Jurisprudence : CA Agen, 14-12-2022, n° 21/00733, Infirmation partielle


ARRÊT DU

14 Décembre 2022


JYS/CR


---------------------

N° RG 21/00733

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C5GK

---------------------


GROUPAMA

PARIS VAL DE LOIRE


C/


CAISSE PRIMAIRE

D'ASSURANCE MALADIE DE LOT-ET-GARONNE


------------------


GROSSES le

à


ARRÊT n°


COUR D'APPEL D'AGEN


Chambre Civile


LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,



ENTRE :


GROUPAMA PARIS VAL DE LOIRE

Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles

Paris Val de Loire

RCS de Nanterre n°382285260

[Adresse 1]

[Adresse 8]

[Localité 7]


Représentée par Me Guy NARRAN, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Nicolas STOEBER, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS


APPELANTE d'un Jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 01 Juin 2021, RG 14/01839


D'une part,


ET :


Monsieur [S] [N]

né le [Date naissance 3] 1986 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 13]


Représenté par Me Antoine CHAMBOLLE, avocate plaidante inscrite au barreau de BORDEAUX et par Me Vanessa LE GUYADER, avocate postulante inscrite au barreau d'AGEN


INTIMÉ


CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

DE LOT-ET-GARONNE

[Adresse 2]

[Localité 6]


INTIMEE n'ayant pas constitué avocat


D'autre part,


COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique, sans opposition des parties, le 05 Octobre 2022 devant la cour composée de :


Cyril VIDALIE, Conseiller,

Jean-Yves SEGONNES, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience


qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre eux-mêmes de Nelly EMIN, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre.


en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile🏛, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés.


Greffière : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière.


ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛


' '

'


Le 23 août 2003 à [Localité 9] (Lot-et-Garonne), [S] [N], né le [Date naissance 4] 1986 a été victime au guidon d'un scooter d'une collision arrière avec une automobile au volant de laquelle le conducteur responsable était assuré par la société Groupama, où il a subi principalement un traumatisme crânio-facial et des fractures du bassin.

[S] [N], lorsqu'il fut accidenté, était à la fin de la première année d'une formation d'apprentissage du métier de plombier-chauffagiste entamée le 2 septembre 2002 pour une durée de deux ans dans l'entreprise générale de chauffage et climatisation SA Badie à [Localité 13] ; il demeurait chez ses parents à [Adresse 14] (47). Au 24 mai 2007, il a été admis au statut de travailleur handicapé.

Sur la base des conclusions d'une expertise définitive plurale amiable du 12 juin 2007, [S] [N] a eu droit à l'indemnisation intégrale de son dommage corporel consolidé le 13 avril 2007 à 20 % d'atteinte à l'intégrité physique et psychique ; le retentissement professionnel était représenté par " la nécessité d'un cursus d'apprentissage dont le principe paraît acquis dans l'industrie du disque ". Il a transigé le 6 décembre 2007 avec l'assureur responsable à la somme de 77 681,15 euros, dont notamment pour les préjudices professionnels, à la perte de chance d'une valeur de 10 000 euros pour l'abandon des études de plomberie-chauffage.

Sur la base d'un certificat médical en aggravation du Dr. [X] le 27 avril 2012, médecin du centre de réadaptation de [Localité 15] et par ordonnance du 13 juillet 2012, le juge des référés a missionné le Dr. [E] pour, notamment, expertiser les séquelles de " céphalées invalidantes quotidiennes à type de douleurs hémi-crâniennes droites pulsatiles avec phono-photo-phobies et nausées sans vomissement " diagnostiquées.

Cet expert a conclu le 23 avril 2013 que les séquelles se résument fonctionnellement à des déficits neuropsychologiques et ophtalmologiques de baisse d'acuité visuelle, mydriase et cataracte droite ainsi qu'anosmie et agueusie et au même pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et psychique de 20 % qu'à l'expertise de référence et encore à un retentissement professionnel de " cursus d'apprentissage professionnel possible dans la voie commerciale envisagée de la musique. "

Au 1er juillet 2012, [S] [N], sans emploi, a également été rendu titulaire d'une allocation d'adulte handicapé au montant de 743,62 euros par mois ; il était en hôpital de jour au centre de rééducation fonctionnelle de [Localité 15] depuis le 2 janvier jusqu'au 30 novembre suivant.

Suivant acte d'huissier du 28 juillet 2014, [S] [N] a fait assigner la compagnie Groupama Val de Loire devant le tribunal de grande instance d'Agen pour au principal, être condamnée sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 au titre de l'aggravation des séquelles de l'accident du 30 aout 2003, à lui payer 300 539 euros de pertes de gains professionnels futurs et 55 000 euros d'incidence professionnelle.

Le Dr. [J], médecin psychiatre expert désigné pour un complément d'expertise, d'abord par jugement avant dire droit du 23 octobre 2015 puis par ordonnance du juge de la mise en état du 20 décembre 2017, a reçu une autre mission que celle au Dr. [E], comprenant aussi le point de " dire si du fait des séquelles imputables, il existe une atteinte nouvelle permanente à une ou plusieurs fonctions (') préciser son incidence sur l'activité professionnelle, l'aptitude à suivre toute formation ou réinsertion ou exercer toute activité ou bien la gêne qu'elle entraine dans l'exercice d'un métier ou sur l'opportunité d'une orientation professionnelle en milieu protégé ".

Le 3 juillet 2017, [S] [N] a été admis dans l'établissement de service d'aide par le travail (ESAT) l'Essor à [Localité 10] (Lot-et-Garonne) en contrat d'emploi en espaces verts rémunéré 650 euros par mois ; depuis le 1er juin 2018, il vit dans son propre domicile sur le site.

Le Dr [J] avait conclu provisoirement en 2016 que " la douleur est un ressenti éminemment subjectif qu'il est difficile de quantifier (') sans pouvoir véritablement trancher, nous observons que les céphalées éprouvées ont pris progressivement le devant du tableau clinique et constituent aujourd'hui la doléance principale du sujet" et à la non consolidation du sujet ; il a conclu définitivement le 15 octobre 2018 à principalement, un déficit fonctionnel temporaire depuis le 2 janvier 2012 à 30 % jusqu'au 30 novembre 2012 avec des souffrances nouvelles de 2,5/7 endurées et à un déficit fonctionnel permanent consolidé nul le 3 juillet 2017, avec une incidence professionnelle de " nécessité de travail adapté en milieu protégé avec ajustement de l'implication professionnelle en période de céphalées. "

Par jugement du 1er juin 2021 réputé contradictoire en premier ressort, le tribunal a :

- débouté la compagnie Groupama de ses demandes de complément d'expertise et nouvelle expertise judiciaire,

- déclaré recevable l'ensemble des demandes de [S] [N],

- fixé le préjudice subi par [S] [N] suite aux faits dont il a été victime à la somme totale de 959 665,52 euros selon le détail suivant : 641,40 euros de dépenses de santé actuelles, 4 128 euros de frais divers, 40,72 euros de dépenses de santé futures, 898 458,40 euros de pertes de gains professionnels futurs, 50 000 euros d'incidence professionnelle, 2 397 euros de déficit fonctionnel temporaire, 4 000 euros de souffrances endurées,

- condamné la société Groupama Paris Val de Loire à payer à [S] [N] 958 983,40 euros après déduction de la créance du tiers payeur,

- dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Groupama à payer à [S] [N] 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamné la société Groupama Paris Val de Loire aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire à concurrence de la moitié de l'indemnité allouée et en totalité concernant les frais irrépétibles et les dépens.

Pour rejeter la demande avant dire droit de la société Groupama d'une synthèse des conclusions des médecins experts [E] et [J], le tribunal a jugé que la mission du second avait valeur de contre-expertise des conclusions du premier et qu'il n'y a pas lieu à la réunion des deux experts, ni à une expertise supplémentaire.

Pour évaluer les postes du dommage corporel, le tribunal a d'abord écarté la fin de non-recevoir opposée par Groupama sur le fondement de l'absence d'aggravation par rapport à la transaction de 2007, sur une base situationnelle. Sur le fond, il a jugé au-delà des termes de l'assignation suivant les conclusions récapitulatives des parties, selon tous les postes concernés de la nomenclature. Notamment sur les pertes de gains professionnels futurs, le tribunal a écarté l'irrecevabilité de la demande en considérant que l'indemnisation de ce poste devait être évaluée définitivement au-delà de la seule perte de chance pour l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle de plombier-chauffagiste qui a été tranchée à la transaction et que l'entier dommage de privation dudit métier doit donc encore être réparé. Pour ce faire, le tribunal s'est fondé sur le revenu moyen mensuel net médian d'un plombier chauffagiste de 1 906 euros par mois dont à déduire le revenu en ESAT de D. [N] de 682 euros par mois, soit 1 224 euros capitalisés viagèrement depuis la date de la première consolidation en 2007.


Suivant déclaration au greffe de la cour, la société d'assurances Groupama Paris Val de Loire a fait appel de tous les chefs de dispositif dudit jugement et a intimé [S] [N], le 13 juillet 2021.

Selon ses dernières conclusions visées au greffe le 5 avril 2022, l'appelante expose que les douleurs ne se sont aggravées que dans la subjectivité de la victime car elles ont existé dès l'origine et cette doléance a pris le dessus sur les autres séquelles de l'accident dont le premier expert a dit qu'elles ont connu une amélioration. Avant l'aggravation provisoire, [S] [N] n'a pas eu la vélléité de chercher un emploi, même dans le domaine de la musique. Le tribunal a considéré à tort que [S] [N] aurait eu un contrat de travail de plombier chauffagiste dès l'époque de son accident à l'âge de 18 ans alors qu'en présence seulement d'un contrat d'apprentissage, la perte de chance doit intervenir.

Elle fait valoir que le juge de la mise en état n'a pas ordonné une contre-expertise et que le second expert a dépassé sa mission en concluant sur tous les postes de la nomenclature des préjudices corporels malgré qu'il n'a retenu la notion d'aggravation que temporairement ; la preuve d'une aggravation, situationnelle compte tenu de la dimension subjective retenue par l'expert, n'est pas rapportée. [S] [N] ne peut pas prétendre par ses non tentatives de formation, ni de recherches d'emploi, à être indemnisé. Subsidiairement, en l'état de la transaction définitive, le point de départ de l'indemnisation des préjudices professionnels ne peut être que celui du jour de l'aggravation en 2012.

La société Groupama Paris Val de Loire demande donc, en infirmant le jugement en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes, a reçu [S] [N] en ses demandes et l'a condamnée à lui payer 959 665,52 euros, de statuer à nouveau et de :

principalement, ordonner sous la forme d'une mission d'expertise une réunion de synthèse entre les deux médecins experts [E] et [J] pour formuler un avis commun sur l'existence d'une éventuelle aggravation et la possibilité pour D. [N] d'exercer ou non une activité professionnelle en milieu ouvert soit depuis le 3 juillet 2017 soit à l'avenir compte tenu de l'amélioration produite par le travail en établissement et à défaut, d'ordonner une contre-expertise avec mission neurologique ou neuropsychiatrique,

subsidiairement, dire que la demande se heurte à l'autorité de la chose jugée en ce qu'elle fixe le point de départ de l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs au 13 avril 2007 et :

- au titre des pertes de gains professionnels futurs, débouter jusqu'au 1er janvier 2012 D. [N] de sa demande pour la période antérieure à l'aggravation, retenir une perte de 60 % de chance et évaluer ce poste du 2 janvier 2012 au 3 juillet 2017, à 1 250 euros mensuels soit 47 604,38 euros puis jusqu'au 31 octobre 2021 à 1 509 euros mensuels soit 10 726,80 euros salaires ESAT de 650 euros mensuels déduits, enfin à dater du 1er novembre 2021, en capitalisant 255,40 euros salaires déduits x 12 mois x 41,639 eurorente = 127 615,20 euros, soit la somme de 185 946,38 euros,

- au titre de l'incidence professionnelle, débouter [S] [N] de sa demande, à défaut en limiter le montant à 15 000 euros,

en tout état de cause, de :

- débouter [S] [N] de son appel incident,

- débouter [S] [N] de toutes ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamner [S] [N] aux dépens d'appel avec distraction P Me [P].

Selon dernières conclusions visées au greffe le 27 juillet 2022, l'intimé expose que, sur le préjudice global, l'inopportunité d'une troisième mesure d'instruction a bien été justifiée par le tribunal et que sur le préjudice professionnel, la transaction a seulement indemnisé à 10 000 euros la perte de chance par l'abandon forcé de la formation au CAP de plombier-chauffagiste.

Il fait valoir que le tribunal a bien caractérisé l'aggravation, situationnelle à défaut de physiologique, des lésions cérébrales, née de l'échec de tous les projets de réinsertion professionnelle, étant atteint de céphalées invalidantes insurmontables ; l'indemnisation des deux postes des pertes des gains professionnels et de l'incidence professionnelle est d'autant mieux justifiée qu'elle a été envisagée à la signature de la transaction qui ne l'a pas tranchée définitivement avec force de chose jugée ; l'indemnisation des conséquences de l'accident de 2003, qui n'est pas encore intégrale doit être complétée sur la base d'un salaire complet en rajoutant l'incidence de ne pouvoir travailler qu'en milieu protégé.

[S] [N] demande donc, en confirmant le jugement en ce qu'il a condamné la société Groupama Val de Loire à l'indemniser aux titres des pertes de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle et en le réformant sur les montants alloués, de :

- condamner la société Groupama Val de Loire à lui payer 906 499 euros de pertes de gains professionnels futurs et 100 000 euros de l'incidence professionnelle,

- débouter la société Groupama Val de Loire de ses demandes,

- condamner la société Groupama Val de Loire à lui payer 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamner la société Groupama Val de Loire aux entiers dépens de première instance et d'appel.


Suivant acte d'huissier du 12 janvier 2022, [S] [N] a fait signifier sa déclaration d'appel et ses premières conclusions à personne déclarée habilitée à les recevoir, à la Caisse primaire d'assurance-maladie du Lot-et-Garonne, laquelle a communiqué qu'elle n'a pas de créance à faire valoir et la Caisse n'a pas constitué avocat. La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise et aux dernières conclusions déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile🏛.

Le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de la procédure le 14 septembre 2022.


MOTIFS

1 / Sur l'aggravation :

L'article 211-19 du code des assurances🏛 dispose que : "La victime peut, dans le délai prévu par l'article 2226 du code civil🏛, demander la réparation de l'aggravation du dommage qu'elle a subi à l'assureur qui a versé l'indemnité."

A/ Sur la recevabilité :

Le procès-verbal "sur offre définitive" de transaction dit bien que les postes réparés en 2007 sont les dépenses de santé actuelles, les déficits fonctionnels temporaire et permanent, les souffrances endurées, le préjudice esthétique définitif et le préjudice d'agrément, les préjudices professionnels y étant considérés presqu'inexistants. Il s'ensuit que les deux parties, l'assureur Groupama du conducteur adverse responsable et D. [N] n'ont pas considéré que les postes des pertes des gains professionnels anciens et futurs, ni de l'incidence professionnelle, étaient bien caractérisés.

La mention "sous réserves d'aggravations" au procès-verbal de transaction du 6 décembre 2017 n'a aucune incidence en faveur de l'action en aggravation audit jour, car cette réserve est de droit. Cette mention ne prouve pas non plus que le dommage n'a pas été définitivement réparé selon la volonté des parties ; dans le cas contraire, D. [N], assisté du médecin désigné par son assureur la MACIF, aurait signé sous réserve des préjudices professionnels.

La transaction a la même autorité que la chose jugée en dernier ressort. Elle n'a pas été dénoncée par la victime dans les quinze jours de sa signature en application de l'article 19 de la loi du 5 janvier 1985 ; elle ne fait pas non plus l'objet d'une instance en annulation dans le délai du droit commun de cinq ans pour vice de forme et nullité ou défaut d'information sur le fondement de l'article 211-16 du même code🏛, la victime état assistée par un des co-experts.

De fait, aucun des deux derniers rapports d'expertise ne conclut à augmenter le taux d'incapacité permanente. Le dommage fixé à la date de la transaction valant décision définitive, en cas d'aggravation, la nouvelle évaluation ne remet pas en cause l'indemnisation initiale globale du préjudice et ne permet pas la rétroaction de la demande. En l'état, il a existé une aggravation médicale transitoire de janvier à novembre 2012 inclus. Il s'ensuit que la demande présente n'est recevable qu'à dater du 2 janvier 2012.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

B/ Sur les mesures d'instruction :

Le premier expert de l'aggravation, Dr. [E], écrivait que : " A partir du 1er septembre 2004, D. [N] avait la possibilité d'assurer une formation par un stage. Aucune tentative de formation adaptée n'a été faite et ce n'est qu'à la date du 23 mai 2006 qu'a été diligentée la demande d'allocation d'adulte handicapé dans le but d'un reclassement professionnel adapté aux séquelles que présente l'intéressé après l'accident référencé'Le souhait était de se reclasser dans la musique' Actuellement, D. [N] a suspendu tout projet professionnel tant que son problème de céphalée ne sera pas résolu ou au moins atténué ". L'expert concluait le 23 avril 2013 au même pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et psychique que l'expertise de référence, soit 20 % et à un retentissement professionnel dans le cursus d'apprentissage possible en musique.

Le second expert Dr. [J] dans son premier rapport concluait provisoirement que " l'état situationnel n'était pas consolidé dans la mesure où la réussite de l'intégration en ESAT parait parfaitement réalisable et ne manquera pas d'avoir un impact favorable sur sa dynamique psychologique, son anxiété, ses douleurs, et même ses performances cognitives par effet de stimulation". Son dernier rapport discute la rechute constituée pour l'essentiel des céphalées qui, depuis l'admission à l'ESAT, ont retrouvé leur intensité antérieure et il conclut au même taux de déficit fonctionnel permanent que le Dr. [E] auparavant.

Les conclusions des deux experts judiciaires ne divergent pas fondamentalement sur l'existence ou non d'une aggravation, inexistante pour l'un et provisoire pour l'autre, ni sur la possibilité d'activité professionnelle, réelle et non limitée pour le premier et tout aussi réelle mais en milieu protégé pour le second. Puisque le second expert a été principalement missionné pour " décrire les lésions et affections qui se sont révélées ou aggravées depuis l'expertise amiable des Drs. [K] et [F] du 12 juin 2007 ", ses conclusions complètes sur les postes concernés à la nomenclature sont validées procéduralement. Pour le Dr. [J], l'aggravation n'était que transitoire et son rapport a pu être considéré par le tribunal comme une contre-expertise puisqu'il réinitialise tous les postes du dommage corporel. Une nouvelle expertise serait en réalité une troisième mesure d'instruction pour informer encore la juridiction sur une problématique médico-sociale que le Dr. [J] fixe avec un recul de cinq ans par rapport à son confrère.

En conséquence, il n'y a plus lieu à expertise non plus qu'à rechercher un consensus entre les experts qui existe déjà relativement alors qu'il leur appartient de conclure en toute indépendance puis qu'il appartient aux juges de trancher le différend.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

C- Sur les préjudices professionnels :

D. [N] est d'ores et déjà indemnisé de la perte de chance de l'obtention du diplôme professionnel de plombier-chauffagiste. Il existe une aggravation situationnelle tenant au fait démontré expérimentalement par le Dr. [J] que la prise en charge en ESAT a permis de juguler l'aggravation médicale mais que l'état de D. [N] n'évolue plus vers un emploi de type culturel dans la vente en milieu ordinaire comme souhaité par D. [N] depuis l'origine de son dommage et encore envisagé par l'expert [E] en 2013, ni un autre.

* Sur les pertes de gains professionnels futurs :

Elles correspondent à la disparition ou la réduction des ressources professionnelles après la consolidation et en présence d'une activité antérieure, il convient de projeter les données de la perte des gains professionnels anciens ; en l'absence de travail avant la consolidation, il y a lieu d'évaluer une perte de chance de pouvoir exercer l'activité alléguée.


La demande en réparation de l'aggravation du dommage et augmentation de la première réparation ne prospérant pas sur le premier fondement des séquelles (aggravation médicale) sauf provisoirement, D. [N] persévère en sa demande sur le nouveau fondement du changement de situation de fait (aggravation situationnelle), définitivement.

Le jugement sera infirmé sur le point de la réparation du préjudice des pertes de gains professionnels futurs entre le 13 avril 2007 et le 2 janvier 2012.

Le calcul de la perte de gains sur la base du revenu d'un plombier chauffagiste aurait nécessité la communication des appréciations, que D. [N] ne fournit pas, du centre de formation des apprentis où il était inscrit, pour savoir objectivement ses chances de succès dans ladite formation ou une autre équivalente. Le revenu perdu ne peut plus se calculer que sur la base du salaire minimal de croissance à partir du mois de juillet 2017 ou bien les montants de 1 250 euros puis 1 509 euros offerts par Aa.

D. [N], indépendamment de l'accident, pouvait aussi avoir à entamer une autre formation ou encore échouer et devoir subir de l'emploi précaire comme beaucoup de jeunes non diplômés, sinon du chômage. Sa perte de chance de parvenir à tout emploi stable en milieu ordinaire de travail du seul fait de l'accident, doit être évaluée à 66 %.

Le revenu de 650 euros de l'emploi protégé actuel, mais non l'allocation aux adultes handicapés, doit être déduit.

Il est ainsi dû les sommes de :

- 1 250 euros x 66 % = 55 000 euros du 2 janvier 2012 au 30 juin 2017 et 1 509 euros x 66 % - 650 euros x 66 mois = 23 496 euros jusqu'au 31 décembre 2022, soit 88 496 euros des périodes échues,

- 356 euros x 12 mois x 27,677 eurorente à 36 ans = 118 236,14 euros capitalisés jusqu'à 65 ans,

soit la somme totale de 206 732,14 euros.

Le jugement sera réformé sur ce poste.

* Sur l'incidence professionnelle :

La prise en compte de cette incidence a pour objet de compenser non la perte de revenus liée à l'invalidité, mais les effets périphériques du dommage touchant la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore le préjudice subi ayant trait à l' obligation de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant ce dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

Il doit être tenu compte de l'indemnisation de l'incidence de l'abandon de l'apprentissage. Seul le premier de ces trois critères est rempli dans la situation nouvelle de l'emploi protégé désormais pérenne de D. [N] aux espaces verts de l'ESAT 'l'Essor' à [Adresse 11]. La part de la dimension psychique dans le déficit fonctionnel permanent est modérée autour de 5 % et le déficit n'est pas celui d'un grand handicapé. D. [N] n'a pas justifié par des essais que d'autres adaptations de postes de travail ordinaire auraient échoué. L'indemnisation des indispositions professionnelles reste justifiée à hauteur de 15 000 euros.

Le jugement sera réformé sur ce poste.

2/ Sur l'étendue de la saisine de la cour par rapport aux autres demandes :

La déclaration d'appel portant sur tous les chefs du jugement, l'appelant limite sa discussion du jugement aux postes des préjudices professionnels et demande confirmation sur les autres postes ; l'intimé au dispositif de ses conclusions ne discute pas les autres chefs de préjudice corporel que les préjudices économiques.

En conséquence, la cour ne développe pas la motivation des autres chefs de préjudices indiscutés des dépenses de santé actuelles, frais divers, dépenses de santé futures, déficit fonctionnel temporaire et souffrances endurées.

Le jugement sera confirmé sur ces postes.

3/ Sur les dépens :

Les deux parties, qui succombent chacune en quelqu'une de leurs prétentions les supporteront dans la proportion de la perte de chance de D. [N] en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile🏛 et ils seront distraits au profit de Me Narran en application de l'article 699 du même code🏛.

Le jugement sera réformé sur ce point.


PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

Confirme le jugement, sauf les postes des pertes de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle et les dépens,

Jugeant à nouveau lesdits postes,

Condamne la Caisse d'assurance GROUPAMA Paris Val de Loire à payer à [S] [N] 206 732,14 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels,

Condamne la Caisse d'assurance GROUPAMA Paris Val de Loire à payer à [S] [N] 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

Dit que les dépens seront partagés par deux tiers à charge de la Caisse d'assurance GROUPAMA Paris Val de Loire et du tiers à charge de [S] [N],

Y ajoutant,

Dit que les dépens seront partagés par deux tiers à charge de la Caisse d'assurance GROUPAMA Paris Val de Loire et du tiers à charge de [S] [N],

Autorise Me [P] à recouvrer contre [S] [N] le tiers de ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir obtenu provision.

Le présent arrêt a été signé par Cyril VIDALIE, Conseiller, et par Charlotte ROSA, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, Le Conseiller,

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