Jurisprudence : CEDH, 08-07-1999, Req. 26682/95, Sürek c. Turquie (n

CEDH, 08-07-1999, Req. 26682/95, Sürek c. Turquie (n

A7323AW7

Référence

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Cour européenne des droits de l'homme

8 juillet 1999

Requête n°26682/95

Sürek c. Turquie (n



AFFAIRE SÜREK c. TURQUIE (N° 1)

(Requête n° 26682/95)


ARRÊT

STRASBOURG

8 juillet 1999

En l'affaire Sürek c. Turquie (n° 1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

M
me E. Palm,

MM. A. Pastor Ridruejo,

G. Bonello,

J. Makarczyk,

P.
Kûris,

J.-P. Costa,

M
mes F. Tulkens,

V. Strážnická,

MM. M. Fischbach,

V. Butkevych,

J. Casadevall,

M
me H.S. Greve,

MM. A.B. Baka,

R. Maruste,

K. Traja,

F. Gölcüklü, juge ad hoc,

ainsi que de M. P.J. Mahoney et M
me M. de Boer-Buquicchio, greffiers adjoints,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 1er mars et 16 juin 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention
3, par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 17 mars 1998, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 26682/95) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Kamil Tekin Sürek, avait saisi la Commission le 20 février 1995 en vertu de l'ancien article 25.

La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration turque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 § 1 et 10 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le souhait de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30). M. R. Bernhardt, président de la Cour à l'époque, a autorisé celui-ci à employer la langue turque dans la procédure écrite (article 27 § 3).

3. En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement turc (« le Gouvernement »), le conseil du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement les 10 et 17 juillet 1998 respectivement. Le 8 septembre 1998, le Gouvernement a soumis au greffe des informations supplémentaires à l'appui de son mémoire et, le 22 novembre 1998, le requérant a fourni des précisions au sujet de sa demande de satisfaction équitable. Le 26 février 1999, le Gouvernement a transmis ses observations sur les prétentions du requérant.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a décidé que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convenait de constituer une unique Grande Chambre pour connaître de la présente cause et de douze autres affa
ires contre la Turquie, à savoir : Karataþ c. Turquie (requête n° 23168/94), Arslan c. Turquie (n° 23462/94), Polat c. Turquie (n° 23500/94), Ceylan c. Turquie (n° 23556/94), Okçuoðlu c. Turquie (n° 24246/94), Gerger c. Turquie (n° 24919/94), Erdoðdu et Ýnce c. Turquie (nos 25067/94 et 25068/94), Baþkaya et Okçuoðlu c. Turquie (nos 23536/94 et 24408/94), Sürek et Özdemir c. Turquie (nos 23927/94 et 24277/94), Sürek c. Turquie (n° 2) (n° 24122/94), Sürek c. Turquie (n° 3) (n° 24735/94) et Sürek c. Turquie (n° 4) (n° 24762/94).

5. La Grande Chambre constituée à cette fin comprenait de plein droit M. R. Türmen, juge élu au titre de la Turquie (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. Wildhaber, président de la Cour, M
me E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 § 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. P. Kûris, Mme F. Tulkens, Mme V. Strážnická, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A.B. Baka, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement).

Le 19 novembre 1998,
M. Wildhaber a dispensé de siéger M. Türmen, qui s'était déporté, eu égard à une décision de la Grande Chambre prise dans l'affaire Oður c. Turquie conformément à l'article 28 § 4 du règlement. Le 16 décembre 1998, le Gouvernement a notifié au greffe la désignation de M. F. Gölcüklü en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 du règlement).

Par la suite, M. K. Traja, suppléant, a remplacé M
me Botoucharova, empêchée (article 24 § 5 b) du règlement).

6. A l'invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. H. Danelius, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.

7. Ainsi qu'en avait décidé le président, qui avait également autorisé le conseil du requérant à employer la langue turque dans la procédure orale (article 34 § 3 du règlement), une audience, simultanément consacrée à la présente affaire et aux affaires Arslan c. Turquie et Ceylan c. Turquie, s'est déroulée en public le 1er mars 1999, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

MM. D. Tezcan,

M. Özmen, coagents,

B.
Çalýþkan,

M
lles G. Akyüz,

A.
Günyaktý,

M. F. Polat,

M
lle A. Emüler,

M
me I. Batmaz Keremoðlu,

MM. B.
Yýldýz,

Y. Özbek, conseillers ;

pour le requérant

M
e H. Kaplan, avocat au barreau d'Istanbul, conseil ;

pour la Commission

M. H. Danelius, délégué.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Danelius, M
e Kaplan et M. Tezcan.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Le requérant

8. Le requérant est un ressortissant turc né en 1957 et résidant à Istanbul.

9. A l'époque des faits, il était l'actionnaire
majoritaire de la société turque à responsabilité limitée Deniz Basýn Yayýn Sanayi ve Ticaret Organizasyon, qui possède la revue hebdomadaire Haberde Yorumda Gerçek (« Nouvelles et commentaires : la vérité »), publiée à Istanbul.

B. Les lettres incriminées

10. Dans le numéro 23 du 30 août 1992 de la revue furent publiées deux lettres rédigées par des lecteurs, intitulées «
Silahlar Özgürlüðü Engelleyemez » (« Les armes ne peuvent rien contre la liberté ») et « Suç Bizim » (« C'est notre faute »).

11. Ces lettres se traduisent ainsi :

a) « Les armes ne peuvent rien contre la liberté

Face à l'escalade de la guerre de libération nationale au Kurdistan, l'armée turque fasciste continue les bombardements. Le «
massacre de Þýrnak », révélé par les journalistes de Gerçek à leurs dépens, en est un autre exemple concret survenu cette semaine.

Les brutalités qui ont lieu au Kurdistan sont en fait les pires de ces dernières années. Les massacres perpétrés à Halepçe,
au Sud du Kurdistan, par l'administration réactionnaire BAAS se produisent maintenant au Nord du Kurdistan. Þýrnak en est une preuve concrète. En se livrant à des provocations au Kurdistan, la République de Turquie allait au-devant d'un massacre. Il y a eu de nombreux morts. Au bout de trois jours d'un assaut mené avec des chars, des obus et des bombes, Þýrnak était rayé de la carte.

Toute la presse bourgeoise a écrit sur le carnage. Comme elle l'a dit, beaucoup de questions restent effectivement sans rép
onse. En tout cas, l'attaque de Þýrnak est l'action la plus efficace de la campagne menée dans toute la Turquie pour supprimer les Kurdes. Le fascisme n'en restera pas là ; il y aura encore beaucoup de Þýrnak.

Mais la lutte de notre peuple pour la libération nationale au Kurdistan a atteint un stade où elle ne peut plus être enrayée par les massacres, les chars et les obus. Chaque attaque lancée par la République de Turquie pour éliminer les Kurdes amplifie la lutte pour la liberté. La bourgeoisie et la presse à sa botte, laquelle dénonce tous les jours les brutalités commises en Bosnie-Herzégovine, ne voient pas celles qui se produisent au Kurdistan. Bien sûr, on peut difficilement attendre des fascistes réactionnaires qui appellent à l'arrêt des brutalités en Bosnie-Herzégovine qu'ils fassent la même chose pour le Kurdistan.

Le peuple kurde, arraché à ses foyers et à sa terre natale, n'a plus rien à perdre, mais beaucoup à gagner. »

b) « C'est notre faute

La bande d'assassins de la TC
[] continue à sévir (...) sous couvert de « protéger la République de Turquie ». Mais au fur et à mesure que les gens prennent conscience de ce qui se passe et apprennent à défendre leurs droits, et que l'idée que « ce qu'on ne nous donne pas, nous le prendrons par la force » prend forme dans leur esprit et acquiert de jour en jour plus de force – tant qu'il en est ainsi, les meurtres vont à l'évidence aussi se poursuivre (...) en commençant bien sûr par ceux qui ont mis ces idées dans la tête des gens – selon les généraux, les assassins à la solde de l'impérialisme et, selon les Turgut, Süleyman et Bülent nantis et arrogants (...) D'où les événements du 12 mars, ceux du 12 septembre (...) D'où les exécutions, les emprisonnements, les gens condamnés à des peines de 300 ou 400 ans. D'où les gens torturés jusqu'à ce que mort s'ensuive « afin de protéger la République de Turquie ». D'où les Mazlum Doðan exterminés dans la prison de Diyarbakýr (...) D'où les révolutionnaires récemment assassinés officiellement (...) La bande d'assassins de la TC continue – et continuera – ses meurtres. Parce que le réveil du peuple est comme une irrésistible vague d'enthousiasme (...) D'où Zonguldak, les ouvriers municipaux, les employés du service public (...) D'où le Kurdistan. Les « bandes de criminels » peuvent-elles arrêter cette vague ? Certains, en voyant le titre de cette lettre, doivent se demander quel peut bien en être le rapport avec le texte.

Les « assassins engagés » par l'impérialisme, c'est-à-dire les auteurs du coup d'Etat du 12 septembre, et leurs successeurs d'hier et d'aujourd'hui, ceux qui recherchent encore la « démocratie », qui ont pris part dans le passé d'une manière ou d'une autre à la lutte pour la démocratie et la liberté, qui critiquent maintenant sous cape ou ouvertement leurs actions passées, qui embrouillent les masses et présentent le système parlementaire et l'état de droit comme la planche de salut, donnent le feu vert aux exactions de la bande d'assassins de la TC.

Je m'adresse aux « fidèles serviteurs » de l'impérialisme et à son (ses) porte-parole endurci(s), celui (ceux) qui a (ont) dit il y a quelque temps : « Vous ne me ferez pas dire que les nationalistes commettent des crimes »
[], qui dit (disent) aujourd'hui : « Ce ne sont pas ce que nous appelons des journalistes », qui dit (disent) : « Qui est contre les manifestations ? Qui s'oppose à ce que l'on défende ses droits ? Evidemment qu'ils peuvent faire une manifestation (...) Ce sont mes ouvriers, mes paysans, mes employés du secteur public », mais qui a (ont) ensuite donné l'ordre de frapper les employés du secteur public manifestant en plein cœur d'Ankara et affirme(nt) après « La police a agi comme il le fallait », et repousse(nt) les grèves pendant des mois. Je m'adresse aux traîtres, aux déserteurs et aux charlatans qui réveillent la conscience réactionnaire des masses, qui essayent de juger ces gens en fonction de leur attitude envers le Kurdistan et tentent d'évaluer leur niveau « démocratique ». La culpabilité de la bande d'assassins est établie. C'est à travers leur chair et leur sang que les gens commencent à le voir et le comprendre. Mais qu'en est-il de la culpabilité des charlatans, de ceux qui détournent la lutte pour la démocratie et la liberté (...) Oui, qu'en est-il de leur culpabilité ? (...) Ils ont leur part de responsabilité dans les meurtres commis par la bande d'assassins (...) Fasse que leur « union » soit heureuse ! »

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