La lettre juridique n°868 du 10 juin 2021

La lettre juridique - Édition n°868

[Brèves] Cautionnement : la mention manuscrite de la caution ne doit figurer intégralement que sur un seul original

Réf. : Cass. com., 2 juin 2021, n° 20-10.690, FS-P (N° Lexbase : A24034UK)

Lecture: 3 min

N7855BYL

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par Vincent Téchené

Le 11 Juin 2021

► Le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original est requis, de sorte que la mention manuscrite complète de la caution ne doit figurer que sur l’exemplaire original détenu par le créancier.  

Faits et procédure. Le 7 novembre 2008, une banque a accordé à une société un prêt, garanti par un cautionnement. L'engagement de caution a été consenti dans un acte annexé au contrat de prêt, le tout étant établi en deux exemplaires originaux, remis l'un à la banque, l'autre à la caution. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a obtenu une ordonnance d'injonction de payer contre la caution, à laquelle celle-ci a formé opposition, en faisant valoir que la mention manuscrite de l'acte de cautionnement n'était pas conforme à la loi.

L'arrêt d’appel (CA Limoges, 5 novembre 2019, n° 19/00294 N° Lexbase : A9607ZTY) ayant mis à néant l'ordonnance portant injonction de payer du 29 janvier 2014 et prononcé la nullité du cautionnement, la banque a formé un pourvoi en cassation.

Pourvoi. La banque reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir affirmé que le cautionnement était nul en l'état d'une mention imparfaite sur l'un des exemplaires originaux, bien que l'autre original du contrat ait comporté une mention manuscrite complète, ce qui suffisait à s'assurer du consentement éclairé de la caution, de sorte que la cour d'appel aurait violé l'article L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI), devenu L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) du Code de la consommation.

Décision. Cet argument convainc la Cour de cassation qui censure l’arrêt d’appel.

En effet, pour mettre à néant l'ordonnance portant injonction de payer et prononcer la nullité du cautionnement, l'arrêt d’appel a relevé que l'acte produit par la caution comportait une mention manuscrite ne respectant pas le formalisme prévu par le texte précité, en ce que le mot « caution » en a été omis, et que cette divergence avec la formule légale affecte le sens et la portée de la mention manuscrite. Ainsi, pour la cour d’appel, il importe peu que la banque détienne un autre exemplaire de l'acte qui comporte, cette fois, l'intégralité de la mention légale, dès lors que la mention est incomplète sur l’un des exemplaires et que la différence qui en résulte avec la mention légale est déterminante et n'a pas permis à la caution de prendre la pleine mesure de la nature et de la teneur de son engagement.

Or, pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que, le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis et que la caution ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l'exemplaire original détenu par le créancier, la cour d'appel a violé l’article L. 341-2, devenu L. 331-1, du Code de la consommation.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les conditions de formation du cautionnement, L'exigence de la mention manuscrite de la caution personne physique envers un créancier professionnel, in Droit des sûretés, (dir. G. Piette), Lexbase (N° Lexbase : E7181E9T).

 

newsid:477855

Bancaire

[Brèves] Précisions sur l’incidence du caractère abusif de certains éléments d’une clause jugée divisible

Réf. : Cass. civ. 1, 2 juin 2021, n° 19-22.455, FS-P (N° Lexbase : A23484UI)

Lecture: 5 min

N7858BYP

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par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 09 Juin 2021

► Peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance.

Depuis quelques années, les clauses de résiliation du contrat de crédit donnent lieu à des décisions remarquées en droit bancaire. De telles clauses ont pour objet de permettre au prêteur, en présence de certains évènements expressément envisagés au préalable, de résilier le contrat et, partant, de prononcer la déchéance du terme l’autorisant à réclamer à l’emprunteur la totalité des sommes dues en principal, intérêts et frais.

Cette situation se constate de plus en plus à l’égard du crédit immobilier, et commence à donner lieu à des décisions remarquées. C’est ainsi qu’a pu être qualifiée d’abusive une clause qui autorisait la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur, car, par sa formulation, elle laissait croire que l’établissement de crédit disposait d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de la déclaration et que l’emprunteur ne pouvait pas recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme (Cass. civ. 1, 10 octobre 2018, n° 17-20.441, F-P+B N° Lexbase : A3262YGW ; K. Rodriguez, Lexbase Affaires, novembre 2018, n° 572 N° Lexbase : N6314BX7).

En revanche, si la clause est plus précise quant aux évènements entraînant le prononcé de la déchéance du terme, et qu’elle n’exclut pas le recours au juge, elle sera plus facilement admise par la Haute juridiction (Cass. civ. 1, 28 novembre 2018, n° 17-21.625, F-D (N° Lexbase : A9253YNZ) – Cass. civ. 1, 20 janvier 2021, n° 18-24.297, FS-P+I N° Lexbase : A00014DE ; J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, janvier 2021, n° 663 N° Lexbase : N6197BY8).

Cette dernière solution donne lieu à une précision utile dans la décision sélectionnée.

Faits et procédure. En l’espèce, la banque X. avait, le 21 mars 2008, consenti au couple Y. un prêt immobilier. Les conditions générales du contrat prévoyaient à l’article 14 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles dans un certain nombre de cas, et notamment en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d'une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt et que, pour s'en prévaloir, le prêteur en avertirait l’emprunteur par lettre simple.

Or, les emprunteurs avaient assigné la banque en annulation des commandements de payer aux fins de saisie-vente que celle-ci leur avait délivrés et invoqué le caractère abusif de cette clause.

La cour d’appel de Douai (CA Douai, 16 mai 2019, n° 18/04215 N° Lexbase : A4951ZBY) ne leur avait cependant pas donné raison par une décision du 16 mai 2019. M. Y. avait alors formé un pourvoi en cassation.

Pourvoi. Selon lui, la clause de déchéance du terme prévoyant que les sommes dues par l'emprunteur doivent être de plein droit immédiatement exigibles pour des motifs étrangers à l'exécution du contrat de prêt est abusive, et partant réputée non-écrite. Dès lors, le juge n'ayant pas le pouvoir de la réviser, cette clause, irréfragablement présumée ne pas avoir eu d'effet, ne doit pas pouvoir survivre par retranchement de ses seules stipulations illicites.

Décision. La Cour de cassation ne donne toutefois pas raison à M. Y., et rejette son pourvoi.

Selon la Haute juridiction, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la Directive n° 93/13/CEE, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (N° Lexbase : L7468AU7), doivent être interprétés en ce sens qu'ils s’opposent à ce qu’une clause de déchéance du terme d’un contrat de prêt jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, « lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en en affectant sa substance » (CJUE, 26 mars 2019, aff. C-70/17 et C-179/17 N° Lexbase : A0000Y77). Dès lors, il en résulte que « peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu'en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n'affecte pas sa substance ».

Or, après avoir relevé que l'article 14 du contrat de prêt comportait des causes de déchéance du terme pouvant être déclarées abusives car étrangères à l'exécution de ce contrat, la cour d'appel avait constaté qu’il prévoyait d’autres causes liées à l’exécution du contrat lui-même qui étaient valables.

Ces constatations et énonciations faisaient donc ressortir, pour la Cour de cassation, la divisibilité des causes de déchéance du terme prévues à l’article 14. La cour d’appel avait alors exactement déduit que « le caractère non écrit de certaines de ces causes de déchéance n'excluait pas la mise en œuvre de celles valablement stipulées, dès lors que la suppression des éléments qui rendaient la clause litigieuse abusive n'affectait pas sa substance ».

Observations. Cette solution échappe, selon nous, à la critique. Si l’article L. 241-1 du Code de la consommation ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 107145443, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "L241-1", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L1415K7K"}}) prévoit que les « clauses abusives sont réputées non écrites », il prend soin de préciser que le contrat demeure valide à l'exception de la clause incriminée. L’arrêt témoigne alors que, pour les juges, si la clause elle-même est divisible, il convient de maintenir les passages de la clause qui ne sont pas abusifs.

newsid:477858

Baux d'habitation

[Brèves] Supplément de loyer de solidarité imposé au locataire en place : quid de l'application dans le temps de la loi « ELAN » ?

Réf. : Cass. civ. 3, 3 juin 2021, n° 20-12.353 (N° Lexbase : A86424TA)

Lecture: 4 min

N7791BY9

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

Le 09 Juin 2021

► Les nouvelles dispositions de l’article L. 441-3 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0084LNG), issues de la loi du 23 novembre 2018 (N° Lexbase : L8700LM8), combinées avec celles de l’article L. 353-16 du même code (N° Lexbase : L0086LNI), ont pour objet d’instaurer, au profit des locataires titulaires d’un bail en cours de validité lors de la signature d’une convention avec l’État par un organisme d’habitations à loyer modéré, une option leur permettant soit de conserver leur ancien bail soit de conclure un nouveau bail conforme aux stipulations de la convention ;

Il résulte des termes de la loi du 23 novembre 2018 et des travaux parlementaires que cette disposition est dépourvue de caractère interprétatif justifiant une application rétroactive.

Faits et procédure. Le 26 décembre 2013, une société acquiert un immeuble au sein duquel un couple marié est locataire en vertu d’un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989.

Le 6 juin 2014, elle conclut une convention avec l’État en application de l’article L. 351-2 du CCH (N° Lexbase : L9511LHQ).

Les preneurs refusant de s’acquitter d’un supplément de loyer de solidarité notifié courant 2015, la société les assigne en paiement.

Par un arrêt du 26 novembre 2019, la cour d'appel de Versailles accueille la demande de la société.

Enjeu. Pour rappel, l’article L. 441-3 du CCH prévoit que les organismes HLM peuvent réclamer un supplément de loyer de solidarité (SLS), aussi appelé surloyer, au locataire dès lors que ses revenus excèdent de 20 % les plafonds de ressources exigés pour l'attribution d'un logement social.  

La loi du 23 novembre 2018 a ajouté un dernier alinéa à l'article L. 441-3 du CCH selon lequel ce dernier n'est pas applicable aux locataires ayant refusé de conclure un nouveau bail en application de l'article L. 353-7 du même code (N° Lexbase : L0087LNK), qui instaure, au profit des locataires titulaires d’un bail en cours de validité lors de la signature d’une convention avec l’État par un organisme d’habitations à loyer modéré, une option leur permettant soit de conserver leur ancien bail soit de conclure un nouveau bail conforme aux stipulations de la convention. Ainsi, le bailleur ne peut pas demander le paiement d'un supplément de loyer au preneur ayant refusé de conclure un nouveau bail.  

En l'espèce, les preneurs se pourvoient en cassation en se fondant sur l’article L. 441-3, in fine, du CCH, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018.  

Quelle est la version de l'article L. 441-3 du CCH applicable en l'espèce ?  

Non-rétroactivé des nouvelles dispositions de l’article L. 441-3 du CCH, issues de la loi du 23 novembre 2018, combinées avec celles de l’article L. 353-16. La troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle d’une part, que la loi nouvelle, ne disposant que pour l’avenir, ne peut modifier les effets légaux d’une situation juridique définitivement réalisée lors de son entrée en vigueur.

Elle énonce d'autre part, que les nouvelles dispositions de l’article L. 441-3 du CCH, issues de la loi du 23 novembre 2018, combinées avec celles de l’article L. 353-16 du même code, ont pour objet d’instaurer, au profit des locataires titulaires d’un bail en cours de validité lors de la signature d’une convention avec l’État par un organisme d’habitations à loyer modéré, une option leur permettant soit de conserver leur ancien bail soit de conclure un nouveau bail conforme aux stipulations de la convention.

La Cour retient qu'il résulte des termes de la loi du 23 novembre 2018 et des travaux parlementaires que cette disposition est dépourvue de caractère interprétatif justifiant une application rétroactive.

Application en l'espèce des dispositions des articles L. 353-16 et L. 441-3 du CCH, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 novembre 2018. La cour d’appel a exactement retenu que les dispositions des articles L. 353-16 et L. 441-3 du CCH, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 novembre 2018, lesquelles dérogeaient à celles de l’article L. 353-7 du même code, s’appliquaient au logement occupé par les preneurs dès la signature de la convention du 6 juin 2014, de sorte que la société n’était pas tenue de leur proposer un nouveau bail.

La troisième chambre civile retient que la cour d'appel a déduit, à bon droit, de ces motifs, dont il résultait que les effets légaux de cette convention étaient définitivement acquis lors de l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, que la société avait pu valablement notifier dès 2015 un supplément de loyer de solidarité aux preneurs.

newsid:477791

Contrôle fiscal

[Brèves] Abus de droit : notion de réinvestissement à caractère économique

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 28 mai 2021, n° 442711, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A48694TI)

Lecture: 3 min

N7816BY7

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par Marie-Claire Sgarra

Le 09 Juin 2021

Il résulte de l'article 150-0 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L3216LC4), que le législateur a, en l'adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités ;

L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société ;

En revanche, en l'absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

Les faits :

  • le requérant et son fils ont apporté à la société PPE, dont le requérant était l'unique associé, les parts qu'ils détenaient dans la société PPC ;
  • en rémunération de ces apports, ils ont reçu, chacun, des parts de la société PPE ;
  • les plus-values réalisées à l'occasion de ces apports ont bénéficié du régime de sursis d'imposition ;
  • la société PPE a cédé à la société S3C les titres de la société PPC ;
  • estimant que l'intervention de cette cession à très bref délai révélait que l'opération avait eu pour seul objet d'interposer une opération d'apport permettant au requérant de céder ses titres de la société PPC sans que la plus-value en résultant soit soumise à l'impôt, l'administration fiscale a mis en œuvre la procédure de répression des abus de droit pour remettre en cause le bénéfice du sursis d'imposition ;
  • le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande du requérant tendant à la décharge de ces impositions et pénalités ; la cour administrative d'appel de Lyon a fait droit à l'appel formé par le contribuable contre ce jugement (CAA Lyon, 9 juillet 2020, n° 18LY03481 N° Lexbase : A50873RT).

📌 Solution du Conseil d’État :

  • le nantissement, dans des conditions les rendant indisponibles à tout autre usage, de sommes placées sur un compte à terme en vue de garantir des emprunts bancaires souscrits pour la réalisation d'investissements dans une activité économique doit être regardé comme un réinvestissement à caractère économique ;
  • le nantissement de sommes en vue de couvrir une garantie de passif consentie au profit du cessionnaire des parts apportées, ayant pour seul objet de couvrir une éventuelle obligation future de restitution d'une partie du prix de cession, est insusceptible de caractériser un réinvestissement.

newsid:477816

Copropriété

[Brèves] Sanction du défaut de mise en concurrence préalable à la désignation du syndic : pas de nullité de la désignation, y compris avant le 1er juin 2020 !

Réf. : Cass. civ. 3, 3 juin 2021, n° 20-13.269, FS-P (N° Lexbase : A24134UW)

Lecture: 2 min

N7838BYX

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 10 Juin 2021

► En l'absence de disposition en ce sens (à l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version issue de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dite « ALUR » N° Lexbase : Z07549MW, et antérieure à celle issue de la réforme du 30 octobre 2019 entrée en vigueur le 1er juin 2020 N° Lexbase : L4821AHZ), le non-respect par le conseil syndical de son obligation de mise en concurrence n’est pas sanctionné par la nullité de la désignation du syndic par l’assemblée générale.

La solution ainsi posée par la Cour de cassation vient mettre un terme à un débat qui existait autour de cette question de la sanction du défaut de mise en concurrence des contrats de syndic, en méconnaissance de l’obligation ainsi faite au conseil syndical, depuis la loi « ALUR », de procéder à une telle mise en concurrence (sauf dispense par l’assemblée générale).

L’ordonnance du 30 octobre 2019 a réglé la question, pour l’avenir, en disposant expressément que « cette formalité n’est pas prescrite à peine d’irrégularité de la désignation du syndic » (cf. V. Zalewski-Sicard, Le conseil syndical : un conseil au rôle renforcé après l’ordonnance du 30 octobre 2019, Lexbase Droit privé, décembre 2019, n° 806 N° Lexbase : N1576BYZ).

Mais la question restait donc partiellement en suspens pour ce qui est de la période précédant l’entrée en vigueur de la réforme (soit pour la période antérieure au 1er juin 2020), et les positions divergeaient entre les cours d’appel, comme l’avait relevé tout récemment un auteur, dans ces mêmes colonnes (cf. P.-E. Lagraulet, Chronique de droit de la copropriété – La jurisprudence des cours d’appel (février à mars 2021), Lexbase Droit privé, avril 2021, n° 863, à propos de CA Grenoble, 30 mars 2021, n° 17/05846 N° Lexbase : A87784M3, retenant la nullité de la désignation du syndic pour défaut de mise en concurrence ; et à l’inverse, retenant l’absence de sanction : CA Colmar, 1er avril  2021, n° 19/02686 N° Lexbase : A09294NQ).

La Cour de cassation, dans l’arrêt ici rendu le 3 juin 2021, approuvant la décision rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, tranche définitivement le débat, et retient une solution qui présente indiscutablement le mérite d’unifier les solutions. Avant comme après la réforme, le non-respect, par le conseil syndical, de son obligation de mise en concurrence n’est pas sanctionné par la nullité de la désignation du syndic par l’assemblée générale.

newsid:477838

Marchés publics

[Textes] Les nouveautés introduites par les nouveaux CCAG 2021

Lecture: 22 min

N7814BY3

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par Thomas Gaspar, Avocat au barreau de Montpellier, Selas Charrel & Associés, Chargé d’enseignement à la faculté de droit de l’Université de Montpellier

Le 09 Juin 2021

 


Mots clés : commande publique • CCAG • exécution des marchés

La crise sanitaire en aura repoussé la publication et la sortie, initialement prévues le 1er avril 2020, mais ils sont enfin là, les nouveaux cahiers des clauses administratives générales applicables aux marchés publics – ou pas – sont en vigueur depuis le 1er avril 2021 du fait de six arrêtés interministériels (1 par CCAG) publiés au Journal officiel le même jour.


 

Poisson d’avril ou pas, le 1er avril est devenu depuis quelques années LA date de la commande publique, et la réforme des CCAG n’échappe pas à la règle désormais traditionnelle d’une publication des textes définitifs la veille pour une application le lendemain.

Fort heureusement s’agissant des CCAG, qui par principe sont « facultatifs », l’utilisation de nos – désormais - anciennes versions de 2009 demeure possible, a minima jusqu’au 30 septembre 2021, puisque l’article 3 des arrêtés du 30 mars 2021, à l’exception du nouveau CCAG Maîtrise d’œuvre qui ne prévoit une telle disposition [1], a fixé une période transitoire pour les acheteurs en prévoyant que « les marchés publics qui se réfèrent au cahier des clauses administratives générales (…), pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d'appel à la concurrence envoyé à la publication entre 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021, sont réputés faire référence au cahier des clauses administratives générales dans sa rédaction antérieure au présent arrêté, sauf s'ils font expressément référence au présent arrêté » [2].

Au-delà des conditions d’application temporelles, la réforme des CCAG avait pour ambitions et objectifs, un peu plus de 10 ans après la sortie des dernières versions, décennie où la commande publique a fortement évolué d’un point de vue de législatif, règlementaire et jurisprudentiel [3], de « 

- actualiser les clauses des CCAG ;

- améliorer leur lisibilité;

- renforcer la sécurité juridique durant la phase d’exécution des marchés publics ;

- améliorer l’équilibre des relations contractuelles ;

- adapter les CCAG à l’ère du numérique et de l’ouverture des données ;

- faire des CCAG un instrument de politique publique au service de l’accès des PME aux marchés publics et des achats durables » [4].

Au-delà de ces objectifs, l’un des grands apports de la réforme est la création d’un sixième CCAG dédié aux marchés de maîtrise d’œuvre qui souffraient antérieurement d’une référence systématique au CCAG Prestations Intellectuelles (PI) qui n’était pas totalement adapté à la particularité des prestations.

Objectifs et ambitions peut-être imparfaitement atteints, en tout cas a minima sur certains sujets. Nous ferons un panorama de cette réforme en revenant - sans prétendre à l’exhaustivité - sur les grandes nouveautés communes à tous les CCAG (I) avant de faire un focus plus précis sur les nouveautés spécifiques au CCAG Travaux (II) et les grandes lignes du nouveau CCAG Maîtrise d’œuvre (III).

I. Les grandes nouveautés communes à tous les CCAG

L’important travail de la réforme est d’avoir créé une architecture commune à tous les CCAG, laquelle vient intégrer dans chaque CCAG des items « colonne vertébrale » partagés par tous les cahiers, qu’il s’agisse, outre l’harmonisation des terminologies avec le Code de la commande publique (CCP), de la création d’un préambule commun (A), de l’intégration de la dématérialisation et du RGPD (B), de nouveautés en matière d’exécution financière (C), de la généralisation des règles de propriété intellectuelle (D), de l’apparition du développement durable (E) ou de précisions en matière de prévention et de règlement des différends (F).    

A. La création d’un préambule commun

Chaque nouveau CCAG voit naître un article intitulé « Préambule » qui vient préciser qu’il appartient à l’acheteur et/ou au maître d’ouvrage de choisir le CCAG le mieux adapté aux prestations objet de son marché, et d’y faire expressément référence dans les documents particuliers.

Au-delà de ce rappel presque surabondant tant il est désormais constant que le CCAG ne s’applique que si le CCAP y fait référence, ce préambule ajoute que le(s) CCAG ne sont pas « adaptés » aux marchés privés, i.e aux marchés conclus par des acheteurs privés.

Cette nouveauté a le mérite de lever le doute qui subsistait quant à la possibilité pour un acheteur « privé », mais soumis au Code de la commande publique, d’appliquer les CCAG, même si le fait que les CCAG soient jugés « inadaptés » aux marchés conclus par des acheteurs privés, pourtant soumis au CCP, n’est pas tout à fait conforme à une réalité pratique où les acheteurs privés, de type SEM ou SA d’HLM, appliquent quasi-systématiquement ces textes.

Enfin, même si la position adoptée n’est pas forcément partagée par tous, le préambule vient trancher la question de la possibilité de faire référence à plusieurs CCAG sur un même marché comportant des prestations de nature différente, en précisant que « par principe, un marché ne peut se référer qu'à un seul CCAG », sauf pour le cas particulier des marchés globaux [5].

B. L’intégration de la dématérialisation et du RGPD

Tous les CCAG sont également mis à jour pour intégrer la dématérialisation dans l’exécution des marchés publics, déjà obligatoire pour la passation des marchés de plus de 25 000 euros HT depuis le 1er octobre 2018.

Les dispositions relatives à l’exécution dématérialisée se traduisent par l’introduction de la référence aux « profils d’acheteurs » pouvant devenir plateforme unique de communication en cours d’exécution, sous réserve bien entendu qu’ils le permettent ce qui n’est actuellement que peu le cas. Il est toutefois regrettable qu’il soit mentionné qu’une notification sur le profil d’acheteur soit réputée acquise 15 jours plus tard en cas de consultation par le titulaire, délai beaucoup trop long qui risque de freiner l’exécution.

Des clauses de rappel de la règlementation en matière de facturation électronique et du portail Chorus Pro, qui figurent déjà au sein des articles L. 2192-5 (N° Lexbase : L7164LQE) et suivants du Code de la commande publique, sont également introduites, portail de facturation électronique sur lequel devra s’insérer le maître d’œuvre dans l’exécution des marchés de travaux [6].

Le Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) fait également son apparition dans les CCAG qui en reprennent les grands principes, à savoir la prohibition de transmission de données à des tiers en violation des règles nationales et européennes, une clause de réexamen automatique en cas de modification desdites règles, et les stipulations obligatoires du CCAP à ce sujet [7].

C. Les nouveautés en matière d’exécution financière

Les CCAG intègrent également de nouvelles dispositions communes en matière d’exécution financière, avec tout d’abord l’intégration d’un système d’option pour les avances [8], l’option A permettant d’appliquer un taux supplétif de 20 %, par rapport à l’option B qui reste sur le taux minimum applicable en vertu du Code de la commande publique [9].

Les nouveautés communes en matière d’exécution financière concernent aussi deux points importants qui ont fait couler beaucoup d’encre.

Il s’agit, d’une part, de la mise en place d’un plafonnement, par principe, des pénalités contractuelles de retard à hauteur de 10 %, ajouté au surplus à une procédure contradictoire préalable à leur application et imposant un délai d’observation du titulaire qui ne peut être inférieur à 15 jours [10].

Si l’on peut débattre du principe même du plafonnement qui est a priori bien inférieur à ce que le juge administratif considère lui comme excessif [11], ou de l’intérêt de la généralisation d’une procédure contradictoire préalable là où les pénalités ont toujours été applicables sur simple constat [12], il est clair que les nouveaux CCAG tendent à rechercher une relation contractuelle plus partenariale et peut-être moins exorbitante du droit commun, caractéristique pourtant du contrat administratif.

Cette recherche de relation plus équilibrée et plus partenariale se traduit également dans le retour des clauses incitatives, ou les primes pour respect des engagements, qui avaient pourtant disparu, sans que l’on n’en connaisse réellement les raisons et les impacts, lors du passage de l’ordonnance et du décret « marchés » au CCP le 1er avril 2019 [13], font leur réapparition dans les CCAG [14].

D. La généralisation des règles de propriété intellectuelle

Dans les versions de 2009, seul le CCAG PI disposait de clauses relatives à la propriété intellectuelle, avec le fameux système des options A et B, que les droits sont concédés ou non, à titre exclusif ou non [15].

La réforme consacre désormais une clause unique de propriété intellectuelle dans tous les CCAG [16], à l’exception du CCAG Maîtrise d’œuvre où elle a été rédigée un peu plus sur mesure pour s’adapter aux spécificités des marchés publics de maîtrise d’œuvre [17].

Un régime « de base » sans option, auquel il pourra bien entendu être dérogé, est intégré de manière très exhaustive dans chaque cahier en quatre articles : la définition des résultats et des connaissances antérieurs ; le régime général des connaissances antérieures et des connaissances antérieurs dites standards ; les dispositions spécifiques aux connaissances antérieures et connaissances antérieures standards et le régime des résultats.

Les nouveaux CCAG fixent le principe selon lequel « la conclusion du marché n’emporte pas transfert des droits de propriété intellectuelle ou des droits de toute autre nature afférents aux connaissances antérieures et aux connaissances antérieures standards », mais vient permettre un droit pour l’acheteur « d’utiliser ou faire utiliser les résultats, en l’état ou modifiés, de façon permanente ou temporaire, en tout ou partie, par tout moyen et sous toutes formes, pour les besoins et finalités d’utilisation exprimés dans les documents particuliers du marché et en toute hypothèse pour les besoins d’utilisation découlant de l’objet des prestations commandées dans le cadre du marché ».

E. L’apparition du développement durable

Le développement durable, sujet ô combien d’actualité y compris matière de commande publique avec la future loi « Climat et Résilience » en cours de débat à l’Assemblée nationale et au sénat, était attendu et ce d’autant plus qu’il s’agissait d’un objectif affiché du gouvernement sur cette réforme.

Un article intitulé « Développement durable » est inséré dans chacun des CCAG [18], divisé en deux sous-parties, l’une sur les clauses d’insertion sociale et l’autre sur les clauses environnementales.

La partie sur la clause d’insertion sociale est particulièrement développée en définissant les publics éligibles, de modalités de mise en œuvre, d’intervention de facilitateur, et de difficultés, contrôle et pénalités, créant un régime exhaustif dès le cahier général auquel les CCAP n’auront désormais qu’à renvoyer.

En revanche, la partie sur la clause environnementale demeure décevante en restant totalement facultative et en étant rédigée de manière extrêmement succincte, se résumant à la phrase selon laquelle « les documents particuliers du marché précisent les obligations environnementales du titulaire dans l’exécution du marché. Ces obligations doivent être vérifiables, selon des méthodes objectives, et faire l’objet d’un contrôle effectif ».

F. Les nouveautés en matière de prévention et règlement des différends

Chaque CCAG intègre quelques nouveautés communes en un dernier article relatif au règlement des différends entre les parties.

Une définition du « différend », point de départ des processus de réclamation dans certains CCAG, est donnée en reprenant celle fixée par la jurisprudence [19] selon laquelle le différend peut résulter « soit d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord ; soit du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un délai qui ne saurait être inférieur à quinze jours ; soit de l'absence de notification du décompte de résiliation » [20].

En outre, chaque CCAG incite au règlement amiable des différends en affirmant que les parties « privilégient le recours à un comité consultatif de règlement à l'amiable, à la conciliation, à la médiation, notamment auprès du médiateur des entreprises, ou à l'arbitrage, dans les hypothèses et les conditions prévues par le Code de la commande publique », ces modes alternatifs interrompant les délais de recours contentieux.

II. Les nouveautés spécifiques au CCAG Travaux

Sans prétendre à l’exhaustivité, le nouveau CCAG Travaux intègre quelques nouveautés qui lui sont propres, que ce soit sur le régime des ordres de services (A), les dispositions relatives au prix et aux modalités de règlement des comptes (B) ou encore sur les délais d’exécution (C).

A. Les nouveautés relatives au régime des ordres de service

Dans le CCAG Travaux 2021, le régime de l’ordre de service est en partie renouvelé.

Tout d’abord, le CCAG apporte une clarification bienvenue à la définition de l’ordre de service en précisant qu’il s’agit de la décision du maître d’œuvre, mais également celle du maître d’ouvrage.

Aussi étonnant soit-il, dans sa version 2009, l’article 3.8.1 du CCAG indiquait seulement que les ordres de services « sont signés par le maître d’œuvre », comme s’ils ne pouvaient – ou ne devaient – pas être signés par le maître d’ouvrage.

Cette précision s’accompagne de l’ajout important selon lequel « les ordres de service émis par le maître d’œuvre entrainant une modification des conditions d’exécutions du marché, notamment en termes de délai d’exécution, de durée et de montants, font l’objet d’une validation préalable par le maitre d’ouvrage ».

Désormais, le principe demeure celui de la validation – ou du contreseing - préalable du maître d’ouvrage pour tous les ordres de service affectant des éléments essentiels du contrat comme les délais, la durée ou le montant. Ce qui impactera nécessairement la régularité des ordres de service et, partant, le droit à indemnisation du titulaire pour les travaux supplémentaires commandés par leur biais [21].

Ensuite, le caractère exécutoire des ordres de services est atténué avec l’intégration d’une nouvelle hypothèse où le titulaire sera autorisé à ne pas s’y conformer dès lors qu’il aura émis des réserves « visant à informer le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre qu’un ordre de service présente un risque en terme de sécurité ou qu’il contrevient à une disposition législative ou règlementaire à laquelle le titulaire est soumis dans l’exécution des prestations objet du marché » et que le maître d’ouvrage n’y a pas répondu dans un délai de 15 jours [22].

Enfin, le CCAG Travaux vient intégrer l’interdiction des ordres de service à « zéro euro » issu de la loi « PACTE » [23], en mentionnant désormais que « les ordres de service prescrivant des prestations supplémentaires ou modificatives qui ont une incidence financière sur le marché donnent lieu à rémunération complémentaire dans les conditions de l’article 14 » [24].

B. Les nouvelles dispositions relatives au prix et aux modalités de règlement des comptes

 

En matière de prix et de modalités de règlements des comptes, le CCAG Travaux intègre quelques nouveautés mineures, au demeurant communes pour certaines avec les autres CCAG, relatives aux avances avec le système d’option, aux modalités de rémunération d’un groupement avec la fixation du principe selon lequel chaque cotraitant perçoit directement les sommes quel que soit la forme du groupement [25], la facturation électronique, ou encore la possibilité pour le maître d’ouvrage de mettre en demeure le titulaire en cas d’absence de transmission de son projet de décompte final [26].

Deux nouveautés méritent d’être un peu plus soulignées.

D’une part, le CCAG Travaux vient intégrer un principe d’évolution du prix en cas de « modification imprévisible de la législation ou de la règlementation applicable en cours d’exécution du marché ayant un impact sur les prix », qui imposera que les parties se rencontrent pour en évaluer l’impact financier et le formaliser par voie d’avenant.

Atténuant en partie la jurisprudence « Région Haute Normandie »[27] relative au droit à rémunération complémentaire du titulaire d’un marché à forfait, il appartiendra aux acheteurs d’être précis dans leur CCAP sur la définition du périmètre des modifications de la législation ou de la règlementation considérées comme prévisibles, d’intégrer des clauses de réexamen découlant de la survenance d’une modification imprévisible pour éviter d’être bloqués par le régime des modifications de marché, ou carrément en dérogeant purement et simplement à ce principe.

D’autre part, la jurisprudence « Centre Hospitalier de Versailles » [28], et celle qui s’en est suivie, relative aux effets des principes d’unicités et d’intangibilité du décompte général [29], fait son apparition.

L’article 13.4.2 du CCAG Travaux précise désormais que « si des réserves émises à la réception des travaux ne sont pas levées ou si le maître d’ouvrage a connaissance d’un litige ou d’une réclamation susceptible de concerner le titulaire au moment de la signature du décompte général, celui-ci est assorti d’une mention indiquant expressément l’objet des réserves, du litige ou de la réclamation » à défaut de quoi il « ne pourra réclamer au titulaire les sommes nécessaires à la levée des réserves ni appeler ce dernier à le garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre dans le cadre d’une procédure contentieuse au titre des litiges ou réclamations dont il avait connaissance au moment de l’établissement du décompte ».

Une vigilance accrue sera de mise pour les maîtres d’ouvrage, sauf à déroger à ces dispositions en différant le délai de transmission du projet de décompte final du titulaire à la levée de la dernière réserve ou à la remise des DOE, ou en intégrant une possibilité de sursoir à la notification du décompte général en cas de réserves, ce qui semble encore possible.

C. Les nouveautés liées aux délais d’exécution

Dans les dispositions relatives aux délais, l’une des nouveautés principales du CCAG Travaux, outre bien entendu les modifications inhérentes à tous les CCAG (régime des pénalités notamment) concerne les modifications apportées en matière de prolongation des délais.

L’article 18 liste les cas dans lesquels la prolongation des délais est justifiée, en modifiant la « rencontre de difficultés imprévues » qui devient « la survenance de difficultés ou de circonstances imprévues » et, surtout, en venant préciser que l’hypothèse du retard dans l’exécution d’opérations préliminaires qui sont à la charge du maître d’ouvrage vise aussi « les autorisations administratives liées à l’exécution du marché ».

En outre, il précise que l’importance de la prolongation est bien décidée par le maître d’ouvrage et qu’un ordre de service mentionnant la durée de la prolongation doit être notifié au titulaire.

III. Les grandes lignes du CCAG maîtrise d’oeuvre

La dernière grande nouveauté, attendue, de la réforme, est bien la création d’un CCAG dédié aux marchés de maîtrise d’œuvre.

Son architecture est calquée sur celle du CCAG PI, avec des modifications spécifiques intégrées pour tenir compte de la spécificité des marchés de maîtrise d’œuvre.

Dans les dispositions spécifiques aux marchés de maîtrise d’œuvre par rapport aux dispositions des marchés de prestations intellectuelles, l’on retrouve tout d’abord une mention spécifique dans le préambule destinée à faire le lien avec le CCAG Travaux, qui précise que « les documents particuliers du marché garantissent que les modalités d’exécution des prestations de maîtrise d’œuvre sont compatibles avec les clauses du CCAG-Travaux portant sur le rôle du maître d’œuvre dans le cadre de l’exécution des marchés de travaux ».

Les dispositions générales ajoutent logiquement le « programme de l’opération incluant le détail de l’enveloppe financière prévisionnelle retenue par le maître d’ouvrage et affectée aux travaux » ainsi que « les éventuelles pièces écrites et graphiques remises par le maître d’ouvrage lors de la consultation », aux pièces contractuelles par principe du marché de maîtrise d’œuvre [30].

Un principe d’interdiction de la sous-traitance pour des tâches essentielles identifiées dans les documents particuliers du marché, que l’on retrouve dans le Code de la commande publique [31], est mentionné par rapport aux autres CCAG [32], du fait de l’importance de certaines missions de maîtrise d’œuvre, notamment de conception, qui justifient cet encadrement.

C’est ensuite sur les dispositions relatives au prix, et ses modalités de fixation et d’évolution, que le CCAG Maîtrise d’œuvre présente les plus grandes particularités avec le CCAG PI.

Le caractère provisoire du prix du marché initial, conformément à l’article R. 2112-18 du Code de la Commande publique (N° Lexbase : L4341LR9), est intégré, ainsi que les principes de détermination du contenu du forfait de rémunération provisoire et du passage à la rémunération définitive, qui induisent nécessairement la conclusion d’un avenant et qui devront être expressément « définis dans les documents particuliers du marché » [33].

Le droit à l’adaptation de la rémunération du maître d’œuvre est lui aussi bien cristallisé, avec un droit d’opposition à la réalisation de prestations non valorisées [34], par transposition de la jurisprudence « Babel » [35], ainsi qu’un mode de fixation par ordre de service de prix nouveaux provisoires pour des prestations supplémentaires ou modificatives, devant ensuite faire l’objet d’un avenant.

Le maître d’œuvre bénéficie, par rapport aux titulaires d’autres marchés plus classiques, d’un droit à s’opposer à l’exécution d’ordres de service prescrivant des prestations supplémentaires ou modificatives à hauteur de plus de 10 % du montant hors taxes du marché initial et qui n’auraient pas encore donné lieu à la signature d’un avenant [36].

Enfin, toujours en matière de rémunération et de délais, le CCAG Maîtrise d’œuvre offre aux maîtres d’œuvre une vraie souplesse par rapport à la rigidité de la jurisprudence à leur égard [37], en mentionnant qu’en « cas de prolongation de la durée du chantier ayant pour conséquence une augmentation de plus de 10 % de la durée du marché de maîtrise d’œuvre, les parties se rapprochent afin d’examiner d’une part, les responsabilités associées à ce retard, et, d’autre part, si l’impact sur les missions du maître d’œuvre est suffisant pour déclencher une valorisation financière » [38].

Sur le terrain de l’exécution des prestations, l’on note l’introduction d’une clause qui ne figurait pas dans les projets initiaux, relative aux évolutions potentielles des marchés « en cas de circonstances que des parties diligentes ne pouvaient prévoir dans sa nature ou dans son ampleur et modifiant de manière significative les conditions d’exécution du marché » [39].

Cette nouvelle rédaction instaure une clause de réexamen générale, qui pourrait permettre d’utiliser l’hypothèse déjà prévue par le Code de la commande publique à ce titre [40], mais dans une limite potentiellement plus importante que 50 % du montant du marché initial.

Pour terminer, les stipulations financières du nouveau CCAG opèrent une mise en cohérence avec celles relatives aux marchés de travaux, avec l’intégration d’un mode de règlement des comptes et du solde intégrant un processus de projet de décompte final jusqu’au décompte général définitif [41].

Quel impact dans ma pratique ?

- prendre connaissance en détail des nouvelles dispositions des CCAG pour adapter ses CCAP, de manière à savoir y déroger et/ou à le compléter/modifier, lorsque cela est nécessaire ; 

- s’approprier les dispositions du nouveau CCAG maîtrise d’œuvre et en tirer les conséquences dans la rédaction de son dossier de consultation de marché de maîtrise d’œuvre, et dans l’exécution du marché ;

- et ce… d’ici le 30 septembre 2021.

 

[1] L’article 2 de l’arrêté du 30 mars 2021, portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de maîtrise d'œuvre (N° Lexbase : L9095L3A) (NOR : ECOM2106877A) prévoit : « les dispositions du présent arrêté entrent en vigueur le 1er avril 2021. Elles sont applicables aux marchés pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d'appel à la concurrence envoyé à la publication à compter de cette date ».

[2] Art. 3 des arrêtés du 30 mars 2021, portant approbation du cahier des clauses administratives générales, NOR : ECOM2106871A pour les marchés publics de travaux N° Lexbase : L9134L3P) ; NOR : ECOM2106868A, pour les marchés publics de fournitures courantes et services (N° Lexbase : L9087L3X) ; NOR : ECOM2106874A, pour les marchés publics de prestations intellectuelles (N° Lexbase : L9104L3L) ; NOR : ECOM2106875A, pour les marchés publics de techniques de l'information et de la communication (N° Lexbase : L9136L3R) ; NOR : ECOM2106873A, pour les marchés publics industriels (N° Lexbase : L9105L3M).

[3] Depuis 2009, se sont succédées une Directive européenne 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la Directive 2004/16/CE (N° Lexbase : L1896DYU), l’abrogation du Code des marchés publics et l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (N° Lexbase : L9077KBS), du décret n° 2016-360 du 25 février 2016 (N° Lexbase : L3006K7H), puis du Code de la commande publique issu de l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 (N° Lexbase : L0938LN3) et du décret n° 2018-1875 du 3 décembre 2018 (N° Lexbase : L0945LNC).

[4] Objectifs de la réforme affichés par la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances, lors de sa réunion de lancement des groupes de travail du 16 septembre 2019.

[5] Marchés globaux listés à l’article L. 2171-1 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L8182LQ4).

[6] Art. 11.3 du CCAG MOE.

[7] Art. 5.2 des CCAG.

[8] Art. 10.1 des CCAG (sauf CCAG MI art. 12.1).

[9] CCP, art. L. 2191-2 (N° Lexbase : L4403LRI), L. 2191-3 (N° Lexbase : L4571LRQ), R. 2191-11 (N° Lexbase : L4859LYM) et R. 2191-12 (N° Lexbase : L4865LYT).

[10] Art. 14.1.2 CCAG FCS, PI, TIC ; art. 16.2.2 CCAG MOE ; art. 15.2 CCAG MI ; art. 19.2.1 CCAG Travaux.

[11] Voir un arrêt récent qui valide des pénalités représentant 28 % du montant du marché : CAA Lyon, 29 avril 2021, n° 19LY02718 (N° Lexbase : A74864QC).

[12] CE, 15 novembre 2012, n° 350867 (N° Lexbase : A9806IW4).

[13] Les dispositions de l’article 17 du décret n° 2016-360 n’ont pas été reprises dans les dispositions du Code de la commande publique alors pourtant qu’elles figuraient dans le projet au sein de l’article R. 2112-19  : « Des clauses incitatives peuvent être insérées dans les marchés publics notamment aux fins d’améliorer les délais d’exécution, de rechercher une meilleure qualité des prestations et de réduire les coûts de production ».

[14] Art 15 CCAG FCS, PI, TIC ; art. 17 CCAG MOE ; art. 16 CCAG MI ; art. 19.4. CCAG Travaux .

[15] Art. 25 CCAG PI 2009.

[16] Art. 45 à 48 CCAG Travaux ; art. 34 à 37 CCAG FCS ; art. 32 à 35 CCAG PI ; art. 37 à 40 CCAG MI ; art. 43 à 46 CCAG TIC.

[17] Art. 22 à 24 CCAG MOE.

[18] Art. 20 CCAG Travaux ; art. 16 CCAG FCS ; art. 16 CCAG PI ; art. 17 CCAG MI ; art. 16 CCAG TIC ; art. 18 CCAG MOE.

[19] CE, 22 novembre 2019, n° 417752 (N° Lexbase : A4879Z34).

[20] Art. 55 CCAG Travaux ; art. 46 CCAG FCS ; art. 43 CCAG PI ; art. 49 CCAG MI ; art. 55 CCAG TIC ; art. 35 CCAG MOE.

[21] Voir pour le cas de travaux supplémentaires sur ordre verbal du maître d’œuvre : CAA Paris, 3 juillet 2007, n° 04PA02056 (N° Lexbase : A1597DXG).

[22] Art. 3.8.2 CCAG Travaux.

[23] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et à la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK) ayant modifié l’article L. 2194-3 du Code de la commande publique (N° Lexbase : L7167LQI).

[24] Art. 3.8.6 CCAG Travaux.

[25] Art. 10.7 CCAG Travaux.

[26] Art. 12.3.4 CCAG Travaux.

[27] CE, 5 juin 2013, n° 352917 (N° Lexbase : A3368KGT).

[28] CE, 20 mars 2013, n° 357636 (N° Lexbase : A8585KA9).

[29] CE, 17 mai 2017, n° 396241 (N° Lexbase : A1666WD3) ; CE 6 mai 2019, n° 420765 (N° Lexbase : A0378ZBM).

[30] Art. 4 CCAG MOE.

[31] CCP, art. L. 2193-3 (N° Lexbase : L4569LRN).

[32] Art. 3.6.1 CCAG MOE.

[33] Art. 10.2.1 CCAG MOE.

[34] Art. 14.3 CCAG MOE.

[35] CE, 29 septembre 2010, n° 319481 (N° Lexbase : A7497GAW).

[36] Art. 14.2 CCAG MOE.

[37] Voir en ce sens pour une application récente : CAA Lyon, 12 décembre 2019, n° 17LY01314 (N° Lexbase : A70463A9).

[38] Art. 15.3.5 CCAG MOE.

[39] Art.25.2.1 CCAG MOE.

[40] Art. R.2194-5 du CCP.

[41] Art. 11.7 et 11.8 CCAG MOE.

newsid:477814

(N)TIC

[Brèves] Suppression de la minute numérisée d’un jugement de tribunal de commerce : consommation de l'atteinte à un STAD

Réf. : Cass. crim., 8 juin 2021, n° 20-85.853, F-P (N° Lexbase : A40964UA)

Lecture: 3 min

N7834BYS

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par Adélaïde Léon

Le 09 Juin 2021

► Les modifications ou suppressions de données d’un STAD sont nécessairement frauduleuses dès lors qu’elles ont été sciemment dissimulées à au moins un autre utilisateur d’un tel système, même lorsque ce dernier n’est pas titulaire de droits de modification ; dès lors, se rend coupable du délit d'atteinte à un STAD la personne qui supprime, en toute connaissance de cause, la minute numérisée d'un jugement du tribunal de commerce et les mentions informatiques relatives au dossier concerné, à l'insu d'un autre utilisateur du système.

Rappel des faits. Un greffier du tribunal de commerce d’Agen a dénoncé au ministère public la disparition d’un jugement, tant dans l’historique informatique du greffe que dans le minutier, qu’il imputait à son associé.

À l’issue d’une enquête, ce dernier a été cité devant le tribunal correctionnel notamment du chef de suppression de données résultant d’un accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données (STAD). Après avoir requalifié les faits en suppression frauduleuse de données contenues dans un STAD, le tribunal correctionnel l’en a déclaré coupable. L’intéressé a interjeté appel.

En cause d’appel. La cour d’appel a retenu la culpabilité du prévenu. Celui-ci a formé un pourvoi.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi au visa de l’article 323-3 du Code pénal (N° Lexbase : L0872KCB) lequel réprime notamment le fait de modifier ou supprimer frauduleusement les données contenues dans les STAD.

La Cour avait par le passé déterminé que le seul fait de modifier ou supprimer les données d’un STAD en violation de la réglementation en vigueur caractérise le délit d’atteinte précité, sans qu’il soit réalisé par une personne n’ayant pas un droit d’accès au système ou animée par une volonté de nuire (Cass. crim., 8 décembre 1999, n° 98-84.752 N° Lexbase : A5605AWI).

Plus récemment, la Chambre criminelle était venue préciser les contours de cette infraction en jugeant que lorsqu’une modification ou une suppression des données d’un STAD est réalisée par le seul titulaire des droits d’accès et de modification, sans dissimulation à d’éventuels utilisateurs du système, l’infraction n’est pas constituée (Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-84.755, FS-P+B+I N° Lexbase : A5577Z9G).

En validant le raisonnement de la cour d’appel, la Haute juridiction confirme ici sa décision de janvier 2020 et affine une fois encore le cadre du délit d’atteinte aux données. Elle juge ainsi que lorsque les modifications ou suppressions de données sont sciemment dissimulées à au moins un autre utilisateur d’un tel système, l’opération est frauduleuse. Confirmant la distinction qu’elle opère entre titulaire des droits d’accès et utilisateur du système, la Chambre criminelle ajoute que l’infraction est ainsi constituée quand bien même l’utilisateur à qui l’opération a été dissimulée ne serait pas titulaire de droits de modification.

En l’espèce, la Cour note que la suppression, en toute connaissance de cause, de la minute numérisée du jugement et des mentions informatiques relatives au dossier concerné a été faite à l’insu du greffier associé, autre utilisateur du système.

Pour aller plus loin :

  • v. J. Perot, Logiciel permettant d’effacer des lignes d’écritures de ventes en espèce : absence de caractérisation de l’atteinte à un STAD, Lexbase Pénal, janvier 2020 (N° Lexbase : N1808BYM) ; 
  • v. ÉTUDE : Les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, in Droit pénal spécial, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E9932EWR).

newsid:477834

Procédure civile

[Jurisprudence] Dispositif des conclusions d'appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 2, 20 mai 2021, deux arrêts, n° 20-13.210, F-P (N° Lexbase : A25324SL) et n° 19-22.316, F-P (N° Lexbase : A25334SM)

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N7812BYY

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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes - Co-président du département de droit privé - Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Centre de Recherches Juridiques – EA 1960

Le 06 Novembre 2023


Mots clés : Appel • dispositif des conclusions • formalisme • sanction • automaticité de la décision • modulation dans le temps • procès équitable

Par deux arrêts en date du 20 mai 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme la solution retenue en 2020 selon laquelle, lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut alors que confirmer le jugement, en rappelant que cette solution ne peut s’appliquer aux déclarations d’appel antérieures au 17 septembre 2020.


 

Depuis une quinzaine d’années maintenant, les réformes de procédure civile poursuivent, de manière plus ou moins affichée, une finalité managériale qui se traduit, depuis le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 [1](N° Lexbase : L0292IGW), par un renforcement de la sévérité des sanctions susceptibles d’être appliquées aux plaideurs qui contreviendraient à des questions de forme. Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 [2] (N° Lexbase : L2696LEL), qui a réécrit le contenu des articles 542 (N° Lexbase : L7230LEI) et 954 (N° Lexbase : L7253LED) du Code de procédure civile, s’inscrit pleinement dans cette logique que la Cour de cassation a fait sienne à l’occasion d’un arrêt rendu le 17 septembre 2020 [3], et à l’occasion duquel elle a instauré une règle nouvelle en énonçant qu’il résulte « des articles 542 et 954 du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. » Avec cette solution, la sanction est lourde de conséquence pour l’appelant, qu’il soit principal ou incident, puisque la cour d’appel étant liée par l’absence de demande d’infirmation du jugement dans le dispositif des conclusions d’appel, elle doit le confirmer. Face à la sévérité de la sanction, la Cour de cassation a fait le choix de moduler l’application de la règle nouvelle dans le temps. C’est notamment sur ce point que les deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 2021 présentent un intérêt tout particulier.

En l’espèce, la cour d’appel de Bastia a confirmé, dans deux arrêts rendus respectivement le 10 juillet 2019 (CA Bastia, 10 juillet 2019, n° 17/00544 N° Lexbase : A5848ZIG) et le 29 janvier 2020 (CA Bastia, 29 janvier 2020, n° 18/00182 N° Lexbase : A33713D9), dans des affaires différentes opposant des parties différentes, les jugements rendus en première instance, faute pour les appelants d’avoir demandé dans le dispositif de leurs conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont ils recherchaient l'anéantissement, ni l'annulation du jugement[4]. En effet, dans l’arrêt rendu le 19 juillet 2019, le dispositif des conclusions de l’appelant comportait seulement des demandes tendant à « fixer », « condamner », « dire et juger », mais s'abstenaient de conclure expressément à la réformation ou à l'annulation du jugement déféré. Dans l’arrêt rendu le 29 janvier 2020, le dispositif des conclusions de l’appelant tendait uniquement à dire et juger qu’un acte de cession de parts sociales litigieux était nul et de nul effet, de constater que l’intimé avait renoncé à se prévaloir de la prescription, et à le condamner à lui payer une certaine somme au titre des dividendes qu'il aurait dû percevoir, ainsi qu’une somme au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), sans jamais demander l'infirmation du jugement entrepris. De ce point de vue, les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Bastia faisaient une exacte application de la solution consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 septembre 2020 ; de manière anticipée toutefois pour l’arrêt rendu le 19 juillet 2019 probablement inspiré par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile au sein duquel elle avait déjà approuvé une cour d'appel qui avait retenu la sanction de caducité dès lors que les conclusions, pourtant notifiées dans le délai de l'article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7239LET), comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l'infirmation du jugement [5].

Les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Bastia firent l’objet d’un pourvoi en cassation entraînant la saisine de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Dans les arrêts n° 19-22.316 [6] et n° 20-13.210 [7] rendus le 20 mai 2021, la deuxième chambre civile, après avoir, en application de l'article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7860I4U), constaté qu’il n'y avait pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les griefs exposés par les parties dans leur pourvoi au motif qu’ils n’étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation, a relevé d’office un moyen de pur droit, comme l’y autorise l’article 620, alinéa 2, du même code (N° Lexbase : L6779H79).

Au visa des articles 542 et 954 du Code de procédure civile, la Cour de cassation casse et annule les deux arrêts rendus par les juges d’appel de Bastia, et renvoie les affaires et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, au motif que, s’« il résulte des deux premiers de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement [...], l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable », de sorte qu’en statuant comme elle l’a fait dans les affaires précitées, « la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du Code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 6 mars 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver les plaideurs d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. (N° Lexbase : L7558AIR) »

La solution de principe affirmée au sein des deux arrêts rendus le 20 mai 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée sur le principe dès lors qu’elle avait pris soin de moduler, dans son arrêt en date du 17 septembre 2020, l’application dans le temps de la règle nouvelle qu’elle consacrait alors en la limitant aux seules déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020. En faisant le choix de faire une application immédiate de cette règle dans des affaires au sein desquelles les déclarations d’appel étaient antérieures à l’arrêt du 17 septembre 2020, la cour d’appel de Bastia exposait ses arrêts à une cassation certaine. Reste qu’avec ces deux arrêts, la Cour de cassation fragilise un peu plus encore la procédure d’appel en confirmant une solution aux effets drastiques pour l’appelant principal, comme pour l’appelant incident d’ailleurs, ce qui est le cas, par exemple, du défendeur à l’appel qui demande, par voie reconventionnelle, l’infirmation de tout ou partie du premier jugement et qui doit donc le mentionner expressément dans le dispositif de ses conclusions. La solution paraît particulièrement injuste dès lors qu’elle n’a rien d’évident au regard des textes et, si l’on osait, du simple bon sens. Reste que la rigueur de la nouvelle solution est atténuée par sa modulation dans le temps. 

I. Vers des conclusions d’appel toujours plus formalistes

L’un des apports des arrêts rendus le 20 mai 2021 réside dans la confirmation de la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 septembre 2020, bien qu’elle peine à convaincre. 

A. La confirmation d’un formalisme excessif des conclusions d’appel

Les arrêts rendus le 20 mai 2021 viennent confirmer une tendance nette qui met en évidence que la procédure civile d’appel ne s’oriente pas en direction d’une voie d’achèvement maîtrisée que d’aucuns pensaient pouvoir maîtriser. Ces arrêts confirment au contraire que l’avenir tend vers des conclusions de plus en plus formalistes, ce dont témoigne notamment les décisions venues, ces derniers mois, affirmer que, seul l'acte d'appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement et que l'effet dévolutif ne peut opérer si la déclaration d'appel, même tendant à la réformation du jugement, ne mentionne pas les chefs de jugement qui sont critiqués [8], y compris devant la cour de renvoi après cassation [9]. Sur le sujet qui est le nôtre, il est désormais acquis pour l’avenir que les praticiens vont devoir se montrer extrêmement vigilant dans la rédaction des conclusions d’appel, et notamment la rédaction du dispositif. La solution que la Cour de cassation a dégagé de la lecture combinée des articles 524 et 954 du Code de procédure civile, à l’occasion de l’arrêt du 17 septembre 2020, et qu’elle confirme dans les arrêts du 20 mai 2021, est porteuse de bien des enjeux. 

À la lecture des décisions rendues par la Cour de cassation, l’on comprend que l’article 524 du Code de procédure civile, qui dispose que « l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel » circonscrit l’objet de l’appel, tandis que l’article 954 du même code fixe les exigences de fond et de forme que doivent contenir les conclusions d’appel, notamment en ses alinéas 3 et 5 du même code, lesquels disposent que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion », d’une part, et que « la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. » 

Ainsi, au-delà des exigences propres à l’en-tête, qui doit comporter les indications prévues à l’article 961 du Code de procédure civile (les éléments d’identification des parties), l’avocat doit faire preuve d’une grande vigilance dans l’élaboration de la liste des pièces qui doivent être numérotées, et récapitulées sur le bordereau récapitulatif, qu’il convient toujours, par prudence, de fusionner au sein d’un document unique, notamment en cas de pourvoi en cassation ultérieur. Pour rappel, la communication des pièces produites est valablement attestée par la signature de l'avocat destinataire apposée sur le bordereau établi par l'avocat qui procède à la communication. 

Le corps des conclusions est composé, selon l’article 954 du Code de procédure civile, d’un exposé des faits et de la procédure, ensuite des chefs du jugement critiqués, point ayant donné lieu à un contentieux important devant la Cour de cassation ces derniers mois comme nous avons pu l’aborder supra.

Une fois précisé ce que l’appelant critique dans le jugement rendu en première instance, les conclusions doivent comporter une discussion sur les prétentions et les moyens, pour s’achever sur un dispositif récapitulant les prétentions, sur lequel les praticiens doivent réellement faire un effort de vigilance dès lors que la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées dans ce dispositif récapitulatif. C’est précisément au sein de ce dispositif récapitulatif que l’avocat doit mentionner, de la manière la plus explicite qui soit, s’il demande à la cour d’appel d’infirmer ou d’annuler le jugement rendu en première instance. En l’absence d’une telle mention, c’est une sanction automatique qui tombera : la confirmation du jugement par la cour d’appel.

Viennent ensuite les conclusions récapitulatives qui doivent comporter toutes les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués. Toute prétention ou moyen précédemment présentés ou invoqués non repris dans les conclusions récapitulatives seront considérés comme abandonnés, et la cour d’appel ne statuera que sur ce qui est contenu dans les conclusions récapitulatives. Là encore, il convient de faire preuve de vigilance puisque l’article 954 précise que la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. Enfin, l’article 954 précise que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.

B. Une solution qui peine à convaincre

Comme on peut le voir le formalisme des conclusions d’appel ne cesse, au fil des réformes, de se renforcer, mettant la vigilance des professionnels du droit à rude épreuve dès lors que le moindre manquement est sanctionné lourdement, qu’il s’agisse de l’absence des chefs de jugement critiqués ou, comme en l’espèce, de l’absence de mention, dans le dispositif des conclusions, de la demande de l’appelant tendant à voir le jugement de première instance infirmé ou annulé. La solution de la Cour de cassation ne s’impose pourtant pas comme une évidence à la lecture des textes. La modification de l'article 542 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7230LEI) qui pose, dès le chapitre premier relatif aux voies ordinaires de recours, le principe selon lequel « l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel », n'a pourtant pas consisté, avec le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, en l'ajout de la référence à une réformation ou à une annulation qui existait déjà depuis bien longtemps mais en l'adjonction de la proposition de la critique du jugement, ce qui n'a rien à voir. La deuxième chambre civile l’a d’ailleurs rappelé, au regard de l'article 901 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8613LYN), en jugeant que la prétention ne pouvait être confondue avec le chef de jugement critiqué. Ainsi, si la déclaration d'appel, même mentionnant la poursuite de la réformation ou de l'annulation, ne comporte que l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge, la cour d'appel n'est saisie d'aucun chef du dispositif du jugement [10].

Si la différence est d'importance, la distinction de sanctions demeure subtile puisque la Cour n'a pas à statuer en cas de déclaration d'appel défaillante et elle ne peut que confirmer le jugement si l'omission provient du dispositif. Dans cette interprétation, l'article 542 poserait donc un principe supérieur, et l'explication de la sanction devrait être recherchée dans l’article 954 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Pourtant, les dispositions de ce texte enseignent seulement que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties (alinéa 1er), qu’elles doivent comporter une discussion des prétentions et un dispositif récapitulant les prétentions (alinéa 2), et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (alinéa 3), point de référence à l'exigence d'une demande de réformation ou d'annulation. C'est donc que la réformation ou l'annulation sont des prétentions, alors même que l'on aurait pu penser qu’elle était consubstantielle à la voie de recours qu'est l'appel.

Selon l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y), l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Or, les prétentions constituent en principe l'objet de la demande, qui constitue elle-même le cadre voulu par les parties aux litiges. Par application de l'article 910-1 du même code (N° Lexbase : L7041LEI), les conclusions exigées en appel sont celles notifiées dans les délais imposés qui déterminent l'objet du litige. Or, non seulement la demande de réformation ou d'annulation ne va pas de soi, mais elle n'apparaît pas comme étant suffisante, quand bien même elle serait expressément mentionnée sur la déclaration d'appel, comme l'impose désormais la Cour de cassation dans les arrêts précités. De fait, si l'acte d'appel opère seul l'effet dévolutif, et que le dispositif des conclusions peut toujours le restreindre en soustrayant certaines prétentions, la cour d'appel ne pourra que confirmer le jugement si le dispositif ne précise pas la poursuite de sa réformation ou de son annulation. Il est même possible de considérer que la mention de la réformation ou de l'annulation pour la première fois dans un second jeu de conclusions ne permet pas d'éviter la sanction. Alors que l'on aurait pu imaginer, a minima, une régularisation possible dans des conclusions ultérieures puisque la cour est à la fois saisie par les prétentions contenues au seul dispositif, mais également par le dernier jeu d'écritures, la Cour de cassation demeure inflexible. À la lecture des décisions, l’on peut se demander si la réformation et l'annulation ne constituent pas finalement des prétentions au fond ?

II. La confirmation d’une solution aux effets dévastateurs modulée dans le temps

Il faut se souvenir que la possibilité de moduler dans le temps les effets d’une règle jurisprudentielle nouvelle a été affirmée par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 21 décembre 2006 [11]. Le report dans le temps de l’application de la solution nouvelle dégagée par l’arrêt du 17 septembre 2020 s’explique par la volonté de la Cour de cassation de garantir le droit à un procès équitable des plaideurs qui se verraient ainsi priver de leur droit au juge si la solution était appliquée à toutes les procédures d’appel introduites avant le 17 septembre 2020. L’on peut toutefois fortement douter du fait que les conséquences les plus graves de cette solution issue de l’arrêt du 17 septembre 2020, confirmée par les arrêts du 20 mai 2021, ne puissent être contrées pour les déclarations d’appel formées à compter du 17 septembre 2020.

A. Une modulation fondée sur la garantie du droit à un équitable

C’est du moins ce qu’il ressort des arrêts rendus le 20 mai 2021, dans la droite ligne de la solution déjà retenue dans l’arrêt du 17 septembre 2020. En effet, pour la deuxième chambre civile, « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable. » À suivre le raisonnement proposé, il s’agit, pour la deuxième chambre civile, de préserver l’accès au juge d’appel face à une interprétation jurisprudentielle inattendue des règles de droit. En conséquence, la Cour de cassation a sauvé les deux arrêts rendus par la cour d’appel de Bastia qui se trouvent ainsi légalement justifiés, plutôt que cassés, comme il aurait dû l’être si la Cour de cassation avait appliqué immédiatement la règle nouvelle. 

La sauvegarde du droit à un procès équitable invoquée par la Cour de cassation mérite toutefois quelques réflexions tant l’argument, comme la solution d’ailleurs, ne convainc pas. Le droit fondamental processuel dont la Cour de cassation se pose en garante est en réalité le droit au juge prévu à l’article 6 §.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) que la deuxième chambre civile vise d’ailleurs dans les deux arrêts commentés, et en vertu duquel, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale. » Le droit au juge constitue la garantie de tousles autres droits fondamentaux processuels consacrés par la CESDH L’on sait que l’article 6 §.1 de la CESDH a servi de fondement à la reconnaissance, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), d'un droit d'accès à la justice, du droit à un recours de nature juridictionnelle, qu'elle fonde, depuis son célèbre arrêt « Golder » du 21 février 1975, sur le texte et le contexte de l'article 6, §.1 de la Convention, article qui consacre le droit pour toute personne à un procès équitable, plus exactement à ce que sa cause soit entendue équitablement [12].

Bien qu’il constitue un droit fondamental processuel, le droit au juge n’est pas pour autant, dans la jurisprudence de la CEDH, une garantie ne pouvant faire l’objet de quelques adaptations. L’on sait que l’article 6 de la CESDH n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs droits et obligations de caractère civil. Pour apprécier la conventionnalité des restrictions à l’accès aux juridictions supérieures, la Cour EDH s’est déjà interrogée sur l’existence de restrictions relevant d’un formalisme excessif qui « peut résulter d’une interprétation particulièrement rigoureuse d’une règle procédurale, qui empêche l’examen au fond de l’action d’un requérant et constitue un élément de nature à emporter violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux » [13].

La sanction de l’absence de demande formelle d’infirmation ou d’annulation du jugement de première instance dans le dispositif des conclusions de l’appelant prive-t-elle réellement les plaideurs de leur droit au juge ? La réponse est peut-être à rechercher dans la nature originale de la sanction encourue qui réside dans la confirmation du jugement par la cour. Il ne s’agit pas ici d’une des sanctions classiques venant sanctionner un vice de forme, telle que la nullité ; l’irrecevabilité ou la caducité. Mais, nous l’avons déjà évoqué, il est possible de déposer plusieurs jeux de conclusions devant la cour d’appel qui n’est saisie que des dernières (CPC, art. 954 alinéa 4). Et si l’article 910-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9354LTM) dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’appelant doit présenter dès ses premières conclusions l’ensemble de ses prétentions sur le fond, il faut rappeler, d’une part, que la demande d’infirmation ou d’annulation est nécessairement contenue dans la discussion des premières conclusions de l’appelant qui critique le jugement dont appel, de sorte que le fait de reprendre formellement cette demande dans le dispositif de conclusions ultérieures ne devraient pas en faire une prétention nouvelle, et d’autre part, que rien ne lui interdit d’ajouter dans des conclusions ultérieures des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (CPC, art. 910-4), de sorte que, si l’absence de la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant est soulevée par l’intimé, l’appelant devrait pouvoir y répliquer en ajoutant cette demande dans son dispositif. Ainsi, il nous semble que l’omission de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant peut être contournée en pratique dès lors que l’appelant régularise l’omission dans ses dernières écritures. 

Dès lors, la modulation dans le temps de la solution nouvelle posée par la Cour de cassation a-t-elle réellement pour finalité de garantir le droit au juge des justiciables en cause d’appel ? La question mérite d’être posée car l’on pourrait également considérer qu’en réalité, sous couvert de garantir le droit au juge, la Cour de cassation se laisse plutôt le temps d’anticiper toutes les difficultés qui vont surgir dans les années à venir du fait de l’application de cette solution. Dans l’immédiat, toutes les procédures d’appel introduites avant le 17 septembre 2020 sont ainsi à l’abri de la solution nouvelle. Ainsi, un appelant qui aurait oublié de préciser, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, qu’il demandait l’infirmation de la décision de première instance n’est donc, a priori, pas susceptible de voir le jugement rendu en première instance confirmé d’office par la cour d’appel. En revanche, les appelants dont la déclaration d’appel est postérieure au 17 septembre 2020 doivent quant à eux d’urgence réviser leurs pratiques, si bien sûr ils ne demandaient pas déjà expressément l’infirmation du jugement dans le dispositif de leurs conclusions.

B. Une indispensable révision des pratiques pour l’avenir

Il ne fait aucune doute selon nous que la solution dégagée par la Cour de cassation, consistant à contraindre la cour d’appel à confirmer le jugement rendu en première instance dès lors que l’appelant n’a pas demandé, dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation ni l’annulation du jugement qu’il frappe d’appel, sera à l’avenir une source de contentieux qui risque de produire l’exact effet contraire que celui justement recherché par la Haute juridiction, dans la droite ligne de l’idéologie contemporaine de la Chancellerie, à savoir la réduction des stocks. Nous ne pouvons donc que recommander à l’ensemble des praticiens de sécuriser au maximum le contenu du dispositif des conclusions en appel afin de limiter autant que faire se peut les difficultés pour la bonne raison qu’il nous semble que l’inconventionnalité de la solution retenue par la Cour de cassation ne nous semble pas être aussi évidente que certains auteurs le pensent. 

En effet, l’on a vu qu’il était possible de contourner la sanction résultant d’une omission de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant. Il faut se souvenir, par ailleurs, que la Cour de cassation, a déjà validé la conventionnalité de mécanismes punitifs reposant un formalisme excessif, tel que la caducité de la déclaration d’appel à défaut de dépôt des conclusions de l’appelant dans les délais impartis par la loi, dès lors que cette sanction n’est pas disproportionnée au but poursuivi qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel [14] ou encore l’absence d’effet d’évolutif de la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugements critiqués, l’obligation de les mentionner poursuivant le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel [15].

Du point de vue de la Cour européenne, il convient également de rappeler qu’à plusieurs reprises, le juge européen a admis que le droit au juge puisse être limité, pourvu que ces limites reposent sur l’intérêt général et le respect d’une bonne administration de la justice, qu’il s’agisse, pour ne prendre que des décisions récentes, de la réglementation des délais pour agir [16], et plus généralement des délais de prescription et de forclusion, ou encore de l’obligation pour le demandeur d’exécuter la décision frappée de pourvoi en cassation à peine de radiation de l’affaire du rôle, puis de péremption de l’instance à défaut d’exécution dans le délai de deux ans [17]. Il nous semble que, dans l’attente d’une hypothétique décision d’inconventionnalité prononcée par la CEDH, c’est une révision des pratiques qui doit être privilégiée par celles et ceux qui n’avaient peut-être pas encore pris l’habitude de mentionner, dans le dispositif des conclusions d’appel la demande de l’appelant de voir le jugement rendu en première instance infirmé ou annulé.

Le renforcement du formalisme du contenu du dispositif des conclusions d’appel résultant de la lecture combinée des articles 542 et 954 du Code de procédure civile conduisant, lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel à confirmer le jugement n’est applicable qu’aux procédures d’appel introduites après le 17 septembre 2021.  


[1] Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW).

[2] Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL).

[3] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I (N° Lexbase : A88313TA).

[4] A. Martinez-Ohayon, Dispositif des conclusions d’appel : quid de l’application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation ?, Lexbase Droit privé, mai 2020, n° 866 (N° Lexbase : N7661BYE).

[5] Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 18-10.983, F-D (N° Lexbase : A9839YUX).

[6] Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 19-22.316, F-P (N° Lexbase : A25334SM).

[7] Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 20-13.210, F-P (N° Lexbase : A25324SL).

[8] Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I (N° Lexbase : A89403C4) ; Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-15.230, F-D (N° Lexbase : A57063QE) ; Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-16.954, F-P+B+I (N° Lexbase : A56913QT).

[9] Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 19-20.416, F-P (N° Lexbase : A80074PA).

[10] Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-16.954, F-P+B+I (N° Lexbase : A56913QT).

[11] Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493 (N° Lexbase : A0788DTD).

[12] CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A1951D7E).

[13] CEDH, 5 avril 2018, Req. 40160/12, Zubac c/ Croatie (N° Lexbase : A4684XKP).

[14] Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 13-28.017, F-P+B+I (N° Lexbase : A57183QT) ; Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-22.013, F-P+B (N° Lexbase : A1504MSI)

[15] Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, préc. 

[16] CEDH, 9 février 2016, Req. 582/05, Celebi a. c/ Turquie (N° Lexbase : A7097PK3).

[17] CEDH, 3 sepembre. 2013, Req. 27338/11, Gray c/ France

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Responsabilité

[Jurisprudence] L’absence de responsabilité civile de l’association estudiantine pour la chute d’une étudiante alcoolisée

Réf. : Cass. civ. 1, 8 avril 2021, n° 19-20.796, F-D (N° Lexbase : A13084P7)

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N7822BYD

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par Céline Mangematin, Professeur des universités, Université Toulouse 1- Capitole, Institut de Droit Privé

Le 10 Juin 2021


Mots-clés : association • obligation de sécurité • obligation de moyens • alcool • surveillance • causalité • faute de la victime • article 1147 du Code civil • chute • dommage corporel • faute

Dans un arrêt du 8 avril 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation décide que l’association d’étudiants qui n’a pas fait l’apologie d’une consommation excessive d’alcool lors d’un apéritif dinatoire n’a pas commis de faute en lien causal avec la chute postérieure d’une étudiante alcoolisée. Tenue d’une obligation de sécurité de moyens, l’association n’engage donc pas sa responsabilité civile. Cette décision de rejet participe à circonscrire la responsabilité civile des associations étudiantes autant qu’à condamner l’avenir de l’obligation de sécurité.


 

Depuis sa « découverte » par le juge en 1911 [1], l’obligation de sécurité n’a cessé d’alimenter un contentieux toujours plus dense et nébuleux. Elle concerne désormais de nombreux contrats et des acteurs de la vie juridique très différents du transporteur qui était initialement son débiteur [2].  Mais l’élargissement du domaine de cette obligation semble être allé de pair avec l’atténuation de sa vigueur, ce que confirme l’arrêt rendu par la première chambre civile le 8 avril 2021.

L’affaire portée devant la Cour de cassation concerne une association étudiante ayant organisé pour ses membres un séjour dans une station de ski au terme duquel elle a proposé un apéritif dînatoire. Après avoir participé à ce dernier, une étudiante a chuté d’un balcon situé au deuxième étage et s’est blessée gravement. Elle a alors assigné l’association en responsabilité pour manquement à son obligation de sécurité mais la cour d’appel a rejeté sa demande. Elle a en effet constaté que « la cause première de l’accident était la décision de l’étudiante de quitter l’appartement où elle avait été enfermée par ses camarades en enjambant la rambarde du balcon », cette décision pouvant s’expliquer par l’état alcoolique de la victime. À l’inverse, la cour d’appel n’a retenu aucune faute en lien causal avec l’accident à l’encontre de l’association.

L’étudiante se pourvoit alors en cassation en invoquant la violation de l’ancien article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) applicable à l’espèce ou le défaut de base légale au regard du même article. Son moyen principal contient schématiquement deux arguments : d’une part, la cour d’appel aurait dû retenir une faute de l’association en lien causal avec l’accident dans l’organisation de l’apéritif dînatoire, précisément une apologie de la consommation excessive d’alcool et une offre illimitée d’alcool fort ; d’autre part, la cour d’appel aurait dû retenir à la charge de l’association une obligation de surveillance constante des participants dans tous les lieux qu’elle met à leur disposition au lieu de la limiter à la situation dans laquelle pouvait être constatée la consommation excessive d’alcool par un participant.

La Cour de cassation refuse de suivre l’argumentation de la victime et rejette le pourvoi. Selon elle, « la cour d’appel qui n’a pas constaté que l’association faisait l’apologie d’une consommation excessive d’alcool […] a pu écarter l’existence d’une faute de l’association en lien causal avec l’accident ». Elle approuve donc la décision de la cour d’appel dont elle rappelle la motivation longue et riche qu’elle ne condamne donc pas.

Cette décision, qui a pour toile de fond l’obligation de sécurité, permet également de mesurer l’étendue de la responsabilité civile des associations et en particulier des associations estudiantines qui font souvent l’objet de l’attention médiatique lors d’incidents plus ou moins graves survenus au cours des événements festifs ou sportifs organisés par elles. D’ailleurs, compte tenu du caractère relativement erratique de la jurisprudence relative à l’obligation de sécurité, il vaut mieux considérer que le régime de l’obligation de sécurité dessiné par cet arrêt est propre à la situation visée et ne saurait s’étendre à l’ensemble des débiteurs d’une obligation de sécurité ou à l’ensemble des associations.

Trois enseignements peuvent être tirés de cet arrêt : d’abord, les associations estudiantines sont débitrices d’une obligation de sécurité de moyens (I) ; ensuite, elles peuvent se voir reprocher de nombreuses fautes à ce titre, lesquelles ne sont pas facilement retenues (II) ; enfin, la décision est, avec d’autres, annonciatrice d’une disparition prochaine de l’obligation de sécurité dont les associations doivent tenir compte sans s’inquiéter (III).

I. Une obligation de sécurité de moyens à la charge des associations estudiantines

Dans ses motifs, la Cour de cassation rappelle l’énonciation de la cour d’appel selon laquelle l’association estudiantine est « tenue d’une obligation de sécurité de moyens à l’égard des participants au séjour qui étaient majeurs ».

L’existence d’une obligation de sécurité à la charge de l’association estudiantine tout comme la qualification d’obligation de moyens sont conformes aux solutions rendues jusqu’à présent. Ainsi, l’obligation de sécurité s’intègre désormais à tous les contrats dont l’exécution expose le créancier à un risque de dommage, ce qui est le cas dans les contrats impliquant une activité de sport ou de loisir comme celui qui liait l’association et la participante au séjour et à l’apéritif [3]. De plus, si l’obligation de sécurité a d’abord été exclusivement une obligation de résultat [4], elle a pu devenir une obligation de moyens à mesure que les juges la découvraient dans des contrats autres que le contrat de transport. Dès lors, une partie de la doctrine a proposé sinon un critère infaillible, du moins une ligne directrice permettant d’anticiper la qualification d’obligation de résultat ou de moyens. L’obligation est de moyens lorsque la victime joue un rôle actif dans l’exécution du contrat ; elle est de résultat dans le cas contraire [5]. S’agissant d’un séjour dans une station de ski, le rôle actif des participants est difficilement contestable [6], y compris voire surtout dans ses aspects festifs [7]. À ce titre, la solution retenue était parfaitement anticipable.

Plus surprenant est le critère retenu par la cour d’appel pour parvenir à cette qualification d’obligation de moyens : l’âge des créanciers participants. Alors que la cour d’appel semble faire découler l’obligation de moyens de la majorité des participants au séjour, des décisions avaient pourtant retenu cette même obligation de moyens pour des créanciers majeurs protégés [8] ou adolescents mineurs [9]. Toutefois, cette prise en compte de l’âge n’est pas non plus inédite puisque la minorité du créancier a pu être associée à la nature dangereuse de l’activité proposée pour parvenir à la qualification d’obligation de sécurité de résultat [10]. Autrement dit, sans qu’il suffise, l’âge de la victime peut participer du choix d’une obligation de sécurité de moyens ou de résultat. Il n’y a pas là de quoi rassurer ceux qui pensent déjà, à juste titre, que le critère proposé par la doctrine est malheureusement fragile [11].

En tous cas, ce choix ne paraît pas dicté par le type d’association en cause mais seulement par l’activité proposée et l’identité du créancier.

Cette qualification fait en outre obstacle à ce que la responsabilité du débiteur soit retenue par la seule démonstration de la survenance d’un dommage. L’association débitrice a seulement l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du créancier et la victime créancière doit établir la faute de l’association. Or à propos de cette faute, les motivations de la Cour de cassation et de la cour d’appel sont également riches d’enseignement.

II. Les fautes invocables contre les associations estudiantines

Pour les acteurs de la vie juridique, le principal enseignement à tirer du contentieux relatif à l’obligation de sécurité est l’étendue de la responsabilité civile du débiteur et les moyens de ce dernier d’y échapper. À ce titre, il est primordial d’identifier les comportements qui pourraient déclencher la responsabilité du débiteur de l’obligation. La présente décision est de ce point de vue éloquente.

Elle atteste d’abord que les juges sont susceptibles de retenir une multitude de comportements fautifs à l’encontre de l’association estudiantine organisant un apéritif. La cour d’appel en particulier a accepté d’opérer de nombreux points de contrôle de l’exécution diligente de l’obligation de sécurité : l’association a-t-elle encouragé une consommation d’alcool excessive ? A-t-elle proposé à la consommation des alcools non autorisés ? A-t-elle mis en place une équipe de sécurité suffisante ? A-t-elle été attentive à l’état alcoolique des participants quittant la soirée ? L’obligation de sécurité de l’association n’est cependant pas sans limites puisque la cour d’appel refuse de vérifier un possible défaut de contrôle de la consommation d’alcool dans les chambres des participants, pourtant mises à disposition par l’association. Cette délimitation de l’obligation de sécurité de l’association rappelle la circonscription de l’obligation de sécurité du voiturier au temps de transport stricto sensu [12]. Il s’agit ici comme là de déterminer quand et où commence puis s’arrête l’obligation de sécurité. En l’espèce, la Cour de cassation ne répond pas à l’argument idoine du demandeur au pourvoi. Ce silence est un peu regrettable car la justification de la cour d’appel pour rejeter toute obligation de sécurité à la charge de l’association, qui tient à l’absence de stipulations contractuelles spécifiques relatives aux espaces privés, peut relever du paradoxe dès lors que l’obligation de sécurité a été et reste judiciairement « découverte » par un « forçage » [13]  de contrats qui ne contiennent précisément aucune stipulation de ce type.

Par ailleurs, la décision témoigne d’une appréciation relativement bienveillante à l’endroit de l’association étudiante. Par exemple, elle distingue l’outrance des mentions relatives à l’alcool offert et la valorisation de la consommation d’alcool pour ne pas retenir l’apologie d’une consommation excessive d’alcool. Or si la faute doit assurément être appréciée dans un contexte donné, il est permis de penser qu’un événement festif, fût-il estudiantin, n’implique pas nécessairement des propos outranciers sur la consommation d’alcool. La solution retenue rejoint à cet égard une autre décision n’ayant pas non plus retenu la responsabilité civile d’une association d’élèves ayant organisé une soirée à l’issue de laquelle un participant avait été retrouvé noyé après une consommation massive d’alcool [14]. Cette solution ne pouvait en effet s’expliquer que par l’indulgence de la Cour de cassation [15] qui n’avait guère fait preuve d’orthodoxie juridique en se satisfaisant pour écarter la responsabilité contractuelle de l’association du fait que cette dernière avait confié la surveillance et la sécurité de la soirée à une société spécialisée sans jamais s’interroger sur la bonne exécution de la prestation. Or l’association devait au contraire être responsable de tout manquement commis par les agents de sécurité à qui elle avait confié l’exécution de son obligation de sécurité envers les participants [16].

Cette bienveillance ne signifie pas que l’association estudiantine est à l’abri de tout reproche. Par une lecture a contrario, il est permis d’identifier quelques manquements possibles : valoriser la consommation d’alcool [17] ; proposer la consommation d’alcools forts pour lesquels elle n’aurait pas obtenu d’autorisation ; proposer une équipe d’encadrement insuffisante [18] ; être indifférente à l’état éthylique des participants ; laisser sans surveillance particulière un participant en état d’alcoolisation avancée.

La liste ainsi établie fait alors apparaître que le manquement contractuel recherché n’a aucune spécificité vis-à-vis de la faute extracontractuelle. Ainsi, la seule faute évoquée par la Cour de cassation, l’incitation à la consommation excessive d’alcool relève plus vraisemblablement de la violation d’une prescription légale ou réglementaire [19] ou du manquement au devoir général de prudence ou de diligence donc de la faute extracontractuelle [20]. Et l’absence de surveillance particulière d’un participant quittant l’événement festif dans un état d’alcoolisation important peut également être rapprochée de la défaillance de surveillance retenue par le juge pénal à l’encontre d’un mis en cause ayant laissé partir au volant de son véhicule une personne en état alcoolique excessif alors même qu’aucun lien contractuel n’existait entre eux [21]. À n’en pas douter, l’obligation de sécurité ne présente alors aucun intérêt pour son créancier qui, en tant que victime d’un dommage, aurait pu tout aussi efficacement fonder son action sur la responsabilité extracontractuelle du fait personnel de l’association. L’outil juridique, pensé par faveur pour la victime, devient alors favorable au mis en cause qui ne sera tenu de réparer que les dommages prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat [22]. À l’heure d’un mouvement en faveur d’un régime spécial de réparation du dommage corporel, de telles conclusions contribuent assurément à appuyer la disparition de l’obligation de sécurité.

III. La prochaine disparition de l’obligation de sécurité et ses conséquences

S’il fallait retenir une décision pour encourager l’éradication de l’obligation de sécurité, ce pourrait être la décision ici commentée tant elle fait figure d’illustration topique des faiblesses de cette obligation.

En premier lieu, l’obligation de sécurité n’a d’intérêt pour les victimes que si elle est de résultat [23] puisqu’elle permet d’obtenir réparation sans avoir à prouver l’existence d’un comportement fautif. Toutes les obligations de sécurité de moyens n’ont donc aucune raison d’être. La présente décision le démontre parfaitement puisque la victime était amenée à faire la démonstration d’une faute et même d’une faute extracontractuelle.

En second lieu, cette disparition sera souvent insensible pour les débiteurs de ladite obligation. Ainsi la solution ici retenue aurait été la même si elle avait été rendue sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. Seule la responsabilité pour faute des articles 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9) et 1241 (N° Lexbase : L0949KZ8) du Code civil aurait pu ici être mobilisée, à défaut de pouvoir démontrer qu’une chose dont l’association avait la garde avait anormalement causé le dommage [24] et la faute extracontractuelle n’aurait pas été retenue [25]. Parce que la causalité exigée est certainement la même dans les deux ordres de responsabilité [26], le juge aurait considéré que le comportement de l’association n’avait pas causé le dommage, à l’inverse du comportement inadapté de la victime. À ce propos d’ailleurs, l’arrêt de la cour d’appel pourrait être à l’origine d’une confusion. En effet, lorsque le juge civil renvoie au comportement anormal de la victime, c'est le plus souvent pour qualifier une faute de la victime partiellement exonératoire [27], si elle a été en partie à l’origine de son dommage [28], l’exonération totale n’étant possible que si le fait de la victime présente les caractéristiques de la force majeure [29]. Mais ce raisonnement ne vaut que si une faute dommageable a été admise à l’encontre de la personne mise en cause, ce qui n’a pas été le cas à l’encontre de l’association. La cour d’appel ne désigne donc pas la faute de la victime comme une cause d’exonération, mais comme la seule cause juridique des dommages de la victime. Et cette cause juridique est identiquement conçue dans l’ordre contractuel et dans l’ordre extracontractuel.

Ce statu quo a cependant ses limites. Ainsi, écarter l’obligation de sécurité de moyens au profit de l’obligation extracontractuelle de réparer les dommages causés à autrui pourra alourdir la responsabilité civile de l’association si le dommage a été causé par une chose dont l’association avait la garde. Cette responsabilité de plein droit est cependant moins lourde que celle qui découle d’une obligation de sécurité de résultat ; en effet, elle n’est retenue que si la chose dommageable est atteinte d’une anormalité. Il convient donc de relativiser la décontractualisation de la réparation des dommages corporels envisagée par les propositions de réforme de la responsabilité civile [30]. Du reste, et pour ce qui concerne les associations estudiantines, l’accroissement subséquent très relatif de leur responsabilité civile envers leurs membres pourrait être contrebalancé par l’impossibilité de leur faire assumer une quelconque responsabilité du fait de leurs membres [31].

À retenir : 

Les associations d’étudiants organisant au profit de personnes majeures des activités sportives et festives sont tenues d’une obligation de sécurité de moyens.

Les manquements à l’obligation de sécurité peuvent être identiques à des fautes extracontractuelles.

Les associations doivent se préparer à la disparition annoncée de l’obligation de sécurité au profit de l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle.



[1] Cass. civ. 1, 21 novembre 1911, DP 1913.1.253 ; S. 1912. 77, obs. Lyon-Caen.

[2] S. Hocquet-Berg, Le fabuleux destin de l’obligation de sécurité, RCA 2019, dossier 4.

[3] V. déjà, Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-14.843, F-P+B+I (N° Lexbase : A3536MRE) ; RTD civ. 2014, p.663, P. Jourdain ; JCP E 2014, 1481, comm. D. Bakouche ; D.2015, p.124, obs. O. Gout.

[4] Cass. civ. 1, 21 novembre 1911, réf. préc.

[5] Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, Dalloz Action, 2020, 12ème éd., n°3122.101

[6] Comp. Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-20.809, F-D (N° Lexbase : A8803HZ3) (obligation de moyen de l’exploitant d’un domaine skiable).

[7] Comp. Cass. civ. 1, 18 juin 2014, réf. préc. (obligation de moyen de l’association d’élèves organisant une soirée).

[8] Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 03-12.344, FS-P+B (N° Lexbase : A3593DQ7).

[9] Cass. civ. 1, 10 février 1993, n° 91-14.889 (N° Lexbase : A3655ACD).

[10] CA Montpellier, 21 janvier 2020, n° 17/01293 (N° Lexbase : A12923CT).

[11] D. Mazeaud, Le régime de l’obligation de sécurité, Gaz. Pal. 1997, doctr., p.1201 ; V. également pour une mise en perspective de la jurisprudence : D. Mazeaud, La distinction obligation de résultat – obligation de moyens : le saut dans le vide ?, D. 2017, p. 198.

[12] Cass. civ. 1, 7 mars 1989, n° 87-11.493 (N° Lexbase : A8872AAT), RDT civ. 1989, 548, obs. P. Jourdain.

[13] L. Josserand, Le contrat dirigé, DH 1933, chron. p. 89.

[14] Réf. préc..

[15] Largement critiquée : RTD civ. 2014, p.663, P. Jourdain ; JCP E 2014, 1481, comm. D. Bakouche ; D.2015, p.124, obs. O. Gout.

[16] D. Rebut, De la responsabilité contractuelle du fait d’autrui et de son caractère autonome, RRJ 1996-2.409, spé n°37 – G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Les conditions de la responsabilité, LGDJ 2013, 4ème éd., n° 814 et s..

[17] Il est cependant difficile d’identifier par cette décision en quoi consisterait concrètement ladite valorisation.

[18] En l’espèce, le rapport d’un encadrant pour cinq participant a été jugé suffisant.

[19] D’ailleurs, mais à propos du seul mineur incité, V. C. pén., art. 227-19 (N° Lexbase : L2643L4N).

[20] Cf. définitions de la faute extracontractuelle issues du projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017 et de la proposition de loi sénatoriale n° 678 enregistrée le 29 juillet 2020 et portant réforme de la responsabilité civile.

[21] Cass. crim., 12 janvier 2010, n° 09-81.799, F-P+F (N° Lexbase : A7767EQQ).

[22] C. civ., art. 1231-1 (N° Lexbase : L0613KZQ) (ancien article 1150 N° Lexbase : L1251ABX).

[23] P. Le Tourneau, op. cit., n° 3122.104

[24] Dans le cas contraire, c'est l’article 1242 du Code civil (N° Lexbase : L0948KZ7) qui aurait pu fonder une condamnation.

[25] V. supra.

[26] Ch. Quezel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2010, n° 3 ; Droit du contrat, Lamy 2019, n° 2436 et s..

[27] M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 4ème éd., 2019, n° 226.

[28] M. Eloi et alii, La faute de la victime dans la responsabilité civile extra-contractuelle, in Études à la mémoire de Chr. Lapoyade-Deschamps, PUB, 2003, p. 47.

[29] Droit de la responsabilité, Lamy, n° 279.42 ; Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5ème éd., 2018, n° 260.

[30] Articles 1233-1 du projet présenté en mars 2017 et 1233 de la proposition sénatoriale.

[31] Le projet de réforme propose en effet d’amender le régime découlant de l’arrêt « Blieck » (Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231 N° Lexbase : A0285AB8) en ne retenant la responsabilité des associations « de loisirs » du fait de leurs membres que si elles agissent « à titre professionnel » (ce qui ne sera pas le cas des associations estudiantines) et en transformant cette responsabilité en responsabilité pour faute présumée (démonstration possible de l’absence de faute) – article 1248 du projet et 1247 de la proposition sénatoriale.

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Social général

[Textes] Projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » : une ébauche de statut pour les détenus travailleurs

Réf. : Projet de loi n° 4091 pour la confiance dans l’institution judiciaire

Lecture: 35 min

N7832BYQ

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par Lola Isidro, Maîtresse de conférences à l’Université de Lorraine et Thomas Pasquier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2

Le 09 Juin 2021

 


Mots-clés : travail • travail en prison • statut juridique • détenu travailleur • projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire »

Le Gouvernement, par la voix de son ministre de la Justice, a présenté en mai 2021 un projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » ayant, entre autres, pour ambition de réformer le travail des personnes détenues. S’il comporte quelques avancées, proposant ainsi une ébauche de statut pour les détenus travailleurs, le texte ne modifie pas fondamentalement la philosophie du travail en prison, lequel reste, d’abord, un outil de gestion du bon ordre en détention.


 

Soumis à l’examen de l’Assemblée nationale en première lecture et voté le 25 mai 2021, le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » [1] comporte un ensemble de dispositions dédié au régime du travail en prison. L’exposé des motifs de la loi souligne ainsi que le projet de loi « vise également à donner une traduction législative, en matière de confiance dans le service public pénitentiaire, aux engagements pris par le Président de la République à l’occasion de son discours prononcé à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) le 6 mars 2018. Le Président de la République souhaitait à cette occasion que « le droit du travail, en étant adapté évidemment à la réalité et aux contraintes de la prison, puisse s’appliquer aux détenus et, à tout le moins, que le lien qui unit l’administration pénitentiaire et le détenu travaillant en son sein soit un lien contractuel avec des garanties qui s’y attachent, et non plus un acte unilatéral avec la négation de tous les droits ». Par le rapprochement avec le droit du travail qu’il opère, ce projet de loi permet de mieux préparer les personnes détenues, majoritairement dépourvues de toute expérience à caractère professionnel, à redevenir des citoyens autonomes et responsables, mais également de revaloriser l’image du travail pénitentiaire à l’extérieur pour attirer des entreprises en recherche d’une démarche de responsabilité sociétale ». L’ambition du texte est assez claire : il est question d’un « rapprochement » avec le droit du travail, et non pas d’une application du droit du travail en prison. On sait qu’en vertu de l’article 717-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9399IET), « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail », ce dont il se déduit que le droit du travail n’est pas, en tant que tel, applicable en prison, exclusion confirmée par la Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 14 juin 2013 [2]. Or, le projet de loi invite tout au contraire à envisager une application (partielle) du droit travail par une intégration dans le Code de procédure pénale de dispositifs issus du droit du travail ainsi que par le renvoi à certaines dispositions du Code du travail, notamment en matière de durée du travail, de repos, d’heures supplémentaires ou encore de jours fériés. Le projet prévoit également la mise en place d’un contrat d’emploi pénitentiaire en lieu et place de l’acte unilatéral d’engagement qui lie actuellement la personne détenue à l’administration pénitentiaire. Le texte comporte en outre un volet protection sociale, envisageant l’extension des droits à l’assurance vieillesse, l’ouverture de droits à l’assurance chômage et au compte personnel d’activité (à l’exclusion du compte professionnel de prévention), ainsi qu’une meilleure couverture contre les risques accidents et maladies professionnelles ou encore la reconnaissance des droits aux prestations en espèces en matière de maternité, d’invalidé et de décès, à l’exclusion toutefois, pendant la détention, des prestations en cas de maladie. Ces mesures sont appelées à être prises par voie d’ordonnance. Enfin, toujours par ordonnance, le Gouvernement est invité à réglementer les modalités dans lesquelles l’inspection du travail serait amenée à intervenir afin de contrôler l’application des dispositions régissant le travail en détention.

L’ensemble suffira-t-il à élever le détenu travailleur en dignité, à lui ouvrir les droits qui résultent de sa qualité de travailleur et à permettre une concrétisation de l’objectif énoncé par le projet d’une meilleure préparation des personnes détenues à redevenir des « citoyens autonomes et responsables » ? Si les avancées promises par le projet sont certaines, on peut néanmoins douter qu’elles permettent la reconnaissance d’un véritable statut du détenu travailleur, ainsi qu’il sera montré plus avant.

Au préalable, rappelons la situation telle qu’elle se donne à voir aujourd’hui [3] : la prison demeure un point aveugle de la société et de la société du travail en particulier. L’absence de toute forme de contrat de travail ou de régime statutaire encadrant le travail en prison exclut les personnes détenues qui travaillent du bénéfice des droits sociaux, y compris ceux considérés comme fondamentaux. Les détenus travailleurs n’ont droit à aucune indemnité en cas d’arrêt maladie, d’accident du travail ou de chômage partiel. Ils sont totalement tributaires du bon vouloir des concessionnaires qui recourent à leurs services ou non, parfois sans jour de repos hebdomadaire, ou de manière radicalement erratique. Leur rémunération varie de 20 à 45 % du SMIC [4], soit 2,03 euros à 4,56 euros de l’heure (quand elle n’est pas encore moindre dans les faits). La rémunération à la pièce, pourtant aujourd’hui interdite en prison [5], est toujours monnaie courante, en dépit de plusieurs condamnations devant les tribunaux [6]. La majorité des activités proposées en prison sont des tâches sous-payées, répétitives et non-qualifiantes, qui n’ont parfois plus cours à l’extérieur et qui, surtout, dénaturent radicalement l’ambition d’une peine orientée vers la réinsertion et le retour en société. Sans parler de l’absence de toute forme d’expression collective ou de représentation syndicale, interdisant d’envisager une quelconque amélioration des conditions de travail et d’emploi par ces biais.

Face à cette situation qui apparaît à bien des égards aussi anti-démocratique qu’attentatoire à la dignité la plus élémentaire des hommes et des femmes au travail, l’Observatoire International des Prisons-Section Française (ci-après, l’OIP) a dénoncé à plusieurs reprises cette anomie juridique, notamment par la voie d’actions contentieuses. À deux reprises, en 2013[7] et 2015 [8], l’association a saisi le Conseil constitutionnel de questions prioritaires de constitutionnalité relativement à la question de l’exclusion de l’application du droit du travail en prison et à l’absence de tout contrat de travail, et plus largement d’une réglementation propre à encadrer de façon suffisamment précise et respectueuse des droits fondamentaux les relations de travail en prison. L’OIP s’est également associée à des chercheurs et universitaires pour élaborer des « Propositions pour un statut juridique du détenu travailleur », initiative ayant donné lieu à publication dans la revue Droit social en décembre 2019 [9]. Afin de soumettre ces propositions à un débat public, l’association a en outre organisé, en collaboration avec plusieurs laboratoires de recherches, un colloque à l’Assemblée nationale le 27 février 2020 [10], réunissant chercheurs, observateurs, acteurs institutionnels, acteurs de l’insertion par l'activité économique, parlementaires et entrepreneurs.

Aussi, l’intégration dans le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » de dispositions dédiées au régime du travail en prison se présente, sans conteste, comme une avancée majeure. Toutefois, à l’analyse, outre le caractère relativement inabouti des mesures contenues dans le projet de loi (I.), celui-ci entérine un modèle de flexibilité dans le travail qui n’est pas sans interroger sur les valeurs qu’entend promouvoir le législateur quant aux conditions de travail des détenus. En effet, le projet de loi laisse encore la part belle à la discipline pénitentiaire dans l’accès aux nouveaux dispositifs sans donner aucune place aux détenus travailleurs dans la gestion et l’organisation quotidienne de leurs conditions de travail (II.).

I. Une sécurisation inachevée de l’emploi en prison

Le dispositif prévu par le Gouvernement se loge sous le Titre III du projet de loi, sous l’intitulé du « Du Service Public Pénitentiaire », et s’articule autour de 5 articles (art. 11 à 14 bis). De l’ensemble, il ressort des nouveautés non négligeables bien qu’à parfaire (A.) et des clarifications sur un certain nombre d’éléments (B.). Mais le projet comporte aussi d’importantes zones d’ombre (C.).

A. Les nouveautés

Le contrat d’emploi pénitentiaire. L’article 717-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9399IET) excluant tout contrat de travail, la nature juridique des relations de travail entre la personne détenue et son « employeur » (qu’il s’agisse de l’établissement pénitentiaire via le service général ou la régie industrielle (RIEP) ou d’un concessionnaire privé) a toujours suscité la discussion. Le projet de loi prévoit au contraire l’introduction d’un article 719-3 précisant que « le travail pour un donneur d’ordre est accompli dans le cadre du contrat d’emploi pénitentiaire régi par la sous-section 3 de la présente section. Les relations entre la personne détenue et le donneur d’ordre sont régies par les dispositions du présent Code et par celles du Code du travail auxquelles les dispositions du présent Code renvoient expressément ». La référence au contrat corrige manifestement l’arbitraire de l’acte d’engagement mis en place par l’article 33 de la loi pénitentiaire de 2009 [11], acte unilatéral que les détenus travailleurs sont invités à signer avant d’exercer une activité professionnelle, mais dont le contenu est purement informatif et formel quant à leurs droits et obligations. L’article 33 a ainsi vocation à être abrogé (art. 13). Toutefois, précisons immédiatement que le contrat prévu par le projet de loi n’est pas un contrat de travail au sens générique du terme, mais un contrat spécifique « d’emploi pénitentiaire » régi par une sous-section spéciale. Surtout, le nouvel article 719-3 apparaît peu informatif quant aux formes contractuelles pouvant être proposées et quant aux garanties qui les entourent : rien n’est dit, par exemple, sur les possibilités de temps partiel ou sur l’encadrement du contrat à durée déterminée (CDD). Il serait à ce titre utile de préciser au stade de la loi, et non uniquement par décret [12], le contenu du contrat d’emploi pénitentiaire ainsi que les formes contractuelles d’emploi, leurs spécificités et les conditions de recours.

Par application de la sous-section 3, le contrat d’emploi pénitentiaire ne peut être conclu que si la personne détenue a été préalablement classée au travail puis affectée à un poste [13] (nouvel art. 719-8). Serait également prévue une convention annexée au contrat, liant le détenu travailleur, le chef d’établissement pénitentiaire et le donneur d’ordre (lorsque celui-ci n’est pas l’administration pénitentiaire) aux fins de déterminer les obligations respectives des parties et prévoir les modalités de remboursement par le donneur d’ordre des rémunérations et cotisations avancées par l’établissement (nouvel art. 719-9 al. 2). Par la suite, le projet prévoit que la durée du contrat sera fixée en tenant compte de la mission ou du service confié (art. 719-9, al. 3), que le contrat prévoira une période d’essai (nouvel art. 719-10) et il précise les conditions de ruptures du contrat (nouvel art. 719-11, I). Enfin, le nouvel article 719-12, II, instaure des causes de suspension du contrat tandis qu’un article 719-13 attribue compétence à la juridiction administrative pour tout litige lié au contrat et à la convention, le cas échéant.

Enfin, le projet de loi envisage différents évènements pouvant affecter la vie du contrat d’emploi pénitentiaire, à savoir la fin de la détention et le transfert de la personne détenue dans un autre établissement (nouvel art. 719-11, I). Ainsi, dans l’hypothèse où le donneur d’ordre n’est pas l’administration pénitentiaire (AP), il est prévu qu’avant qu’il ne soit mis fin au contrat en raison du terme de la détention, le chef d’établissement, « s’il l’estime approprié et après avoir recueilli l’accord de la personne détenue », sollicite du donneur d’ordre qu’il examine la possibilité de conclure avec le travailleur, à l’issue de sa détention, un contrat de travail permettant la poursuite de la même activité ou d’une autre activité pour ce même donneur d’ordre. En cas de transfert d’établissement, par ailleurs, et lorsque le donneur d’ordre est l’AP, toujours à l’initiative du chef d’établissement et avec l’accord de la personne détenue, le chef du nouvel établissement peut être invité à se prononcer sur la possibilité de conclure un nouveau contrat d’emploi pénitentiaire permettant à la personne de continuer à exercer un travail du même ordre que celui qu’elle exerçait dans le premier établissement. Dans l’hypothèse où le donneur d’ordre n’est pas l’AP, si le travail de la personne détenue reste matériellement possible malgré son transfert, le contrat peut être également maintenu sous réserve du commun accord du donneur d’ordre et du travailleur et de l’avis favorable du chef d’établissement depuis lequel la personne est transférée. Le maintien du contrat d’emploi pénitentiaire en cas de transfert ou sa possible « transformation » en contrat de travail à l’issue de la détention participent certainement de l’objectif de réinsertion. À ce titre, ces dispositions constituent un apport notable. Toutefois, le pouvoir important laissé au chef d’établissement interpelle, en particulier lorsqu’il est question que le contrat d’emploi pénitentiaire ouvre vers un contrat de travail à l’issue de la détention – pourquoi la signature d’un contrat de travail avec un employeur privé nécessiterait-elle l’assentiment (la bénédiction ?) de l’administration pénitentiaire ? Juridiquement, rien n’empêchera en réalité l’employeur d’embaucher l’ancien détenu. Le dispositif imaginé par le projet de loi est ainsi surtout révélateur de la philosophie générale qui l’imprègne, qui continue de lier la question du travail à celle de la discipline carcérale [14].

L’ouverture de droits sociaux attachés au contrat. L’article 14 du texte prévoit l’ouverture ou l’amélioration de certains droits sociaux au profit des personnes détenues, en particulier : la fixation d’une assiette minimale de cotisations pour l’acquisition de droits à l’assurance vieillesse, en vue de pallier la très grande difficulté à valider des trimestres au vu de la faiblesse des rémunérations ; l’affiliation des détenus travailleurs au régime de retraite complémentaire [15] ; l’ouverture de droits à l’assurance chômage à l’issue de la détention ; la possibilité de bénéficier des prestations en espèces des assurances maternité, invalidité et décès, ainsi que celles de l’assurance maladie, mais uniquement à l’issue de la détention pour ces dernières ; la possibilité d’être indemnisé pendant la détention en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle (AT-MP) ; l’ouverture d’un compte personnel d’activité afin d’alimenter le compte personnel de formation et un compte d’engagement citoyen.

Si ces avancées sont louables, plusieurs points retiennent l’attention. D’abord, certains droits sont exclus du projet de loi : l’indemnisation en cas de maladie non professionnelle, l’indemnisation en cas de chômage technique ou partiel lors de diminutions de l’activité, les congés payés [16]. Rien ne justifie pourtant d’exclure l’ouverture de droits aux prestations en espèces de l’assurance maladie en cas d’arrêt de travail, alors même, en outre, que de tels droits seraient reconnus en cas d’AT-MP. De même, la baisse temporaire d’activité devrait être indemnisée afin de garantir un revenu minimum aux personnes détenues qui travaillent. Par ailleurs, l’ouverture d’un compte d’engagement citoyen destiné à valoriser l’activité bénévole de certaines personnes détenues est susceptible de conforter et pérenniser des situations dans lesquelles les intéressés pallient les carences de l’administration pénitentiaire : il en est ainsi par exemple des détenus qui servent d’interprète (au mépris de la confidentialité des échanges) et de ceux contraints d’endosser le rôle d’auxiliaires de vie pour les personnes malades ou en situation de handicap dont ils partagent la cellule.

Un encadrement de la rémunération et du temps de travail. La sous-section 4 prévoit également des dispositions spécifiques en matière de durée du travail, repos, jours fériés et rémunération. Le nouvel article 719-14 précise que le montant minimal de la rémunération et les règles relatives à la répartition des produits du travail des personnes détenues seront fixés par décret et que la rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire également fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance, défini à l’article L. 3231-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0825H9G).

À la suite, le nouvel article 719-15 énonce que seront définies par décret : les durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail effectif de la personne détenue ainsi que les conditions dans lesquelles peut être mis en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une durée supérieure à la semaine ; la durée du travail effectif à temps complet ; le régime des heures supplémentaires ; le régime des temps de pause, du repos quotidien, du repos hebdomadaire et des jours fériés.

Des dispositions éparses. Le texte prévoit encore un certain nombre de mesures ayant vocation à aligner le régime du travail en détention sur ce qui se fait à l’extérieur, et notamment : la prise en compte des personnes en situation de handicap avec une garantie d’égalité de traitement en matière d’accès et de maintien dans l’activité professionnelle, ainsi que l’implantation d’ESAT (établissement et service d’aide par le travail) dans les établissements pénitentiaires ; le développement d’ateliers en mixité permettant de favoriser l’accès des femmes au travail (art. 14, I, 2°). Une hypothèse de travail davantage tournée vers l’extérieur est enfin prévue à travers la possibilité d’effectuer une période de mise en situation professionnelle en milieu libre, au sein d’une entreprise, d’une administration ou d’une structure associative (nouvel art. 719-16).

B. Les clarifications

À grands traits, le travail pénitentiaire repose à l’heure actuelle sur deux principes : le bon vouloir du pourvoyeur de travail (qu’il s’agisse de l’AP pour le service général ou la RIEP ou des concessionnaires pour les services extérieurs), d’une part, la puissance de la discipline carcérale face aux droits issus du travail, d’autre part. Pour tenter de remédier à ce grand champ d’arbitraire, le projet de loi livre des éléments sur les grandes étapes du déroulement du travail en prison : l’embauche, l’exécution, et la rupture.

L’embauche. Relativement à l’embauche, le projet de loi propose de distinguer deux phases. Ce faisant, le projet entérine les pratiques des établissements pénitentiaires [17] qui distinguent le classement du détenu puis son affectation. Le classement de la personne détenue (nouvel art. 719-6, al. 1) correspond à la décision d’inscription du travailleur sur la liste des personnes qui demandent à travailler. L’affectation du détenu travailleur permet d’accéder concrètement au travail. Dans ce cadre, si une personne détenue exprime son souhait de travailler, sa demande sera examinée en Commission disciplinaire unique (CPU). À l’issue de la CPU, le chef d’établissement prendra une décision de classement au travail, qui revient à une autorisation de travail. Le projet de loi précise, et c’est une avancée, que le refus de classement devra être motivé et pourra faire l’objet d’un recours. Si la décision de classement est favorable, elle entraîne une procédure d’orientation vers un ou plusieurs des régimes de travail possibles : le service général, le travail en concession, le service de l’emploi pénitentiaire, une structure d’insertion par l’activité économique pour les personnes les plus éloignées de l’emploi ou une entreprise adaptée pour les personnes en situation de handicap et/ou l’apprentissage (qui est introduit par la réforme à titre expérimental (art. 14 bis)). Si un ou des postes sont disponibles, les personnes détenues qui souhaitent y prétendre devront réaliser une série d’entretiens professionnels avec le donneur d’ordre.

Si l’issue de ces entretiens est positive, une décision d’affectation (nouvel art. 719-6 al. 2) peut alors être prise par le chef d’établissement. Elle représente la véritable entrée dans le travail et déclenche la signature d’un contrat d’emploi pénitentiaire par la personne détenue et le donneur d’ordre. A l’inverse de la décision de classement, cependant, la décision d’affectation ne peut pas faire l’objet d’un recours, ce qui limite grandement, alors, la possibilité pour le travailleur de faire valoir ses droits d’accéder au travail. La justification selon laquelle, à l’extérieur, les employeurs sont libres de leur décision de recrutement sans avoir à les motiver parait en décalage avec les réalités de la détention et passe sous silence l’obligation qui incombe à l’administration en termes de réinsertion des personnes détenues.

L’exécution. Concernant l’exécution du contrat, le projet est assez bref. Les précisions apportées concernent en réalité les périodes de suspension du contrat d’emploi pénitentiaire. Ainsi, le texte prévoit des possibilités de suspension du contrat, soit par le donneur d’ordre, notamment en cas d’incapacité temporaire de travail pour raison médicale ou de baisse temporaire d’activité, soit par l’administration, notamment pour des motifs disciplinaires ou liés au bon ordre et à la sécurité de l’établissement. Rien n’est dit cependant sur l’indemnisation du travailleur au cours des périodes de suspension, notamment en cas de baisse temporaire d’activité [18].

La rupture. L’exclusion du travailleur détenu de l’activité de travail confine, bien souvent, à l’arbitraire et au fait du prince. Pour remédier à cette situation, le texte liste les motifs de fin du contrat par le donneur d’ordre, laquelle entraîne automatiquement la désaffectation (nouvel art. 719-11). Parmi ces motifs, on trouve la rupture d’un commun accord, à l’initiative de la personne détenue, la fin de la détention, le transfert définitif du détenu dans un autre établissement, la faute disciplinaire, la force majeure, le motif économique (ou tenant aux besoins du service pour le service général), l’inaptitude et l’insuffisance professionnelles, et le non-respect de l’accompagnement socioprofessionnel proposé (dans le cadre d’un accompagnement par une structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) ou une entreprise adaptée (EA)). Pour ces deux derniers motifs, il est prévu que le donneur d’ordre, préalablement à la rupture du contrat, mette le détenu travailleur en mesure de présenter ses observations (nouvel art. 719-11, II).

Il est à noter, en outre, comme en matière de suspension du contrat [19], un certain ordonnancement des rapports de pouvoir au stade de la rupture. Ainsi, lorsque le contrat est signé par l’établissement pénitentiaire, toutes les prérogatives de rupture sont dévolues à ce dernier. Lorsque le contrat est signé par une structure d’insertion, l’agence du TIG (travail d’intérêt général) ou un concessionnaire, les compétences dépendent du motif de rupture. Pour les infractions aux règles de la prison (fautes disciplinaires), la compétence est attribuée au chef d’établissement qui doit alors convoquer une commission de discipline. Lorsque la rupture du contrat est motivée par une cause inhérente au travailleur (inaptitude, faute ou insuffisance professionnelle), par une cause économique ou un cas de force majeure, le donneur d’ordre est compétent.

Le projet de loi emporte donc une amélioration des droits des détenus travailleurs, en particulier quant aux prérogatives dont ils disposent pour contester les décisions qui les intéressent. L’on ne peut cependant manquer de souligner les zones d’ombres qui subsistent en creux du projet.

C. Les zones d’ombres

Une coexistence des pouvoirs source d’incertitudes. Le projet prévoit que lorsque le donneur d’ordre est l’Administration, le contrat d’emploi pénitentiaire est conclu entre le chef d’établissement et la personne détenue (nouvel art. 719-9). Lorsque le donneur d’ordre n’est pas l’AP, les parties au contrat sont la personne détenue et le représentant légal du donneur d’ordre. L’AP n’est pas pour autant absente ; bien au contraire, selon le texte, en toutes hypothèses, « le travail est accompli sous le contrôle permanent de l’administration pénitentiaire » (nouvel art. 719-2). Le détenu est alors soumis à deux pouvoirs - celui du donneur d’ordre et celui du chef d’établissement - dont la coexistence suscite des difficultés d’articulation. Le projet de loi entend régler celles-ci par l’établissement d’une convention, annexée au contrat d’emploi pénitentiaire qui place l’observateur dans un état de perplexité. La convention annexée au contrat se présente comme tripartite, puisque signée par les parties au contrat ainsi que par le chef d’établissement. Un flou important entoure toutefois son contenu puisqu’il est simplement prévu qu’elle « détermine les obligations respectives de l’établissement, du donneur d’ordre et la personne détenue », la seule précision apportée par le texte étant relative aux modalités de remboursement par le donneur d’ordre des rémunérations et cotisations avancées par l’établissement. La convention a-t-elle notamment vocation à clairement délimiter les compétences en matière de rupture du contrat d’emploi pénitentiaire ? Cela serait souhaitable pour éviter des décisions « contre-productives ». En effet, une décision de désaffectation venant du donneur d’ordre pourrait contredire la volonté d’un chef d’établissement d’offrir une réinsertion pour un détenu. Inversement, la rupture du contrat du détenu travailleur pour des faits liés à la prison pourrait nuire, non seulement à l’intéressé, mais aussi au donneur d’ordre qui se verrait privé d’un travailleur sérieux. Les difficultés d’articulation des deux sources de pouvoir (et finalement d’intérêt) ne sont donc pas levées par le projet de loi. Enfin, outre l’imprécision sur le contenu de la convention annexée au contrat, ce sont aussi les conséquences de son non-respect qui est source de grande incertitude. Rien n’est prévu sur ce point. En définitive, le projet de loi présente des insuffisances sur un point essentiel : l’identification de l’employeur.

La trop grande place laissée au décret. Des thèmes aussi cruciaux que la rémunération et la durée du travail sont pour ainsi dire intégralement renvoyés au décret [20]. En matière de rémunération, la question reste ainsi entière des taux de rémunération et du caractère souvent inique des sommes versées au détenu travailleur. À l’évidence, le renvoi à un décret n’apparaît pas comme une garantie suffisante à résoudre la question des salaires. De même, dans le domaine du temps de travail, le renvoi à de futurs décrets interroge : cela emporte-t-il un régime spécial du temps et de la durée du travail en prison ? Ou bien le Code du travail servira-t-il de référence sur ces aspects, en tout état de cause ? En ce dernier cas, on ne voit pas bien la pertinence d’un renvoi au décret.

II. La (double) flexibilité du travail en prison

Malgré les apports précédemment mentionnés, le projet de loi, outre les limites déjà relevées, ne remet pas en cause le déséquilibre persistant entre les contraintes qui pèsent sur le détenu travailleur et les obligations faites à l’administration et au donneur d’ordre quand celui-ci n’est pas le chef d’établissement. Le texte reste, dans sa philosophie, très éloigné de l’intention exprimée par le Gouvernement et le législateur de rapprocher le travail en détention du droit commun et d’en faire un outil de réinsertion. Les dispositions liminaires inscrites au nouvel article 719-2 en témoignent : si le travail des personnes détenues vise « à préparer l’insertion ou la réinsertion professionnelle de la personne détenue en créant les conditions de son employabilité », il concourt également « à la mission de prévention de la récidive confiée au service public pénitentiaire » et surtout, demeure accompli « sous le contrôle permanent de l’administration pénitentiaire, qui assure la surveillance des personnes détenues, la discipline et la sécurité́ sur les lieux de travail », permettant notamment à l’administration pénitentiaire, au motif du maintien du bon ordre et de la sécurité, de suspendre l’activité de travail, ou encore d’y mettre un terme. Si bien qu’en réalité, le paradigme qui gouverne le travail en prison tend à se consolider dans la voie d’une double flexibilité : économique, d’une part, du point de vue des conditions de travail, disciplinaire, d’autre part, du point de vue de l’arbitraire qui s’immisce au sein du contrat au nom du maintien de l’ordre pénitentiaire.

A. Le travail, objet de flexibilité

Le texte entérine le modèle de la flexibilité en prévoyant d’ajuster la durée du travail aux besoins des donneurs d’ordre, sans prévoir les garanties et protections qui devraient venir compenser cette précarité. Deux mesures phares l’attestent.

La durée du travail ne fait l’objet d’aucun plancher. Si des durées maximales, des pauses et la rémunération du temps de travail sont prévues sur le principe, rien n’est dit d’une durée minimale et de la répartition horaire du travail. On imagine aisément que la majorité des détenus ayant accès à un travail exerceront à temps partiel, sans qu’aucune garantie ne soit cependant énoncée sur ce type de contrat. Pourtant, lorsqu’il est question de contrat de travail à temps partiel (qu’il s’agisse d’un CDI ou d’un CDD), une règle fondamentale s’impose hors de la prison : celle de la prévisibilité des horaires convenus, de telle sorte à offrir au travailleur une garantie et une prévision sur son salaire. L’article L. 3123-27 du Code du travail (N° Lexbase : L6808K9Z) prévoit ainsi une durée minimale de travail de 24 heures par semaine, portée, le cas échéant, à l’équivalent mensuel de cette durée (soit 104 heures). Le projet de loi prévoit encore que la durée du travail peut être strictement égale au volume de travail proposé. Le nouvel article 717-9, alinéa 3 dispose que « la durée du contrat d’emploi pénitentiaire est fixée en tenant compte de la durée de la mission ou du service confié à la personne détenue ». Le texte n’évoque cependant pas un volume global ou collectif de travail, mais une mission individuelle : ainsi, la durée de l’emploi de chaque travailleur peut être strictement égale aux besoins de l’entreprise. Si le modèle de CDD envisagé est celui du CDD de mission, à objet défini, il convient de rappeler que le recours à ce type de contrat est, en droit du travail, strictement encadré et qu’il ouvre droit à une indemnité de fin de contrat de 10% du salaire brut. Une telle indemnité n’est pourtant nullement prévue dans le projet de loi. Plus largement, le texte reste silencieux sur une durée minimum garantissant un revenu minimum. Il s’agit là d’une lacune importante.

Le contrat pénitentiaire peut être suspendu en cas de baisse temporaire de l’activité. Le nouvel article 719-12, II prévoit que le contrat d’emploi pénitentiaire pourra être suspendu « en cas de baisse temporaire d’activité ». Il apparaît essentiel que cette notion soit strictement précisée et encadrée : quels critères objectifs permettront d’acter d’une « baisse temporaire d’activité » ? Surtout, cette disposition soulève un problème de fond : la suspension du contrat entraîne la suspension du versement de la rémunération et aucune indemnisation, de type activité partielle, n’est prévue. C’est donc au détenu travailleur de supporter les risques de la variation d’activité, le donneur d’ordre pouvant dès lors ajuster strictement le coût du travail à l’activité. Cette conception du travail est précisément celle du XIXe siècle contre laquelle tout le droit du travail s’est construit. Le principe en matière de chômage partiel (dit aujourd’hui « activité partielle ») - qui devrait s’appliquer également aux personnes détenues - est celui d’une indemnisation du travailleur, avec une prise en charge de l’État. Dans son avis du 22 décembre 2016, relatif au travail et à la formation professionnelle dans les établissements pénitentiaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait préconisé à ce sujet « l’insertion généralisée dans les contrats de concession d’une obligation de verser des indemnités de chômage partiel aux travailleurs concernés ». Le projet de loi actuel apparaît comme un support tout à fait pertinent pour donner corps à cette préconisation. Le sujet est cependant absent. S’en défendant implicitement, le texte promeut une logique qui prétend répondre aux spécificités de la détention : pour attirer les entreprises, il faudrait leur assurer une main d’œuvre à bas coût rendue possible par des rémunérations basses, mais aussi par l’ajustement le plus serré du versement des salaires à l’existence d’un travail à effectuer. Outre que cette politique n’a pas montré son efficacité, elle fait fi d’un principe fondamental : le travail, en plus des garanties de l’emploi et de l’accès à un statut, doit offrir des garanties de rémunération.

B. Le travail, instrument de la discipline pénitentiaire

Le changement de paradigme affiché par le Gouvernement, avec un travail qui serait dorénavant moins tourné vers le dedans que le dehors, détaché de la peine et davantage orienté vers l’insertion ou la réinsertion, ne trouve pas de véritable concrétisation dans le texte de loi proposé. Outre que le texte ne dit rien sur les motifs de classement ou de refus de classement, il reste totalement muet sur la question des droits collectifs des détenus travailleurs.

L’influence du champ disciplinaire et sécuritaire dans le déroulement de la relation de travail. Le projet de loi soumet clairement l’accès et le maintien au travail de la personne détenue à son bon comportement en détention, et ce, indépendamment de sa conduite sur son lieu de travail. On s’éloigne ici de la tendance amorcée depuis la fin des années 1980 consistant à déconnecter le travail de la peine et à en faire un instrument d’émancipation et de réinsertion.

D’une part, le projet de loi (nouvel art. 719-7) consacre un durcissement disciplinaire opéré par voie réglementaire en 2019 en prévoyant que le chef d’établissement peut mettre fin au classement au travail ou à l’affectation sur un poste de travail en cas de faute disciplinaire, sans exiger que la faute ainsi sanctionnée ait été commise au cours ou à l’occasion de l’activité professionnelle. Selon le texte, le chef d’établissement pourra également suspendre le classement à titre disciplinaire « pour une durée qu’il détermine », c’est-à-dire sans être a priori tenu par la durée maximum de huit jours actuellement prévue par l’article R. 57-7-34 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3146LP9).

D’autre part, le projet de loi donne pouvoir au chef d’établissement de suspendre l’affectation sur un poste de travail « pour des motifs liés au maintien du bon ordre, à la sécurité de l’établissement pénitentiaire ou à la prévention des infractions ». Un tel pouvoir de suspension est formellement absent des textes applicables actuellement. Mais le Conseil d’État l’a déjà reconnu au chef d’établissement, au titre de ses pouvoirs de police : « le chef d’un établissement pénitentiaire dispose, au titre de ses pouvoirs de police, de la faculté de suspendre une décision de classement dans un emploi afin d’assurer le maintien de l’ordre public et de la sécurité de l’établissement ou encore la protection de la sécurité des personnes, y compris de celle du détenu classé, pour une durée strictement proportionnée à ce qu’exige le but qui justifie cette mesure provisoire » [21]. Le projet de loi vient donc intégrer dans la loi une jurisprudence moins favorable à la personne détenue, sans en outre reprendre l’unique garantie formellement posée par le Conseil d’État dans sa décision, à savoir l’exigence de stricte proportionnalité de la durée de la mesure provisoire de suspension.

Ainsi, l’influence du champ disciplinaire et sécuritaire dans le déroulement de la relation de travail demeure centrale, par le jeu d’un ensemble de mécanismes qui met l’administration pénitentiaire en pouvoir de contrecarrer la valeur du contrat et du statut y afférent. En cela, la conclusion d’un contrat d’emploi pénitentiaire apparaît comme un tigre de papier, puisque la force obligatoire du contrat est directement dépendante du classement et de l’affectation.

Le silence sur les droits collectifs. La responsabilisation des personnes détenues - intimées de bien se comporter en détention si elles veulent conserver leur emploi - reste à sens unique. Ainsi, aucune évolution n’est prévue en termes de dialogue social, pourtant si loué à l’extérieur. La réforme prévoit que l’expression collective reste encadrée par l’article 29 de la loi pénitentiaire de 2009. En vertu de cet article, les personnes détenues doivent être consultées sur les activités qui leur sont proposées, y compris le travail. Le décret d’application - adopté près de cinq ans plus tard [22] - a toutefois considérablement réduit la portée de ces dispositions en renvoyant la fixation des modalités d’organisation des consultations aux règlements intérieurs des établissements et, ce faisant, à la discrétion des directeurs d’établissements. En 2016, le CGLPL relevait que « lors des visites d’établissements pénitentiaires, les contrôleurs n’ont pas observé de mise en œuvre concrète de ces dispositions concernant le travail » [23]. À cela, s’ajoute l’interdiction de se réunir, de se syndiquer et de s’exprimer collectivement. Pire encore, le fait de contester des conditions de travail peut faire l’objet de sanctions disciplinaires, comme le déclassement d’un emploi [24]. Certes, pour des raisons de sécurité, les droits collectifs des travailleurs, consacrés, rappelons-le, aux niveaux constitutionnel et supranational, ne peuvent s’exercer sans aménagement en prison. Un projet de loi réformant, entre autres, le travail en prison était le lieu idoine pour penser un régime adapté de ces droits. Il est regrettable que le texte soit muet sur ce point.

Au terme de ce tour d’horizon, on ne peut manquer de reconnaître au Gouvernement, à travers son projet de loi, une volonté d’améliorer le régime du travail en prison, initiative qui mérite d’être soutenue et approuvée. Cependant, l’on ne peut également omettre de relever le sentiment mitigé qui ressort de l’analyse du contenu du texte : le travail en prison parait, aujourd’hui, au milieu du gué. Prenant au sérieux l’ambition des pouvoirs publics de considérer la question du travail en prison, l’on pourrait, avec d’autres, inviter le législateur à aller encore plus loin. Car une réglementation et une gestion saines, dignes et conformes aux intérêts de la société est possible à propos du travail en prison. Pour cela, il conviendrait d’emprunter la voie d’une véritable politique de l’emploi pénitentiaire gérée et pilotée par un service public de l’emploi pénitentiaire [25]. La centralisation de l’offre de travail par un organisme public permettrait une meilleure répartition du volume de travail, la possibilité d’amortir les périodes de forte activité ou, à l’inverse, de plus faible activité. Elle permettrait également de développer une politique de l’offre de travail en nouant des partenariats durables et souples avec des acteurs de l’économie sociale et solidaire. L’emploi des personnes détenues serait ainsi plus stable, plus formateur, et plus rémunérateur, et serait alors à même de remplir son objectif de réinsertion. Espérons alors que le législateur saura poursuivre son chemin en écoutant également les voix de celles et ceux qui promeuvent le respect de la dignité des hommes et des femmes au travail, quelle que soit leur condition.

 

[2] Cons. const., 14 juin 2013, décision n° 2013-320/321 QPC (N° Lexbase : A4732KGD).

[3] Ph. Auvergnon, V° Travail pénitentiaire, Rép. trav. Dalloz, octobre 2018.

[4] CPP, art. D. 432-1 (N° Lexbase : L9800LBL).

[5] Décret n° 2010-1635 du du 23 décembre 2010, portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9923INT).

[6] Ph. Auvergnon, V° Travail pénitentiaire, préc., n° 103.

[7] Cons. const., 14 juin 2013, décision n° 2013-320/321 QPC, préc.

[8] Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (N° Lexbase : A6743NPG).

[9] Ph. Auvergnon, M. Crétenot, N. Ferran, C. Wolmark, Propositions pour un statut juridique du détenu travailleur, Droit social, 2019, p. 1075 et s..

[10] Colloque organisé à l’Assemblée nationale, Repenser le travail en prison - Contenu, organisation et droits des détenus travailleurs, 27 février 2020 [programme].

[11] Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (N° Lexbase : L9344IES).

[12] Sur la place trop grande laissée au décret, v. infra.

[13] V. infra.

[14] V. infra, II-B.

[15] La Cour de cassation a refusé de reconnaître aux détenus le droit à la retraite complémentaire au motif que l’article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0678IZ7) la « réserve aux salariés » (Cass. civ. 2, 11 octobre 2006, n° 05-10.634, FS-P+B N° Lexbase : A7741DR7).

[16] Le Conseil d’État a lui-même récemment rejeté le recours porté par l’OIP contre le refus implicite du Premier ministre d’édicter des dispositions règlementaires reconnaissant aux personnes détenues exerçant une activité professionnelle le droit de bénéficier de congés payés (CE, 1ère et 4ème ch.-r., 30 novembre 2020, n° 431775 N° Lexbase : A6539393).

[17] Ph. Auvergnon, V° Travail pénitentiaire, préc., n° 80.

[18] V. supra.

[19] V. supra.

[20] V. supra.

[21] CE 9° et 10° ch.-r., 15 décembre 2017, n° 400822 (N° Lexbase : A1338W83).

[22] Décret n° 2014-442 du 29 avril 2014, portant application de l'article 29 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (N° Lexbase : L0919I3G) ; CPP, art. 57-9-2-1 (N° Lexbase : L0972I3E) et s..

[23] Avis préc. Lors du colloque de février 2020 (préc.), dans le cadre d’une table ronde consacrée aux droits collectifs, Flavie Rault, directrice adjointe de la prison de la Santé à Paris et secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT, a elle-même avoué ne pas avoir pensé à consulter les détenus sur leur activité de travail.

[24] Pour un exemple, TA Rennes, 10 octobre 2014, n° 1205245.

[25] C’est le sens de la proposition de Ph. Auvergnon et a., préc..

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Soins psychiatriques sans consentement

[Brèves] Isolement et contention : les nouvelles dispositions (à nouveau !) déclarées non conformes à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-912/913/914 QPC, du 4 juin 2021 (N° Lexbase : A95164TM)

Lecture: 3 min

N7795BYD

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par Laïla Bedja

Le 09 Juin 2021

► Les troisième et sixième alinéas du paragraphe II de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1614LZS), issu de l’article 84 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW), qui prévoit la durée de mise en œuvre des mesures d’isolement et de contention pour les personnes placées en hospitalisation complète sans consentement sont contraires à l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM) en ce qu’ils ne prévoient pas de contrôle systématique opéré par le juge judiciaire.

La question. Les requérants soutiennent que les dispositions de l’article L. 3222-5-1, qui auraient été adoptées selon une procédure contraire au dix-neuvième alinéa de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), méconnaîtraient les exigences résultant de l'article 66 de la Constitution (Cass. QPC, 1er avril 2021, n° 21-40.001, FS-P N° Lexbase : A47624NP, n° 21-40.002, FS-D N° Lexbase : A47774NA et n° 21-40.003, FS-D N° Lexbase : A46994ND).

Ils font valoir que, en cas de poursuite des mesures d'isolement et de contention au-delà des durées maximales prévues par le législateur, ces dispositions se bornent à prévoir l'information du juge des libertés et de la détention ainsi que la faculté pour les personnes soumises à ces mesures ou leurs proches de saisir ce juge, sans prévoir un contrôle systématique de ces mesures par ce dernier. En outre, les requérants reprochent au législateur de n'avoir pas prévu explicitement que le juge soit informé toutes les fois que les mesures d'isolement et de contention sont renouvelées. Il en résulterait, selon eux, que ces mesures pourraient être mises en œuvre sur de longues périodes en dehors de tout contrôle judiciaire.

L'une des parties intervenantes considère également que le législateur aurait méconnu le principe d'égalité devant la loi en instituant une différence de traitement entre, d'une part, les personnes hospitalisées qui bénéficient d'un entourage susceptible de saisir le juge et, d'autre part, celles qui ne pourraient ni introduire par elles-mêmes un recours, ni espérer que des proches le fassent pour elles.

Non-conformité. Pour la seconde fois en moins d’un an (première décision, Cons. const., décision n° 2020-844 QPC, du 19 juin 2020 N° Lexbase : A85293N9, commentée par G. Delgado-Hernandez et L. Monnet-Placidi, Lexbase Droit privé, juillet 2020, n° 833 N° Lexbase : N4203BYC), la question des mesures d’isolement et de contention fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. Et pour la seconde fois, les dispositions encadrant ces mesures sont déclarées non conformes à la Constitution. En effet, les mesures d'isolement et de contention qui peuvent être décidées dans le cadre d'une hospitalisation complète sans consentement constituent une privation de liberté. Aucune disposition législative ne soumettant le maintien à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire, les dispositions sont contraires à la Constitution.

L’abrogation immédiate de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, les Sages décident de reporter au 31 décembre 2021 la date d’abrogation des dispositions contestées.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Les soins psychiatriques sans consentement, Le contrôle des mesures d'admission en soins psychiatriques par le juge des libertés et de la détention, in Droit médical, Lexbase (N° Lexbase : E7544E9B).

newsid:477795

[Brèves] Cautionnement : la mention manuscrite de la caution ne doit figurer intégralement que sur un seul original

Réf. : Cass. com., 2 juin 2021, n° 20-10.690, FS-P (N° Lexbase : A24034UK)

Lecture: 3 min

N7855BYL

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par Vincent Téchené

Le 11 Juin 2021

► Le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original est requis, de sorte que la mention manuscrite complète de la caution ne doit figurer que sur l’exemplaire original détenu par le créancier.  

Faits et procédure. Le 7 novembre 2008, une banque a accordé à une société un prêt, garanti par un cautionnement. L'engagement de caution a été consenti dans un acte annexé au contrat de prêt, le tout étant établi en deux exemplaires originaux, remis l'un à la banque, l'autre à la caution. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a obtenu une ordonnance d'injonction de payer contre la caution, à laquelle celle-ci a formé opposition, en faisant valoir que la mention manuscrite de l'acte de cautionnement n'était pas conforme à la loi.

L'arrêt d’appel (CA Limoges, 5 novembre 2019, n° 19/00294 N° Lexbase : A9607ZTY) ayant mis à néant l'ordonnance portant injonction de payer du 29 janvier 2014 et prononcé la nullité du cautionnement, la banque a formé un pourvoi en cassation.

Pourvoi. La banque reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir affirmé que le cautionnement était nul en l'état d'une mention imparfaite sur l'un des exemplaires originaux, bien que l'autre original du contrat ait comporté une mention manuscrite complète, ce qui suffisait à s'assurer du consentement éclairé de la caution, de sorte que la cour d'appel aurait violé l'article L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI), devenu L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) du Code de la consommation.

Décision. Cet argument convainc la Cour de cassation qui censure l’arrêt d’appel.

En effet, pour mettre à néant l'ordonnance portant injonction de payer et prononcer la nullité du cautionnement, l'arrêt d’appel a relevé que l'acte produit par la caution comportait une mention manuscrite ne respectant pas le formalisme prévu par le texte précité, en ce que le mot « caution » en a été omis, et que cette divergence avec la formule légale affecte le sens et la portée de la mention manuscrite. Ainsi, pour la cour d’appel, il importe peu que la banque détienne un autre exemplaire de l'acte qui comporte, cette fois, l'intégralité de la mention légale, dès lors que la mention est incomplète sur l’un des exemplaires et que la différence qui en résulte avec la mention légale est déterminante et n'a pas permis à la caution de prendre la pleine mesure de la nature et de la teneur de son engagement.

Or, pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que, le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis et que la caution ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l'exemplaire original détenu par le créancier, la cour d'appel a violé l’article L. 341-2, devenu L. 331-1, du Code de la consommation.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les conditions de formation du cautionnement, L'exigence de la mention manuscrite de la caution personne physique envers un créancier professionnel, in Droit des sûretés, (dir. G. Piette), Lexbase (N° Lexbase : E7181E9T).

 

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Voies d'exécution

[Brèves] Le recouvrement des dépens d’instance par voie d’exécution forcée ne peut s’effectuer qu’au vu d’un certificat de vérification ou d’une ordonnance de taxe exécutoires

Réf. : Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 20-13.887, F-D (N° Lexbase : A79844SI)

Lecture: 3 min

N7856BYM

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 14 Juin 2021

 La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 20 mai 2021, énonce que le titre servant de fondement aux poursuites permet le recouvrement des frais de l’exécution forcée, qui sont à la charge du débiteur, et une partie ne peut poursuivre, par voie d'exécution forcée, le recouvrement des dépens d'instance, par elle avancés, qu’au vu d’un certificat de vérification ou d’une ordonnance de taxe exécutoires.

Faits et procédure. Dans cette affaire, la cour d’appel a rendu un arrêt le 13 décembre 2013, prononçant le divorce entre des époux, et confirmant le jugement de première instance sur le montant fixé pour la prestation compensatoire. L’ex-épouse a engagé une procédure de saisie immobilière à l’encontre de son ex-époux pour obtenir le paiement d’une certaine somme. Une assignation a été délivrée au débiteur pour une audience d’orientation devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance, qui a été dénoncée à la direction départementale des finances publiques en qualité de créancier inscrit. Le débiteur a contesté le montant de la créance.

Le pourvoi. Le demandeur fait grief à l’arrêt rendu le 28 janvier 2020 par la cour d’appel de Caen d’avoir jugé que la demanderesse disposait d’une créance liquide et exigible. L’intéressé énonce qu’une partie ne peut poursuivre, par voie d’exécution forcée, le recouvrement des dépens d’instance qu’elle a réglés qu’au vu d’un certificat de vérification ou d’une ordonnance de taxe exécutoires.

En l’espèce, la cour d’appel a retenu que la demanderesse disposait d’une créance liquide et exigible pour une certaine somme, a retenu que les dépens liés aux instances au fond étaient détaillés dans un décompte et non utilement remis en cause par le débiteur, de sorte qu’il n’existait aucun motif pour les exclure de la créance.

Solution. Énonçant la solution précitée aux visas des articles L. 111-2 (N° Lexbase : L5790IRU) et L.111-3 (N° Lexbase : L5301LUU) du Code des procédures civiles d'exécution et les articles 695 (N° Lexbase : L6819LEB) et 696 (N° Lexbase : L7542LZD) du Code de procédure civile, la Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, énonçant que les sommes dues au titre des dépens de première instance et d’appel, des frais de timbres et des frais de signification de l’arrêt, constituent des dépens d’instance ne résultant ni d’un certificat de vérification, ni d’une ordonnance de taxe exécutoires.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les frais de justice, La vérification et le recouvrement des dépens, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase (N° Lexbase : E3657EUY).

 

newsid:477856

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