Jurisprudence : Décision n°96-380 DC du 23-07-1996

Décision n°96-380 DC du 23-07-1996

A8345AC3

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°96-380 DC du 23-07-1996


Publié au Journal officiel du 27 juillet 1996, p. 11408
Rec. p. 107

LOI RELATIVE À L'ENTREPRISE NATIONALE FRANCE TÉLÉCOM


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 3 juillet 1996, par MM Laurent Fabius, Léo Andy, Gilbert Annette, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Mme Frédérique Bredin, MM Laurent Cathala, Henri d'Attilio, Camille Darsières, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Maurice Depaix, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Jean-Jacques Filleul, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Fromet, Kamilo Gata, Pierre Garmendia, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Maurice Janetti, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Martin Malvy, Marius Masse, Didier Mathus, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Michel Pajon, Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Jean-Marc Salinier, Roger-Gérard Schwartzenberg, Bernard Seux, Henri Sicre, Patrice Tirolien et Daniel Vaillant, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales ;

Vu la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 modifiée relative à la démocratisation du secteur public ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;

Vu la loi portant réglementation des télécommunications déférée par ailleurs au Conseil constitutionnel ;

Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 17 juillet 1996 ;

Vu les observations en réplique des auteurs de la saisine enregistrées le 19 juillet 1996 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom en arguant d'inconstitutionnalité les articles 1er et 7 de celle-ci ;

Sur l'article 1er :
Considérant que l'article 1er de la loi insère dans la loi susvisée du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications un article 1-1 ;
que ce dernier dispose que la personne morale de droit public France Télécom est transformée à compter du 31 décembre 1996 en une entreprise nationale dénommée France Télécom dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social ;
qu'il ajoute notamment que, sous réserve de ceux qui sont nécessaires aux missions de service public d'enseignement supérieur des télécommunications, les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom sont transférés de plein droit à la même date à l'entreprise nationale France-Télécom ;

Considérant que les députés auteurs de la saisine font valoir que France Télécom constitue un service public national au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
qu'ils font grief à la loi de ne comporter aucune garantie quant à l'évolution ultérieure de l'entreprise nationale France Télécom s'agissant de son maintien dans le secteur public qui serait pourtant exigé par cette prescription constitutionnelle ;
qu'ils soutiennent que le changement de statut opéré par le législateur met en cause les principes à valeur constitutionnelle régissant le service public ;
qu'il en serait de même du déclassement de biens du domaine public de la personne morale de droit public France Télécom ;
que celui-ci se heurterait au surplus au principe à valeur constitutionnelle de l'inaliénabilité du domaine public ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 :
" Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité " et que l'article 34 de la Constitution confère au législateur compétence pour fixer " les règles concernant les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé " ;
qu'en maintenant à France Télécom sous la forme d'entreprise nationale, les missions de service public antérieurement dévolues à la personne morale de droit public France Télécom dans les conditions prévues par la loi susvisée de réglementation des télécommunications, le législateur a confirmé sa qualité de service public national ;
qu'il a garanti, conformément au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, la participation majoritaire de l'Etat dans le capital de l'entreprise nationale ;
que l'abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d'une loi ultérieure ;
que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des prescriptions constitutionnelles précitées ne saurait être accueilli ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 1er de la loi déférée que les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public existante ne seront pas transférés à l'entreprise nationale France Télécom sans qu'ils aient été préalablement déclassés ;
que dès lors, si les députés auteurs de la saisine invoquent à l'encontre de cette disposition le principe selon eux à valeur constitutionnelle de l'inaliénabilité du domaine public, cet article n'a ni pour objet ni pour effet de permettre ou d'organiser l'aliénation de biens appartenant au domaine public ;
que, par suite, le grief ainsi articulé manque en fait ;

Considérant enfin qu'il ne résulte pas des dispositions prises par le législateur quant au statut juridique de France Télécom que celui-ci ait de quelconque façon affranchi l'entreprise du respect des prescriptions à valeur constitutionnelle s'attachant à l'accomplissement des missions de service public qui lui incombent ;
que d'ailleurs l'article 8 de la loi du 2 juillet 1990 susvisée dispose qu'un cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'exécution des services publics ainsi pris en charge en précisant notamment " les conditions dans lesquelles sont assurées la desserte de l'ensemble du territoire national, l'égalité de traitement des usagers, la neutralité et la confidentialité des services " ;
qu'au surplus l'article 4 de la loi déférée insère dans la loi du 2 juillet 1990 susvisée un article 23-1 aux termes duquel " lorsqu'un élément d'infrastructure des réseaux de télécommunications est nécessaire à la bonne exécution par France Télécom des obligations de son cahier des charges, et notamment à la continuité du service public, l'Etat s'oppose à sa cession ou à son apport en subordonnant la réalisation de la cession ou de l'apport à la condition qu'ils ne portent pas préjudice à la bonne exécution desdites obligations " ;
qu'il appartiendra aux autorités juridictionnelles et administratives de veiller strictement au respect par l'entreprise France Télécom des principes constitutionnels régissant le service public, notamment dans la gestion des biens transférés ;
que, dans ces conditions, les auteurs de la saisine ne sont pas non plus fondés à invoquer la méconnaissance de ces principes ;

Sur l'article 7 :
Considérant que l'article 7 de la loi déférée insère dans la loi du 2 juillet 1990 susvisée un article 30-1 en vertu duquel jusqu'au 31 décembre 2006, les agents fonctionnaires affectés à France Télécom à la date de promulgation de la loi et âgés d'au moins cinquante-cinq ans pourront sur leur demande et sous réserve de l'intérêt du service, bénéficier d'un congé de fin de carrière s'ils ont accompli au moins vingt-cinq ans de service à France Télécom ou dans un service relevant de l'administration des postes et télécommunications ;
que dans ce cas les intéressés ne peuvent revenir sur le choix qu'ils ont fait et sont mis à la retraite et radiés des cadres à la fin du mois de leur soixantième anniversaire ;
qu'ils perçoivent au cours de ce congé de fin de carrière une rémunération égale à 70 p 100 de leur rémunération d'activité complète au moment de la prise de congé et que la période correspondante est prise en compte pour la constitution et la liquidation du droit à pension ;

Considérant que les députés auteurs de la saisine mettent en cause l'exclusion par la loi de ce régime des agents pouvant prétendre à une pension à jouissance immédiate au titre des 1° et 2° du I de l'article 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans la mesure où sont concernés les agents occupant des emplois " présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles " auxquels est assurée la jouissance immédiate de leur pension civile à l'âge de cinquante-cinq ans ;
qu'ils font valoir à cet égard que ces derniers ont de ce fait une situation moins favorable à âge égal, à ancienneté égale et à indice égal que leurs collègues qui peuvent bénéficier du nouveau régime ;

Considérant que le principe d'égalité ainsi invoqué ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général dès lors que les différences de traitement qui en résultent sont en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
que les différences de situation créées par la loi, qui n'avantagent d'ailleurs pas dans tous les cas les agents qui peuvent opter pour le nouveau régime par rapport à ceux qui bénéficient en raison de la nature de leurs emplois de la possibilité d'une entrée en jouissance immédiate de leur pension dès l'âge de cinquante-cinq ans, sont en rapport direct avec l'objectif que s'est fixé le législateur, tendant à favoriser les départs en retraite des agents en fonction à France Télécom, compte tenu de la structure démographique des effectifs, par des mesures incitatives de caractère social ;
que dès lors le grief des auteurs de la saisine ne saurait qu'être écarté ;

Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office une question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,


Décide :


Art 1er. :
Les articles 1er et 7 de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom ne sont pas contraires à la Constitution.
Art 2. :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 juillet 1996, où siégaient :
MM Roland Dumas, président, Maurice Faure, Georges Abadie, Jean Cabannes, Michel Ameller, Jacques Robert, Alain Lancelot et Mme Noelle Lenoir.
Le président, Roland Dumas
£7A1$Texte SGG
Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 3 juillet 1996 par plus de soixante députés :
Le Conseil constitutionnel a été saisi par soixante-trois députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom, adoptée par le Parlement le 29 juin 1996.
Ce texte a pour objet de transformer l'exploitant public en une entreprise dotée d'un capital dont l'Etat conservera directement au moins la majorité en application de la loi. Il est en effet apparu au Gouvernement et au Parlement que la perspective de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications rendait nécessaire une évolution du statut de l'entreprise, lui permettant d'affronter la compétition avec les mêmes atouts que ses concurrents. Par là même, France Télécom sera tout à la fois armé pour jouer un rôle mondial dans ce secteur et pour assurer sur le territoire français un service public de qualité.
En effet, un opérateur comme France Télécom ne peut renforcer, voire préserver, sa position sur le marché mondial que dans le cadre d'un système d'alliances, qui justifie l'ouverture de son capital à des actionnaires minoritaires.
Mais cette transformation statutaire ne remet pas en cause le caractère de service public national que le législateur a entendu reconnaître à France Télécom. Les dispositions nouvelles s'insèrent en effet dans celles de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications. Elles comportent de nombreuses garanties liées à la mission de service public de cette entreprise et, conformément aux exigences dégagées par l'avis du Conseil d'Etat du 18 novembre 1993, à la qualité de fonctionnaire de ses agents. Les dispositions de la loi doivent en outre se conjuguer avec celles, que le Parlement a parallèlement adoptées, de la loi de réglementation des télécommunications qui réaffirme le rôle de France Télécom comme opérateur du service public.
C'est donc dans ce cadre général que doit être située l'argumentation des requérants. Ceux-ci invoquent, à l'encontre de ce texte, trois types de griefs, sur lesquels le Gouvernement entend présenter les observations suivantes.
I :
Sur la transformation de France Télécom en entreprise nationale
A :
L'article 1er de la loi déférée insère dans la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 un article 1er-1, dont le 1 transforme l'exploitant public France Télécom, à compter du 31 décembre 1996, en une entreprise nationale dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital.
Selon les requérants, cette disposition est entachée d'inconstitutionnalité en ce qu'elle ne garantit pas suffisamment le maintien de l'entreprise France Télécom dans le secteur public.
A l'appui de leurs critiques, les auteurs de la saisine se prévalent du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que " tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ".
Tout en reconnaissant que le caractère de " service public national " de France Télécom résulte de la volonté du législateur et ne découle pas de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, les députés saisissants soutiennent que toute privatisation d'une entreprise publique gestionnaire de service public serait contraire à la Constitution et que la loi ne comporte pas de garanties suffisantes à cet égard. Ils considèrent notamment que, dès le changement de statut décidé par la loi déférée, la pression des actionnaires minoritaires obligera les dirigeants de France Télécom à suivre les " injonctions du marché " au détriment des exigences liées à la notion de service public, et notamment du principe d'égalité.

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