Jurisprudence : CE contentieux, 29-12-2000, n° 207613

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 207613

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON

M. LAUTIER

M. Vallée, Rapporteur
Mme Mignon, Commissaire du Gouvernement

Séance du 11 décembre 2000
Lecture du 29 décembre 2000


REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête enregistrée le 7 mai 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Bertrand LAUTIER, demeurant 19, rue du docteur Roux à Sèvres (92310) ; M. LAUTIER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 avril 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 2 décembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 22 mai 1996 par laquelle le ministre du travail et des affaires sociales a autorisé son licenciement à la demande de la société Sommer ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi du 3 août 1995 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

  1. le rapport de M. Vallée, Auditeur,
  2. les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de M. LAUTIER et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Sommer,
  3. les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. LAUTIER, qui était délégué du personnel et membre du comité d'entreprise de la société Sommer, se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement en date du 2 décembre 1997 du tribunal administratif de Paris annulant la décision du 22 mai 1996 du ministre du travail et des affaires sociales autorisant son licenciement, a rejeté sa demande en annulation de ladite décision ;

Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les l'onctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que. dan, le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir. si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée. l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. LAUTIER a été engagé en 1981 par la société internationale de revêtement de sol. appartenant au groupe Sommer ; que son contrat de travail, qui comportait une clause de mobilité selon laquelle la carrière de l'intéressé pouvait se dérouler tant à l'étranger qu'en France, a été transféré à la société Sommer en 1985 ; qu'en 1988 et 1989, M. LAUTIER a été élu membre titulaire du comité d'entreprise, membre suppléant du comité central d'entreprise et délégué du personnel de ladite société ; que le 16 février 1995, le directeur des ressources humaines de la société Sommer a indiqué à M. LAUTIER qu'il était envisagé de lui proposer une nouvelle affectation dans un bureau de représentation commerciale en Pologne ou en Russie et qu'un délai d'un mois lui était accordé pour faire connaître sa réponse, sous peine pour lui d'être réputé avoir accepté le principe de la mutation ; qu'après avoir demandé des précisions sur la proposition ainsi formulée. M. LAUTIER, informé le 22 mai 1995 de ce que le poste offert était situé à Varsovie, a refusé d'accepter cette mutation le 31 mai 1995 ; que le 13 juin suivant, la société Sommer a estimé que M. LAUTIER n'avait pas réagi dans le délai d'un mois qu'elle lui avait consenti le 16 février et l'a mis en demeure de rejoindre son nouveau poste le 1er juillet : que le 14 juin 1995 M. LAUTIER a confirmé expressément son refus d'accepter la mutation en se référant notamment à la nécessité pour lui d'exercer normalement les mandats dont il était investi ; qu'à compter du 1er juillet la société Sommer a supprimé le bureau de M. LAUTIER dans l'entreprise et a cessé de lui verser son salaire ; que le 15 septembre 1995 ladite société a sollicité l'autorisation de licencier M. LAUTIER en se prévalant du refus de l'intéressé d'accepter la mutation proposée à Varsovie en méconnaissance de la clause de mobilité contenue dans son contrat de travail ; que l'inspecteur du travail, par décision du 15 novembre 1995. a refusé cette autorisation au motif que la mise en oeuvre de cette clause de mobilité porterait atteinte " à l'exercice normal. voire à l'exercice tout court " des mandats de M. LAUTIER ; que, par la décision contestée du 22 mai 1996, le ministre du travail et des affaires sociales a annulé la décision du 15 novembre 1995 de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. LAUTIER ;

Considérant que pour juger que la mutation à Varsovie proposée à M. LAUTIER n'a eu ni pour objet ni pour effet de contrevenir à l'exécution normale des mandats dont il était investi, la cour administrative d'appel de Paris s'est exclusivement fondée sur la clause de mobilité contenue par son contrat de travail ; qu'en statuant ainsi, alors que l'éloignement entraîné par la mutation à Varsovie interdisait l'exercice normal de ses mandats représentatifs, la cour a inexactement qualifié les faits de la cause ; que M. LAUTIER est, dès lors, fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;

Considérant que s'il appartenait au ministre, qui avait à apprécier si la faute reprochée à M. LAUTIER était d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale de ses mandats dont il était investi, de motiver sur ce point sa décision, il n'était pas tenu, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, de mentionner préalablement les raisons pour lesquelles il estimait ne pas devoir retenir le motif sur lequel s'était fondé l'inspecteur du travail ; que, par suite. c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal s'est fondé sur une insuffisance de motivation pour annuler la décision du ministre du 22 mai 1996 ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. LAUTIER devant le tribunal administratif de Paris ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société Sommer, pourtant tenue d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, a tenté d'obliger M. LAUTIER à accepter un déplacement immédiat dans un poste à Varsovie ; que compte tenu de l'éloignement qui lui était ainsi imposé, la mutation proposée avait pour effet de contrevenir à l'exécution normale des mandats dont il était investi ; que, bien que le contrat de travail de l'intéressé comportât une clause de mobilité, le refus de M. LAUTIER d'accepter ladite mutation ne constituait pas en l'espèce une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; que, par suite, la décision du 22 mai 1996 par laquelle le ministre du travail et des affaires sociales a autorisé le licenciement de M. LAUTIER n'est pas légalement justifiée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Sommer n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué. le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre ;

Sur les conclusions de M LAUTIER et de la société Sommer présentées au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que M. LAUTIER qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société Sommer la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions de M. LAUTIER et de condamner la société Sommer à lui verser, en application de ces mêmes dispositions, la somme de 20 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


D E C I D E


Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 avril 1999 est annulé.


Article 2 : La requête de la société Sommer devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.


Article 3 : La société Sommer versera à M. LAUTIER la somme de 20 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.


Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Bernard LAUTIER, à la société Sommer et au ministre de l'emploi et de la solidarité.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Décisions similaires

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par visa

Domaine juridique - TRAVAIL ET EMPLOI

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par thème
La Guadeloupe
La Martinique
La Guyane
La Réunion
Mayotte
Tahiti

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.