La lettre juridique n°623 du 3 septembre 2015 : Éditorial

"Macron I" sur orbite : tempête dans l'azimut

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 03 Septembre 2015


Déposée, amendée, adoptée, censurée, publiée, tout cela en sept mois : le marathon de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques -loi de la République mais qui restera, ou non d'ailleurs, dans les annales comme la loi "Macron"-, a touché à sa fin le 7 août dernier.

En 490 avant notre ère, il s'agissait pour Darius de mater la rébellion démocratique athénienne ; aujourd'hui l'estocade est lancée par le Souverain -au sens machiavélien du terme- au nom de cette liberté revendiquée par les Grecs d'antan : c'est à n'y plus rien y comprendre, si ce n'est que, comme à l'issue de la fameuse bataille médique, il faudra rapidement se porter sur le flanc gauche en prévision d'une loi "Macron II", déjà dans les galères gouvernementales, et annoncée comme encore plus "belliqueuse".

On a beaucoup glosé sur cette loi, ces derniers mois ; mais assurément pas sur la libéralisation des lignes d'autocar, les accords de maintien dans l'emploi, la relance de l'investissement productif ou encore l'encadrement des retraites chapeaux. Les crispations, voire les farouches oppositions et manifestations, ont concerné les domaines les plus sensibles que sont le travail les soirs et dimanches, le plafonnement des indemnités de licenciement abusif et, bien entendu, la déréglementation des professions réglementées.

Sans entrer dans le détail de chacune de ces mesures, détail que nos prochaines éditions ne manqueront pas de présenter et d'analyser -cf. les éditions sociale et affaires spécialement consacrées à la loi cette semaine-, il n'est pas inutile de se plonger dans la téléologie d'une telle loi vilipendée à chaque encablure de son parcours. Pour son porteur, et néanmoins ministre de l'Economie, "la France a aujourd'hui trois maladies' : la défiance, d'abord, les Français ayant de moins en moins confiance en leur avenir économique ; la complexité, ensuite : le poids des lois et des règlements est devenu insupportable pour l'économie, les petites entreprises ; les corporatismes, enfin : ils entravent notre capacité à nous transformer. Il faut donc faire confiance et laisser ceux qui sont sur le terrain, au plus près de la réalité, faire les choix qui les concernent. Il faut également simplifier, drastiquement : la complexité et l'opacité sont toujours une protection pour les plus riches et les mieux intégrés, alors que les plus fragiles et les personnes en dehors du système en sont les premières victimes. Il faut enfin retrouver le sens de l'intérêt général".

Rapidement et sans susciter plus avant la polémique, on ne peut pas dire que l'adoption de la loi, après 400 heures de débat, et le vote de 2 300 amendements, "à coup de 49-3" soit le meilleur argument contre la défiance, même économique : cette procédure a le vice de montrer l'absence de consensus et d'entente politiques et sociaux sur un sujet pourtant fédérateur, la reprise et la croissance économique ; elle gage même d'une certaine insécurité juridique en cas d'alternance prochaine. La chose n'est pas nouvelle dans un pays bilatéralisé, mais la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale par trois fois a surtout montré un fractionnement de la société contraire à l'objectif principal affiché, à savoir l'intérêt général. Par ailleurs, il n'est pas certain qu'ajouter une énième loi de près de 300 articles qui demanderont autant de décrets et d'arrêtés d'application dans les prochains mois, et dont les dispositions sont d'effet tantôt immédiat, tantôt différé, tantôt conditionné, favorise la décompléxification juridique ainsi prônée. Quant au corporatisme ? "Tout corporatisme [...] encourage la rigidité, décourage la responsabilité individuelle et risque d'aggraver les erreurs en les dissimulant" : ce n'est ni de Jaurès, ni de Blum, mais de Margaret Thatcher (sic !). Si l'on veut bien refuser l'amalgame avec le corporatisme fasciste des années noires et brunes, et si l'on veut bien ne pas confondre corporation et lobby, on peine à comprendre en quoi le regroupement de différents corps de métier au sein d'institutions défendant leurs intérêts présente un danger, même d'immobilisme. Auquel cas, c'est la représentation syndicale qu'il conviendrait de remettre en cause ; or l'on sait la nécessité, pour la structuration et l'équilibre de la société, des syndicats, comme du reste des corporations. La Révolution française avait certes souhaité anéantir les corporations médiévales par trop puissantes et indépendantes du pouvoir libertaire en place, mais la loi "Le Chapelier" ne dura qu'un temps, et l'Empire ne pouvait que reconstituer les Corps et en prendre la tête, pour asseoir son hégémonie comme ses idées civilistes du reste.

Il demeure que l'inspiration libérale, vecteur de concurrence, innerve profondément le texte, d'où l'incompréhension de certains (nombreux) au regard de la défense de l'intérêt général comme des plus faibles. D'autant que l'on peut admettre que placer sur le même plan l'ouverture des professions réglementées du droit, du commerce de détail, et des liaisons par autocars, puisse susciter l'ire des professionnels concernés. Les enjeux économiques et sociaux ne sont assurément pas les mêmes. Changer la donne sur l'échiquier professionnel contre l'immobilisme est sans doute un facteur d'innovation, donc de croissance, mais il conviendrait tout de même de ne pas changer par trop et brutalement les règles du jeu, sinon c'est une toute autre partie qui s'engage. Quant à la simplification des procédures concernant le permis de conduire, les grands projets d'aménagement, les procédures collectives, les prud'hommes, l'actionnariat salarié et le changement de banque : on peine à penser que se joue là le développement économique du pays.

Alors, on pensait, parce que présentée comme telle, la loi révolutionnaire ; comme on pressentait un retoquage des principales dispositions polémiques par le Conseil constitutionnel. Ne lisait-on pas sur les réseaux sociaux que "la loi Macron' contient tellement de cavaliers législatifs que c'est plus un jockey club qu'une loi" ! De censures, il n'y en eu que dix-huit (sur trois cents articles) et, hormis celle relative au plafonnement indemnitaire, toutes furent mineures -parce qu'adoptées par des procédures contraires à la Constitution-. Le 5 août, les Sages censuraient, par exemple, l'article 69 qui visait à clarifier certaines dispositions du Code des transports relatives aux services privés de recrutement et de placement des gens de mer et à permettre de mettre en oeuvre la convention du travail maritime de l'OIT ; l'article 132 qui entendait revoir l'ordre de numérotation des chaînes de la TNT ; l'article 202 qui mettait à la disposition du public les informations sur la composition et la conception des emballages par les éco-organismes ; l'article 225 qui prévoyait d'assouplir la loi "Evin" en autorisant la publicité pour l'alcool ; ou l'article 227 qui précisait que tous les citoyens devaient recevoir les documents expédiés par des représentants élus même lorsque les boîtes aux lettres arboraient un autocollant "stop pub" ! On est loin des oubliettes de la "taxe carbone", en 2010.

Finalement, l'absence de censure majeure du texte devrait plus inquiéter les acteurs économiques et sociaux que les rassurer : en fait de loi progressiste et innovante, la majorité des dispositions fleure bon l'anecdote quand il ne s'agit pas d'un accessoire de la croissance. Seules les professions réglementées sont clouées au pilori : sans doute eu regard à leur péché originel : une naissance sous une régime autocratique ou fascisant, car, l'on ne voit pas en quoi désorganiser des professions réglementées qui cohabitent et remplissent leur part du maillage juridique et social puisse libérer la croissance et sécuriser les justiciables.

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