La lettre juridique n°203 du 23 février 2006

La lettre juridique - Édition n°203

Éditorial

Droit d'auteur, droit moral : éloge du libertaire liberticide

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il y a peu (voir notre éditorial du 4 janvier dernier, ISF : l'insoutenable légèreté de l'être), nous évoquions une décision de la Cour de cassation visant à écarter les créances de revenu sur un compte d'auteur du régime de l'impôt de solidarité, alors que, dans le même temps, les députés approuvaient deux amendements au projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins, qui, peu ou prou, légalisaient les échanges de fichiers sur les réseaux de peer to peer. Force est de constater que ces prises de position, la première tendant à ne pas brimer la création artistique en lui évitant les fourches caudines de l'ISF, la seconde annonçant une libéralisation des échanges de fichiers, libéralisation considérée comme liberticide, pour les professionnels de la création, purent sembler téléologiquement contradictoires. Dans le même sens, surprenante peut paraître une décision rendue par la Cour suprême, le 8 février dernier, rappelant qu'"une exploitation sous forme de compilations avec des oeuvres d'autres interprètes étant de nature à en altérer le sens, ne pouvait relever de l'appréciation exclusive du cessionnaire et requérait une autorisation spéciale de l'artiste". Autrement dit, le cessionnaire d'une oeuvre n'est pas libre de son exploitation, le droit moral de son auteur perdure, au travers de toutes les chaînes de cession. Cette décision est surprenante, disions-nous, mais pas sur le fond, car elle consacre traditionnellement le droit d'auteur. Mais, il peut paraître juste incongru qu'un artiste si prompt à chanter la liberté, sous toutes ses coutures, et condamnant souvent l'ordre moral, n'évoque son droit (moral) pour rappeler que le respect dû à l'interprétation de l'artiste interdit toute altération ou dénaturation, encadrant ainsi la liberté d'exploitation de son oeuvre. "Fermez vos grilles fermez vos cages, la liberté" serait-elle en voyage ? "Ah monsieur d'Ormesson", vous aviez peut être raison, "un air de liberté/[tout compte fait] Flottait sur Saïgon/Avant que cette ville s'appelle Ville Ho-Chi-Minh". "Quand on n'interdira plus mes chansons /Je serai bon à jeter sous les ponts" : interdire l'exploitation abusive de ses chansons et éviter les ponts ; on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Mais du libertaire au liberticide, "le poète a toujours raison/Qui voit plus haut que l'horizon/Et le futur est son royaume" ; futur orchestré, nous l'espérons tous, par le régime des creative commons qui permettra enfin d'autoriser à l'avance le public ou les professionnels à effectuer certaines utilisations d'une oeuvre selon les conditions exprimées par l'auteur, pour une plus grande lisibilité des droits attachés à une oeuvre. L'auteur pourra choisir, explicitement, que son oeuvre pourra, ou non, être modifiée, pourra, ou non, faire l'objet d'une exploitation commerciale, etc. Mais, d'ores et déjà, la création a les honneurs du débat parlementaire, comme ceux du pouvoir judiciaire, puisque les mesures fiscales inscrites au sein des dernières lois de finances, en faveur du développement de la création en France ne peuvent passer inaperçues. Les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire cette semaine, le commentaire de Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV, La protection équilibrée du droit moral de l'artiste interprète. Par ailleurs, afin de faire le point sur les dernières mesures fiscales d'encouragement à la création, Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de lire l'article de Ludovic Julié, Avocat au Barreau de Paris, Chargé d'enseignement à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne.

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Fiscalité des entreprises

[Textes] Les dernières mesures fiscales en faveur de la culture

Réf. : Loi de finances pour 2006, n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, art. 109 et 166 (N° Lexbase : L6429HET) et loi de finances rectificative pour 2005, n° 2005-1720, du 30 décembre 2005, art. 45, 50 et 68 (N° Lexbase : L6430HEU)

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par Ludovic Julié, Avocat au Barreau de Paris, Chargé d'enseignement à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 07 Octobre 2010

La loi de finances rectificative pour 2005 (n° 2005-1720, du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU) et la loi de finances pour 2006 (n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6429HET) modifient et instaurent de nouvelles mesures fiscales en faveur de la culture. Le grand gagnant est, à nouveau, le cinéma, auquel il convient, aujourd'hui, d'ajouter l'audiovisuel : le crédit d'impôt cinéma a été aménagé et le financement fiscal du Compte de Soutien à l'Industrie des Programmes audiovisuels (Cosip) se trouve amélioré par l'instauration d'un taux de taxe plus élevé concernant les films pornographiques et d'incitation à la violence. L'administration fiscale n'a pas tardé à réagir pour commenter les nouvelles dispositions applicables au crédit d'impôt à compter du 1er janvier 2006 (instruction du 27 janvier 2006, BOI n° 4 A-1-06 N° Lexbase : X5698ADE). Pour autant, la création contemporaine n'a pas été oubliée par la loi de finances rectificative pour 2005, qui instaure, également, un crédit d'impôt pour les entreprises exerçant des métiers d'art et un abattement de 50 % sur les bénéfices des auteurs d'oeuvres d'art. Enfin, le marché de l'art français se voit, aussi, fiscalement aidé par une réforme de la taxe sur la vente d'objet précieux. La culture a, ainsi, fait l'objet d'une attention toute particulière dans les aménagements et créations de nouveaux dispositifs fiscaux d'aide applicables dès ce début d'année. 1. Le crédit d'impôt pour dépenses de production d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles

L'article 88-I,1°, de la loi de finances pour 2004 (n° 2003-1311, du 30 décembre 2003 N° Lexbase : L6348DM3) a instauré un crédit d'impôt cinéma permettant aux entreprises de production cinématographique de se faire rembourser sous forme de crédit d'impôt 20 % de leurs dépenses de production et post-production d'oeuvres cinématographiques agréées ou audiovisuelles. Notons que l'instruction du 24 septembre 2004 (BOI n° 4 A-7-04 N° Lexbase : X3941ACX) commente les précédentes conditions d'application du crédit d'impôt.

Seules les entreprises titulaires d'une autorisation d'exercice délivrée par le Directeur général du Centre de la cinématographie sont concernées par le crédit d'impôt. Elles doivent, également, avoir la qualité de producteur délégué, ce qui a pour conséquence d'écarter les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA) du bénéfice du mécanisme, ainsi que les chaînes de télévision.

Sont concernées par le crédit d'impôt les oeuvres cinématographiques audiovisuelles, qu'elles soient de fiction, documentaires ou d'animation de longue durée. Les courts métrage étaient, ainsi, exclus et désormais, également, les oeuvres pornographiques ou d'incitation à la violence, celles utilisables à des fins publicitaires, les émissions et, plus généralement, les programme ne comportant aucune création originale. Les conditions de nationalité et de réalisation en France restent les mêmes. Les dépenses définies au III du nouvel article 220 sexies du CGI comprennent les rémunérations versées aux auteurs et interprètes, les salaires des techniciens et ouvriers, ainsi que les dépenses techniques.

La dualité du plafond faisant la différence entre oeuvres de fiction et d'animation ayant été supprimée, le crédit d'impôt est plafonné par oeuvre à un million d'euros pour les oeuvres cinématographiques. Concernant les oeuvres audiovisuelles, le crédit d'impôt ne peut, dorénavant, excéder 1 150 euros par minute produite et livrée pour une oeuvre de fiction ou documentaire et 1 200 euros par minute produite et livrée pour une oeuvre d'animation.

Par ailleurs, le montant du crédit d'impôt est plafonné en fonction de la part d'aide publique reçue pour la production du film. Ainsi, le crédit d'impôt, considéré à ce titre comme une aide publique, ne peut avoir pour effet de porter à plus de 50 % du montant du budget de production le montant des aides publiques. Ce taux est porté à 60 % pour les productions difficiles à petits budgets qui n'ont pas encore été définies par décret.

A partir du 1er janvier 2006, le crédit d'impôt est utilisable à compter, non plus de la délivrance de l'agrément provisoire, mais de la date de réception par le Directeur général du Centre national de la cinématographie de la demande de délivrance d'agrément provisoire, c'est-à-dire le plus tôt possible dans la phase de production du film, sachant que le tournage peut durer très longtemps. Ainsi, l'entreprise pourra, dès ce moment, imputer le crédit d'impôt sur le montant de l'impôt sur les sociétés à régler et demander immédiatement le remboursement de l'excédent du crédit d'impôt le cas échant. La part du crédit d'impôt utilisé devra être restituée, si l'agrément provisoire n'a pas été reçu dans les six mois suivant la réception de la demande.

2. La taxe sur les ventes et location de vidéo

La taxe sur les ventes et location en France de vidéogrammes destinées à l'usage privé du public a été instaurée le 1er juillet 1993 . Son taux de 2 % est resté inchangé et, aujourd'hui, l'article 166 de la loi de finances pour 2006 instaure une dualité de taux : un nouveau taux de 10 % sera applicable à compter du 1er janvier 2007 sur toutes les ventes et location de vidéogrammes à caractère violent ou pornographique.

L'augmentation du taux concernant uniquement la violence et la pornographie reprend l'idée du financement moralisateur du CNC. Le produit de la taxe vient, en effet, alimenter le COSIP, tout comme celui de la taxe sur les films sauvages et le prélèvement spécial sur les bénéfices concernant, également, la pornographie. Pourtant, ces deux impositions étaient tombées en désuétude du fait de la disparition de films cinématographiques de ce type. A compter du 1er janvier 2007, la pornographie sur vidéogramme viendra alimenter le COSIP de façon cinq fois plus importante que les autres films.

3. Le crédit d'impôt sur les métiers d'art

L'article 45 de la loi de finances rectificative pour 2005 instaure un nouveau crédit d'impôt pour les entreprises, dont les charges de personnels exerçant un métier d'art représentent plus de 30 % de la masse salariale totale, les entreprises portant le label "entreprise du patrimoine vivant" (ce label est défini par l'article 23 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK), ainsi que celles des secteurs de l'horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, lunetterie, arts de la table, jouet, instruments et ameublement.

Les dépenses prises en compte sont les salaires et charges afférents uniquement aux salariés chargés de la conception de nouveaux produits et de la réalisation de prototypes. Ont été associées les autres dépenses correspondant à cette activité de création fixées forfaitairement à 75 % des dépenses précédentes, les dotations ou amortissement directement affectées à la conception de nouveaux produits ou la réalisation de prototypes, les rémunérations des intervenants créatifs externes (styliste ou bureaux de style), les frais de dépôts des dessins et modèles et, enfin, les frais de défense de ces dépôts, mais uniquement dans la limite de 60 000 euros pour cette dernière catégorie.

Le taux du crédit d'impôt est de 10 % du montant de ces dépenses pour toutes les entreprises visées, sauf pour celle bénéficiant du label "entreprise du patrimoine vivant" qui bénéficient d'un taux de 15 %. Le crédit d'impôt s'impute, soit sur l'impôt sur le revenu des personnes associées, soit sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses ont été engagées. L'unique plafond, en dehors de celui correspondant aux seules dépenses de défense de dépôt, est celui imposé par le Règlement européen n° 69/2001 du 12 janvier 2001 relatif aux articles 87 et 88 du Traité CE sur les aides de minimis (N° Lexbase : L1592DPN). Ce nouveau crédit d'impôt ne comporte pas de limite, contrairement au crédit d'impôt cinéma, dont l'excédent non utilisé fera l'objet d'une restitution.

4. L'abattement de 50 % pour les auteurs d'oeuvres d'art

L'article 50 de la loi de finances rectificative pour 2005 instaure un nouveau mécanisme en faveur de la création plastique contemporaine. Annoncé par le ministre de la Culture et de la Communication lors de sa visite à la Foire internationale d'art contemporain (Fiac) en 2005, un abattement sur les bénéfices des auteurs d'oeuvres d'art est mis en place à compter du 1er janvier 2006, mais uniquement pour les cinq premières années d'activités de l'artiste.

Cet abattement de 50 % s'applique sur les revenus issus de la cession des oeuvres d'art définies par l'article 297 A du CGI et de la cession des droits d'auteurs. Sont considérées comme oeuvres d'art les réalisations correspondant à des oeuvres graphiques entièrement exécutées à la main par l'artiste ou, si ce sont des gravures, estampes et lithographies originales tirées en nombre limité. Ce nombre est fixé à huit (auquel il convient d'ajouter quatre épreuves d'artiste) pour l'art statuaire, les tapisseries ou textiles muraux faits à la main et émaux sur cuivre et à trente pour les photographies. Quant à la céramique, chaque pièce doit rester unique.

Les oeuvres pornographiques et d'incitation à la violence sont, à nouveau, exclues du mécanisme. Mais, en dehors de cette dernière limite, d'autres, moins justifiées, ont été mise en place. En effet, l'abattement est plafonné à 50 000 euros par an et, surtout, il ne peut pas jouer concurremment avec l'étalement prévu à l'article 100 bis du CGI , qui permet de calculer l'assiette des revenus d'une année en fonction d'une moyenne calculée en référence avec les revenus des années précédentes. Il conviendra, donc, à l'artiste de faire un calcul, afin de voir si l'abattement est plus intéressant pour lui ou si l'étalement semble plus avantageux. Mais, comme l'option d'étalement est valable pour plusieurs années, il semble que l'abattement soit plus sûr en termes de réduction de l'assiette imposable, surtout si les revenus de l'artiste sont de plus en plus élevés au cours des années suivantes.

5. La réforme de la taxe forfaitaire sur les objets précieux

L'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2005 réforme la taxe forfaitaire sur les ventes de métaux précieux, de bijoux, d'objets d'art, de collection ou d'antiquité pour améliorer l'attractivité du marché de l'art français vis-à-vis des non-résidents. Les cessions d'objets d'art réalisées en France et les exportations par des contribuables non-résidents sont exonérées à la simple condition d'apporter la preuve d'une importation précédente ou d'une acquisition en France. Les procédures sont simplifiées grâce à un allègement du circuit déclaratif et de paiement, notamment lorsqu'un intermédiaire participe à la transaction. Ainsi, la déclaration se fait plus tardivement que dans le régime précédent ou peut se faire directement auprès de la recette de douanes.

Par ailleurs, il reste toujours possible d'opter pour le régime de la plus-value, à condition de justifier la date et le prix d'acquisition, ainsi que la possession du bien depuis plus de douze ans.

En dehors de ces précisions, le régime reste identique au précédent, notamment concernant le taux et les seuils applicables qui restent inchangés.

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Social général

[Jurisprudence] La protection équilibrée du droit moral de l'artiste interprète

Réf. : Cass. soc., 8 février 2006, n° 04-45.203, M. Jean Tenenbaum dit Jean Ferrat c/ Société Universal Music, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7241DM7)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

L'artiste interprète relève à la fois de plusieurs statuts : celui de salarié d'abord, du statut spécifique d'interprète ensuite et, enfin, du statut plus général d'artiste de spectacle. Il dispose de deux sortes de droits sur ses oeuvres : un droit moral par principe indisponible et des droits patrimoniaux. La question qui était posée, une nouvelle fois, devant la Cour de cassation (puisqu'il s'agit en l'espèce de la seconde saisine après renvoi) était celle de savoir si, et le cas échéant de quelle manière, ayant cédé ses droits patrimoniaux, l'artiste interprète peut, sur le fondement de son droit moral, s'opposer à l'insertion de certaines de ses interprétations dans des albums de compilations. A cette question, la Haute juridiction vient, une nouvelle fois, répondre par l'affirmative inscrivant, par là-même, sa solution dans la constance. La nouveauté, qui justifie certainement la large publicité à laquelle est destinée cette décision (FS-P+B+R+I), réside dans la justification donnée. Prenant acte des critiques qui avaient entouré le fondement qu'elle avait retenu à l'occasion de sa première saisine, elle vient affirmer, toujours au visa de l'article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3433ADI), que le respect dû à l'interprétation de l'artiste interdit toute altération ou dénaturation. Partant, une exploitation sous forme de compilation avec des oeuvres d'autres interprètes qui est de nature à en altérer le sens ne peut résulter de l'appréciation exclusive du cessionnaire et requiert une autorisation spéciale de l'artiste.
Décision

Cass. soc., 8 février 2006, n° 04-45.203, M. Jean Tenenbaum dit Jean Ferrat c/ Société Universal Music, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7241DM7)

Cassation partielle sans renvoi (CA Versailles, 7 avril 2004)

Texte visé : C. prop. intell., art. L. 212-2 (N° Lexbase : L3433ADI)

Mots-clefs : artiste interprète ; droit moral ; droit au respect de l'interprétation ; contenu ; droit de l'artiste de s'opposer à toute dénaturation ou altération de son oeuvre ; limite à la cession des droits patrimoniaux ; obligation pour le producteur de requérir l'autorisation de l'artiste.

Résumé

Le respect dû à l'interprétation de l'artiste en interdit toute altération ou dénaturation et lui permet de s'opposer à toute modification de nature à en altérer le sens.

Faits

M. X a signé trois contrats d'enregistrement avec cession des droits d'exploitation. L'auteur, constatant que le producteur commercialisait cinq compilations comportant certaines de ses chansons et celles d'autres artistes, a saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel l'a débouté de sa demande d'indemnisation pour atteinte à son droit moral. Pour cette dernière, le fait d'imposer une exploitation sous forme de compilations ne caractérise pas, à lui seul, une violation du droit moral de l'artiste et la proximité des oeuvres de ce dernier avec les oeuvres d'autres artistes n'est pas de nature à ternir sa réputation.

Solution

1. Cassation partielle sans renvoi

2. "En statuant ainsi, alors qu'une exploitation sous forme de compilations avec des oeuvres d'autres interprètes étant de nature à en altérer le sens, ne pouvait relever de l'appréciation exclusive du cessionnaire et requérait une autorisation spéciale de l'artiste, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé".

Commentaire

1. Protection malaisée du droit moral de l'artiste interprète

  • Droits de l'artiste interprète

L'artiste interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes, à l'exclusion de l'artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels. Il est titulaire d'un droit moral et de droits patrimoniaux.

Son droit moral, en premier lieu, est attaché à sa personne. Il est perpétuel et imprescriptible. Contrairement aux droits patrimoniaux, il est en principe inaliénable. Le droit moral comporte le droit de divulgation, c'est-à-dire de décider de faire connaître ou non l'oeuvre au public, le droit au nom (c'est-à-dire le droit d'exiger que l'oeuvre soit publiée sous le nom de l'auteur), sauf s'il choisit l'anonymat ou un pseudonyme, le droit au respect de l'oeuvre (c'est-à-dire l'interdiction de modifier l'oeuvre dans sa forme ou son esprit sans le consentement de l'auteur), et le droit de repentir ou de retrait, qui recouvre le droit pour l'auteur de retirer du marché une oeuvre déjà divulguée, dans l'hypothèse où il ne retrouverait plus la marque de sa personnalité dans cette oeuvre.

Ses droits patrimoniaux, en second lieu, comprennent le droit de reproduction par tout procédé (impression, photographie, photocopie...) et le droit de représentation par un procédé quelconque (récitation publique, projection, télédiffusion).

Si ces derniers peuvent être totalement ou partiellement cédés, il en va différemment du droit moral qui fait l'objet d'une protection particulière.

  • Protection du droit moral de l'artiste interprète

L'article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l'artiste interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. "Ce texte est le 'creuset' du droit moral des artistes interprètes défini comme le lien juridiquement protégé, unissant le créateur à son oeuvre et lui conférant des prérogatives souveraines à l'égard des usagers, l'oeuvre fût-elle entrée dans le circuit économique" (M. Serna, Réflexions autour de la qualité d'artiste interprète au sens de l'article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle, Petites affiches, 21 juin 2001, n° 123, p. 10). Ce droit moral est, en principe, inaliénable et imprescriptible.

La Haute juridiction, lors de la première saisine, tout en réaffirmant le caractère d'ordre public du droit moral, était venue préciser que l'inaliénabilité du droit moral interdit à l'artiste d'abandonner au cessionnaire, de façon générale et préalable, l'appréciation exclusive des utilisations, diffusions, adaptations, retraits et adjonctions qu'il déciderait de réaliser (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-44.224, FS-P+B+I N° Lexbase : A0768AZH) obligeant par là-même le producteur à recueillir, avant chaque utilisation de l'interprétation, le consentement de l'artiste.

Vue comme un véritable frein à la libre exploitation de l'oeuvre en raison de son fondement portant exclusivement sur l'indisponibilité, cette jurisprudence avait fait l'objet de vives critiques, ce qui explique certainement en partie pourquoi, dans la décision commentée, tout en préservant sa solution, la Haute juridiction vient quelque peu modifier sa justification.

  • Espèce

Pour admettre la faculté pour l'artiste interprète de s'opposer à l'insertion de certaines de ses interprétations dans des compilations et ce malgré l'autorisation d'exploitation générale et préalable donnée par l'auteur au producteur, elle affirme que le respect dû à l'interprétation de l'artiste interdit toute altération ou dénaturation. Or, dans la mesure où l'insertion d'oeuvres dans des compilations est de nature à en altérer le sens, elle nécessite une autorisation spéciale et ne peut être unilatéralement décidée par le producteur.

2. Utilisation équilibrée du droit moral de l'artiste interprète comme limite à l'exploitation de son oeuvre

  • Une solution satisfaisante

La justification nouvelle, portant sur le contenu du droit au respect, et non sur son caractère, est pleinement satisfaisante.

Elle permet, en premier lieu, de mettre un terme aux critiques qui entouraient la solution que la Haute juridiction avait retenue au moment où l'affaire s'était, pour la première fois, présentée devant elle. En invoquant l'indisponibilité du droit moral, et partant en prohibant les clauses générales et préalables de cession de droits, la Haute juridiction mettait un frein à la libre exploitation de l'oeuvre puisqu'elle permettait corrélativement à l'auteur, même s'il avait aliéné contractuellement son droit de le revendiquer et d'empêcher le producteur, de le modifier (Cass. civ. 1, 7 février 1973, n° 71-11513, SA Les Productions Fox Europa c/ Luntz, Société des réalisateurs de films, publié N° Lexbase : A4178CGT, D. 1973, jurispr. p. 362, note B. Edelman).

Deux problèmes résultaient, en outre, de l'interdiction des clauses préalables et générales de cession. D'une part, cette solution faisait dépendre la détermination des clauses licites et des clauses interdites de chaque espèce. Une telle approche, en raison de son pragmatisme, n'est pas très protectrice du salarié, et dans un domaine aussi complexe que la propriété intellectuelle, est particulièrement dangereuse.

D'autre part, cette solution limite l'interdiction aux clauses préalables et générales, ce qui laisse l'auteur libre de consentir des atteintes spécifiques. Or, le caractère d'inaliénabilité est attaché à un droit ou ne l'est pas ; il ne peut, en principe, aucunement être partiel.

La terminologie retenue par la Haute juridiction, et notamment la notion d'inaliénation, pêche, en outre, par son caractère excessif. Il semblait, eu égard à l'espèce commentée, plus juste de préférer à la notion d'"aliénation" celle de "paralysie du droit moral".

Plus gravement, le fondement direct retenu par la Haute juridiction n'était pas opportun. Plus qu'une atteinte au droit au respect il y avait, dans cette espèce, atteinte à l'esprit de l'interprétation qui se trouve attaquée par la coexistence, sur un même support, de choses immatérielles différentes, ce qui est de nature à heurter les droits extra-patrimoniaux.

La justification retenue au soutien de la solution rendue par la Haute juridiction venait, en second lieu, contredire l'orientation prise par la jurisprudence dans le domaine du droit moral de l'auteur. Alors qu'elle limitait, dans l'espèce du 10 juillet 2002, les atteintes portées au droit moral de l'artiste interprète, elle permettait corrélativement aux auteurs d'autoriser par contrat leur cocontractant à modifier discrétionnairement les paroles de leurs chansons à des fins publicitaires (CA Paris, 4ème ch., 28 juin 2000, RIDA janv. 2001, n° 187, p. 326).

Tous ces éléments critiques attachés à la première solution rendue par la Cour de cassation portaient sur le fondement donné à la protection du droit moral. La justification retenue dans la décision commentée supprime toutes ces critiques et permet d'inscrire le respect de l'interprétation comme principe général de protection du droit moral de l'artiste.

  • Consécration du droit au respect de l'interprétation comme protection du droit moral

La Haute juridiction vient finaliser la place de l'interprétation dans la protection du droit moral de l'artiste interprète. Le respect dû à l'interprétation de l'artiste devient ainsi un principe général de protection du droit moral. Non seulement, en effet, la Haute juridiction lui donne une place de choix dans la décision commentée puisque ce nouveau principe compose, à lui seul, l'attendu de principe attaché à l'arrêt mais, également, elle rejoint une tendance plus générale qui se dessine depuis quelque temps maintenant et qui consiste à retenir le respect de l'interprétation comme élément permettant de sanctionner toute violation du droit moral.

Elle vient, ici, consacrer et légitimer la place que les juges du fond avaient fait à cette notion. Pour ces derniers, le respect de l'interprétation constitue l'arme principale utilisée par la jurisprudence pour contrer les clauses contractuelles de cession de droits (TGI Paris, 10 janvier 1990, D. 1991, p. 206, note B. Edelman) qui restent corrélativement, par principe, valables.

Les rapports principe exception étant respectés, la solution ne peut qu'être approuvée.

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Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - janvier/février 2006 (1ère partie)

Lecture: 16 min

N4683AKN

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours des deux premiers mois de cette année 2006. L'application de la loi de sauvegarde des entreprises dans le temps, le régime de la revendication, ou encore l'action en comblement de passif, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - janvier/février 2006 (2ème partie) N° Lexbase : N5998AKD).
  • Application de la loi de sauvegarde des entreprises dans le temps et procédure de redressement judiciaire à titre personnel (Cass. com., 4 janvier 2006, n° 04-19.868, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1224DMB)

La loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845, 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) est, par principe, applicable aux procédures ouvertes à compter du 1er janvier 2006. Toutefois, certaines dispositions sont applicables, dès la publication de la loi du 26 juillet 2005 au Journal officiel, soit le 27 juillet 2005, aux procédures ouvertes antérieurement. D'autres dispositions, plus nombreuses, sont applicables depuis le 1er janvier 2006 à des procédures ouvertes antérieurement. Il en est ainsi de certaines dispositions intéressant les sanctions. L'occasion a déjà été donnée dans ces colonnes d'évoquer l'application de loi du 26 juillet 2005 à des mesures d'interdiction de gérer prononcées sous l'empire de législations antérieures, en l'occurrence la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8). Une nouvelle difficulté d'application des dispositions transitoires se présente, ici, avec la question de savoir si la loi nouvelle s'applique lorsqu'une procédure de redressement judiciaire à titre de sanction est prononcée contre un dirigeant, alors que l'exécution provisoire de cette décision a été arrêtée dans le cadre d'un appel interjeté à son encontre ?

A cette question, la Cour de cassation, s'appuyant sur l'article 192 de la loi du 26 juillet 2005, répond que "les procédures ouvertes en vertu de l'article L. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L3851HBA), dans sa rédaction antérieure à cette loi, ne sont pas affectées par son entrée en vigueur ; il s'ensuit que la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ouverte, à titre de sanction, contre un dirigeant social par une décision prononcée antérieurement au 1er janvier 2006, fût-elle frappée de voies de recours, continue d'être régie par les dispositions du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi précitée, peu important que l'exécution provisoire ait été, le cas échéant, arrêtée".

Cet arrêt est important, comme en atteste les mentions de publication de la Cour de cassation (P+B+I+R). Toute réforme des procédures collectives s'accompagne nécessairement d'une cohorte de problèmes liés à l'application de la législation nouvelle dans le temps, qui sont nécessairement les premières questions que fait naître la loi nouvelle. A certains égards, la législation nouvelle est beaucoup plus douce que la précédente, et, notamment, dans le régime des sanctions civiles et patrimoniales. La tentation est grande de raisonner comme en matière pénale et de considérer que la loi nouvelle plus douce à vocation à régir la situation qui nous occupe. Sanction civile n'est cependant pas sanction pénale. Seul un texte particulier peut donc venir déroger au principe selon lequel la loi nouvelle n'a vocation à régir que les procédures ouvertes à compter de son entrée en vigueur, c'est-à-dire, en l'occurrence, le 1er janvier 2006.

La loi du 26 juillet 2005 a créé, en substitut à la sanction que constitue le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel, l'obligation aux dettes sociales. Par cette sanction, il s'agit de faire supporter au dirigeant condamné tout ou partie des dettes sociales, sans pour autant placer ce dirigeant sous procédure collective, comme le faisait la législation précédente. Or, cette sanction de l'obligation aux dettes sociales peut être prononcée contre le dirigeant de la personne morale pour toute procédure ouverte contre les personnes morales à partir de l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 (loi 26 juillet 2005, art. 191-5°), c'est-à-dire le 27 juillet 2005. Mais, pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il que le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel n'ait pas été prononcé contre le dirigeant avant le 1er janvier 2006. En effet, selon l'article 192 de la loi du 26 juillet 2005, les procédures ouvertes à titre de sanction ou au titre de la solidarité avec le débiteur ne sont pas affectées par l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises. Ainsi, dès lors qu'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à titre personnel a été ouverte contre le dirigeant avant le 1er janvier 2006, l'article 191-5° de la loi du 26 juillet 2005 est sans application. Il est donc impossible de condamner le dirigeant à l'obligation aux dettes sociales.

L'article 192 de la loi du 26 juillet 2005 n'exige pas que la décision prononçant le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel soit devenue définitive. Il vise seulement les "procédures ouvertes à titre de sanction". Peu importe, donc, que la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à titre personnel soit frappée d'appel. Est tout aussi indifférent le fait que l'exécution provisoire de la décision ait été arrêtée. La discussion pouvait néanmoins exister sur ce point, dans la mesure où, si l'exécution provisoire de la décision est arrêtée, il est possible de soutenir que la procédure à titre de sanction n'a pas été ouverte...

P.-M. Le Corre

  • Poursuite d'un associé de société civile immobilière sous procédure collective (Cass. com., 6 décembre 2005, n° 04-14.352, Société Négociation achat de créances contentieuses (NACC) c/ Société Promofi, F-D N° Lexbase : A9212DLR)

Selon l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), "à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements". L'article 1858 du Code civil (N° Lexbase : L2055ABQ) complète la solution en indiquant que "les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale". Comment, dans ces conditions, coordonner le droit de poursuite à l'encontre d'un associé d'une société civile immobilière avec la procédure collective atteignant cette dernière ?

Cette préoccupation est au coeur d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Dans cette affaire, la société civile immobilière Vega, comptant au nombre de ses associés la société Promofi, est déclarée en liquidation judiciaire. Après avoir déclaré sa créance et attendu plus de quatre années, la société Nacc demande que la société Promofi soit condamnée à lui payer une somme proportionnelle au montant de sa participation dans le capital social. Sa demande ne sera pas reçue par les juges du fond. Elle forme un pourvoi que la Cour de cassation va, sans surprise, rejeter en ces termes : "si l'exercice des poursuites contre les associés n'est pas subordonné à la clôture de la procédure collective ouverte à l'égard de la société, il appartient au créancier d'établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser ; [qu']en l'espèce, ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Nacc justifie que divers actifs ont été réalisés et déduits de la dette de la société Véga mais ne justifie pas qu'il n'existe plus d'actifs à réaliser et qu'aucun document ne permet de justifier de l'insuffisance du patrimoine social pour couvrir la créance dont le paiement est sollicité ; la cour d'appel a pu [...] décider que la société Nacc n'était pas recevable dans sa demande".

Cet arrêt est intéressant, non pas tant par la nouveauté qu'il introduirait que par les utiles précisions apportées à la recevabilité de l'action d'un créancier d'une société civile immobilière contre les associés de cette dernière.

D'une façon bien classique d'abord, la Cour de cassation réaffirme que la poursuite de l'associé d'une société civile présuppose que le créancier établisse l'insuffisance du patrimoine social pour le désintéresser (Cass. civ. 3, 6 janvier 1999, n° 97-10.645, Société Alain Chevalier Conseil c/ M. Travert et autres, publié N° Lexbase : A2757CG9, Bull. civ. III, n° 5 ; Petites affiches, 11 mars 1999, n° 50, p. 5 ; Bull. Joly 1999, n° 94, 455, note P. Le Cannu). Il a déjà été jugé que le fait que la société civile ait été déclarée en liquidation judiciaire est insuffisant à caractériser l'insuffisance du patrimoine social pour payer la dette (Cass. civ. 3, 18 juillet 2001, n° 00-11.798, M. Alain Lizé c/ Société Sogefimur, Act. proc. coll. 2001/15, n° 192, obs. J. Vallansan). La solution est logique, puisque la liquidation judiciaire connaît deux formes de clôture : pour insuffisance d'actif, mais aussi pour extinction du passif. Même si la seconde variété de clôture ne correspond statistiquement qu'à 2 % des hypothèses, elle ne peut être exclue ab initio, c'est-à-dire dès le prononcé de la liquidation judiciaire.

Si donc le prononcé de la liquidation judiciaire ne peut suffire à rendre recevable la poursuite par le créancier social de l'associé de la société civile, le créancier n'a, toutefois, pas l'obligation d'attendre la clôture, ce que précise ici la Cour de cassation. Indiquons que, s'il le fait, sa poursuite contre l'associé demeure possible, l'interdiction de principe pour un créancier antérieur de reprendre son droit de poursuites individuelles contre le débiteur étant strictement personnelles à ce dernier. Elle profite donc pas à l'associé d'une société civile immobilière, pas plus qu'elle ne profiterait à une caution ou un codébiteur.

Entre l'ouverture de la liquidation judiciaire et sa clôture, il existe toute une gamme de situations pouvant se présenter. Ce qui importe, pour le créancier, est qu'il établisse d'une manière indiscutable que l'actif social sera insuffisant pour le payer. L'actif d'une société civile immobilière, le plus souvent, n'est constitué que d'un immeuble. Le créancier versera aux débats une expertise établissant que la vente de l'immeuble ne lui permettra pas d'être payée. Il ne sera pas exigé, en revanche, du créancier social qu'il établisse que tout l'actif a déjà été réalisé. Certes, il est fait état, dans la présente espèce, du fait que le créancier ne justifiait pas qu'il n'existait plus d'actif à réaliser. Mais, en réalité, cet élément n'est pas nécessaire. Ce qui importe fondamentalement, comme il est relevé en l'espèce, est "qu'aucun document ne permet de justifier de l'insuffisance du patrimoine social pour couvrir la créance dont le paiement est sollicité".

Ainsi, pour que le créancier social puisse poursuivre l'associé d'une société civile immobilière, il faut, mais il suffit, qu'il démontre que la réalisation des actifs de la société civile immobilière ne permettra pas d'assurer le paiement de sa créance. La loi de sauvegarde n'a strictement rien changé aux données de cette question.

P.-M. Le Corre

  • La computation des délais de prescription de l'action en comblement de passif (Cass. com., 10 janvier 2006, n° 04-10.482, M. Jean-Michel Caillet c/ Société civile professionnelle (SCP) Eric Margottin et Franklin Bach, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3397DMR)

Aux termes de l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3982HB4), "l'action [en comblement de passif] se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire". Pour sa part, l'article 642 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2907ADZ) prévoit que "tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures. Le délai qui expliquerait normalement un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé, et proroger jusqu'au premier jour ouvrable suivant". Comment coordonner ces deux dispositions ? Plus précisément, la prorogation du délai expirant un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé est-elle applicable à l'assignation en comblement de passif ? C'est à cette question que répond, dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation, dans un arrêt de sa Chambre commerciale, appelé à la plus grande diffusion possible.

En l'espèce, le liquidateur d'une société avait assigné, le 25 juin 2001, le dirigeant de celle-ci placé en liquidation judiciaire le 24 juin 1998. Trois ans et un jour s'étaient donc écoulés entre le jugement de liquidation judiciaire de la société débitrice et la délivrance de l'assignation en comblement de passif à son dirigeant. Le liquidateur a tenté de plaider que le délai de l'action en comblement de passif était prorogé jusqu'au 25 juin 2001 car le 24 juin 2001 était un dimanche. Il a été suivi en cela par la cour d'appel. La Cour de cassation va censurer, par un arrêt délibérément de principe, en ces termes la décision de la cour d'appel : "attendu que, selon le premier de ces textes (C. civ., art. 2261 N° Lexbase : L2547ABX), la prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli ; que l'article 642 du Nouveau Code de procédure civile ne s'applique pas au délai de prescription prévu par le second (C. com., art. L. 624-3)".

Précisons que la solution posée sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises conserve son actualité depuis cette loi, sous réserve que, désormais, l'article L. 651-2, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3792HB3) prévoit que l'action se prescrit dans le même délai "à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ou la résolution du plan".

La Cour de cassation refuse ainsi de considérer que l'allongement de l'article 642 du Nouveau Code de procédure civile s'applique au délai de prescription de l'action en comblement de passif. La solution est justifiée par l'énoncé d'un principe général selon lequel l'article 642 du Nouveau Code de procédure civile ne s'applique pas au délai de prescription de l'action.

Cet arrêt est important. Certes, la solution selon laquelle les articles 640 et suivants du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2905ADX) ne s'appliquent pas aux délais de prescription, mais seulement aux délais de procédure, n'est pas nouvelle. Elle a été clairement posée en doctrine ( Th. Le Bars, Dies ad quo et dies ad quem, JCP éd. E 2000, I, 258). Mais c'est la première fois qu'elle est posée avec autant de netteté par la Cour de cassation. On remarquera, en effet, que, jusqu'alors, la solution n'était qu'implicite, la Cour de cassation n'appliquant pas les articles 640 et suivants aux délais de prescription sans affirmer le principe.

Les délais de procédure sont ceux pendant l'écoulement desquels l'intéressé doit agir. En notre matière, il en est ainsi, par exemple, des délais de déclaration de créance. Il n'est dès lors pas étonnant de voir la Cour de cassation affirmer que l'article 642 du Nouveau Code de procédure civile s'applique aux délais de déclaration de créance, de sorte que si le délai de déclaration de créance expire un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé, le créancier pourra encore déclarer sa créance le premier jour ouvrable suivant (Cass. com., 17 février 1998, n° 95-18.686, M. Soinne, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Bessard c/ Société Batinorest et autres N° Lexbase : A2412ACC, JCP éd. E, 1998, pan. 587, D. Affaires 1998, p. 429).

Au contraire, les délais de prescription sont ceux à l'expiration desquels l'intéressé ne pourra plus agir. L'on voit, en l'espèce, la Cour de cassation viser l'article 2261 du Code civil, texte selon lequel "[la prescription] est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli".

Cette distinction est, certes, conceptuellement intéressante. Il n'en demeure pas moins qu'elle renferme une large part d'artifice. Pour s'en convaincre, il suffit de raisonner sur le délai qui nous intéresse en l'espèce. Si l'article L. 624-3 du Code de commerce, au lieu de poser la règle sous forme de délai de prescription l'énonce à la manière d'un délai de procédure pour que la solution change. Ainsi, l'article L. 624-3 du Code de commerce aurait-il tout aussi bien pu disposer "le tribunal doit être saisi de l'action en comblement de passif dans le délai trois ans à compter du prononcé du jugement de liquidation judiciaire". En ce cas, l'article 642 du Nouveau Code de procédure civile aurait été, à notre sens, applicable. N'est-ce pas un peu subtil, au regard de la nécessaire intelligibilité du droit ?

P.-M. Le Corre

  • La suspension de la clause résolutoire d'un bail commercial en cas de non-paiement des loyers du bail pendant la liquidation judiciaire (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-16.255, M. Marc Leray, mandataire judiciaire c/ Société civile immobilière (SCI) La Porte du Gers, FS-P+B N° Lexbase : A1211DMS)

La continuation du bail des locaux professionnels en cas de redressement ou de liquidation judiciaire du preneur obéit, dans ses grandes lignes, aux règles générales de continuation des contrats en cours. La solution ne fait guère de difficulté, du moins sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises. La loi du 26 juillet 2005, au contraire, a déjà fait couler de l'encre sur le point de savoir si le mécanisme de l'option sur la continuation des contrats en cours est applicable au bail des locaux professionnels (Sur la question, v. B. Saintourens, Le régime du bail commercial après la réforme des procédures collectives, Loyers et copropriété, 2005/10, n° 11, p. 7, sp. p. 8). En tout cas, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'attention la plus grande est portée sur les mécanismes de résiliation du bail commercial. Un dispositif particulier est posé en liquidation judiciaire, qui doit cependant être combiné avec celui existant en redressement judiciaire. La décision rapportée illustre l'une de ces difficultés.

En l'espèce, M. S. est placé en liquidation judiciaire. Son liquidateur obtient du juge-commissaire une prorogation du délai d'avoir à opter sur la continuation du bail. Pendant cette période, le liquidateur ne paye pas les loyers du bail et le bailleur lui délivre un commandement visant la clause résolutoire. Le juge-commissaire autorise la cession du fonds de commerce. Dans ce contexte, le liquidateur tente d'obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire. Les juges du fond vont rejeter sa prétention, pour divers motifs. La question qui se posait était ainsi de savoir si, dans le cadre d'une liquidation judiciaire, après délivrance du commandement de payer, il était possible au président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés d'accorder au liquidateur une suspension des effets de la clause résolutoire. De manière très radicale, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi en énonçant que "le juge saisi d'une demande de délais avec suspension des effets de la clause résolutoire dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour refuser de suspendre une telle clause en application de l'article L. 145-41, alinéa 2, du Code de commerce".

Ainsi, le dispositif de l'article L. 145-41, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII), qui autorise les juges saisis d'une demande tendant à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire, à accorder les mesures prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW), a vocation à s'appliquer même en situation de liquidation judiciaire. Il n'est donc pas dérogé au droit commun, la solution étant logique, faute de texte contraire. Mais, puisqu'il y a lieu d'appliquer le droit commun, il faut immédiatement reconnaître au juge saisi d'une demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire la faculté discrétionnaire d'accorder les délais de grâce. La solution énoncée par la Cour de cassation ne peut donc surprendre.

La seule lecture des textes du droit des procédures collectives permet d'envisager une autre voie pour faire constater l'acquisition de la résiliation du bail des locaux professionnels. En effet, l'article 61-1 du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5351A4X) prévoit que "le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus au premier et troisième alinéas de l'article L. 621-28 (N° Lexbase : L6880AIN) et à l'article L. 621-29 du Code de commerce (N° Lexbase : L6881AIP), ainsi que la date de cette résiliation". Ce texte du redressement judiciaire est applicable en liquidation judiciaire, car l'article L. 622-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L7008AIE), qui s'intéresse spécifiquement à la résiliation du bail des locaux professionnels en situation de liquidation judiciaire, rend applicables les dispositions de l'article L. 621-29 du Code de commerce. Ainsi, le bailleur peut-il faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement de loyers postérieurs au jugement d'ouverture en saisissant le juge-commissaire par une requête. En ce cas, il n'a pas à faire délivrer au liquidateur le commandement de payer visant la clause résolutoire. Le droit commun des baux commerciaux est alors écarté.

Mais la Chambre commerciale de la Cour de cassation a admis l'option de compétence au profit du bailleur, lequel peut donc utiliser, soit les dispositions spéciales régissant les procédures collectives pour obtenir le constat de la résiliation du bail, c'est-à-dire la saisine du juge-commissaire, soit la voie du droit commun des baux commerciaux, en se soumettant alors à toutes les contraintes de celui-ci.

On remarquera, en l'espèce, que le bailleur avait utilisé la technique du droit commun pour obtenir le constat de l'acquisition de la clause résolutoire, c'est-à-dire la voie du commandement de payer visant la clause résolutoire avec saisine du juge compétent, à savoir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés. Il y a incontestablement un risque pour le bailleur qui peut voir sa démarche paralysée par l'octroi de délais de grâce. Au contraire, il nous semble que s'il utilise la voie de la saisine du juge-commissaire, les délais de grâce ne peuvent être accordés par ce dernier car il n'est pas, à notre sens, au pouvoir du juge-commissaire d'octroyer de telles mesures. La Cour de cassation a, en tout cas, jugé que le juge-commissaire ne peut, sans excéder ses pouvoirs, accorder au débiteur des délais de grâce pour permettre au liquidateur de vendre le fonds de commerce, l'article L. 145-41 du Code de commerce n'autorisant les délais de grâce que pour régler les causes du commandement de payer visant la clause résolutoire (Cass. civ. 3, 9 mars 2005, n° 02-13.390, Société civile immobilière (SCI) Florence c/ M. Vincent Aussel, FS-P+B N° Lexbase : A2466DHS, Dr. et procédures 2005/4, p. 215, note R.-N. Schütz ; JCP éd. E, 2005, chron. 863, p. 964, n° 37, obs. J. Monéger).

P.-M. Le Corre

Pour la 2ème partie de cet article, lire (N° Lexbase : N5998AKD)

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences des Universités
Enseignante du master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon

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Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - janvier/février 2006 (2ème partie)

Lecture: 7 min

N5998AKD

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours des deux premiers mois de cette année 2006. L'application de la loi de sauvegarde des entreprises dans le temps, le régime de la revendication, ou encore l'action en comblement de passif, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - janvier/février 2006 (1ère partie) N° Lexbase : N4683AKN).
  • Revendication - demande en acquiescement - acquiescement dans le délai du mois (non) acquiescement dans le délai imparti pour saisir le juge-commissaire (oui) - absence de nécessité de saisir le juge-commissaire (Cass. com., 7 février 2006, n° 04-11.867, FS-P+B N° Lexbase : A8410DMG)

Le législateur du 10 juin 1994 a institué, en matière de revendication, une procédure en deux temps à laquelle doit impérativement se plier le propriétaire dont le contrat n'est pas publié (Sur les deux étapes, v. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, n° 813-51 et s., Dalloz Action, 2ème éd., à paraître en mars 2006). Ce dernier doit, dans un premier temps, présenter, dans un délai de trois mois, une demande en acquiescement de revendication à l'administrateur, à défaut, au représentant des créanciers ou au liquidateur. Le point de départ de ce délai court du jour de la publication du jugement d'ouverture de la procédure au BODACC ou, si le bien fait l'objet d'un contrat en cours lors de l'ouverture de la procédure, dans le délai de trois mois à compter de la résiliation ou du terme du contrat (C. com., art. L. 621-115 N° Lexbase : L6967AIU, issu de la loi du 10 juin 1994). L'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5382A44), dans la rédaction que lui a donnée le décret du 21 octobre 1994, précise qu'à défaut d'acquiescement du mandataire dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande en revendication, le propriétaire doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire dans un délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse du mandataire. Cette deuxième démarche doit-elle être effectuée dans l'hypothèse où le mandataire ne répondrait pas dans le délai du mois à compter de la réception de la demande en acquiescement mais acquiescerait ultérieurement, à l'intérieur du délai d'un mois dont dispose le propriétaire pour saisir le juge-commissaire ? C'est la question à laquelle répond la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une société, ultérieurement objet d'une procédure de liquidation judiciaire, avait revendu des biens qui lui avaient été vendus avec clause de réserve de propriété. Le propriétaire des matériels avait présenté au liquidateur judiciaire, le 17 novembre 1999, une demande en revendication du prix resté impayé. Le mandataire n'y répondait pas immédiatement et n'acquiesçait finalement à cette demande que le 5 janvier 2000. Fort de cet acquiescement, le propriétaire assignait ensuite le sous-acquéreur en paiement du solde du prix. Afin de s'opposer à cette prétention, le sous-acquéreur, suivi en cela par la cour d'appel, soutenait que le propriétaire n'avait pas saisi le juge-commissaire dans le délai du mois à compter de l'expiration du délai de réponse du mandataire de justice et, qu'en conséquence, le propriétaire était forclos en son action en revendication. Sur le pourvoi formé par le propriétaire revendiquant, la Chambre commerciale, par un arrêt de cassation du 7 février 2006, indique que la forclusion attachée à l'absence de saisine du juge-commissaire ne pouvait plus être opposée au propriétaire revendiquant dès lors que le liquidateur judiciaire avait porté à la connaissance du propriétaire son acquiescement dans le délai dont dispose ce dernier pour saisir le juge-commissaire.

Cette position prise par la Cour de cassation ne peut être qu'approuvée. Elle est, d'une part, empreinte d'un bon sens évident et est, d'autre part, conforme aux dispositions de l'article L. 621-123 du Code de commerce (N° Lexbase : L6975AI8), applicable en l'espèce.

Certes, l'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985 prévoit qu'à défaut d'acquiescement du mandataire dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande, le demandeur doit saisir le juge-commissaire dans un délai identique à compter de l'expiration du délai de réponse du mandataire. Cependant, dès lors que le mandataire de justice acquiesce dans ce délai imparti au propriétaire pour saisir le juge-commissaire, la saisine de ce dernier devient totalement inutile. Dès lors, il aurait été absurde de contraindre le propriétaire à saisir le juge-commissaire d'une difficulté qui n'existe plus...

En outre, article L. 621-123 du Code de commerce prévoit que "[...] le liquidateur peut acquiescer à la demande en revendication [...]. A défaut d'accord ou en cas de contestation, la demande est portée devant le juge-commissaire [...]". Dès lors que l'accord est intervenu, la demande n'a, fort logiquement, plus à être portée devant le juge-commissaire. En effet, à l'intérieur du délai d'action, la saisine du juge-commissaire devenait inutile.

Cette solution est transposable sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005. En effet, l'article 114 du décret du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET) prévoit, en son alinéa 2, dans une rédaction voisine de celle de l'article 85-1 du décret du 27 décembre 1985, que, "à défaut d'acquiescement dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande, le demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire au plus tard dans un délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse". Il peut, cependant, être souligné que l'article L. 624-17 du Code de commerce, issu de la rédaction que lui a donnée la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L4089HB3), prévoit qu'il appartient désormais à l'administrateur ou, à défaut, au débiteur après accord du mandataire judiciaire d'acquiescer à la demande en revendication. Le propriétaire devra donc veiller à ce que le débiteur qui acquiesce à la demande en revendication ait effectivement préalablement obtenu l'accord du mandataire de justice. A défaut, l'acquiescement du débiteur seul ne vaudrait pas acquiescement régulier, de sorte que le propriétaire devrait alors saisir le juge-commissaire dans le délai de l'article 114 du décret du 28 décembre 2005, soit dans le délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse.

E. Le Corre-Broly

  • Revendication - délai de présentation de la demande en acquiescement - inapplication de l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile (Cass. com., 7 février 2006, n° 04-19.342, F-P+B N° Lexbase : A8470DMN)

La demande en acquiescement de revendication doit être adressée dans le délai de l'article L. 621-115 du Code de commerce (N° Lexbase : L6967AIU) (anct L. 25 janv. 1985, art. 115, devenu C. com., art. L 624-9 depuis la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3777HBI), c'est-à-dire trois mois. Il s'agit d'un délai préfix. Il résulte des règles de la procédure civile que, lorsque l'une des parties au procès demeure dans un lieu éloigné du siège de la juridiction saisie, certains délais sont augmentés en raison de distance (V. not. Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action 2002, nº 127). L'article 643 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2909AD4) prévoit ainsi que, "lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés d'un mois pour les personnes qui demeurent dans un département d'outre-mer ou dans un territoire d'outre-mer, deux mois pour celles qui demeurent à l'étranger". Cette disposition est-elle applicable au délai de la demande en acquiescement de revendication ? Un arrêt de la Chambre commerciale la Cour de cassation en date du 7 février 2006 statue sur la question.

En l'espèce, une société avait été mise en redressement judiciaire par jugement du 9 janvier 2001, publié le 31 janvier. Par lettre en date du 23 mai 2001, alors que le délai de l'article L. 621-115 du Code de commerce était expiré depuis une vingtaine de jours, une société de droit belge avait revendiqué certaines marchandises auprès de l'administrateur judiciaire. A défaut d'acquiescement, le revendiquant avait saisi le juge-commissaire, lequel faisait droit la demande en revendication. Le tribunal, statuant sur l'opposition formée à l'encontre de l'ordonnance du juge -commissaire, suivi en cela par la cour d'appel, a déclaré irrecevable la demande en revendication comme étant tardive. Se pourvoyant en cassation, la société de droit belge soutenait que l'augmentation des délais prévus à l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile s'appliquait dans tous les cas où il n'y est pas expressément dérogé et, qu'en conséquence, elle devait s'appliquer à la demande en acquiescement de revendication portée devant l'administrateur, dès lors que cette procédure préliminaire constitue une étape préalable obligatoire à la requête en revendication présentée devant le juge-commissaire. Insensible à cette argumentation, la Chambre commerciale a rejeté le pourvoi, jugeant que "la prorogation de délais prévus par l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile ne s'applique pas au délai de trois mois imparti par l'article L. 621-115 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, pour saisir le mandataire de justice d'une demande en revendication d'un bien". Cet arrêt est dans la droite ligne de la position adoptée par les juridictions du fond (CA Montpellier, 30 janvier 1990, Rev. proc. coll. 1991, 234, obs. B. Soinne ; CA Dijon, 1ère ch., sect. 2, 10 décembre 1996, Rev. proc. coll. 1997, 328, n° 31). Cette solution doit être approuvée : l'allongement des délais de distance prévu par les articles 642 (N° Lexbase : L2907ADZ) et 643 du Nouveau Code de procédure civile ne peut, en effet, pas trouver à s'appliquer, car le délai de revendication n'est pas un délai de recours ou de comparution.

La position de la Cour de cassation adoptée ici en matière de demande en acquiescement de revendication est également conforme à la position qu'elle avait adoptée en matière de requête en revendication. Pas plus qu'en matière de demande en acquiescement, la demande en revendication présentée au juge-commissaire ne permet le jeu de l'article 643 du Nouveau Code de procédure civile offrant l'allongement du délai d'un mois pour les personnes domiciliées dans les Dom-Tom, de deux mois pour celles domiciliées à l'étranger, car le délai de présentation de la requête en revendication ne constitue pas davantage un délai de comparution (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 03-11.876, FS-P+B N° Lexbase : A4828DD8, D. 2004, AJ p. 2715 ; D. 2005, pan. p. 298, obs. P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2005, chron. 31, p.31, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2004/17, n° 210, note P.-M. Le Corre).

E. Le Corre-Broly

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences des Universités
Enseignante du master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon

newsid:85998

[Jurisprudence] Promesse de porte-fort, engagement accessoire ou engagement autonome ?

Réf. : Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.217, M. Pascal Boissy c/ Société NV Sanac Belgium, F-P+B+R (N° Lexbase : A9178DLI)

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N4712AKQ

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Le 07 Octobre 2010

"On ne peut, en général, s'engager [...] en son propre nom que pour soi-même" (C. civ., art. 1119 N° Lexbase : L1207ABC). La promesse pour autrui serait donc prohibée sauf exceptions. L'une d'elle est la promesse de porte-fort. Elle fait l'objet d'une disposition lapidaire dans le Code civil : celle de l'article 1120 du même code (N° Lexbase : L1208ABD). Selon elle, "on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci [...]". Il s'agit, ici, d'un engagement pour autrui. Mais, la fonction et la technique même de cet engagement ne sont pas pour autant précisées. Sa finalité première est certes connue : faire en sorte que le tiers ratifie la promesse que lui-même a faite au bénéficiaire. C'est aussi, en amont, un instrument destiné à faciliter la conclusion d'un acte juridique par une personne dépourvue de pouvoir. Cette promesse pourrait bien être, aussi, une garantie souscrite par le promettant d'exécution de l'engagement par autrui. C'est donc un engagement personnel : la promesse qu'autrui ratifiera ou exécutera une obligation entérinée. Cette obligation de résultat pèse sur le promettant et va bien au-delà de la seule obligation de moyens par laquelle le promettant s'engage à faire tout son possible pour qu'autrui contracte (V. Cass. civ. 3, 7 mars 1978, n° 76-14534, SA Vitrilux c/ Consorts Chavagneux N° Lexbase : A4367CGT, Bull civ. III, n° 108).

Le tiers n'est donc pas engagé par cette promesse. Il en est simplement bénéficiaire et n'est engagé réellement qu'au jour où il ratifie l'acte et/ou il l'exécute.

L'utilisation du porte-fort peut, néanmoins, être plus étendue et garantir l'exécution de l'obligation ratifiée par le tiers (V. en ce sens, Cass. civ. 1, 18 avril 2000, n° 98-15.360, Société Pneus station Marceau Legros et Cie c/ M. Girodie N° Lexbase : A1446AXT, Bull civ. I, n° 115). Ce porte-fort trouverait alors une terre d'élection dans le paysage français des sûretés personnelles.

C'est ce que laisse entendre la Cour de cassation par cette décision du 13 décembre 2005 : "celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d'un engagement est tenu d'une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l'exécution d'un engagement par un tiers s'engage accessoirement à l'engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l'exécute pas lui même".

Le porte-fort a donc plusieurs visages :

- L'engagement du porte-fort peut consister en la promesse qu'un tiers signera un engagement. C'est le porte-fort "ratification" tel qu'il ressort d'une lecture exégétique de l'article 1120 du Code civil (N° Lexbase : L1208ABD).
Cet engagement se retrouve parfois dans les clauses de substitution de certaines cessions de fonds de commerce comme l'illustre parfaitement la décision du 13 décembre dernier. Il est précisé que le promettant se substitue au tiers-cessionnaire pour signer un certain nombre d'actes, le cessionnaire, personne morale, étant au jour de la cession en cours de constitution et donc dépourvu de pouvoir ;

- Une fois l'engagement du tiers ratifié, le porte-fort pourrait aussi, selon ses termes, garantir l'exécution de l'engagement par le tiers. Ce port-fort "exécution" porterait alors sur l'exécution d'un engagement et aurait la nature d'une garantie d'exécution.

C'est ainsi que dans la décision commentée, le promettant "s'était porté personnellement garant" de la parfaite exécution des engagements ratifiés par le tiers et notamment le paiement de certains fournisseurs et clients au titre de contrats se rattachant à l'exploitation du fonds cédé.

Mais, la Cour de cassation transforme alors ce porte-fort en engagement accessoire.

A s'arrêter au sens littéral des termes, le porte-fort d'exécution deviendrait un engagement accessoire et pourrait bien être un cautionnement...

Pourtant, le porte-fort est a priori un engagement autonome. Le même engagement pourrait alors selon son étendue changer de nature: le porte fort "ratification" demeurerait autonome alors que le porte fort "exécution" deviendrait accessoire.

A l'analyse, l'engagement du porte-fort "ratification" a toujours été de cette nature (V. en ce sens, Cass. civ. 1, 25 janvier 2005,  n° 01-15.926, F-P+B N° Lexbase : A2829DGU, Bull civ. I, n° 43). Le promettant ne peut se prévaloir d'une irrégularité affectant l'acte que le tiers est censé ratifier. La règle de l'opposabilité des exceptions ne saurait, en toute logique, s'appliquer (CA Douai, 2 décembre 1999, Banque et droit, sept-oct. 2000, p. 42).

Et, l'engagement du porte-fort "exécution" a, semble-t-il jusqu'à cette décision, conservé sa nature d'engagement autonome (V. en ce sens, M. Storck, JCL civ., art. 1120, Fasc. 7-B, n° 6). S'il devait s'analyser en une garantie, ce serait donc plutôt comme une garantie autonome. Il est effectivement totalement indépendant du contrat visé par la promesse.

Dès lors, la Cour de cassation a-t-elle réellement voulu modifier la nature de cet engagement dans la décision du 13 décembre 2005 ? Ou, de façon moins ambitieuse confirmer -ce qui était déjà souligné par la doctrine-, à savoir qu'une telle promesse, accompagnée d'une garantie d'exécution par le promettant des engagements à souscrire par le tiers, tendrait à épouser certaines caractéristiques d'une véritable sûreté (V. par exemple, Ph. Malaurie et L. Aynes, Droit civil, Les obligations, éd. Défrenois, 2004, n° 821) plus proche du cautionnement que de la garantie autonome.

Si cet engagement devient accessoire, la règle de l'opposabilité des exceptions trouve alors à s'appliquer et le porte-fort va en quelque sorte être assimilé ou même être substitué à un cautionnement par les tribunaux (V. en ce sens, Cass. civ. 1, 27 février 1990, n° 88-16.726, Consorts Albert c/ Pinto de Mota N° Lexbase : A9452C3H).

Ainsi assimilé, il risque de perdre alors tout son intérêt pratique.

En effet, à l'origine cet engagement d'exécution renforce la position du créancier, bien souvent déjà garanti par un cautionnement. Mais le créancier devient alors, si l'on s'en remet à l'attendu de principe du 13 décembre 2005, immédiatement affaibli par le caractère accessoire du porte-fort ; le promettant pouvant se prévaloir des irrégularités du contrat, objet de la promesse, pour se délier de son engagement.

Ce procédé n'est pas sans risque et le porte-fort d'exécution ne peut devenir un "ersatz" du cautionnement.

D'ailleurs, il est difficilement concevable que le promettant s'engage en cas d'inexécution par le tiers à se substituer à celui-ci.

L'obligation du porte-fort est une obligation de faire : le promettant s'engage à ce que le tiers ratifie ou exécute.

Cette obligation suit donc le régime juridique de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM), selon lequel "toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur".

Dès lors, si autrui n'exécute pas l'engagement, le promettant tenu d'une obligation de faire devra résoudre cette inexécution par l'allocation de dommages-intérêts versés au créancier. Il n'a pas lieu de se substituer au tiers pour exécuter son engagement. Il peut seulement indemniser le bénéficiaire de la promesse.

Mais cet engagement n'a pas non plus pour objectif le paiement de la dette du débiteur. L'engagement du porte-fort a pour objet, non le paiement d'une somme d'argent mais une obligation de faire qui, de notre avis, n'est pas soumise à l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT).

Par conséquent, le porte-fort d'exécution peut devenir une véritable sûreté mais doit rester autonome. Il serait plus proche de la garantie autonome. L'engagement du promettant doit conserver cette nature et ne peut en changer en fonction de la nature du fait juridique -ratification et/ou exécution- que le tiers doit accomplir.

C'est d'ailleurs en ce sens que s'est prononcée la première chambre civile dans un arrêt du 25 janvier 2005 (Cass. civ. 1, 25 janvier 2005, précité). La promesse de porte-fort d'exécution est toujours, pour elle, un engagement autonome.

Marie-Elisabeth Mathieu
Maître de conférences à l'Université d'Evry - Val d'Esssone
Membre du Centre de formation professionnelle notariale de Paris
JeantetAssociés

newsid:84712

Sociétés

[Textes] La gestion des dates dans les opérations de confusion de patrimoines

Réf. : Instruction du 30 décembre 2005, BOI 41-1-05 (N° Lexbase : X5010ADW)

Lecture: 18 min

N4845AKN

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par Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon, Consultant auprès du cabinet Bignon, Lebray & Associés

Le 07 Octobre 2010

Handicapée pendant longtemps par leur régime fiscal défavorable, les opérations de confusion de patrimoines, visées à l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM), ont acquis une place de choix dans la pratique des rapprochements d'entreprises. Depuis la loi de finances pour 2002 (loi n° 2001-1275, 28 décembre 2001 [LXB=L1042AWI ]), puis l'instruction administrative n° 41-1-03 du 7 juillet 2003 (N° Lexbase : X5337ABB), avec, en particulier, la possibilité sur le plan fiscal de donner un effet rétroactif à une telle opération, et le bénéfice du régime fiscal de faveur réservé aux opérations juridiquement qualifiées de fusion et de scission , le traitement fiscal, juridique et comptable des opérations de confusion de patrimoines, souvent appelés "TUP" présente en effet, pour l'essentiel, une sécurité et des avantages semblables à ceux d'une véritable opération de fusion soumise au régime simplifié (C. com., art. L. 236-11N° Lexbase : L6361AIG, art. L. 236-23 N° Lexbase : L6373AIU et art. L. 236-2 N° Lexbase : L6352AI4). Elles présentent même un degré de simplicité plus élevé puisqu'une confusion de patrimoines ne nécessite ni assemblée générale de la société confondante, ni rapport d'un commissaire aux apports désigné en justice, ni traité de fusion. Néanmoins, il demeure un point où les "TUP" pêchaient par un degré de complexité et de lourdeur plus élevé que les fusions : celui de la gestion des dates et de l'hétérogénéité de leur traitement fiscal, juridique, et comptable. Dans sa toute récente instruction du 30 décembre 2005, n° 41-1-2005, relative au traitement fiscal des restructurations, l'administration fiscale vient certes d'homogénéiser ce traitement mais, pour autant, un certain nombre de difficultés subsistent. Rappelons d'abord en quels termes se pose la problématique de la gestion des dates (I), avant de présenter les modifications qu'y apporte l'instruction du 30 décembre 2005 (II), puis d'analyser la nouvelle situation (III).

I - Le régime antérieur à l'instruction administrative n° 41-1-2005 du 30 décembre 2005

La prise en compte des dates d'une opération de dissolution-confusion est complexifiée par le décalage dans le temps de ses deux principaux effets juridiques :
- la dissolution de la société confondue ;
- la transmission universelle de son patrimoine à son associé unique, la société confondante.

Rappelons qu'une opération de confusion de patrimoines se caractérise par la dissolution de la société confondue suivie, à l'expiration d'une période minimale de trente jours à compter de sa publication légale, de la transmission universelle de son patrimoine à son associé unique, la société confondante.

En pratique, la réalisation d'une telle opération comporte, en ce qui concerne le positionnement des dates et la computation des délais, deux principaux types de difficultés :

- un plus grand nombre de dates à prendre en compte ;

- la dichotomie entre les dates d'effet fiscal, d'une part, et juridique et comptable, d'autre part.

A - Le nombre de dates à prendre en compte

Alors que, dans un régime de fusion, la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée est, sauf pour certains éléments de son patrimoine (notamment, brevets, marques, etc.) concomitante à sa dissolution (sans préjudice bien évidemment d'un effet rétroactif ou différé) et intervient au jour des assemblées générales des sociétés participant à l'opération et appelées à adopter le projet de fusion-absorption, dans une TUP, la dissolution et la transmission du patrimoine interviennent nécessairement à des dates différentes.

Plusieurs dates sont à prendre en compte :

  • Date de décision de dissolution de la société confondue

La date de décision de dissolution prise par son associé unique qui constate "[...] la réunion de toutes ses parts sociales en une seule main" (C. civ., art. 1844-5, al. 3) et prend les engagements fiscaux requis par l'article 210 A du Code général des impôts pour bénéficier du régime fiscal de faveur des fusions.

Une fois sa décision prise, l'associé ne peut revenir dessus, celle-ci étant irrévocable, quel que soit le sort ultérieur de la procédure d'opposition réservée aux créanciers (CA Paris, 5 juillet 2002, 3ème ch., sect. C, RJDA, 12 février 2002, n° 1278).

Telle est la raison pour laquelle l'administration fiscale considérait jusqu'ici que la date de réalisation de la confusion de patrimoines devait s'entendre de cette première date, alors même que la transmission du patrimoine était postérieure.

  • Date de publication de la décision de dissolution dans un journal d'annonces légales

C'est cette date qui fait courir le délai de trente jours réservé aux créanciers pour exercer leur droit d'opposition.

Bien que, fiscalement, la date de réalisation s'entendait de la date précédente, c'est néanmoins cette date qui fait courir le délai ultime de deux mois octroyé à la société confondue pour déposer sa déclaration de cession d'activité .

  • Date d'expiration du délai d'opposition de 30 jours  

Aux termes des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1844-5 du Code civil, c'est à cette date qu'intervient, sous réserve d'opposition, la transmission universelle du patrimoine de la société confondue et sa disparition.

Malgré sa dissolution au jour de la décision l'ayant constaté, la société conserve son existence juridique jusqu'à cette date.

Bien logiquement, et sous les mêmes réserves, c'est à cette même date que les écritures comptables doivent enregistrer le transfert à la confondante de l'ensemble des éléments tant actifs que passifs composant le patrimoine social de la confondue, en arrêtant, en particulier :

- le "faux" mali (ou boni) de confusion représentant l'écart négatif (ou positif) entre l'actif net reçu par la société confondante et la valeur comptable de cette participation dans ses immobilisations ;

- le résultat, déficitaire ou bénéficiaire, de la société confondue.

Alors que la disparition de la société confondue et la transmission de son patrimoine interviennent, sous les réserves exprimées, à la date d'expiration de ce délai de 30 jours, sur le plan fiscal, ces deux événements étaient réalisés au jour de la décision de dissolution.

Selon l'administration, les opérations intervenues entre la date de décision de dissolution et celle de disparition juridique de la confondue étaient fiscalement réputées réalisées par la société confondante.

Seul le recours à une prise d'effet fiscal différée à la date de disparition juridique de la société confondue, permettait de faire coïncider les dates d'effet fiscal et comptable de la transmission de patrimoine et de neutraliser ainsi ce hiatus pénalisant obligeant à des retraitements extra comptables du résultat fiscal de la période intermédiaire.

Alors qu'en matière de fusions, cette dichotomie des dates n'existe pas, elle était, au contraire, centrale dans les opérations de confusion.

  • Date de règlement des éventuelles oppositions

Si les créanciers justifiant d'une créance certaine née antérieurement à la publication ont valablement formé opposition devant le tribunal de commerce compétent, la disparition de la société et la transmission de son patrimoine ne sont toutefois réalisées qu'à la date :

- soit de rejet de l'opposition en première instance (l'appel n'étant pas suspensif à cet égard) ;

- soit de remboursement des créances ou de constitutions des garanties offertes et considérées comme suffisantes par le tribunal.

Ainsi, alors qu'en matière de fusion, l'opposition des créances ne suspend ni la disparition de la société absorbée, ni la transmission de son patrimoine à l'absorbante, mais les rend simplement inopposables aux créanciers opposants (C. com., art. 236-14, al. 3 N° Lexbase : L6364AIK), dans une opération de confusion de patrimoine, la disparition même de la société et la transmission de la totalité de son patrimoine ne peuvent intervenir tant que le sort des oppositions n'a pas été réglé.

Dans cette hypothèse, dont les sociétés participant à l'opération prennent toutefois soin de réduire les risques de survenance, l'opération commencée au cours d'un exercice N peut ne s'achever qu'au cours de l'exercice N+1, aggravant ainsi les conséquences négatives de la dichotomie des dates d'effet fiscal et comptable.

Finalement, aux deux dates essentielles de réalisation d'une opération de fusion -date de publication du traité de fusion qui fait courir le délai d'opposition d'un mois, et date des assemblées générales des sociétés participant à l'opération, marquant les dates de dissolution et de transmission de patrimoine- la réalisation d'une "TUP" ajoute la prise en compte de deux dates supplémentaires :

- la date de décision de dissolution ;

- la date de règlement des éventuelles oppositions.

A cette hétérogénéité des dates d'effet avec une première dichotomie entre le traitement fiscal et le traitement juridique et comptable, s'ajoute une seconde dichotomie de traitement en matière de rétroactivité.

B - Prise d'effet rétroactive ou différée - la dichotomie de traitement fiscal et comptable

1 - Rétroactivité fiscale

Depuis l'instruction précitée du 7 juillet 2003, l'administration a admis que, pour autant qu'il en fasse le choix exprès dans sa décision de dissolution sans liquidation, l'associé unique puisse donner un effet rétroactif ou différé à la date d'effet de l'opération.

Une telle clause s'impose à l'associé comme à l'administration fiscale en matière d'impôt sur les sociétés et d'imposition forfaitaire annuelle dans les mêmes conditions que celles applicables aux opérations de fusion, scissions et apports partiels d'actifs, la date d'effet ne pouvant remonter au-delà du jour d'ouverture de l'exercice en cours des deux sociétés, ni être différée postérieurement au jour de clôture de l'exercice en cours de la société confondante.

En pratique, et à défaut de précisions, toutefois, l'on ne voyait pas bien comment la date d'effet pouvait être différée au-delà de la date de réalisation juridique et comptable de l'opération (Confusion de patrimoine, Themexpress, Edition Francis Lefebvre, J. Toutté et E. Lourdeau, Morel, n° 32), voire même au-delà de la date de clôture de la société confondue sans entrer dans de singulières complications de traitement fiscal et comptable.

L'instruction précise que la portée d'une telle clause est uniquement fiscale et n'est opposable ni aux tiers, ni aux créanciers sociaux.

La rétroactivité et l'effet différé ne se présument pas, l'opération étant réputée, à défaut d'une telle clause, avoir effet au jour de sa réalisation.

Dans ce dernier cas, l'opération de dissolution confusion présentait, néanmoins, une "petite rétroactivité" sur le plan fiscal puisque sa date de réalisation juridique était nécessairement postérieure d'au moins trente jours à sa date de réalisation fiscale (R. Montfort, E. Nevière et P. Apremont, Une approche transversale de la transmission universelle de patrimoine (fiscale, sociale, comptable), Option Finance, n° 779 du 5 avril 2004).

L'intérêt de la rétroactivité fiscale est évident puisqu'il permet à la confondante de prendre en compte, dans ses résultats d'exercice en cours lors de la réalisation de l'opération, l'ensemble des résultats de la société confondue sans solliciter d'agrément en cas de déficit.

2- Non-rétroactivité juridique et comptable ?

La question a fait couler beaucoup d'encre mais elle semble pour l'instant résolue.

- Son enjeu est d'une réelle importance. Si l'on admet la rétroactivité comptable qui, le plus souvent en pratique, interviendra au jour d'ouverture de l'exercice en cours de la société confondue, cette dernière n'aura pas à arrêter de situation comptable au jour d'expiration du délai de trente jours, pour enregistrer toutes les opérations réalisées depuis cette date d'ouverture.

La société confondante reprendra directement ces opérations dans ses propres comptes en y intégrant le résultat de la période intercalaire à l'instar de ce qui est effectué en régime de fusion. 

Dans le cas contraire, une situation doit être arrêtée à l'issue du délai d'opposition enregistrant les valeurs d'actifs et de passifs arrêtées à cette date ainsi que le résultat de la période intermédiaire.

Les boni/mali de fusion comptables seront nécessairement différents des boni/mali fiscaux rétroactifs et un retraitement extra comptable du résultat fiscal sera nécessaire pour neutraliser le résultat intermédiaire.

- Alors qu'en matière de fusion, scission et apports partiels d'actifs, les dispositions de l'article L. 236-420 du Code de commerce ([LXB=L8352GQE ]) prévoient expressément la faculté de faire rétroagir (ou de différer) la date d'effet de l'opération, aucune disposition légale analogue n'existe en matière de confusion de patrimoines, les seules dispositions applicables du Code civil prévoyant même expressément une date d'effet calée sur l'absence ou la présence d'opposition.

- Motivé par l'intérêt pratique de pouvoir user d'une facilité de rétroactivité analogue à celle des fusions, le comité juridique de l'Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA) était d'abord allé assez loin en concluant dans sa séance du 3 avril 2002 que "tant sur le plan juridique, que sur le plan fiscal, la dissolution simplifiée par transmission universelle de patrimoine à l'associé unique produit les mêmes effets que la fusion : comme celle -ci, elle peut être assortie d'un effet rétroactif " et que l'effet différé "n'était pas limité aux seuls aspects comptables et fiscaux mais couvrait également le transfert de la propriété des biens concernés" (Communication ANSA n° 3166).

- Inversement, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) arguant de l'existence du délai d'opposition des créanciers et de l'absence de dispositions légales expresses conduit à l'impossibilité de la rétroactivité prévue en matière de fusions (Bulletin CNCC n° 129, mars 2003).

Sur la base des mêmes arguments et de ce que "[... ] la rétroactivité n'a qu'un caractère exceptionnel dans notre droit et ne se préjuge pas [...] et [...] qu'il n'y a pas de rétroactivité sans texte [...]", la Chancellerie a refusé la possibilité d'une rétroactivité autre que fiscale (lettres de la Chancellerie au Président de la CNCC du 10 avril 2003 et au délégué général de l'ANSA du 27 avril 2004).

- Le règlement comptable n° 3246 2004-01 précise, désormais, que "[...] dès lors que la rétroactivité des opérations de dissolution par confusion de patrimoines n'est pas prévue par le Code civil, les écritures comptables ne sont reprises chez l'associé unique qu'à l'issue du délai d'opposition des créanciers".

L'ANSA a finalement pris acte de ces positions reconnaissant qu'il était "[...] abusif de parler de véritable rétroactivité sur le plan comptable [...] les deux sociétés étant tenues, pendant la période intercalaire, de respecter leurs obligations légales respectives" (Comité juridique du 7 juillet 2004).

Sa formulation sur "la fusion des deux séries de comptes de façon extra-comptable", laisse, toutefois, planer un doute lorsqu'elle précise que "le résultat de la période intercalaire est bien transmis à la société bénéficiaire".

S'il n'y a pas de véritable rétroactivité comptable, le résultat de la période intercalaire reste nécessairement acquis à la confondue et ne peut être enregistré dans les comptes de la société confondante, ni pour augmenter ses propres résultats de fin d'exercice, ni pour les diminuer, en cas de déficit, la totalité du mali technique devant être inscrite à l'actif, dans un compte d'immobilisations incorporelles - compte 2007 - Fonds Commercial - Mali de Fusion (Avis du Conseil national de la comptabilité 2004-01 du 25 mars 2004).

- La réponse exprimée par la CNCC dans son Bulletin n° 134 du juin 2004, page 77 (BCF, 1/05 janvier 2005, page 17) paraît claire à cet égard.

Soulignant l'impossibilité de donner un effet rétroactif aux "TUP", le Bulletin rappelle "[...] qu'il appartient au Commissaire aux comptes de la personne morale confondante de s'assurer de la correcte comptabilisation de l'opération intervenue au cours de l'exercice [...]" et, en cas de comptabilisation avec un effet rétroactif, "[...] de signaler cette irrégularité au gouvernement d'entreprise [...] au regard de l'arrêté définitif des comptes " et, si elle présente "[...] un caractère significatif, d'en tirer les conséquences appropriées dans la formulation de son opinion sur les comptes dans la première partie de son rapport général".

L'enjeu final de cette dichotomie de traitement fiscal et comptable, étant la prise en compte ou non, du résultat de la période intermédiaire dans les comptes de clôture de la société confondante, jusqu'où pourraient aller les formulations du commissaire aux comptes ? Observations, réserves, refus de certifications ? Une personne morale dont les comptes ne sont pas soumis à certification encourrait-elle un véritable risque de présentation de faux bilan ?

A moins que les sociétés participant à l'opération n'acceptent cette prise de risques embarrassante, même si elle est, en principe, effectuée dans de nombreux cas, la réalisation de la "TUP" sera alourdie par l'établissement d'une situation comptable supplémentaire avec retraitement du résultat fiscal intercalaire (Marie-Antoinette Coudert et Christian Meyer, Restructuration d'entreprises : Fusion simplifiée ou confusion de patrimoines ?- Actes Pratiques n° 75, mai-juin 2004, n° 35).

Même si elle présente un fondement juridique argumenté, on ne peut que regretter pour les opérateurs, que cette rétroactivité comptable n'ait pas été admise. Certains auteurs semblent dénoncer la "position restrictive" de la Chancellerie et des autorités comptables (MM. Toutée et Lourdeau-Morel, ouv.préc. n° 35), voire admettre la faculté d'une "rétroactivité juridique" (Mémento Francis Lefebvre  Sociétés Commerciales, 2006, n° 1 273) sur la base du dernier avis précité de la commission juridique de l'ANSA, ou considérer qu'en l'absence d'interdiction formelle, il est tout à fait possible d'assortir toute opération juridique d'un effet rétroactif (Jean-Patrice Storck, La rétroactivité des décisions sociales, Rev. Sociétés 1985, page 55).

II - L'instruction administrative 41-105 n° 213 du 30 décembre 2005

Dans le tout dernier chapitre de cette importante instruction sur les fusions de sociétés et opérations assimilées, l'administration vient de préciser que "[...] il convient désormais d'entendre sur le plan fiscal par date de réalisation de l'opération de dissolution sans liquidation, non plus la date de décision de la dissolution, mais la date de transmission du patrimoine [...]. Dans ces conditions, aucun effet différé ne peut plus désormais être donné par l'associé unique à l'opération de dissolution sans liquidation".

Les indications à ce sujet figurant dans l'instruction précitée du 4 juillet 2003 sont rapportées et cette nouvelle date fiscale de réalisation s'applique à compter de sa publication, le 30 décembre 2005 à toutes les opérations de dissolution-liquidation dont la publication est intervenue à compter du 30 décembre 2005.

Pour permettre de bénéficier pleinement de l'enregistrement dans les comptes de la confondante, du résultat de la période intercalaire de rétroactivité, l'instruction prévoit le cas de figure d'une dissolution-confusion décidée et publiée en fin d'un exercice N (27 décembre par exemple) et dont la date de réalisation interviendrait au cours de l'exercice N+1 (27 janvier).

Dans ce cas, la date de rétroactivité fiscale pourra être placée au choix au premier jour de l'exercice en cours de la confondante lors de la décision de dissolution (1er janvier de l'exercice N), aussi bien qu'au premier jour de son exercice en cours lors de l'expiration du délai de 30 jours (1er janvier de l'exercice N+1), sans pouvoir remonter au-delà de la date d'ouverture de l'exercice en cours de la confondue à la date de décision de la dissolution.

Les résultats de la société dissoute devront être pris en compte par la confondante, exercice par exercice.

III - La situation nouvelle depuis l'instruction du 30 décembre 2005 : unification des dates de réalisation juridique, comptable et fiscale de l'opération mais persistance des inconvénients de la rétroactivité partielle

A - Unification des dates de réalisation juridique, comptable et fiscale

Incontestablement, l'instruction va dans le sens d'une simplification du traitement des dates :

- L'administration fait coïncider la date de réalisation fiscale avec celle de réalisation juridique et comptable, fixée par les dispositions de l'article 1844-5, alinéa 3, du Code civil telles qu'interprétées par la Chancellerie, à l'expiration du délai de trente jours (sauf prolongation pour gestion des oppositions).

Les dates de décision de dissolution par l'associé unique, puis de publication, n'emportent plus de véritables effets fiscaux autonomes, contrairement à la situation antérieure (et sauf pour l'applicabilité de la rétroactivité en cas d'opération à cheval sur deux exercices).

- Dans la gestion de son calendrier opérationnel, le praticien n'aura plus qu'une seule date importante à prendre en compte, et non plus trois : celle de l'expiration de la période de trente jours qui réalisera la disparition de la confondue et la transmission de son patrimoine sur le plan fiscal aussi bien que sur les plans juridique et comptable (sous réserves, bien évidemment, en cas d'opposition, de la date de leur règlement).

- Le recours à l'effet différé qui, en pratique, consistait souvent à différer la date de réalisation fiscale à celle d'expiration du délai de trente jours, devient non seulement inutile, mais prohibé par l'instruction.

- Il n'existe plus de "petite rétroactivité" puisque, même en l'absence de clause expresse de rétroactivité fiscale, la date de réalisation fiscale de l'opération n'est plus antérieure d'un mois à la date juridique et comptable de disparition de la confondue et de transmission de son patrimoine, mais concomitante.

- Enfin, il faut souligner que la période de rétroactivité fiscale d'une confusion de patrimoines pourra être nettement plus longue que celle applicable à une fusion encadrée par les dates des exercices en cours au jour des Assemblées générales décidant la fusion et produisant ses effets. Elle pourra s'étendre sur deux exercices, voire sur trois si, dans l'exemple analysé plus haut, le sort des oppositions venait à n'être réglé qu'en N+2.

B - Persistance des inconvénients de la rétroactivité limitée

Comme elle le souligne en début du chapitre (cf. point 64), la position de l'administration fiscale est distincte de celle de la réglementation comptable.

La non-rétroactivité comptable demeure, plaçant les opérateurs devant l'alternative suivante pour la réalisation de l'opération :

- Choisir une date unique de réalisation juridique, comptable et fiscale en faisant coïncider l'expiration du délai de 30 jours avec la fin d'un mois civil, qui pourra être aussi le dernier de l'exercice de la confondue.

L'opération sera sans effet sur le résultat de la confondante (autre que celui du jeu du faux boni/mali de confusion) mais le transfert des éléments du patrimoine, des contrats de travail et des éléments hors bilan en sera simplifié, les comptes de cessation d'activité couvrant la même période comptable et fiscale.

- Donner un effet fiscal rétroactif à la "TUP", ce qui permettra alors à la confondante d'intégrer le résultat de la période intercalaire, et de pouvoir imputer l'éventuel déficit de cette période sans procédure d'agrément.

Même s'il sera toujours plus simple de faire coïncider la date d'expiration du délai de trente jours avec la fin d'un mois civil, l'on ne pourra pas éviter l'établissement d'une situation comptable à ce dernier jour qui devra de plus s'alourdir du retraitement extra-comptable nécessaire à la neutralisation du résultat fiscal.

Pour marquer la rétroactivité fiscale, la liasse de cessation d'activité, à déposer dans les soixante jours de réalisation de l'opération (CGI, art. 201-1), mentionnera à zéro les opérations de résultat tout en reprenant les valeurs bilantielles du précédent exercice clos.

Pour autant, conscients de la simplification de traitement qu'elle présente, les praticiens doivent-ils se résoudre à chasser définitivement toute rétroactivité comptable de leurs esprits, comme de leurs actes ?

Les arguments juridiques ne manquent pas en faveur de la validité d'une option pour la rétroactivité comptable prise par l'associé unique dans sa décision de dissolution.

- L'étude précitée de J.-P. Storck montre bien qu'en l'absence de dispositions impératives de la loi, comme de nullités expressément prévues par le Code de commerce, une telle décision n'intervenant qu'entre associés, ne devrait pas pouvoir être annulée pourvu qu'elle ne soit pas opposable aux tiers et qu'elle soit, par ailleurs, conforme au droit des contrats.

Une telle décision sociale non susceptible d'annulation pourrait valablement suppléer à l'absence de texte légal ou réglementaire sur laquelle s'appuie la position de règlement comptable n° 2004-1.

- A défaut d'une disposition légale, c'est donc un acte unilatéral de volonté qui permettrait l'enregistrement comptable de l'opération à la date retenue, comme pour une autre convention.

Certes, la lettre de la Chancellerie précitée, du 27 avril 2004, déduit des dispositions du Code civil que "[...] la fixation de la date de réalisation de l'opération échappe ainsi à la volonté des parties" mais c'est pour en conclure que "[...] un tel mécanisme s'oppose à toute clause de rétroactivité opposable aux tiers".

Ne pourrait-on pas admettre a contrario que, dès lors qu'elle n'est pas opposable aux tiers, une telle rétroactivité serait acceptable ?

Ces derniers seraient ainsi placés dans la même situation que les créanciers opposants d'une fusion : ils conserveraient tous leurs droits sur le patrimoine de la société confondue/absorbée qui n'a pas disparu, mais qui a été seulement transférée, sans que la réalisation de l'ensemble de l'opération soit suspendue pour autant.

Le respect des droits des tiers, préoccupation centrale des opposants à la rétroactivité, étant ainsi assuré, la décision de dissolution avec effet rétroactif pourrait prendre tous ses effets et recevoir sa traduction comptable.

- L'effet rétroactif prohibé par les dispositions de l'article 2 du Code civil ([LXB=L2227AB4 ]) ne s'applique qu'à la loi et ne concerne pas la volonté des parties, qu'elle soit unilatérale ou bien conventionnelle (cf. études précitées, J.-P. Storck n° 3 ; M.-A. Coudert et Ch. Meyer, n° 35).

- Dès lors que toute rétroactivité est le plus souvent une fiction, qu'elle soit fiscale, comptable ou juridique, pourquoi ne pas accepter une rétroactivité comptable en laissant subsister la date d'effet juridique à la transmission effective de patrimoine à l'issue du règlement des oppositions ?

Dans son avis du 7 juillet 2004, l'ANSA semble finalement laisser une place pour la rétroactivité juridique alors qu'elle semble plus circonspecte pour la rétroactivité comptable. C'est, du moins, ainsi que l'interprète le Mémento Francis Lefebvre, Sociétés Commerciales, 2006, n° 1 273, en admettant la faculté de rétroactivité juridique.
Mais du point de vue de l'expertise comptable, le véritable problème n'est-il pas plutôt de différencier les deux ? D'enregistrer une écriture à une date distincte de la date juridique ?
Mais si la rétroactivité juridique peut être admise, l'expertise comptable devrait être moins gênée et, sur un plan pratique, l'on "discerne mal [...] les risques que comporterait la traduction dans les comptes de la société confondante d'une telle clause" (MM. Toutée et Lourdeau-Morel, ouv. préc. n° 35).

La mention requise dans le rapport général du commissaire aux comptes de la confondante pourrait être formulée en évitant une connotation négative, sachant qu'en toute hypothèse, et même si elle n'a pas de commissaire, la société aura à justifier son option comptable dans l'annexe de ses comptes.

L'histoire de la rétroactivité des opérations de fusion-absorption a commencé avec une jurisprudence, toujours confirmée par la suite, acceptant que la société absorbante puisse prendre à sa charge les conséquences de la gestion de la société absorbée durant la période intermédiaire, tant au plan fiscal qu'au plan comptable (Conseil d'Etat, 12 juillet 1974, n° 81753, SA X. N° Lexbase : A7621AYW), jusqu'à ce qu'un texte de loi intervienne en 1988.

En attendant l'intervention du législateur pour la "TUP", le risque d'une option comptable pour la rétroactivité ne peut-il être tenté, pour que cette opération de confusion de patrimoines, traitée comme une véritable fusion par l'administration fiscale, assimilée aux opérations de fusion par les Directives européennes (Directive 2005/56, du Parlement européen et du Conseil, 26 octobre 2005, sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux N° Lexbase : L3532HD8), et de plus en plus utilisée comme telle par les praticiens, puisse valablement être considérée, à coté de la fusion-absorption "classique", de la fusion simplifiée, comme une fusion "super-simplifiée" ?

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