Jurisprudence : CE 1/6 SSR., 12-06-2013, n° 359245



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


N°s 359245, 359477


SOCIETE GENERALE et autre


M. Didier Ribes, Rapporteur

Mme Suzanne von Coester, Rapporteur public


Séance du 22 mai 2013


Lecture du 12 juin 2013


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux


Vu 1°, sous le n° 359245, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mai et 7 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société Générale, dont le siège social est 17, cours de Valmy, la Défense, à Paris (75886), représentée par son président-directeur-général ; la Société Générale demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler la décision du 24 novembre 2011 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, d'une part, prononcé à son encontre un avertissement et une sanction pécuniaire de 500 000 euros et, d'autre part, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers dans des conditions propres à assurer l'anonymat des personnes physiques mises en cause ;


2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu 2°, sous le n° 359477, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mai et 14 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société BNP Paribas, dont le siège social est 16, boulevard des Italiens à Paris (75009), représentée par son directeur général ; la société BNP Paribas demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler la décision du 24 novembre 2011 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, d'une part, prononcé à son encontre un avertissement et une sanction pécuniaire de 500 000 euros et, d'autre part, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers dans des conditions propres à assurer l'anonymat des personnes physiques mises en cause ;


2°) subsidiairement, de réformer la décision attaquée en ramenant les sanctions prononcées à de plus justes proportions ;


3°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers de retirer la décision attaquée de son site Internet et de publier sur ce site la décision du Conseil d'Etat annulant ou réformant la décision attaquée ;


4°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens ;


Vu les autres pièces des dossiers ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 mai 2013, présentée pour la Société Générale ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 mai 2013, présentée pour la société BNP Paribas ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 mai 2013, présentée pour l'Autorité des marchés financiers ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 31 mai 2013, présentée pour la société BNP Paribas ;


Vu la Constitution, notamment son Préambule ;


Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;


Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Vu la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 ;


Vu le code monétaire et financier ;


Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,


- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la Société Générale, à la SCP Richard, avocat de l'Autorité des marchés financiers et à la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société BNP Paribas ;




1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-9-1 du code des marchés financiers, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers décide de procéder à des enquêtes, il habilite les enquêteurs selon des modalités fixées par le règlement général. / Les personnes susceptibles d'être habilitées répondent à des conditions d'exercice définies par décret en Conseil d'Etat " ; que l'article L. 621-10 du même code dispose que : " Les enquêteurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support, (.) et en obtenir la copie. Ils peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations. Ils peuvent accéder aux locaux à usage professionnel " ; que l'article L. 621-11 du même code précise que : " Toute personne convoquée a le droit de se faire assister d'un conseil de son choix. Les modalités de cette convocation et les conditions dans lesquelles est assuré l'exercice de ce droit sont déterminées par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes du IV de l'article R. 631-32 du même code : " Les ordres de mission sont établis par le secrétaire général qui précise leur objet et les personnes qui en sont chargées " ; que l'article R. 621-34 du même code précise que : " Dans le cadre de ses investigations, l'enquêteur présente son ordre de mission en réponse à toute demande " ; que l'article R. 621-35 du même code prévoit que : " Les enquêteurs peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations. / La convocation est adressée à l'intéressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, remise en main propre contre récépissé ou acte d'huissier, huit jours au moins avant la date de convocation. Elle fait référence à l'ordre de mission nominatif de l'enquêteur établi par le secrétaire général ou son délégataire. Elle rappelle à la personne convoquée qu'elle est en droit de se faire assister d'un conseil de son choix (.) " ;


2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " I. - Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi par les services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le président de l'Autorité de contrôle prudentiel. / S'il décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction (.) II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 612-39 ; (.) " ;


3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, l'Autorité des marchés financiers a notifié, le 15 novembre 2010, à la Société Générale et à la société BNP Paribas des griefs tirés du non-respect de la procédure de sondage de marché prévue par l'article 218-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers alors en vigueur, devenu l'article 216-1 du même règlement, à l'occasion de la réalisation, les 5 et 12 janvier 2009, de sondages auprès d'investisseurs institutionnels sur les prochains lancements par les sociétés Schneider et Saint Gobain de nouveaux emprunts obligataires ; que la commission des sanctions de l'AMF a prononcé, le 24 novembre 2011, à l'encontre de chacune de ces sociétés, un avertissement et une sanction pécuniaire de 500 000 euros ; qu'elle a également décidé que sa décision serait publiée sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers dans des conditions propres à assurer l'anonymat des personnes physiques mises en cause ; que les requêtes de la Société Générale et de la société BNP Paribas sont dirigées contre cette décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;


Sur la régularité de la procédure d'enquête :


4. Considérant, en premier lieu, que si, lorsqu'elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code monétaire et financier, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe des droits de la défense, rappelé tant par l'article 6 de ladite convention que par l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, s'applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs par le collège de l'Autorité des marchés financiers et par la saisine de la commission des sanctions, et non à la phase préalable des enquêtes réalisées par les agents de l'Autorité des marchés financiers ; que, cependant, il résulte de l'ensemble des dispositions du code monétaire et financier citées au point 1 que les enquêtes réalisées par les agents de l'Autorité des marchés financiers, ou par toute personne habilitée par elle, doivent se dérouler dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés ;


5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans le cadre de l'enquête ouverte par l'AMF et relative aux interventions de la société Allianz Global Investors France sur les titres obligataires des sociétés Saint Gobain et Schneider à compter du 1er septembre 2008, élargie ensuite aux marchés des titres obligataires de ces sociétés à compter de la même date, les enquêteurs de l'AMF ont, sur le fondement de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, recueilli auprès de la société BNP Paribas des informations relatives à sa procédure interne de sondage de marché en vigueur à l'époque des faits ; qu'il n'est pas contesté qu'une opération de sondage de marché a été réalisée le 12 janvier 2009 par la société BNP Paribas pour le compte de la société Saint Gobain auprès de la société Allianz Global Investors France ; que, dans de telles circonstances, il appartenait aux enquêteurs de l'AMF d'établir dans quelles conditions et selon quelle procédure une telle consultation de la société Allianz avait été réalisée par la société BNP Paribas ; que les demandes d'information relatives aux procédures internes de la société BNP Paribas en matière de sondage de marché ont ainsi été réalisées pour les nécessités de l'enquête ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier auraient été méconnues et de ce que, pour ce motif, l'irrégularité de la procédure d'enquête entacherait d'illégalité la décision attaquée, doit être écarté ;


6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les conditions dans lesquelles la société BNP Paribas a procédé à un sondage de marché pour le compte de la société Saint Gobain entraient dans le champ de l'enquête conduite par les services de l'AMF ; qu'il résulte également de l'instruction que les enquêteurs ont adressé à la société BNP Paribas des questions et des demandes de documents relatives à son rôle dans l'émission du nouvel emprunt obligataire Saint Gobain ; que, par suite, la société BNP n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas été informée que les investigations de l'AMF portaient sur son activité de prestataire de services d'investissement pour le compte de la société Saint Gobain et qu'elle aurait été, pour cette raison, dans l'impossibilité de présenter en temps utile des éléments de preuve à décharge ;


7. Considérant que le simple rappel aux préposés de la société BNP Paribas des dispositions de l'article L. 642-2 du code monétaire et financier punissant toute entrave à la mission d'enquête de l'AMF, auquel les enquêteurs de l'AMF ont procédé à bon droit, n'a pas davantage été de nature à porter une atteinte irrémédiable aux droits de la défense de cette société ;


8. Considérant, en deuxième lieu, que la société BNP Paribas ne peut utilement se prévaloir, à l'appui de sa contestation de la régularité de l'enquête de l'AMF, d'une méconnaissance des stipulations de l'article 6 § 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 14 § 3 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, en soutenant que les enquêteurs n'auraient pas notifié à leurs préposés leur droit de se taire, dès lors que ces stipulations ne sont pas applicables à la procédure d'enquête administrative ;


Sur la notification des griefs :


9. Considérant que l'article 218-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, alors en vigueur, dispose : " Lorsqu'un prestataire de services d'investissement entend pratiquer des sondages de marché lors de la préparation d'une opération financière sur le marché primaire ou lors d'une opération de placement, d'acquisition ou de cession d'instruments financiers, il sollicite l'accord préalable des personnes qu'il envisage d'interroger. Il les informe qu'un accord de leur part pour participer au sondage les conduit à recevoir une information privilégiée au sens de l'article 621-1. / Le prestataire de services d'investissement établit et garde opérationnelle une procédure qui prévoit la manière dont le responsable de la conformité est informé du sondage et, à la suite dudit sondage, du nom des personnes ayant accepté d'être interrogées, ainsi que la date et l'heure auxquelles elles ont été contactées. " ;


10. Considérant que la société BNP Paribas soutient que la notification des griefs ne visant que la violation des prescriptions du second alinéa de l'article 218-1 du règlement général de l'AMF, elle n'a pas été en mesure de présenter sa défense sur le grief tiré de la méconnaissance du premier alinéa de la même disposition ; qu'il résulte cependant de l'instruction, notamment des termes de la lettre du 5 novembre 2010 par laquelle le président de l'Autorité des marchés financiers a notifié à la société BNP Paribas les griefs la concernant, que ceux-ci portaient sur la méconnaissance des prescriptions prévues par les deux alinéas de l'article 218-1 du règlement général de l'AMF ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense ne peuvent qu'être écartés ;

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