La lettre juridique n°78 du 3 juillet 2003

La lettre juridique - Édition n°78

2. Repenser les étapes du procès fiscal

[Evénement] L'intervention du législateur dans le procès fiscal (troisième partie)

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N7991AA9

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par Olivia Davidson et Bernard Geneste, Avocats au Barreau des Hauts-de-Seine, CMS Bureau Francis Lefebvre

Le 21 Octobre 2014

La loi de validation se définit comme "l'intervention du législateur en forme de loi destinée, à titre rétroactif ou préventif, à valider de manière expresse, indirecte ou même implicite, un acte administratif annulé ou susceptible de l'être" (G. Cornu,Vocabulaire juridique, 7ème édition, 1998, PUF, p. 869). Un commentateur particulièrement autorisé, Olivier Schrameck, retient une définition proche. Pour cet auteur, la loi de validation se définit comme "toute intervention du législateur qui, par un texte modifiant rétroactivement l'état du droit, met des actes juridiques à l'abri d'un risque de nullité ou de péremption sans avoir à distinguer selon que ces actes relèvent des relations de droit privé ou de rapports de droit public" (O. Schrameck, cité par l'Avocat général Kehrig dans ses conclusions concernant l'affaire Cass. soc., 24 avril 2001, n° 00-44.148 N° Lexbase : A2993ATZ). Ce sujet fait l'objet d'un article publié en trois parties ; pour la première partie de cet l'article, voir (N° Lexbase : N7989AA7) et pour la deuxième partie, voir (N° Lexbase : N7991AA9). C- L'examen du contrôle de conventionnalité auquel procède le juge fiscal confirme la limitation des pouvoirs du législateur en la matière, même si ce contrôle ne revêt pas la même potentialité devant l'un et l'autre de chacun des deux ordres de juridiction

Première question : chacun des deux ordres de juridiction apporte des réponses clairement divergentes à la question de l'invocabilité de la CEDH en matière fiscale

Comme on le sait, la jurisprudence de la CEDH exclut l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention à la matière fiscale (N° Lexbase : L7558AIR) (voir notamment, en dernier lieu, CEDH, 12 juillet 2001, n° 44759/98 N° Lexbase : A7683AWH). Cette exclusion est fondée sur une interprétation stricte des stipulations en cause, lesquelles ne visent que les procès portant sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations à caractère pénal. Ainsi, la CEDH a-t-elle précisé, dans son arrêt Vidacar en date du 20 avril 1999, que "selon la jurisprudence constante des organes de la Convention, l'article 6-1 de la Convention n'est pas applicable aux contestations ressortissant exclusivement au domaine du droit public et notamment aux procédures fiscales en tant que telles, puisque celles-ci n'ont pas trait à des contestations sur des droits et obligations de caractère civil" (CEDH, 20 avril 1999, n° 41601/98).

Cette jurisprudence ne soulève, en réalité, de difficultés d'application qu'en ce qui concerne le principal de l'imposition ou la procédure de recouvrement, dès lors qu'il n'est pas contesté que les pénalités fiscales relèvent, sauf exception , présentent ou non un caractère pénal. Voir sur ce point TGI Paris, 6 juillet 2000, n° 99/20097 et 99/20096, et, a contrario, CA Paris, 30 mars 2001, SCI Nicky, n° 2000/04250 ; CE, Avis, 12 avril 2002, n° 239693, Société anonyme Financiers Labeyrie (N° Lexbase : A6303AY4), de la matière pénale (Cons. const., décision n° 82-155 DC, du 30 décembre 1982, "Loi de finances rectificative pour 1982", op. cit. ; CEDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, op. cit. ; Cass. com.29 avril 1997, M. Ferreira c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A2005ACA).

Toutefois, cette jurisprudence est interprétée différemment par les juridictions fiscales françaises, le contentieux fiscal étant lui-même, faut-il le rappeler, réparti entre les deux ordres de juridiction. A la juridiction administrative est, en effet, dévolu notamment le contentieux en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôts directs (impôt sur le revenu et impôt sur les sociétés, notamment) d'Etat ou locaux, cependant que les juridictions judiciaires sont compétentes dès lors notamment qu'est en cause le droit de propriété (droits d'enregistrement, ISF...) ou d'autres droits indirects.

A cet égard, on relèvera que, s'il semble que les juridictions judiciaires ont une interprétation de la portée de l'article 6 § 1 de la CESDH plus large que celle retenue par les juges strasbourgeois (1°), la Haute instance administrative s'en tient à une interprétation stricte de la jurisprudence de la CEDH (2°), même s'il semble que cette solution ne fasse pas l'unanimité au sein de la juridiction administrative (3°).

1°) L'invocabilité de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH devant le juge judiciaire pris en sa qualité de juge fiscal ne soulève pas, en principe, de réserves

La Cour de cassation admet, semble-t-il, l'invocabilité de l'article 6 § 1 de la CESDH au contentieux de l'assiette de l'imposition. En effet, elle a accepté, dans un arrêt en date du 20 novembre 1990, de faire application de l'article 6 de la CESDH dans un litige concernant le contentieux du recouvrement d'une imposition (Cass., com., 20 novembre 1990, n° 89-16.473, M Donsimoni c/ Trésorier principal du 11e arrondissement de Paris N° Lexbase : A4593AC4). Ultérieurement, elle a admis l'invocabilité de l'article 6 § 1 de la CESDH dans le cadre d'un contentieux d'assiette (Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-15.601 LXB=A6450ABI]).

Enfin, dans son arrêt Kloeckner, en date du 14 juin 1996, la Cour de cassation, statuant en formation plénière, a posé le principe que le droit de toute personne à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la CESDH, peut être invoqué devant toute juridiction civile en matière fiscale (Cass., Ass. Plén., 14 juin 1996, n° 93-21.710 N° Lexbase : A4628AY3). Cette solution a été confirmée par un arrêt du 20 novembre 2001 (Cass., com, 20 novembre 2001, n° 98-15.597 N° Lexbase : A2084AXH), par lequel la Cour de cassation a jugé que l'article 6 § 1 de la CESDH est invocable en matière fiscale, même lorsque le litige n'a pas trait aux pénalités fiscales.

En l'espèce, était en cause une loi de validation concernant la régularité formelle d'un rehaussement d'imposition. Depuis le 1er janvier 2000, la révision à la baisse du montant des rehaussements initialement notifiés à l'issue d'une procédure de redressement contradictoire doit obligatoirement être portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement des rappels. Cette notification rectificative doit, en outre, préciser le montant des droits, taxes et pénalités résultant des nouvelles bases d'imposition retenues. La loi du 30 décembre 1999, d'où cette disposition est issue, a prononcé la validation rétroactive des mises en recouvrement non précédées de cette notification rectificative, chaque fois que le redressement initial était antérieur au 1er janvier 2000 (loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 portant loi de finances rectificative pour 1999, article 25-II-B). Par son arrêt du 20 novembre 2001, la Cour de cassation a jugé, sur le fondement des dispositions de l'article 6 § 1 de la CESDH, que cette validation est inopérante dans le cas où l'instance était déjà en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi susvisée.

Cette position a été confirmée par la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 17 octobre 2002.

2°) Il n'en va pas de même devant le Conseil d'Etat, statuant comme juge de l'impôt, même si celui-ci retient une définition stricte de la notion de matière fiscale

Le Conseil d'Etat a eu à connaître d'une première question, touchant à la définition matérielle du champ de l'exclusion résultant de la jurisprudence de la CEDH. En d'autres termes, la question est de savoir, parmi les trois types de prélèvement unilatéraux que connaît notre système juridique - contributions et taxes au sens de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), redevances pour services rendus, prélèvements sociaux -, quels sont ceux qui sont visés par la jurisprudence de la CEDH excluant l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la CESDH à la matière fiscale.

Pour le Conseil d'Etat, cette exclusion ne concerne que les impositions et taxes, au sens de l'article 34 de la Constitution, à l'exclusion notamment des redevances pour service rendu. C'est ce qui ressort notamment d'un avis rendu en réponse à une question posée par le tribunal administratif de Rouen par lequel la Haute instance a admis que 6 § 1 de la CESDH est applicable aux litiges relatifs à des redevances correspondant aux prix payé par l'usager d'un ouvrage ou d'un service public. Tel est notamment le cas des redevances aéroportuaires en cause dans le litige au principal. Selon le Conseil d'Etat, le litige est relatif à l'institution d'une redevance correspondant au prix payé par l'usager d'un service public. "Il a ainsi pour objet une contestation portant sur les droits et obligations de caractère civil au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH" (CE, Avis, 16 février 2001, n° 226155, Syndicat des compagnies aériennes autonomes N° Lexbase : A1051B8G).

Une fois tranchée cette question de la portée ratione materiae de la jurisprudence de la CEDH concernant l'inapplicabilité de l'article 6 § 1 de la CESDH à la matière fiscale, le Conseil d'Etat, à la différence de la Cour de cassation, s'en tient à une interprétation stricte de cette jurisprudence.

Cette exclusion de principe n'est pas remise en cause par le seul motif que la loi dont le défaut de conventionnalité est allégué présenterait un caractère rétroactif ou celui d'une loi de validation.

C'est ce qui ressort avec netteté de l'arrêt Guenoun, en date du 26 novembre 1999, dans lequel la Haute Instance estime "qu'en jugeant que le contribuable se prévalait vainement dans un litige relatif à l'assiette de cotisations d'impôt sur le revenu, et pour contester l'applicabilité, à son égard des dispositions rétroactives de l'article 35 de la loi du 29 décembre 1989, des stipulations du 1 de l'article 6 de la Convention européenne, dès lors que celles-ci ne visent que les procès portant sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations pénales, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit" (CE, Contentieux, 26 novembre 1999, n° 184474, Guenoun N° Lexbase : A5161AXG).

3°) Ainsi que l'illustrent notamment certaines décisions des cours administratives d'appel de Paris et de Marseille, la juridiction administrative est consciente de "l'inconfort" de la jurisprudence actuelle qu'elle tente, en certaines occasions, de faire évoluer

La cour administrative d'appel de Paris a eu à connaître de la question de l'invocabilité de l'article 6 § 1 de la CESDH dans le cadre de litiges mettant en cause des lois de validation intervenues en matière fiscale en deux occasions principalement. En chacune de ces deux occasions, la cour a apporté à la question qui lui était soumise une réponse pour le moins novatrice.

- La première affaire en cause est l'affaire Synetics, jugée par la cour administrative d'appel de Paris le 30 mars 1999. Cet arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris est novateur, au moins au sein de la juridiction administrative (cf. ce qui a été dit supra à propos de l'invocabilité de l'article 6 § 1 de la CESDH devant le juge judiciaire statuant en tant que juge fiscal), dans la mesure où le contrôle de la conventionnalité d'une loi de validation demeure évidemment subordonné, en tout premier lieu, à la condition que la validation discutée soit elle-même intervenue dans une matière qui relève du champ d'application de l'article 6 § 1 de la CESDH.

Or, si les pénalités fiscales constituent des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH, ce qui permet d'invoquer les garanties de ladite Convention devant le juge compétent pour connaître d'un contentieux les concernant, les droits en principal, en revanche, ne relèvent, selon les jurisprudences concordantes de la CEDH et du Conseil d'Etat, ni de la matière civile, ni de la matière pénale, au sens de cette stipulation, ainsi du reste qu'il vient d'être rappelé.

Afin de contourner cet obstacle, la cour administrative d'appel de Paris a proposé un raisonnement novateur. Elle a, en effet, jugé que le litige portant sur une créance détenue sur la collectivité publique par un contribuable, certaine dans son principe et dans son montant, dès lors qu'elle procède d'une imposition illégalement établie, et qui ne devient exigible qu'à raison d'une législation rétroactivement applicable, porte de ce fait sur une contestation relative à un droit de caractère civil, au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH. Dans ces conditions, ce litige entre dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la CESDH (CAA Paris, 30 mars 1999, n° 96PA01858, Synetics N° Lexbase : A0475A9H). Il a été soutenu, au sein même de la juridiction administrative (voir, sur ce point, les conclusions du Commissaire du gouvernement Duchon-Doris sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 1er juillet 1999, qui sera analysé ci-après), que la solution dégagée dans cette affaire par la Cour administrative d'appel de Paris est inspirée de l'arrêt rendu par la CEDH le 23 octobre 1997, par lequel celle-ci a jugé que des actions intentées par des entreprises pour obtenir la restitution d'impôts qu'elles avaient versés en application d'un règlement annulé sont des actions de droit privé, alors même qu'elles trouvent leur origine dans la législation fiscale (CEDH, 23 octobre 1997, op. cit.).

La solution innovante de la cour administrative d'appel de Paris a été reprise par la cour de Marseille qui, dans un arrêt en date du 1er juillet 1999, a jugé que "le juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à obtenir la décharge ou la restitution d'une imposition dont la régularité, le bien-fondé ou l'exigibilité sont contestés, statue sur des droits ou obligations qui affectent le patrimoine des contribuables, et qui présentent un caractère civil au sens [de l'article 6 § 1 de la CESDH]" (CAA Marseille, 1er juillet 1999, n° 96MA01848, Colombeau, (N° Lexbase : A2010BME), concl. Duchon-Doris, Bulletin des Conclusions fiscales 4/00, n° 54).

- La seconde affaire concerne un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris le 15 juin 2000. Dans cette affaire, la Cour juge opérant le moyen soulevé par les sociétés requérantes et tiré du défaut de conventionnalité de certaines dispositions de la loi de finances rectificative pour 1998 du 30 décembre 1998 ayant validé des taxes d'urbanisme entachées d'une illégalité externe (loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998 portant loi de finances rectificative pour 1998, article 50 (N° Lexbase : L6634BH8).

Dans cette affaire, le défaut de conventionnalité de la loi de validation en cause était invoqué non par référence à l'article 6 § 1 de la CESDH, seul analysé jusqu'ici, mais par référence aux stipulations de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CEDH (ci-après "article 1, protocole n° 1").

La cour admet l'invocabilité du moyen ainsi soulevé devant elle, anticipant ainsi de manière remarquable l'applicabilité de l'article 1, protocole n° 1, à la matière fiscale, telle qu'elle vient d'être consacrée par la CEDH dans l'affaire Dangeville (CEDH, 16 avril 2002, n° 36677/97, Dangeville c/ France N° Lexbase : A5395AYH. Il est vrai que, comme l'avait souligné le Commissaire du gouvernement devant la cour administrative d'appel de Paris, le principe de l'invocabilité de l'article 1, protocole n° 1, en matière fiscale - qui plus est, dans le cadre d'une loi de validation, alors qu'une telle loi n'est pas en cause dans l'affaire Dangeville - avait déjà été retenu par la CEDH dans son arrêt du 23 octobre 1997, op. cit.), affaire dans laquelle, il est vrai, la Cour administrative d'appel de Paris s'était également particulièrement illustrée en son temps (CAA Paris, 1er juillet 1992, n° 89PA02498, Dangeville, N° Lexbase : A8546A8Z, AJDA 1992, p. 768, concl. Bernault).

Dans cette affaire, la cour administrative d'appel de Paris juge, en effet, que "lorsqu'un contribuable détient un droit à dégrèvement, voire à remboursement, d'une imposition irrégulièrement établie, la créance dont il est ainsi titulaire constitue un bien au sens de l'article 1er du protocole" (CAA Paris, 15 juin 2000, n° 97PA01897, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement c/ SA Cise et Erimo, pourvoi en cours d'instruction (N° Lexbase : A9937BHI).

Seconde question : l'examen des réponses apportées par les juridictions fiscales à la question du bien-fondé du moyen tiré de la violation de la CEDH résultant d'une loi de validation intervenue en matière fiscale confirme l'existence de sérieuses divergences de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction.

Une fois tranchée la question de l'invocabilité du moyen tiré de la violation de la CEDH devant le juge fiscal, il reste à s'interroger sur le sort réservé à la question du bien-fondé du moyen lui-même.

Pour des raisons de commodité, nous garderons l'ordre de présentation retenu précédemment et analyserons successivement à cet égard les solutions retenues par la Cour de cassation, le Conseil d'Etat et les cours administratives d'appel.

1°) Même si cette décision reste isolée, la jurisprudence judiciaire est caractérisée par une décision particulièrement spectaculaire

- A cet égard, la jurisprudence la plus volontariste est, en effet, sans nul doute, celle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt en date du 20 novembre 2001, écarte, pour la première fois en matière fiscale, une loi de validation, pour violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (Cass. com., 20 novembre 2001, op. cit.).

Rappelons que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, était en cause dans cette affaire une loi de validation concernant la régularité formelle d'un rehaussement d'imposition. Par son arrêt du 20 novembre 2001, la Cour de cassation a jugé, sur le fondement des stipulations de l'article 6 § 1 de la CESDH, que la validation opérée par le législateur de 1999 est inopérante dans le cas où l'instance était déjà en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi susvisée du 30 décembre 1999.

Cette solution est d'autant plus remarquable que la disposition en cause avait elle-même été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel (Cons. const., décision n° 99-425 DC, du 29 décembre 1999, "Loi de finances rectificative pour 1999", N° Lexbase : A8788ACH). Ainsi, se trouve clairement exposée la question de la dualité du contrôle - contrôle de constitutionnalité, d'une part ; contrôle de conventionnalité, d'autre part - auquel renvoie nécessairement - au bénéfice du contribuable, ainsi que l'illustre parfaitement l'arrêt de la Cour de cassation - la jurisprudence du Conseil constitutionnel en date du 15 janvier 1975 et qui a fait l'objet de la première partie de la présente communication.

Sauf erreur de notre part, l'arrêt de la Cour de cassation en date du 20 novembre 2001 constitue, à ce jour, le seul cas dans lequel le juge fiscal a accepté de faire droit au moyen tiré du défaut de conventionnalité d'une loi de validation intervenue en matière fiscale. En effet, les juridictions administratives, dans toutes les hypothèses où elles ont admis l'invocabilité du moyen tiré de la violation de la CEDH proprement dite ou de son Premier protocole additionnel, ont écarté le moyen comme non fondé.

2°) La jurisprudence judiciaire du 20 novembre 2001 contraste avec les réponses apportées à ce jour par la juridiction administrative au moyen tiré de la violation de la CEDH résultant de l'intervention d'une loi de validation à caractère fiscal

- Telle est d'abord la solution retenue par le Conseil d'Etat dont on se souvient qu'il admet l'invocabilité de la CEDH dans une matière proche de la matière fiscale, à savoir le contentieux des redevances pour service rendu. En l'espèce, s'agissant d'une loi de validation qui concerne des redevances aéroportuaires, le Conseil d'Etat procède à une appréciation du caractère suffisant du motif d'intérêt général allégué, selon une méthode d'analyse coûts-avantages proche de celle retenue par le Conseil constitutionnel telle qu'exposée supra, au terme de laquelle il conclut à la conformité de la loi de validation au regard de l'article 6 de la CESDH (CE, 16 février 2001, op. cit).

- Telle est également la solution retenue par la cour administrative d'appel de Paris dans ses arrêts en date des 30 mars 1999, Synetics (CAA Paris, 30 mars 1999, Synetics, op. cit), et 20 mai 1999 (CAA Paris, 20 mai 1999, n° 95PA03054, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement c/ Banque régionale d'escompte et de dépôts, pourvoi en cours d'instruction N° Lexbase : A6652BMC). Enfin, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas statué dans un sens différent dans son arrêt en date du 1er juillet 1999, sus analysé (CAA Marseille, 1er juillet 1999, op. cit.). Dans les trois cas, les magistrats administratifs ont conclu à la conformité à la CEDH de la loi de validation querellée.

Conclusion

L'intervention du législateur dans le procès fiscal à travers la loi de validation est donc aujourd'hui encadrée par l'existence d'un double contrôle juridictionnel. En effet, un tel contrôle est susceptible d'être effectué, d'une part, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi de validation en cause et, d'autre part, dans le cadre du contrôle de conventionnalité de la loi dont la compétence appartient, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel lui-même, au juge fiscal.

Ce n'est pas l'un des moindres paradoxes de cette jurisprudence que d'avoir, de facto, accru les garanties offertes au contribuable, face à la tentation récurrente du législateur d'intervenir dans le procès fiscal, même si cette démarche ne fait pas l'unanimité au sein des parlementaires, ce qui a d'ailleurs pour premier effet de garantir l'exercice du contrôle de constitutionnalité, dans lequel le Parlement lui-même joue un rôle décisif.

Ce double contrôle s'exerce-t-il au bénéfice effectif des contribuables ou relève-t-il, au contraire, de la symbolique du pouvoir ?

Telle est, en effet, pour le contribuable confronté concrètement aux effets d'une loi de validation ou susceptible d'être placé dans une telle situation, la seule question qui importe.

A cet égard, force est d'admettre que l'utilisation des garanties offertes par les stipulations de l'article 6 de la CESDH n'est pas, à ce jour, acquise de façon certaine, du fait notamment des réserves posées par la jurisprudence administrative.

Il est exact cependant que ces réserves se fondent elles-mêmes sur une lecture stricte de la jurisprudence de la CEDH. Sur ce point, la décision de cette juridiction dans l'affaire National et Provincial Building reste, semble-t-il, isolée. Mais le jour est peut-être proche qui donnera à la CEDH l'occasion de se prononcer sur une loi de validation française intervenue en matière fiscale. Bien évidemment, sa réponse serait d'autant plus attendue que ladite loi aurait elle-même été déclarée conforme à la Constitution.

Sur ce dernier point, la décision de la Cour de cassation du 20 novembre 2001 montre en tout cas, avec éclat, que le double contrôle juridictionnel n'est pas nécessairement dépourvu d'efficacité.

Que dire d'autre pour conclure, sinon que cet arrêt est, d'une part, une invitation très forte faite aux contribuables d'invoquer la CESDH devant le juge fiscal, et ce en parfaite cohérence avec d'autres décisions de la même juridiction, et, d'autre part, peut-être une contribution utile à la réflexion sur la question de savoir si la jurisprudence de la CEDH en matière fiscale telle qu'elle est établie à ce jour ne doit pas être nuancée, voire abandonnée, lorsque est en cause une loi de validation qui, par hypothèse, porte gravement atteinte à l'un des fondements essentiels de l'Etat de droit : la sécurité juridique, garanti par ailleurs comme principe général par le droit communautaire. Gageons qu'une telle évolution ouvrirait elle-même la voie à une évolution de la jurisprudence administrative.

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