Jurisprudence : CE 3/8 SSR, 01-08-2013, n° 358103, mentionné aux tables du recueil Lebon



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


N°s 358103, 358615, 359078


ASSOCIATION GENERALE DES PRODUCTEURS DE MAIS (AGPM) et autres


M. Guillaume Odinet, Rapporteur

Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, Rapporteur public


Séance du 5 juillet 2013


Lecture du 1er août 2013


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux




Vu, 1°, sous le n° 358103, la requête, enregistrée le 29 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM), dont le siège est 21, chemin de Pau à Montardon (64121), représentée par son président, et par la Fédération nationale de la production de maïs et de sorgho, dont le siège est 21, chemin de Pau à Montardon (64121), représentée par son président ; l'AGPM et autre demandent au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) ;


2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu, 2°, sous le n° 358615, la requête, enregistrée le 17 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'EARL de Commenian, dont le siège est au Commenian à Lavernose (31410), représentée par son gérant, et pour l'EARL de Candelon, dont le siège est Villa de Candelon à Auvillar (82340), représentée par son gérant ; l'EARL de Commenian et autre demandent au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) ;


2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu, 3°, sous le n° 359078, la requête et le mémoire, enregistrés les 2 mai et 7 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Union française des semenciers (UFS), dont le siège est 17, rue du Louvre à Paris (75001), représentée par son président ; l'UFS demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) ;


2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces des dossiers ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2013, présentée par l'Union nationale de l'apiculture française ;


Vu la note en délibérée enregistrée, le 12 juillet 2013, présentée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ;


Vu la Constitution, notamment son Préambule ;


Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;


Vu la directive 90/220/CEE du 23 avril 1990 ;


Vu le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ;


Vu le règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003 ;


Vu le règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 ;


Vu la décision de la Commission n° 98/294/CE du 22 avril 1998 ;


Vu le code rural ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Guillaume Odinet, Auditeur,


- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de l'Earl de Commenian et de l'Earl de Candelon et à la SCP Monod, Colin, avocat de l'Union française des semenciers et à Me Foussard, avocat de l'Assocation les amis de la terre et autres ;






1. Considérant que les requêtes présentées sous les numéros 358103, 358615 et 359078 sont dirigées contre le même arrêté ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;


2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le maïs MON 810 est une variété de maïs génétiquement modifiée en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes ravageurs de cette plante ; que sa mise sur le marché a été autorisée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur le fondement des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, alors en vigueur ; que, le 12 juillet 2004, cet organisme génétiquement modifié (OGM) a été notifié en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ; que l'association générale des producteurs de maïs et autres demandent l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2012 par lequel le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire a interdit la mise en culture des variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810 jusqu'à l'adoption de mesures communautaires ;


Sur la compétence du Conseil d'Etat :


3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (.) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres (.) " ;


4. Considérant que l'arrêté attaqué, qui interdit à toute personne de mettre en culture les variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810, présente un caractère réglementaire ; que, par suite, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort de recours pour excès de pouvoir dirigés contre cet acte ;


Sur les interventions, dans l'affaire n° 358103, de l'association Greenpeace France et de l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et, dans l'affaire n° 358615, de l'UNAF, de l'association Les amis de la Terre France, de l'association La confédération paysanne, de la fédération française d'apiculteurs professionnels, de la fédération nationale d'agriculture biologique, de l'association France nature environnement (FNE), de l'association Nature et progrès et de l'association Réseau semences paysannes :


5. Considérant que ces associations ont intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi leurs interventions sont recevables ;


Sur la légalité de l'arrêté attaqué :


6. Considérant que les aliments génétiquement modifiés pour animaux qui ont été légalement mis sur le marché avant la date de publication du règlement (CE) n° 1829/2003 sont soumis aux dispositions de ce règlement et notamment, aux termes du paragraphe 5 de son article 20, " de ses articles 21, 22 et 34, qui s'appliquent mutatis mutandis " ; qu'aux termes de l'article 34 de ce règlement : " Lorsqu'un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ou si, au regard d'un avis de l'Autorité délivré conformément aux articles 10 et 22, il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d'urgence une autorisation, des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002. " ; qu'aux termes de l'article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires : " la Commission (.) arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d'un Etat membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes : / a) pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux d'origine communautaire : (.) / ii) suspension de la mise sur le marché ou de l'utilisation des aliments pour animaux en question ; / iii) fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question ; iv) toute autre mesure conservatoire appropriée ; (.) " ; qu'aux termes de l'article 54 du même règlement : " 1. Lorsqu'un Etat membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d'urgence et que la Commission n'a pris aucune mesure conformément à l'article 53, cet Etat membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission. (.) / 3. L'Etat membre peut maintenir les mesures conservatoires qu'il a prises au niveau national jusqu'à l'adoption des mesures communautaires. " ;


En ce qui concerne le moyen de défense tiré de ce que le ministre aurait été placé en situation de compétence liée pour interdire la mise en culture du maïs MON 810 sur le fondement du règlement (CE) n° 1107/2009 :


7. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), le maïs génétiquement modifié MON 810, qui est soumis au règlement (CE) n° 1829/2003 qui régit les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, n'est pas soumis au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil ; que par suite, le moyen tiré de ce que le ministre aurait été en situation de compétence liée pour interdire la mise en culture du maïs MON 810, quelle que soit l'appréciation sur la légalité de l'acte attaqué au regard des dispositions citées ci-dessus de l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 qu'il vise, au motif que la toxine produite par ce maïs n'avait pas été autorisée sur le fondement du règlement (CE) n° 1107/2009, ne peut qu'être écarté ;


En ce qui concerne la légalité de la mesure d'interdiction de mise en culture du maïs MON 810 :


8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 22 du règlement (CE) n° 1829/2003, intitulé " Modification, suspension et révocation des autorisations " : " 1. De sa propre initiative ou à la demande d'un Etat membre ou de la Commission, l'Autorité émet un avis sur la question de savoir si une autorisation délivrée pour un produit (.) est toujours conforme aux conditions du présent règlement. (.) / 2. La Commission examine l'avis de l'Autorité dans les plus brefs délais. Toute mesure appropriée est prise conformément à l'article 34. Le cas échéant, l'autorisation est modifiée, suspendue ou révoquée (.) " ;


9. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), que, si une pratique suffisamment intensive de la culture de maïs génétiquement modifié Bt 11, similaire au maïs MON 810, est susceptible de donner lieu au développement d'une résistance chez les insectes cibles, l'utilisation de zones-refuges de maïs non génétiquement modifié, dont il ressort des pièces du dossier qu'elle était prévue dès la demande d'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810 présentée à la Commission, permet de retarder ce risque ; qu'il en ressort également que, si l'exposition, pendant plusieurs années consécutives, d'hypothétiques espèces de lépidoptères extrêmement sensibles à des niveaux élevés de pollen de maïs Bt 11 est susceptible de réduire les populations de ces espèces dans les régions où la culture de ce maïs est pratiquée de façon suffisamment intense, un tel risque peut être réduit à un niveau d'absence de préoccupation par l'adoption de mesures de gestion dans les régions où les populations de lépidoptères concernées pourraient être présentes et sujettes à une exposition suffisante ; que cet avis conclut que, lorsque des mesures de gestion du risque appropriées sont mises en place, le maïs génétiquement modifié MON 810 n'est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l'environnement que le maïs conventionnel ;


10. Considérant qu'en estimant qu'il apparaissait nécessaire, au regard de l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), dont il ne résulte pas que le maïs MON 810 présenterait un risque important pour l'environnement, qui ne fait état d'aucune urgence et qui n'adresse aucune recommandation à la Commission, de suspendre ou de modifier d'urgence l'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation ;


11. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'arrêt Monsanto SAS et autres de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 septembre 2011, C-58/10 à C-68/10, que la première hypothèse mentionnée par l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 impose aux Etats membres de démontrer, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ; qu'un tel risque doit être constaté sur la base d'éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables ;


12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que tant l'avis de l'AESA du 30 juin 2009 relatif à la demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 que l'avis du 22 décembre 2009 du comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies sur les réponses de l'AESA aux questions posées par les Etats membres au sujet du maïs MON 810 et l'avis de ce comité du 21 octobre 2011 sur le rapport de surveillance de culture du MON 810 en 2010 ont conclu à l'absence de risque important pour l'environnement ; que, si une étude publiée le 15 février 2012 par des chercheurs de l'institut fédéral suisse de technologie de Zurich constate une augmentation de la mortalité de larves de coccinelles nourries constamment en laboratoire avec la toxine Bt, cette étude relève que ses résultats n'ont pas été retrouvés dans des études en plein champ et ne conclut pas à l'existence d'un risque mais uniquement à la nécessité de mener des études complémentaires ;

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