le point précédent met en lumière l’attention particulière accordée par le juge des référés au but visé par les mesures dérogatoires d’adaptation des règles d’accès à un service public.

À quelques exceptions près, les critiques et les interrogations sont fondées sur un regard et sur des méthodes qui, d’une part, ne prennent pas en compte ou refusent de prendre en compte l’évolution du cadre juridique des principes de laïcité et de neutralité (I), et, d’autre part, minimisent ou écartent l’évolution des méthodes de conciliation des droits et des libertés dans un contexte de tension entre les aspirations à la non-discrimination individuelle et communautaire et la recherche de préservation de la cohésion nationale (II).

I. Une suspension ancrée dans l’évolution du cadre juridique des principes de laïcité et de neutralité des services publics

Le Conseil d’État ne pouvait pas faire abstraction du changement de l’environnement juridique des principes de laïcité et de neutralité des services publics. Tous les éléments de cette mutation n’apparaissent pas dans l’ordonnance de référé, mais le dit (A°) comme le non-dit (B°) peuvent expliquer la position du juge des référés du Conseil d’État.

A. Le dit

Les visas mêmes de l’ordonnance de référé permettent de prendre la mesure de la transformation profonde des textes applicables. Si la référence à la Constitution, notamment son préambule, et à la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État constitue une continuité lorsque sont en cause la laïcité et l’égalité, la mention de la loi du 24 août 2021, confortant les principes de la République est le signe que celle-ci est un nouveau passage obligé sur les questions ayant trait à ces deux principes. Cette nouvelle législation est à l’origine de l’introduction du référé-laïcité mentionné à l’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales. Ce référé-laïcité constitue un instrument procédural aux mains du préfet pour demander la suspension de tout acte qui porte atteinte gravement aux principes de laïcité et de neutralité. L’insertion de ces dispositions dans le Code de justice administrative (articles L. 554-1 N° Lexbase : L8280KGR et L. 554-3 N° Lexbase : L4037MAR) n’est pas une innovation mineure. Son inauguration dans cette affaire confirme son utilité. Quelle que soit l’appréciation que l’on peut porter sur cette nouvelle voie de droit, elle pèse de son poids et change l’office du juge : la laïcité et la neutralité sont au centre des services publics et le juge est tenu de rechercher l’existence ou non d’une atteinte grave à ces principes.

Par ailleurs, l’atmosphère générale de la loi du 24 août 2021 est celle du renforcement de la neutralité du service public à travers une garantie stricte de l’égalité des usagers devant les services publics [7]. Comme on le verra, cette tendance n’est pas indifférente à la conception française de la lutte contre les discriminations devant les services publics.

Cette ambiance générale a conduit aussi le juge des référés du Conseil d’État à rappeler et à reprendre l’interprétation de l’article 1er de la Constitution par le Conseil constitutionnel : « les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers » (pt 8)[8]. Sur ce point, le Conseil d’État partage la position du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble même si celui-ci a spécifiquement axé la fin de sa phrase sur l’interdiction « à quiconque de s’affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics » (pt 4).

En dépit des critiques dont elles peuvent faire l’objet, ces transformations du cadre juridique des principes de laïcité et de neutralité des services publics constituent des données qui s’imposent au juge administratif.

À cela s’ajoutent d’autres changements qui ne sont pas visibles dans l’ordonnance. Ils ne sont pourtant pas à négliger.

B. Le non-dit

À la différence du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, le Conseil d’État n’a pas visé la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Malgré cette absence, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme comporte des éléments qui peuvent venir en renfort de la tendance récente de l’évolution des principes de laïcité et de neutralité des services publics dans le droit positif français. Bien que cette jurisprudence concernant la France touche les agents publics et non les usagers, elle reconnaît le rôle des principes de laïcité de l’État et de neutralité des services publics tel qu’il est tiré de la jurisprudence du Conseil d’État ; le premier principe « intéresse les relations entre les collectivités publiques et les particuliers », le second est le « corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement de ces services et vise au respect de toutes les convictions » [9]. De même, la Cour européenne des droits de l’Homme établit un lien étroit entre la laïcité et la neutralité en les mettant sous le chapeau unique du « principe de laïcité et de neutralité » [10].

En tant que « principe fondateur de l’État » [11], ce principe peut faire l’objet d’une application stricte ; par ailleurs, sa mise en œuvre laisse au décideur national, à savoir l’État français, « une ample marge d’appréciation » [12]. Si cette marge d’appréciation est soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme, son ampleur n’est pas à négliger dans l’application concrète du principe de laïcité et de neutralité au sens de la jurisprudence européenne.

De nombreux commentateurs ont transposé la position du juge des référés du Conseil d’État qui a suspendu l’interdiction du burkini à la plage [13] au cas de la délibération du conseil municipal qui autorise le burkini dans les piscines municipales de Grenoble pour soutenir la légalité de cette dernière.

L’affaire du burkini dans les piscines de Grenoble met à jour la mutabilité concrète de l’application du principe de laïcité et de neutralité en fonction des espaces publics. Un raisonnement purement fondé sur l’ordre public matériel prime dans l’espace public accessible à tous comme la plage [14] ; un raisonnement basé sur le principe de neutralité du service public dans un souci de l’égalité stricte de traitement des usagers l’emporte dans les espaces clos de service public.

Ces différents changements sont à l’origine d’évolution de méthodes du juge administratif. Il y est conduit d’autant plus que la loi du 24 août 2021 incite fortement à une conciliation des droits et des libertés dans la quête de l’équilibre entre les aspirations à la non-discrimination individuelle ou/et de groupe et la préservation de la cohésion nationale.

II. Une suspension baignée dans de nouvelles méthodes de conciliation des droits et des libertés

Il est tentant d’analyser l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État sous l’angle des méthodes classiques du contrôle de proportionnalité posées de longue date et particulièrement par la jurisprudence « Benjamin » [15]. Outre que l’on se trouve en l’espèce dans le cadre d’une procédure d’urgence, un tel angle d’attaque privilégie un raisonnement opposant la liberté et la restriction de police. Or, une telle approche s’avère inadaptée en matière d’application du principe de laïcité et de neutralité au fonctionnement des services publics [16]. En effet, en la matière la laïcité « figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » [17]. En tant que liberté, comme tous les droits et les libertés conditionnels, elle peut être conciliée avec les autres libertés, y compris la liberté de religion, et vice versa. Dans cette conciliation, l’on a tendance à appréhender la liberté de religion comme une liberté monolithique, sauf que celle-ci a une dimension interne et une dimension externe. Comme le dit la Cour de justice de l’Union européenne : « il convient d’interpréter la notion de « religion » (…) comme couvrant tant le forum internum, à savoir le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse » [18].

Le régime juridique de ces deux dimensions de la liberté de religion est différent. Le forum internum ne saurait faire l’objet de limitation car on ne saurait sonder les cœurs et les reins comme le montre la protection absolue de la liberté de changer de religion ou de conviction [19] et du caractère secret des croyances et des convictions religieuses [20]. Le forum externum peut faire l’objet de limitations encadrées [21]. En matière de fonctionnement des services publics, cette nouvelle approche de la conciliation des libertés ne fait pas de la liberté de religion une liberté sans limite. Elle privilégie également une approche objective des droits fondamentaux [22], notamment par un encadrement du droit à la non-discrimination. Dans le cadre ainsi tracé, le principe de neutralité - égalité est le principe et l’adaptation aux convictions philosophiques et religieuses l’exception (A°). Compte tenu des nombreux risques de déconstruction de la cohésion nationale engendrés par les revendications de traitement différencié au nom de la non-discrimination individuelle ou/et de groupes, la règle commune est l’important et le traitement différencié est l’accessoire (B°).

A. La neutralité – égalité est le principe, l’adaptation l’exception

Au préalable, il est important de noter la non-utilisation par le Conseil d’État de l’expression « accommodement raisonnable » employée par une partie de la doctrine [23] et par le Défenseur des droits. Inspirée notamment de pays anglo-américains ayant une approche totalement différente des rapports entre l’État et les religions, elle n’a pas pénétré le droit positif français.

Dans l’esprit de la loi du 24 août 2021, la Charte de la laïcité dans les services publics du 9 décembre 2021 dresse une liste claire des limites de l’expression des croyances religieuses dans les services publics.

Comme l’écrit C. Calvès, « le droit français ne fixe aucun cadre d’ensemble » [24] en matière de prise en compte par l’administration des demandes d’aménagement du fonctionnement du service public pour motif religieux.

La jurisprudence du Conseil d’État est habitée par la philosophie « ni obligation pour l’administration de tenir compte des demandes d’adaptation du fonctionnement du service public liées à des convictions religieuses, ni droit pour les usagers de les voir satisfaites ».

Le point 8 de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État le dit en termes limpides. Il synthétise ainsi une politique jurisprudentielle déjà tracée. Il l’applique aux menus de substitution dans les cantines scolaires [25].

Sans rentrer ici dans les subtilités de cette politique jurisprudentielle, l’ordonnance de référé du 21 juin 2022 fait « du respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité du traitement des usagers » le devoir principal du gestionnaire d’un service public dans la définition des règles d’organisation et de fonctionnement de ce service. En matière d’accès au service public, la satisfaction de « l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre puisse accéder effectivement au service public » doit tenir compte du cadre réglementaire et légal et de « l’interdiction de se prévaloir de ses convictions religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers ».

Dans un souci d’organisation du service public, le gestionnaire d’un service public dispose de la faculté de procéder à des adaptations pour tenir compte des convictions religieuses, mais dans ce cas, il doit veiller à ne pas prendre des mesures susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service public. Les mesures sont soumises ainsi à des conditions drastiques : ne pas être fortement dérogatoires par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, ne pas rendre plus difficile le respect de ces règles pour les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation, ne pas se traduire par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers.

On comprend dans le cas particulier des piscines municipales les difficultés d’expliquer aux usagers qui ne bénéficient pas de la dérogation au profit du burkini de l’interdiction visant certaines tenues de bain comme le bermuda.

En tant que dérogations, les mesures d’adaptation sont d’interprétation stricte par le juge administratif. L’exigence de « réelle justification » pour déroger à la règle commune conduit le juge administratif des référés à privilégier le contrôle du but de la mesure litigieuse.

B. La règle commune est l’important, le traitement différencié est l’accessoire

Ce contrôle du but d’une mesure a toujours fait l’objet d’une méfiance légitime en raison de sa charge morale ou de sa charge de moralité administrative et aussi de sa dimension subjective. La multiplication des textes relatifs à l’éthique et à la déontologie, relatifs à la lutte contre le harcèlement et surtout relatifs à la lutte contre les discriminations conduit cependant le juge à sonder l’administration pour faire apparaître le véritable but d’une mesure administrative. Conjuguée avec le succès grandissant des référés, cette nouvelle tendance du contrôle exercé par le juge administratif des référés pourrait s’enraciner dans le contentieux administratif de l’immédiateté comme l’écrit Benoît Plessix [26].

En matière d’accès, d’organisation et de fonctionnement du service public, le contrôle du but a la préférence du Conseil d’État par rapport à un contrôle du respect de l’ordre public immatériel [27]. Ayant l’avantage théorique de prendre en compte les principes de dignité humaine ou d’égalité entre les femmes et les hommes, ce contrôle a l’inconvénient de ne reposer actuellement sur aucune législation spécifique et de favoriser au moins en apparence la subjectivité philosophique et politique du juge.

L’affaire du burkini dans les piscines municipales de Grenoble a démontré l’efficacité de ce contrôle du but : l’oralité des débats a poussé la commune de Grenoble dans ses derniers retranchements.

Certains auteurs se demandent cependant si l’approche française de protection de la règle commune, qui conduit à minimiser et à marginaliser le principe de non-discrimination au profit d’une approche rigoureuse du principe de neutralité – égalité des services publics, résisterait au contrôle de proportionnalité exercé sur les restrictions de la liberté de religion par la Cour européenne des droits de l’Homme [28].

Outre que la soumission de la conciliation des droits fondamentaux à l’effectivité du principe de non-discrimination [29] est porteuse de déconstruction de la vie en société et de la cohésion nationale, le contexte national et international autour du voile islamique et du développement du fondamentalisme religieux pourrait ne pas laisser la Cour européenne des droits de l’Homme indifférente. Surtout, l’amplification dans la jurisprudence européenne du principe de subsidiarité et de la règle de la marge nationale d’appréciation insérés dans le préambule de la Convention par le protocole n° 15 laisse les débats ouverts.


[1] J. de Gliniasty, Laïcité dans les piscines municipales : entre principe juridique et argument politique (CE, Ord., 21 juin 2022, Commune de Grenoble »), RDLF, 2022, chr. n° 33.

[2] X. Bioy, AJDA, 2022, p. 1736.

[3] G. Gonzalez, JCP éd. G, n° 26, 4 juillet 2002, 803.

[4] R. Letteron, Du bon usage du référé laïcité par le Conseil d’État, blog Liberté, Libertes chéries.

[5] J.P. Camby, J.E. Schoettl, RFDA, 2022, p. 689.

[6] F. Chaltiel, Les Petites Affiches, juillet-août 2022, p. 4, LPA201s3 ; L. Eck, JCP éd. A, n° 34, 29 août 2027, 2237.

[7] E. Sales, Présentation générale de la loi confortant le respect des principes de la République, Revue du droit des religions, 13/2022, pp. 17-40.

[8] Voir Cons. const., décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 N° Lexbase : A9156DDH, cons. 18.

[9] CEDH, 26 novembre 2015, Req. 64846/11, Ebrahimian c/ France N° Lexbase : A9183NXE, § 66.

[10] Idem, § 67.

[11] Idem.

[12] Idem, § 66.

[13] CE, référé, 26 août 2016, n° 402742, n° 402777 N° Lexbase : A6904RYD.

[14] TA Bastia, ord., 6 sept. 2016, n° 1600975 N° Lexbase : A9823RYH.

[15] CE, 19 mai 1933, n° 17413 N° Lexbase : A3106B8K, Rec. 541.

[16] G. Calvès, Burkini dans les piscines grenobloises : un déféré-laïcité à haut risque, Blog Le club des juristes. 

[17] Cons. constit, décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88, Rec. 293, ECLI :FR :CC :2013 : 2012.297.QPC, cons. 5.

[18] CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-188/15, Asma Bougnaoui, Association de défense des droits de l’homme N° Lexbase : A4830T3B, pt 30 ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-157/15, G4S Secure Solutions et Samira Achbita N° Lexbase : A4829T3A, pt 28 ; CJUE, Gr. ch., 28 mai 2018, aff. C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a N° Lexbase : A4886XPN, pt 44 ; CJUE, gr. ch., 10 juillet 2018, aff. C-25/17, Tietosuojavaltuutettu, Jehovan todistajat – uskonnollinen yhdyskunta N° Lexbase : A6542XXL, pt 47 ; CJUE, 4 octobre 2018, aff. C-56/17, Bahtiyar Fathi N° Lexbase : A5569YEY, pt 81 ; CJUE, Gde ch., 17 décembre 2020, aff. C-336/19, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a N° Lexbase : A71654AM, pt. 52.

[19] CEDH, 25 mai 1993, Req. 14307/88, Kokkinakis c/ Grèce N° Lexbase : A6556AWQ, § 31 ; CJUE, 4 octobre 2018, aff. C-56/17, Bahtiyar Fathi N° Lexbase : A5569YEY.

[20] CEDH, 2 février 2010, Req. 21924/5, Sinan Isik c/ Turquie N° Lexbase : A49208M8 ; CEDH, 21 février 2008, Req. 19516/06, Alexandridis c/ Grèce N° Lexbase : A9980D4E ; CEDH, 18 février 1999, Req. 24645/94, Buscarini c/ Saint-Marin N° Lexbase : A6756AW7.

[21] CJUE, Gr. ch., 15 juillet 2021, aff. C-804/18, IX c/ WABE eV, C-341/19, MH Müller Handels Gmbh c/ MJ N° Lexbase : A01924Z7 ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-188/15, Asma Bougnaoui, Association de défense des droits de l’homme, préc. ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-157/15, G4S Secure Solutions et Samira Achbita N° Lexbase : A4829T3A.

[22] Sur cette tendance, v. M. Guerini, La cohésion nationale : théâtre des droits fondamentaux, RDLF, 2021, chr. n° 03.

[23] Par ex. : G. Calvès, Service public et fait religieux : la question des accommodements raisonnables, RDLF, 2022, chr. n° 29.

[24] Op. cit.

[25] CE, 11 décembre 2020, n° 426483 N° Lexbase : A653039Q, pts 6 et 8.

[26] B. Plessix, Les cœurs et les reins, Droit administratif, n°8-9, août 2022, Repère 8.

[27] Comparer M.O. Peyroux-Sissoko, L’ordre public immatériel en droit public français, LGDJ, 2018 ; V. Gazagne-Jammes, Les actes nuisibles à la vie en société. Etude sur les exigences de la vie en société à partir de l’article 5 de la Déclaration de 1789, LGDJ, 2022.

[28] CEDH, 10 janvier 2017, Req. 29086/12, Osmanoglu et Kocabas c/ Suisse N° Lexbase : A2776S4L : la compatibilité avec la Convention d’un refus d’exemption de cours de natation mixtes obligatoire était justifiée par l’autorisation du port du burkini.

[29] R. Medard Inghilterra, La réalisation du droit de la non-discrimination, LGDJ, 2022.

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Procédure civile

[Jurisprudence] Signification : à l’impossible, le commissaire de justice est-il tenu ?

Réf. : Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.352, F-B N° Lexbase : A24578HH

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N2808BZZ

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par Arnaud Leon, Commissaire de Justice associé (Selarl Bonnamy-Vizoso & Leon), Chargé d’enseignement à l’INCJ (Institut National des Commissaires de Justice), IJA (Institut Juridique d’Aquitaine), intervenant EDA (École des Avocats de Bordeaux)

Le 05 Octobre 2022

Mots-clés : commissaire de justice • signification • diligences • vérifications • boîte aux lettres • nullité

L’arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la Cour de cassation réaffirme sans nul détour la rigueur dont doit faire preuve l’officier public et ministériel qu’est le commissaire de justice (anciennement huissier de justice) lors de la signification de ses actes. Il s’assurera d’avoir accompli vérifications et diligences suffisantes afin de satisfaire aux dispositions de l’article 656 du Code de procédure civile.


 

À ce titre volontairement provocateur, la réponse ne peut être que positive : à l’impossible, le commissaire de justice est tenu.

En effet, la lecture de cet arrêt nous enseigne à nouveau que les difficultés que peut rencontrer le commissaire de justice sur le terrain ne le soustrait pas à ses obligations de diligences. L’arrêt de la Cour de cassation retient que :

« La seule mention dans l’acte d’huissier de justice que le nom du destinataire de l’acte figure sur la boîte aux lettres n’est pas de nature à établir, en l’absence de mention d’autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l’acte et, partant, ne satisfait pas aux exigences de l’article 656 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6825H7W. ».

Les faits de l’espèce sont les suivants : deux prêts immobiliers, garantis par un cautionnement, sont consentis par une banque à des époux. Une assignation en paiement est délivrée à l’un des époux codébiteur du prêt par l’huissier de justice [1] selon les modalités de l’article 656 du Code de procédure civile ; lequel considère la réalité du domicile par le nom du destinataire figurant sur la boîte aux lettres. Mais cette réalité est tout autre, les époux sont séparés et l’épouse, destinataire de l’acte, n’habite plus à l’adresse indiquée. Dès lors, un jugement réputé contradictoire est rendu à son encontre pour lequel appel est interjeté invoquant la nullité de l’assignation. Condamnée en appel (les juges retiennent la régularité de la délivrance de l’acte dès lors que l’huissier s’est rendu à l’adresse, a vérifié que le nom du destinataire figurait bien sur la boîte aux lettres et qu’il était peu important que son prénom y soit précisé), elle se pourvoit en cassation… dont nous connaissons la solution sus-évoquée. Et elle n’est pas nouvelle. La Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur les diligences nécessaires afin de s’assurer de la réalité du domicile [2].

Outre une solution fondée sur une lecture stricte de l’article 656 du Code de procédure civile, les circonstances factuelles invoquées en appel n’ont pas suffi à sauver l’acte : le domicile était le seul connu du créancier, aucun changement d’adresse n’avait été signalé au créancier, les plis recommandés avaient été retournés à l’expéditeur avec la mention « avisé et non réclamé » et le créancier n’avait pas été informé de la séparation de fait des époux… Il en résulte que l’huissier de justice est toujours tenu de signifier avec rigueur quelque soit les difficultés matérielles rencontrées. Néanmoins, si la décision peut paraître sévère pour le praticien de prime abord, elle n’est qu’une application rigoureuse des textes relatifs à la signification (I)… obligeant le professionnel à surmonter bien souvent de nombreux obstacles (II).

I. De l’exigence des textes relatifs à la signification civile…

A. Une hiérarchie textuelle « en escalier »

Rappelons que le commissaire de justice exerce un office dans le cadre de ses activités monopolistiques dont la signification fait partie. Il doit s’obliger à être rigoureux et diligent lors de la délivrance de ses actes. La lecture des textes est manifeste à cet égard puisque l’article 654 du Code de procédure civile dispose que « la signification doit être faite à personne ». L’emploi de l’impératif n’est pas étranger et montre à quel point le législateur a souhaité que le destinataire de l’acte soit informé de la procédure en cours. Et ce n’est seulement, qu’à défaut et lorsque l'huissier de justice aura relaté dans l'acte les diligences accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification, (CPC, art. 655 N° Lexbase : L6822H7S) qu’il pourra être procédé à un mode subsidiaire de signification.

Il est important de noter que les articles 655 et suivants du Code de procédure civile sont rédigés au pluriel. S’agissant de l’article 655 du Code de procédure civile, il est bien fait état de « diligences accomplies »  ainsi que des « circonstances rendant impossible une telle signification ». En effet, lors de son retour à l’étude et de la régularisation de l’acte au répertoire, le commissaire de justice rédige informatiquement le procès-verbal de signification qui est « l’histoire » détaillée des démarches accomplies. À sa lecture, le Juge doit être en capacité d’identifier clairement les circonstances de la délivrance de l’acte. Et l’article 656 du Code de procédure civile n’en est que la suite logique, il s’agit bien aussi de « vérifications faites »… au pluriel ! Une fois seulement celles-ci accomplies, la signification à domicile est possible accompagnée d’un avis de passage et d’une lettre simple (CPC, art. 658 N° Lexbase : L6829H73). Rien de surprenant dès lors que la jurisprudence rejette la validité de l’acte lorsqu’elle ne repose que sur la seule vérification du nom inscrit sur la boîte aux lettres… et sans prénom de surcroît. Il s’agit d’une application littérale du texte.

Quid alors de la négligence ou de la passivité du débiteur de ne pas avoir procédé à son changement d’adresse ; ou même encore, pourrait-on y voir une forme d’inertie stratégique afin de faire tomber une procédure ultérieurement ?

Que nenni selon la Cour de cassation ; elle rejette toutes argumentations relatives à ces considérations. Le commissaire de justice doit effectuer plusieurs vérifications. Un point c’est tout. D’ailleurs, ces jurisprudences sont largement relayées dans les tribunaux judiciaires. Pour exemple, le président du tribunal judiciaire de Bordeaux a adressé il y a quelques mois déjà une note informant les commissaires de justice du ressort que les assignations seraient rejetées si le procès-verbal de signification ne mentionnait qu’une seule vérification du domicile. Dont acte.

B. Une hiérarchie garantissant le droit des parties

Si le commissaire de justice dispose d’un monopole en la matière, c’est notamment pour assurer la sécurité juridique des parties. Son déplacement ne doit pas être comparé à celui de La Poste ou d’un livreur de colis lambda. Combien de fois, chacun de nous, avons eu à râler à constater la présence d’un avis de passage postal dans sa boîte aux lettres alors que nous étions chez nous ? Le commissaire de justice attend, longtemps souvent, afin d’être sûr que le destinataire ne tarde tout simplement pas à ouvrir la porte, par crainte, méconnaissance ou parce qu’il n’a pas entendu frapper à la porte. Le commissaire de justice essaie de ne pas précipiter la signification dont peut dépendre la qualification de la décision à venir ou encore l’exercice de voies de recours. Par exemple, nous connaissons tous le texte relatif au délai d’opposition en matière d’injonction de payer qui ne court qu’à compter de la signification à personne du destinataire (moyen visant à saisir le juge initial de sa demande).

En outre, la signification à personne permet au justiciable d’avoir une lecture plus intelligible de l’acte quand les textes des procédures civiles d’exécution ne prévoient tout simplement pas des rappels verbaux. Tel est le cas par exemple en matière de saisie-vente, où au visa de l’article R. 221-17 Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2262ITX, est rappelé la faculté ouverte au débiteur de procéder à la vente amiable des biens saisis. Cette rencontre permet aussi de négocier, expliquer, solutionner.

Cette pluralité de vérifications assure également la sécurité juridique des parties dans le déroulé des procédures civiles d’exécution. Nous avons évoqué plus haut la procédure de saisie-vente laquelle permet la pénétration au domicile du débiteur en son absence lorsque le commissaire de justice est assisté des personnes visées par l’article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5822IR3. Quelles seraient les conséquences d’une saisie-vente dans la décision commentée alors même qu’une seule vérification du domicile a été opérée (et que le débiteur n’habite plus à l’adresse indiquée…) ?

Comme nous venons de le voir, la décision commentée est louable compte tenu notamment de la nature des dispositions textuelles et de la sécurité juridique des parties attachée, mais ce n’est pas sans soulever des difficultés matérielles pratiques pour le commissaire de justice.

II. Aux difficultés pratiques rencontrées par le commissaire de justice

A. Les obstacles matériels

La réalité du terrain auquel est confronté le commissaire de justice rend bien souvent difficile le strict respect des exigences textuelles et jurisprudentielles.

En effet, l’emploi du pluriel comme sus-évoqué peut générer des difficultés pratiques considérables. Plusieurs réalités sont à évoquer :

- il est bien rare, qu’en plus du nom sur la boîte aux lettres, figure le nom sur une sonnette ou un interphone. Et ceci s’observe tant pour les maisons individuelles que pour les appartements. Et si le nom figure toujours sur la boîte aux lettres, rien ne permet de garantir que les occupants des lieux sont encore ceux de l’acte à délivrer (voir pour preuve l’arrêt commenté).

- souvent l’accès est difficile, voire impossible, dans les résidences, s’assimilant alors à un vrai parcours du combattant : portillon codé, puis porte codée de la résidence, interphone identifié uniquement avec le numéro d’appartement. Alors le commissaire de justice attend le temps nécessaire afin qu’une personne ouvre la porte. Il vérifie sur les boîtes aux lettres le nom du requis (et il n’y a bien souvent que le nom… quand il y est…). Arrivé enfin à la porte de l’appartement, il ne peut constater que seul figure le numéro d’appartement sur la porte sans autres identifications supplémentaires… Et comme notre société est emprunte d’une communication entre voisins quasi inexistante en ville, si la jurisprudence l’y autorise [3] pourtant, le commissaire de justice aura du mal à obtenir la confirmation du domicile par ledit voisinage.

B. Aux solutions proposées

Compte tenu de nos développements précédents, il est aisé de comprendre que le commissaire de justice ne peut pas faire l’économie de plusieurs vérifications lors de la signification de ses actes. Alors, compte tenu des difficultés rencontrées, quelles pistes peuvent être envisagées afin de parfaire la signification civile ?

Comme l’a proposé un confrère et auteur [4], « la signification électronique peut contribuer à apporter une solution, mais recevoir un courriel d’un commissaire de justice est moins marquant que de l’entendre toquer à la porte ». Effectivement, et au-delà d’être certain que le mail ait bien été reçu et lu (à moins d’imaginer une adresse mail administrative conférée à son titulaire à vie et dès la naissance),  l’une des plus-values de l’acte de commissaire de justice est la rencontre physique avec le débiteur pour les raisons évoquées plus haut. Cet échange lui permet de réaliser et d’acter qu’une procédure existe et qu’elle n’est pas virtuelle.

Afin de répondre aux exigences jurisprudentielles, peut-on imaginer que la confirmation du domicile soit possible par tous moyens ? Et envisager une confirmation lato sensu ? Confirmation par le bailleur (lorsqu’il existe un bail à l’origine du litige) ?  Investigations via les réseaux sociaux (Instagram, TikTok, LinkedIn) pour ne citer qu’eux ?

Aussi, il était naguère possible de signifier un acte par remise au voisin ou au gardien de l’immeuble. Cette possibilité a disparu sans raisons apparentes. S’il est vrai, comme nous l’avons écrit plus haut, que les voisins sont souvent anonymes, il n’en est pas de même dans les villages ou zones plus rurales. En effet, comment justifier de la possibilité pour le commissaire de justice  d’interroger un voisin sur la réalité du domicile de son propre voisin sans lui laisser le choix de lui remettre l’acte ? Et le raisonnement peut s’étendre au gardien ! Certains y verront sans doute une violation du secret professionnel, car le commissaire de justice doit décliner son identité avant de signifier l’acte. Mais c’est oublier que l’acte est remis sous pli fermé, ne comportant d’un côté que le nom et adresse du destinataire de l’acte et de l’autre le cachet apposé sur la fermeture du pli. Rien n’oblige le commissaire de justice à en dire davantage.

Et somme toute, si toutes les recherches possibles demeurent vaines, que le commissaire de justice n’a finalement que le nom sur la boîte aux lettres, comment doit-il signifier son acte ? Dans pareille hypothèse, l’unique possibilité selon nous est de régulariser l’acte selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile en visant notamment dans la rédaction de ses diligences l’ arrêt de la Cour de cassation ici commenté.

In fine, cet arrêt appelle les praticiens à la plus grande prudence et dont les conséquences peuvent amener à l’anéantissement de la procédure [5] avec toute la responsabilité qui en découle… S’il est vrai que le « terrain » est bien souvent complexe, il ne faut pas oublier l'office du commissaire de justice et ses obligations attachées.


[1] Terme maintenu puisque l’institution de la nouvelle profession des commissaires de justice n’est officiellement instituée que depuis le 1er juillet 2022 et « tant qu’ils ne remplissent pas les conditions de formation à la profession de commissaire de justice, les professionnels en exercice au 1er juillet 2022 conservent leur titre d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire (ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, art.25, V N° Lexbase : L4070K8A).

[2] Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-25.291, F-P N° Lexbase : A02114KZ, T. Goujon-Bethan, Office de l’huissier significateur et négligence du destinataire, Dalloz actualité 19 mars 2021.

[3] Cass. civ. 2, 4 juin 2020, n° 19-12.727, F-P+B+I N° Lexbase : A05863NZ

[4] S. Dorol, JCP G, 26 septembre 2022.

[5] T. Goujon-Bethan, L’office de l’huissier de justice significateur à l’épreuve des boîtes aux lettres, Dalloz actualité, 26 septembre 2022.

newsid:482808

Procédure pénale

[Brèves] Demande de renvoi du débat contradictoire devant le JLD : précisions sur la liberté de communication des motifs de sa décision par le magistrat

Réf. : Cass. crim., 21 septembre 2022, n° 22-84.128 N° Lexbase : A87768KA

Lecture: 4 min

N2765BZG

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par Adélaïde Léon

Le 19 Octobre 2022

► Le JLD a seul la maitrise de son audiencement. Il peut reporter ou avancer la date du débat contradictoire qui doit se tenir devant lui par simple émission d’une nouvelle convocation. Il n’est pas tenu, à la différence de la juridiction de jugement, de réunir les parties à la date initialement prévue. Le débat contradictoire devant le JLD donne lieu à l’établissement d’un procès-verbal attestant du déroulement des débats. En cas de demande de renvoi dudit débat refusé par le JLD, il est possible de rechercher dans le procès-verbal, dont la Cour de cassation a le contrôle, les motifs du refus du JLD, lorsque ledit document en fait état.

Rappel de la procédure. Un individu a été mis en examen le 29 novembre 2020 des chefs de tentative de meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs, et placé en détention provisoire le même jour.

Le 12 mai 2022, convoqué en vue du débat contradictoire sur la prolongation de cette détention provisoire devant avoir lieu le 17 mai 2022, l’avocat de l’intéressé a adressé par télécopie au juge des libertés et de la détention (JLD) une demande de report du débat. Le magistrat a refusé ce report par courrier électronique du même jour.

Le 17 mai 2022, le JLD a prolongé la détention provisoire du mis en examen pour une durée de six mois.

L’intéressé a relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire. Selon les juges, le JLD a statué dans le respect des droits de la défense en prenant soin de motiver son refus et en mentionnant sa décision dans le procès-verbal de débat contradictoire auquel se réfère l’ordonnance de prolongation.

Le mis en examen a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Moyens du pourvoi. Il est fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir rejeté le moyen de nullité présenté par le mis en examen alors que le JLD qui rejette une demande motivée présentée avant un débat contradictoire relatif à la prolongation d’une mesure de détention provisoire doit dans son ordonnance faire mention de la demande et motiver son refus, y compris lorsqu’il a informé l’avocat de sa décision, avant la tenue de l’audience.

Selon le pourvoi, il n’était fait mention des motifs du refus ni dans l’ordonnance ni dans le procès-verbal. Ceux-ci étaient seulement évoqués par message RPVA.

Décision. La Cour rejette le pourvoi au visa des articles 114 N° Lexbase : L2767KGL, 137-1 N° Lexbase : L6259LBG et 145-1 N° Lexbase : L4872K8X du Code de procédure pénale. Les deux premiers de ces articles prévoient, par renvoi du second au premier, les règles applicables à la convocation pour le débat contradictoire devant le JLD.

Il ressort de ces textes que le JLD a seul la maîtrise de son audiencement. Il peut reporter ou avancer la date du débat contradictoire par simple émission d’une nouvelle convocation. Le JLD n’est pas tenu, à la différence de la juridiction de jugement, de réunir les parties à la date initialement fixée afin de statuer sur une demande de renvoi. Par ailleurs, il peut faire connaître les motifs de sa décision sur une telle demande par tous moyens.

Il résulte des articles 137-1, alinéa 2 et 145 du même Code que le débat contradictoire devant le JLD donne lieu à l’établissement d’un procès-verbal attestant du déroulement des débats, signé par le juge, le greffier et la personne mise en examen.

La Haute juridiction déduit de ces textes qu’il est possible de rechercher dans ce procès-verbal, dont elle a le contrôle, les motifs de la décision du JLD de rejeter une demande de renvoi, lorsque ledit document en fait état.

En l’espèce, le JLD a, par courrier électronique adressé avant le débat contradictoire, communiqué sa réponse motivée à la demande de report formée par l’avocat du mis en examen.

Par ailleurs, le procès-verbal de débat contradictoire mentionnait lui-même la réponse apportée à cette demande de report.

La chambre de l’instruction a donc valablement rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire.

Pour aller plus loin : E. Barbé, Panorama sur la détention provisoire et le contrôle judiciaire (juin 2021 à juin 2022), Lexbase Pénal, juillet 2022, n° 51 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 86863117, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Panorama] Panorama sur la d\u00e9tention provisoire et le contr\u00f4le judiciaire (juin 2021 \u00e0 juin 2022)", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N2372BZU"}}.

newsid:482765

Santé et sécurité au travail

[Brèves] Précisions sur la mise en place d’un registre d’alerte en matière de santé et d’environnement

Réf. : Cass. soc., 28 septembre 2022, n° 21-16.993, F-B N° Lexbase : A34398LX

Lecture: 2 min

N2778BZW

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par Lisa Poinsot

Le 06 Octobre 2022

Les alertes du travailleur ou du représentant du personnel au comité social et économique en matière de risque grave pour la santé publique ou l'environnement sont consignées sur un registre spécial qui est tenu, sous la responsabilité de l'employeur, à la disposition des représentants du personnel au comité social et économique.

Faits et procédure. Un membre du comité social et économique (CSE) d’une entreprise saisit la juridiction prud’homale, selon la procédure accélérée au fond, pour obtenir notamment la mise en place d’un registre du droit d’alerte en matière de risque grave pour la santé publique ou l’environnement au niveau de tous les magasins de la société.

La cour d’appel (CA Orléans, 24 mars 2021, n° 20/02103 N° Lexbase : A22114MT) déboute le représentant du CSE de sa demande après avoir constaté que la société n’était dotée que d’un seul CSE et que le registre spécial était tenu au siège de l’entreprise à la disposition des représentants du personnel. En effet, elle relève que les magasins de la société ne sont pas des entités légales indépendantes et qu'il ne s'agit pas d'établissements distincts.

Le membre du CSE se pourvoit alors en cassation soutenant que le représentant du personnel au CSE qui constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe un risque en matière de santé et d’environnement, alerte immédiatement l'employeur, cette alerte devant être consignée sur un registre spécial.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi sur le fondement des articles D. 4133-1 N° Lexbase : L7166IZG à D. 4133-3 N° Lexbase : L0893LIW du Code du travail.

Par conséquent, lorsque la société est dotée d’un seul CSE alors qu’elle dispose de plusieurs établissements, l'employeur n’a pas l’obligation de mettre en place un registre spécial d’alerte en matière de risque grave pour la santé publique ou l’environnement dans chacun d’eux. La tenue de ce registre au siège de l'entreprise suffit.

Il semble, au contraire, que, lorsque chaque établissement d’une même société est considéré comme une entité légale indépendante, de sorte qu’il est doté d’un CSE, la société doit mettre en place ce registre spécial dans chacun de ses établissements distincts. Ce registre devant être tenu à la disposition des représentants de chaque CSE d’établissement.  

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les dispositions relatives à la protection des salariés, Le droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E2962EYD.

 

newsid:482778

Social général

[Brèves] Lanceur d’alerte : précisions sur les procédures de recueil et de traitement des signalements émis

Réf. : Décret n° 2022-1284, du 3 octobre 2022, relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d'alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401, du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte N° Lexbase : L4661MED

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N2810BZ4

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par Lisa Poinsot

Le 19 Octobre 2022

► Pour bénéficier de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte, une personne doit répondre à la nouvelle définition légale et respecter la procédure de signalement (interne/externe) précisée par le décret n° 2022-1284, publié au Journal officiel du 4 octobre 2022.

Contexte juridique. Dans un objectif de protection des lanceurs d’alerte, la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016 N° Lexbase : L6482LBP, est venue unifier leur régime juridique. Récemment, la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 N° Lexbase : L0484MCW est venue :

  • modifier la définition du lanceur d’alerte ;
  • étendre les protections accordées au lanceur d’alerte à des tiers liés à celui-ci ;
  • préciser le fonctionnement des canaux internes et externes de signalement ;
  • énoncer les modalités de recours à la divulgation publique, et les garanties de confidentialité qui s’attachent au statut ;
  • renforcer la protection des lanceurs d’alerte.

👉 Entrée en vigueur du décret : 5 octobre 2022.

Procédure interne de recueil et de traitement des signalements

  • employeurs concernés : personnes morales de droit privé employant au moins cinquante salariés ;
  • mise en place : l’employeur établit une procédure interne après consultation des instances de dialogue social. La procédure est diffusée ensuite par l’entité concernée par tout moyen en assurant une publicité suffisante, notamment par voie de notification, affichage ou publication, sur son site internet ou par voie électronique ;
  • signalement possible : anonyme ou non, par écrit ou par oral (par téléphone ou par tout autre système de messagerie vocale, lors d’une visioconférence ou d’une rencontre physique organisée au plus tard vingt jours ouvrés après réception de la demande). En cas de signalement oral, celui-ci est consigné soit en enregistrant sur un support durable et récupérable soit en le transcrivant intégralement soit en établissant un procès-verbal précis de la conversation ;
  • traitement : par une entité qui apprécie les allégations en vérifiant leur exactitude et en demandant tout complément d’information à l’auteur du signalement ;
  • effets du traitement : cette entité informe par écrit à l’auteur du signalement dans un délai inférieur à trois mois à compter de l’accusé de réception du signalement ou, à défaut, à compter de l’expiration d’une période de sept jours ouvrés suivant le signalement, des mesures envisagées ou prises pour évaluer l’exactitude des allégations voire d’y remédier. En cas d’allégations inexactes ou infondées, ou lorsque le signalement est devenu sans objet, l’entité procède à la clôture du signalement et en informe l’auteur ;
  • garanties : intégrité et confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l’identité de l’auteur et des personnes visées par celui-ci ou de tout tiers mentionné ; accès interdit à ces informations aux membres du personnel non autorisés.

Procédure externe de recueil et de traitement des signalements

  • mise en place : par les autorités externes compétentes (liste en annexe) qui désignent les membres du personnel compétents pour recueillir et traiter les signalements. Ces membres doivent recevoir une formation spécifique, assurée ou financée par l’autorité, afin d’assurer pleinement leurs missions. L’autorité publie, sur son site internet, notamment des informations concernant les procédures internes de recueil et de traitement des signalements, des conditions et des modalités pratiques pour bénéficier de la protection des lanceurs d’alerte, le régime de confidentialité ;
  • signalement possible : par écrit ou par oral (par téléphone ou par tout autre système de messagerie vocale, lors d’une visioconférence ou d’une rencontre physique organisée au plus tard vingt jours ouvrés après réception de la demande). En cas de signalement oral, celui-ci est consigné soit en enregistrant sur un support durable et récupérable soit en le transcrivant intégralement soit en établissant un procès-verbal précis de la conversation. L’auteur du signalement doit préciser s’il a ou non transmis son signalement également par voie interne. Il est informé par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception ;
  • traitement : l’autorité vérifie si le signalement relève de sa compétence et le transmet le cas échéant à l’autorité compétente. Elle apprécie les allégations en vérifiant leur exactitude et en demandant tout complément d’information à l’auteur du signalement. En cas d’afflux important de signalement, l’autorité compétente peut traiter en priorité les signalements les plus graves ;
  • effets du traitement : cette entité informe par écrit à l’auteur du signalement dans un délai inférieur à trois mois à compter de l’accusé de réception du signalement ou, à défaut, à compter de l’expiration d’une période de sept jours ouvrés suivant le signalement, des mesures envisagées ou prises pour évaluer l’exactitude des allégations voire d’y remédier. En cas d’allégations inexactes, infondées, manifestement mineures, ou lorsque le signalement est devenu sans objet, l’entité procède à la clôture du signalement et en informe l’auteur ;
  • garanties : intégrité et confidentialité des informations recueillies dans un signalement, notamment l’identité de l’auteur et des personnes visées par celui-ci ou de tout tiers mentionné ; accès interdit à ces informations aux membres du personnel non autorisés ;
  • contrôle de la procédure : chaque autorité adresse au Défenseur des droits avant le 31 décembre de chaque année un rapport sur le fonctionnement de sa procédure de recueil et de traitement des signalements. Ce rapport doit contenir le nombre de signalements recueillis, les suites données à ces signalements (clôtures, enquêtes, saisines d’une autorité tierces, poursuites judiciaires), les résultats obtenus, les délais de traitement des signalements, et les moyens mis en œuvre pour gérer la procédure et d’éventuelles difficultés. Chaque autorité réexamine tous les trois ans sa procédure afin de l’améliorer et de l’adapter en tant que de besoin.

Pour aller plus loin :

  • lire J. Colonna et V. Renaux-Personnic, Loi « Waserman » : un nouveau statut pour le lanceur d’alerte, Lexbase social, mai 2022, n° 904 N° Lexbase : N1323BZZ ;
  • INFO535, Lanceurs d'alerte : procédure de recueil et de traitement des signalements, Droit social N° Lexbase : X5910CN9.

 

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Sociologie

[Focus] Par-delà le fracas des grands arrêts. Défiance, critique et crainte des recours à la justice en prison

Lecture: 22 min

N2593BZ3

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par Corentin Durand, Centre de sociologie des organisations, Sciences-Po Paris/CNRS

Le 06 Octobre 2022

Mots-clés : prison • contentieux pénitentiaire • non-recours • judiciarisation carcérale • rapport à la justice

En matière pénitentiaire, la juxtaposition de jurisprudences dont la doctrine s’est largement faite l’écho peut parfois donner l’impression d’une légalisation croissante de la vie en détention. L’approche privilégiée ici consiste à ne plus partir des décisions de justice mais du quotidien carcéral. Si la justice a bien franchi les portes des prisons. Si les prisons ne sont plus des « zones de non-droit », selon une expression qui paraissait encore un truisme il y a peu, de quel droit sont-elles le lieu ? S’appuyant sur une enquête ethnographique de plusieurs mois dans deux établissements pénitentiaires, l’article s’attache à comprendre comment les personnes détenues se saisissent, ignorent ou délaissent les recours qui leur sont désormais ouverts. Il esquisse un envers des analyses doctrinales du contentieux pénitentiaire. À ce prisme, c’est davantage par le spectre lointain de petites procédures que par le fracas des grands arrêts que la justice franchit les portes des prisons. Elle s’y trouve néanmoins déformée, souvent réduite à un formalisme qui fait la part belle aux contraintes de gestion de l’administration et ménage aux établissements un important pouvoir discrétionnaire.


 

Introduction. Observer le contentieux pénitentiaire depuis le quotidien carcéral

En 1984, dans l’arrêt Campbell et Fell contre Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) écrivait : « la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons ». La formule a fait date, par le principe qu’elle énonçait mais aussi parce qu’elle reconnaissait en creux que sa mise en œuvre n’avait rien d’aisé. Rétrospectivement, elle permet aussi de décrire l’un des principaux mouvements de transformation de l’administration pénitentiaire française dans les dernières décennies [1]. Au cœur de ces évolutions, notent Antoinette Chauvenet, Françoise Orlic et Georges Benguigui, se trouve la reconnaissance à partir des années 1900 des personnes détenues comme des « sujets de droits » avec l’ouverture de « voies de recours et de réclamation tant internes qu’externes » [2]. L’histoire de cette ouverture progressive est désormais bien connue [3]. Depuis l’arrêt Marie par lequel le Conseil d’État a, après quelques décisions disparates, accepté en 1995 de contrôler certaines décisions pénitentiaires [4], la jurisprudence de la Haute cour administrative s’est étoffée au point d’être présentée en 2009 par son vice-président d’alors, Jean-Marc Sauvé, comme ayant « atteint aujourd'hui une réelle maturité » [5]. S’y ajoutent les condamnations répétées de la France par la CEDH en matière pénitentiaire [6], la création en 2007 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) [7], tout comme le rôle récemment revendiqué par la Cour de cassation dans le contrôle des conditions de détention [8]. La multiplication des rapports et des jurisprudences a ainsi pu conduire à conclure un peu rapidement à la légalisation croissante de la vie en détention, opérée sous le contrôle d’une forme de « panoptisme inversé » [9].

Dans la tradition des socio-legal studies états-uniennes [10], un certain nombre d’analyses ont cherché à évaluer la portée de ces décisions juridictionnelles sur le fonctionnement et l’organisation des prisons, mettant à jour les limites [11] et les revers [12] du contentieux en matière pénitentiaire. Ces travaux ont néanmoins en commun de situer la capacité transformatrice du droit au niveau de l’activité normative des tribunaux, des législateurs et des autorités administratives de contrôle. En contre-point, l’approche privilégiée ici consiste à ne plus partir des décisions de justice mais du quotidien carcéral. Si la justice a bien franchi les portes des prisons, où s’y trouve-t-elle ? La juxtaposition de jurisprudences relatives à des aspects de plus en plus divers de la détention peut parfois donner l’impression d’une omniprésence du droit et de la justice derrière les barreaux. Au contraire, la sociologie carcérale peine à observer cette hypothétique « judiciarisation carcérale » [13]. Certains auteurs ont bien noté que l’institutionnalisation de la logique des droits « modifie de manière tangible les relations sociales en transformant les ressources indissociablement juridiques et symboliques de chacun des protagonistes » [14]. Pourtant, l’observation des relations carcérales a avant tout insisté sur la mise à distance des règles de droit pour préserver des relations interpersonnelles [15]. Les références aux normes de droit ou aux juridictions sont rares en prison. Elles se limitent le plus souvent au commentaire des condamnations pénales ou de décisions relevant de l’application des peines. Les actions en justice relatives à l’incarcération elle-même, si saillantes lorsqu’elles sont observées à partir des grandes jurisprudences, semblent, elles, introuvables. La plupart des détenus n'ont aucune communication avec les autorités judiciaires ou administratives à l'extérieur de la prison, hors des charges pénales qui pèsent sur eux. Ainsi, si les prisons ne sont plus des « zones de non-droit », selon une expression qui paraissait encore un truisme il y a peu, de quel droit sont-elles le lieu ?

Pour répondre à cette interrogation, cet article s’inscrit dans une approche constitutive du droit, « sensible à la fois à la manière dont le droit constitue du social et est constitué par lui » [16]. Il s’attache en particulier à comprendre comment les personnes détenues se saisissent, ignorent ou délaissent les recours qui leur sont désormais ouverts [17]. On s’appuiera sur l’analyse d’une enquête ethnographique de plusieurs mois dans deux établissements pénitentiaires, sélectionnés pour rendre compte de la diversité des prisons françaises sans prétendre pour autant l’épuiser. Y ont été observés des lieux d’entre soi des personnes détenues (cour de promenade, bibliothèques, cellules…), des lieux de contact entre personnes détenues et agents pénitentiaires (audiences, commissions de discipline…), et des lieux d’entre-soi (bureaux, réunions professionnelles…). Le dispositif empirique s’est appuyé également sur la réalisation d’une centaine d’entretiens (n=137) pour recueillir la manière dont personnes détenues, professionnels ou intervenants font sens de l’économie relationnelle de la détention. Enfin, l’enquête a donné lieu à la constitution et à l’analyse quantitative et qualitative de nombreux corpus (requêtes écrites, comptes rendus d’incidents, registre des autorités, etc.), notamment pour y repérer des références au droit ou aux juridictions.

L’analyse de ce matériau s’attachera à comprendre les raisons qui poussent la plupart des personnes détenues à se tenir à distance du répertoire juridique (I.), mais aussi les logiques de ceux, plus rares, qui en acceptent les coûts et les déboires (II.).

I.Au-delà du non-recours : les raisons de la défiance

La protection des droits des personnes détenues repose essentiellement sur ce que Kristin Bumiller nomme le « modèle de la protection juridique (model of legal protection) ». Comme le système mis en place dans le sillage du Civil Rights Act de 1964 aux États-Unis, la protection juridique des personnes détenues en France semble prendre racine dans l’idée que le droit est un instrument puissant et efficace qui, mis à la disposition des victimes, ne manquera pas de corriger les situations problématiques. Ce faisant, le modèle de la protection juridique repose sur la capacité individuelle des victimes à identifier ces situations, à en attribuer la responsabilité et à former un recours [18]. La critique adressée par Kristin Bumiller à ce modèle est également transposable au monde carcéral français : celui-ci ne prend pas en compte les expériences des hommes et des femmes qui subissent les injustices, et ne considère pas la manière dont le recours au droit peut être constitutif de cette expérience ; bref, il place « un fardeau inacceptable sur les épaules des populations désavantagées » [19]. Il faut alors penser le recours et le non-recours au droit dans le contexte des vies des personnes.

La littérature carcérale mobilise ordinairement deux types de raisonnement pour expliquer le peu d’usages du droit de la part des personnes incarcérées. Le premier, dans la lignée de la problématique du non-recours au droit des personnes vulnérables [20], s’attache aux caractéristiques de la population carcérale et pointe les difficultés face à l’écrit de la population carcérale [21], la faiblesse des connaissances juridiques, l’accès délicat à un avocat, ou encore la difficulté à « construire sa légitimité à énoncer le droit » depuis une situation d’incarcération [22]. Le second raisonnement souligne les obstacles propres à l’univers carcéral dans la mobilisation des droits. Déstabilisant l’équilibre fragile des relations sociales en détention, la mobilisation du droit peut susciter des réactions virulentes, voire occasionner des représailles.

Ces deux registres explicatifs soulignent des dimensions importantes, et désormais bien connues, des usages au droit en détention. Ils n’en épuisent cependant pas la compréhension. Préservant la validité du « modèle de la protection juridique », ils expliquent par des difficultés qui lui sont extérieures son échec récurrent à corriger les problèmes de la détention. Ainsi, dans la mesure où ils échouent à donner des raisons positives aux logiques des personnes détenues, ils passent tous deux sous silence la critique que les personnes détenues font du fonctionnement du système des recours et de son inadéquation à leurs enjeux quotidiens. Il faut alors rendre compte des raisons pour lesquelles les personnes tournent le dos au droit.

Le temps passé derrière les barreaux apparaît ici comme un élément déterminant du rapport au droit et à la justice des personnes détenues. En centre de détention, il s’ancre dans l’expérience, rapportée comme presque toujours malheureuse, d’un recours à une autorité judiciaire ou administrative. En maison d’arrêt en revanche, rares sont les personnes incarcérées qui ont engagé de tels recours. Sans connaissances précises de leur fonctionnement ou de leurs attributions, c’est alors une défiance générale face à l’intérêt d’une telle démarche qu’expriment majoritairement mes interlocuteurs. Ces derniers ne font d’ailleurs que rarement la différence entre les différentes autorités qu’ils sont susceptibles de saisir : associations, autorités administratives indépendantes, juridictions pénales, administratives ou européennes.

En effet, dans les entretiens avec des personnes détenues en maison d'arrêt, la possibilité d’un recours hiérarchique ou juridictionnel vient rarement d’elle-même. Après avoir laissé à mon interlocuteur la possibilité de m’expliquer les difficultés qu’il rencontre en détention et les solutions qu’il avait envisagées ou mises en œuvre, c’est presque systématiquement moi qui dois suggérer les différentes autorités auxquelles il est possible de faire appel. Partie désagréable de l’entretien, tant elle tourne souvent à une interrogation sans répondant, mais que je conserve néanmoins pour objectiver l’ignorance, la défiance ou la critique envers ces autorités. Souvent, mes questions sur les organismes extérieurs de contrôle tombent à plat l’une après l’autre. Par exemple, une personne en détention depuis quatre mois, n’en connaît aucune et semble ne pas comprendre mes questions. Il finit par me répondre qu’il ne voit pas souvent « les chefs », faisant manifestement référence aux responsables pénitentiaires de son bâtiment. Lorsque j’évoque le CGLPL, une personne condamnée à une longue peine et en détention depuis deux ans me répond avec un sourire qui me semble souligner son indifférence : « Jamais vu. C’est le SPIP [service pénitentiaire d’insertion et de probation] ? ». Mes questions se trouvent ainsi fréquemment renvoyées au seul cadre spatial de l’établissement.  « On m’en a parlé. On m’a dit qu’ils viennent une fois par an. Mais je les ai jamais vus. » : en réponse à une question sur l’Observatoire international des prisons (OIP), cette réponse marque non seulement le flou qui entoure les attributions des différents interlocuteurs des personnes incarcérées [23], mais l’affirmation que l’intérieur des murs constitue bien le cadre spatial pertinent pour formuler d’éventuelles plaintes. Lointaines, « jamais vues », ces autorités extérieures n’apparaissent pas pertinentes pour la vie de la détention.

À ce désajustement spatial s’en ajoute un second, temporel cette fois. En maison d’arrêt, la plupart des personnes détenues ne sont derrière les barreaux que pour des durées relativement brèves – en moyenne quelques mois. Le recours à des autorités extérieures inscrit alors les conflits de la détention dans un temps qui dépasse celui de l’incarcération. En entretien, une personne détenue se montre particulièrement critique d’une décision de la commission de discipline qui l’a sanctionné, ainsi que tous les protagonistes d’un échange de coups, sans s’attacher à préciser les responsabilités de chacun. « Même l’avocate a dit qu’en correctionnelle, j’aurais été relaxé », m’explique-t-il. Il exclut cependant de faire appel : « Non ça me prend la tête, j’arrête tout. Je sors dans quatre mois, donc le temps que… j’aurais pas eu la réponse. » Ce calcul n’est pas tout à fait exact, au moins pour la réponse à un recours administratif préalable obligatoire. Néanmoins, les autorités administratives indépendantes prennent ordinairement plusieurs mois pour traiter les courriers, et les juridictions administratives de première instance fonctionnaient à la date de l’entretien, hors procédures d’urgence, avec un délai moyen d’un an, neuf mois et sept jours [24]. Plus qu’une logique comptable, l’idée de la « prise de tête » revient fréquemment dans les discours des personnes détenues pour rejeter l’intérêt d’un recours au droit. Celui-ci prolonge en effet, dans une temporalité longue et indéfinie, les aléas de la détention. Comme me l’explique une personne condamnée à une peine de quelques mois : « Comme c’est pas une longue peine, on a toujours un pied dehors ». Ici, le cadre spatio-temporel de l’expérience carcérale en maison d’arrêt s’oppose terme à terme à celui du recours au droit.

Il en va différemment en centre de détention, où les hommes rencontrés ont été condamnés à des peines d’au moins cinq ans, souvent plus. Rares sont ceux qui ne connaissent pas l’existence de possibilités de recours. Et pour cause, nombre d’entre eux s’y sont essayés dans le passé. Leur défiance est alors ancrée dans une expérience au droit, presque toujours malheureuse. Ces récits constituent comme un envers des « histoires de résistance » qui, selon les sociologues Patricia Ewick et Susan Silbey, étendent la portée des victoires et des combats juridiques [25]. Ce sont, elles, des histoires d’impuissance. Il en va ainsi d’un homme qui connaît l’incarcération depuis de longues années. Très revendicatif dans son discours, y compris dans les communications quotidiennes avec les agents pénitentiaires, il écarte cependant sans hésitation ma question sur la possibilité d’engager un recours. Sanctionné après la découverte dans sa cellule de deux rouleaux de scotch volés aux ateliers, il a relevé ce qu’il estime être deux « vices de procédure » dans son dossier, notamment son absence lors de la fouille de sa cellule. Il importe peu ici que le décret du 30 avril 2013 relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires, abrogé depuis, précise que « les personnels pénitentiaires procèdent, en l'absence de la personne détenue, à des fouilles fréquentes et minutieuses de la cellule ». Mon interlocuteur est sûr de son fait et a fait appel de la décision auprès de la direction interrégionale. Sans beaucoup d’espoir : « Dans 99 %, pour pas dire 100 %, ils suivent l’avis de la prison », m’explique-t-il. Il avait d’abord poursuivi sa contestation devant le tribunal administratif, mais s’est finalement désisté lorsqu’il a compris qu’en cas de nouvelle défaite, il pourrait avoir des dommages à payer. De tels récits reviennent fréquemment dans la bouche des personnes détenues en centre de détention. Ils alimentent un discours désabusé sur la capacité des recours à niveler l’asymétrie structurelle de la détention. Quelques jours après sa comparution houleuse en commission de discipline, je rencontre une personne incarcérée au centre scolaire. Face à sa colère qui n’est pas retombée, je lui demande s’il envisage de faire un recours. « Non, ça sert à rien. C’est à sens unique ici ».

L’expression de la défiance vis-à-vis de la justice s’accompagne d’une conscience aigüe des coûts à payer pour la saisir. Nul ne les articule mieux que l’un des rares condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité du centre de détention. Évoquant une vie professionnelle bien remplie, qui l’a notamment vu à la tête d’une petite entreprise, Edgar se décrit comme « assez pragmatique ». Il estime à « quatre ou cinq ans » le délai pour obtenir un jugement du tribunal administratif et souligne le coût que cela représente, d’autant, m’explique-t-il, que les dommages et intérêts accordés aux personnes incarcérées sont toujours très faibles et que les avocats coûtent cher, surtout les « ténors du barreau » nécessaires pour de telles affaires. Par-dessus tout, la conséquence de toute action en justice « c’est votre date de libération qui recule ». Comme Edgar, et sans que je n’aie pu l’estimer empiriquement, de nombreuses personnes détenues du centre de détention ont souligné que les recours aux tribunaux avaient presque toujours des conséquences sur l’application des peines. Et Edgar de conclure à propos de ceux qui défient ces raisons pragmatiques de se tenir à distance du système juridique : « Ils sont pas comme moi. Je ne suis pas Don Quichotte, je combats pas les moulins à vent. Je suis pas fada. » On retrouve ici nombre des composantes de l’« éthique de la survie » décrite par Kristin Bumiller à propos des victimes de discrimination dans des situations vécues comme marquées par l’impuissance [26].

En rompant avec le misérabilisme d’explications exclusivement focalisées sur les manques ou les obstacles qui s’opposent à l’accès des personnes détenues à la justice, l’analyse renverse ici la charge de l’explication. C’est moins le fait de ne pas avoir recours au droit qui interroge que celui, en dépit de toutes justifications avancées par Edgar, d’être assez fada pour s’engager dans l’arène juridique.

II.Contester malgré tout, une défaite à la Pyrrhus

Temporalité longue et incertaine, inscription dans un rapport personnel et conflictuel avec l’administration pénitentiaire, très faible chance de succès : ce sont les mêmes éléments qui sont avancés par ceux, plus rares, qui revendiquent de saisir les tribunaux que par ceux qui expliquent les fuir. C’est en effet moins la perception de la structure d’opportunité offerte par les recours juridiques que l’attitude vis-à-vis de celle-ci qui distingue les premiers des seconds. Au-delà de la « rébellion primitive » prêtée par Dragan Milovanovic et Jim Thomas aux jailhouse lawyers – ces personnes détenues qui investissent les moyens d’action du droit jusqu’à en devenir des « juristes des coursives » –, la contestation des décisions pénitentiaires s’inscrit alors dans une revendication d’un rapport personnel et conflictuel avec l’institution. Un avocat de plusieurs clients habitués des recours contre l’administration pénitentiaire m’explique que si la plupart des personnes détenues ne veulent « pas faire de vagues […], j'en ai des comme ça et qui contestent tout systématiquement. Systématiquement. ». Plus fréquent chez des personnes condamnées à ou encourant de longues peines, de telles attitudes inscrivent le conflit dans le temps long et l’incertitude relative des procédures juridiques, reconfigurant temporairement l’asymétrie radicale des relations avec l’administration pénitentiaire.

Une personne détenue rejette l’idée d’un recours à la justice en ces termes : « Moi je suis pas un bagarreur dans l’âme. Bagarre, on se comprend ! Je suis pas dans la lutte ». Cette lutte, dont nombre de mes interlocuteurs soulignent les coûts exorbitants et le risque qu’elle inscrive l’expérience carcérale dans le temps, c’est précisément ce que disent rechercher certaines personnes détenues lorsqu’elles m’expliquent leurs recours contre l’administration pénitentiaire. Le rapport personnel à l’autorité sert alors de support à des présentations de soi où ceux qui ont recours au droit se distinguent, par leur caractère et leurs principes, du reste de la population pénale. Ainsi, parmi les personnes incarcérées qui me racontent avoir contesté des décisions pénitentiaires devant la direction interrégionale ou le tribunal administratif, la plupart insistent sur l’exceptionnalité de cette démarche et sur la pugnacité hors du commun qui leur a fait prendre cette voie. Ainsi, une personne incarcérée en centre de détention depuis plusieurs années, se décrit comme étant « un peu révolutionnaire ». Il explique sa pugnacité par son origine. Immigré d’un pays d’Amérique du Sud, il a connu un système politique et carcéral autrement plus violent ; il y a appris à ne pas se laisser faire. Au contraire, « les Français y ont pas le courage de le faire, ils pensent que l’administration est plus forte ». Ici rattachée à des catégories nationales et politiques, la valorisation identitaire par l’affirmation d’un rapport conflictuel à l’administration est parfois présentée comme un trait de caractère. Une personne détenue, bien connue en détention pour ses fréquentes revendications, explique qu’elle a toujours « gardé la niak, c’est mon caractère ! », alors même que la plupart des personnes détenues n’osent pas « porter plainte ». Pour preuve, il me raconte qu’il était déjà représentant des hébergés dans un foyer pour SDF. Il résume : « j’ai toujours été un emmerdeur » et ajoute, répondant à une objection qu’il a lui-même formulée : « Et pourquoi on pourrait pas porter plainte ? On reste des êtres humains ! ». Preuve d’un caractère bien trempé, gage d’une grandeur morale, le recours au droit sert ici de support identitaire dans un milieu qui fragilise de tels énoncés [27].

Au-delà de l’explication du recours au droit comme le résultat d’un trait de caractère, la récurrence de ce registre pointe également un rapport spécifique au droit et à ses usages. Car on ne se bat pas dans l’espoir d’un succès. Même un infatigable rédacteur de courriers adressés de la direction du centre de détention au ministre de la Justice, auteur de plusieurs recours devant les tribunaux, m’explique dans le même temps : « Je sais qu’ils sont plus forts que moi de toute manière ». Un autre estime dans une conversation avec d’autres personnes détenues qu’« on peut les faire chier, mais pas les battre ». Ainsi, le recours au droit ne semble pas inverser l’asymétrie radicale du pouvoir en détention, pas sur le long terme en tout cas.

C’est pourtant dans cette nuance que se niche sans doute le pouvoir du droit en prison. En inscrivant le conflit dans le temps relativement long d’une procédure de recours, le recours suspend temporairement l’affirmation de cette asymétrie. Même faible, l’incertitude de la décision hiérarchique ou juridictionnelle introduit également un doute sur l’équilibre des pouvoirs. En effet, si le recours aux tribunaux est fréquemment rejeté par mes interlocuteurs parce qu’il inscrirait l’incarcération dans le temps long et incertain des procédures juridiques, cette temporalité est parfois valorisée par des personnes détenues qui, condamnées à de longues peines, savent que cette « mécanique du temps vide » [28] se prolongera encore de nombreuses années. C’est alors moins la victoire juridique qui permet de « les faire chier » que l’introduction même du recours. La victoire, c’est la procédure elle-même.

Conclusion. « On est dans cette ambiance de crainte du recours »

Le grand nombre de personnes détenues, ou de leurs conseils qui méconnaissent ou évitent les tribunaux font s’éloigner le spectre d’un contrôle a posteriori des décisions de l’administration pénitentiaire. C’est alors la logique gestionnaire qui triomphe sur celle du respect du droit. En matière disciplinaire par exemple, un membre de la direction d’une maison d'arrêt explique son choix de prononcer, malgré leur illégalité, des sanctions collectives : « Comme on a pas de recours, ça laisse la place à un certain flottement. La loi c’est une chose, mais la gestion de la détention, c’en est une autre ».

La rareté des recours ne signifie cependant pas qu’ils ne pèsent pas sur la gestion quotidienne de la détention. Au contraire, mes entretiens et observations suggèrent que la crainte d’actions en justice est devenue un élément structurant de l'expérience professionnelle des agents pénitentiaires, même s’ils en ont rarement une expérience personnelle [29]. Un officier en maison d’arrêt souligne ainsi que l’éventualité d’un contrôle juridictionnel s’immisce désormais dans toutes procédures : «  on est entré dans un formalisme où on noie l’essentiel autour de détails.  Il y a une grosse levée de parapluies. […] On est dans cette ambiance de crainte du recours ». De fait, pour qui cherche à l’observer dans la vie quotidienne des établissements, le droit prend avant tout la forme d’une multiplication de formulaires, de paraphes et de fichiers informatiques. Il s’agit de faire trace pour pouvoir faire preuve, quitte à ce que la forme s’autonomise parfois de la réalité de la vie carcérale, par exemple avec la rédaction de comptes rendus d’incident sur la base de modèles stéréotypés. Alors que l’effectivité du droit au recours des personnes détenues et l’application des décisions de justice en matière pénitentiaire suscitent d’importantes critiques [30], c’est finalement davantage par le spectre de petites procédures que par le fracas des grands arrêts que la justice franchit les portes des prisons. Elle s’y trouve néanmoins déformée, souvent réduite à un formalisme qui fait la part belle aux contraintes de gestion de l’administration et ménage aux établissements un important pouvoir discrétionnaire.

 

[1] Le contrôle croissant exercé par les juridictions sur le fonctionnement pénitentiaire s’observe dans de nombreux pays mais selon des temporalités parfois différentes. V. par exemple J. B. Jacobs, The Prisoners’ Rights Movement and Its Impacts, 1960-80 in Crime and Justice, 1980, vol. 2, p. 434 ; D. van Zyl Smit, F. Dünkel, Imprisonment today and tomorrow: international perspectives on prisoners’ rights and prison conditions, Kluwer Law International.

[2] Ibid., p. 65.

[3] V. not. M. Herzog-Evans, Droit pénitentiaire, Dalloz, 3ème édition, 2019.

[4] CE, ass., 17 février 1995, n° 107766 et n° 97754, Hardouin et Marie N° Lexbase : A2385ANN.

[5] J.-M. Sauvé, Le contrôle de l’administration pénitentiaire par le juge administratif, Discours à l’Institut d’études judiciaires de l’Université de Lille II, 24 février 2009 [en ligne].

[6] Not. CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, JMB c/ France et 31 autres N° Lexbase : A83763C9.

[7] Loi n° 2007-1545, du 30 octobre 2007, instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté N° Lexbase : L7964HYM.

[8] Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A71573Q7.

[9] G. Cliquennois, Y. Cartuyvels et B. Champetier, Le contrôle judiciaire européen de la prison: les droits de lhomme au fondement dun panoptisme inversé ? in Déviance et Société, 2015, vol. 38, no 4, p. 491‑519 [en ligne].

[10] V. M. McCann, Law and Social Movements: Contemporary Perspectives, in Annual Review of Law and Social Science, 2006, vol. 2, no 1, p. 17‑38.

[11] N. Ferran, La personne détenue encore à la recherche de son juge en France, in Déviance et Société, 2015, vol. 38, no 4, p. 469‑489 [en ligne].

[12] A. Simon et I. Fouchard (eds.), Le revers des droits de l’homme en prison, Mare et Martin, 2019.

[13] C. Rostaing, Processus de judiciarisation carcérale, in Droit et société, 2008, vol. 67, no 3, p. 577‑595 [en ligne].

[14] G. Salle et G. Chantraine, Le droit emprisonné?, in Politix, 2009, vol. 87, no 3, p. 117 [en ligne].

[15] A. Chauvenet, Guerre et paix en prison, in Cahiers de la sécurité intérieure, trimestre 1998, no 31, p. 91‑109 [en ligne].

[16] L. Israël, Question(s) de méthodes. Se saisir du droit en sociologue, in Droit et Société, 2008, p. 390 [en ligne].

[17] Cette approche conduit à ignorer le contentieux initié, dans l’intérêt des personnes détenues, par des personnes morales comme l’Observatoire international des prisons. Pour une analyse de cette dynamique contentieuse, v. C. Durand et L. Israël, Porter la cause devant les Hautes cours. Justiciables et auxiliaires du droit entre politisation et technicisation, in Politix, à paraître.

[18] W. L.F. Felstiner, R. L. Abel, A. Sarat, The Emergence and Transformation of Disputes: Naming, Blaming, Claiming . . . , in Law & Society Review, Wiley, 1980, vol. 15, 3/4, p. 631‑654.

[19] K. Bumiller, Victimes dans l’ombre de la loi. Une critique du modèle de la protection juridique, in Politix, 2011, n° 94, no 2, p. 152 [en ligne].

[20] Ph. Warin, Le non-recours aux politiques sociales, Presses universitaires de Grenoble, 2017.

[21] Les campagnes de repérage systématique de l’illettrisme mises en place par l’administration pénitentiaire depuis 1995, dont la dernière a été conduite en 2014, montrent que sur les 51 019 personnes incarcérées soumises à un bilan de lecture, 22 % échouent, tandis que 4,8 % des personnes rencontrées ne parlent pas le français.

[22] C. Durand, Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers, in Droit et société, 2014, vol. 87, no 2, p. 329‑348 [en ligne].

[23] L’OIP ne sollicite en effet jamais d’autorisation pour entrer dans les établissements et la personne parle ici vraisemblablement des contrôles du CGLPL.

[24] Ce délai passe à un an, un mois et quinze jours pour les cours administratives d’appel (Conseil d’État, Rapport public 2016 [en ligne]. Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2015 [en ligne], p. 27).

[25] P. Ewick et S. Silbey, Narrating Social Structure: Stories of Resistance to Legal Authority, in American Journal of Sociology, The University of Chicago Press, 2003, vol. 108, no 6, p. 1328‑1372.

[26] K. Bumiller, Victimes dans l’ombre de la loi. Une critique du modèle de la protection juridique, in Politix, 2011, n° 94, no 2, p. 142.

[27] Sur la fragilisation identitaire en détention, v. L. Le Caisne, Prison. Une ethnologue en centrale, Odile Jacob, 2000 ; sur le recours au droit comme épreuve morale, v. C. Durand, Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers, in Droit et société, 2014, vol. 87, no 2, p. 329‑348, [en ligne].

[28] G. Chantraine, La mécanique du temps vide. Structure sécuritaire et réactions individuelles au temps carcéral en maison d’arrêt, in Sociologie pénale : système et expérience, Érès, 2004, p. 257‑271, [en ligne].

[29] Ce décalage rejoint celui entre vécu et perception du risque d’agression en détention (M. Vacheret et M. Milton, Peurs en milieu carcéral: quand sentiments et expériences diffèrent, in Criminologie, 2007, vol. 40, no 1, p. 185‑211, [en ligne]).

[30] V. par exemple N. Ferran, Exécution des décisions de justice : une bataille de longue haleine, in Dedans/Dehors, n° 114, mars 2022 [en ligne].

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[Brèves] Devoir de mise en garde de la caution : prise en compte des parts sociales détenues par la caution au sein de la société cautionnée

Réf. : Cass. civ. 1, 28 septembre 2022, n° 21-14.673, F-B N° Lexbase : A34248LE

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par Vincent Téchené

Le 05 Octobre 2022

► Lorsqu'une caution invoque un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, les parts sociales dont elle est titulaire au sein de la société cautionnée doivent être prises en considération pour apprécier ses capacités financières au jour de son engagement.

Faits et procédure. Une banque a consenti à une SCI un prêt immobilier, garanti par le cautionnement solidaire d’une caution professionnelle et d’une personne physique (la caution) dans la limite de la somme de 385 833,50 euros. Le 7 octobre 2015, à la suite de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt, la banque a prononcé la déchéance du terme.

Après avoir payé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle a assigné la SCI et la caution en paiement, lesquelles ont appelé la banque en intervention forcée et garantie, en invoquant une disproportion de l'engagement de caution et un manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde.

La caution a été condamnée à payer solidairement avec la SCI un certain montant à la caution professionnelle et la banque a été condamnée à payer la même somme à la caution pour manquement à son obligation de mise en garde. 

La banque s’est alors pourvue en cassation tandis que la caution a formé un pourvoi incident.

Décision. La Cour de cassation s’est prononcée, d’abord, sur le pourvoi de la caution et, ensuite, sur celui de la banque.

  • Pourvoi de la caution : proportionnalité de l’engagement

La Cour de cassation rappelle ici qu’il résulte de l’article L. 332-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L1162K78 et l'article 2310 du Code civil N° Lexbase : L1209HIM, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D, que la sanction prévue au premier de ces textes prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire, que ce soit sur le fondement de leur recours subrogatoire ou personnel.

Or, pour condamner la caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu'elle a acquittées, l'arrêt d’appel a retenu que celle-ci ne peut se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal, comme la disproportion de l'engagement de la caution.

Par conséquent, en statuant ainsi la cour d’appel a violé les textes précités.

Cette solution ne surprendra pas le lecteur, la Cour de cassation ayant déjà jugé en ce sens à plusieurs reprises (Cass. mixte, 27 février 2015, n° 13-13.709, P+B+R+I N° Lexbase : A3426NCU, G. Piette, Lexbase Affaires, mars 2015, n° 417 N° Lexbase : N6558BUG ; Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-17.903, FS-P+B N° Lexbase : A2007X8T ; Cass. civ. 1, 8 septembre 2021, n° 19-24.129, F-D N° Lexbase : A245844S, V. Téchené, Lexbase Affaires, septembre 2021, n° N° Lexbase : N8842BY7).

Pour les cautionnements souscrits après le 1er janvier 2022 et donc soumis au droit issu de l’ordonnance de réforme du 15 septembre 2022, on rappellera que la sanction applicable au cautionnement disproportionné n’est plus de priver d’effet le cautionnement, mais la réduction de ce dernier au montant à hauteur duquel la caution pouvait s’engager (C. civ., art. 2300, nouv. N° Lexbase : L0174L8X).

  • Pourvoi de la banque : obligation de mise en garde

La Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte de l’article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

Elle précise ensuite que les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.

Ainsi, elle censure l’arrêt d’appel qui, pour condamner la banque au titre de son devoir de mise en garde, s’est déterminé, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI cautionnée.

Le devoir de mise en garde de la caution, d’origine jurisprudentielle (Cass. com., 20 septembre 2005, n° 03-19.732, F-P+B N° Lexbase : A5020DK7 ; Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-16.790, FS-P+B+I N° Lexbase : A0222WZA) a été consacré par l’ordonnance de réforme du 15 septembre 2021 (C. civ., art. 2299, nouv. N° Lexbase : L0173L8W). En outre, pour remédier aux incertitudes liées à la notion de caution avertie, ce texte ne se limite pas aux cautions profanes. Sur ce point, la solution retenue ici par la Cour de cassation nous semble pleinement reconductible.

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : Proportionnalité et cautionnement, Le champ d'application des dispositions relatives à la proportionnalité du cautionnement des personnes physiques envers les créanciers professionnels, in Droit des sûretés, (dir G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E7179E9R ;
  • v. ÉTUDE : Les effets du cautionnement entre le créancier et la caution, La responsabilité du créancier à l'égard de la caution pour non-respect de son obligation de mise en garde, in Droit des sûretés, (dir G. Piette), Lexbase N° Lexbase : E3566E4T.

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