Jurisprudence : Cass. soc., 25-05-2022, n° 21-12.811, F-D, Cassation

Cass. soc., 25-05-2022, n° 21-12.811, F-D, Cassation

A40847YW

Référence

Cass. soc., 25-05-2022, n° 21-12.811, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/85180370-cass-soc-25052022-n-2112811-fd-cassation
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Abstract

► L'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle, de sorte que le juge ne peut, pour débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, retenir qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir manqué à son obligation de sécurité.


SOC.

ZB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022


Cassation partielle


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 623 F-D

Pourvoi n° J 21-12.811


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 MAI 2022


M. [I] [E], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-12.811 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à la société Givenchy, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Capitaine, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [E], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Givenchy, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Capitaine, conseiller rapporteur, Mme Pecqueur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 janvier 2021), M. [E] a été engagé en qualité de vendeur le 7 février 2011 par la société Givenchy (la société), affecté au sein de la boutique située [Adresse 4] et a été promu le 1er février 2013 en qualité de responsable du département prêt-à-porter homme.

2. Le 28 juillet 2016, le salarié a été informé de sa mutation au « corner » de la marque situé dans le magasin Le Printemps à [Localité 3], à compter du 16 octobre 2016.

3. Sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, outre l'allocation de diverses sommes à titre de rappel de salaires et au titre d'indemnités de rupture, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 6 décembre 2017.

4. Le 10 septembre 2019, le salarié a été déclaré inapte à tout poste par le médecin du travail et a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 3 octobre 2019.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul et de ses demandes subséquentes à ce titre, de le débouter de sa demande subsidiaire tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude, et de ses demandes subséquentes à ce titre, et de rejeter sa demande en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, alors « que constituent un harcèlement moral des agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la cour d'appel, après avoir estimé que les éléments produits par M. [Aa] étaient de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral, a dit n'y avoir lieu à retenir celui-ci, au motif que les éléments produits ne caractérisaient pas le harcèlement de M. [Ab], M. [Ac] et de Mme [L] à l'encontre de M. [E] ; qu'en statuant ainsi, quand en présence d'une situation de fait laissant présumer le harcèlement, la preuve de l'absence de harcèlement repose sur l'employeur, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, en violation des articles L. 1222-1, L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail🏛, ensemble l'article 1353 anciennement 1315 du code civil🏛. »


Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1, le second dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail :

6. Il résulte de ces textes que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail🏛. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

7. Pour rejeter la demande de résiliation judiciaire et écarter l'existence d'un harcèlement moral, l'arrêt retient que les éléments produits par le salarié ne caractérisent pas la réalité d'attitudes ou propos directement harcelants de M. [Ab] à son égard ou une attitude ou des propos harcelants ou dénigrants de Mme [L] à son préjudice.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que le salarié présentait des éléments, qui, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que les agissements invoqués étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, a violé les textes susvisés.


Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes à ce titre, de le débouter de sa demande subsidiaire tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude, et de ses demandes subséquentes à ce titre, et de rejeter sa demande en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, alors « que l'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail🏛 et ne se confond pas avec elle ; qu'en retenant qu'en l'absence de harcèlement moral, pouvant caractériser un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il y a lieu de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts à ce titre, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail🏛 dans leur rédaction alors applicable. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail🏛 dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017🏛 et l'article L. 4121-2 du même code🏛 dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛 :

10. L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail🏛 et ne se confond pas avec elle.

11. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire et de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient qu'en l'absence de modification fautive du contrat de travail ou de harcèlement moral constatés, pouvant caractériser un manquement de la société à son obligation de sécurité à l'égard du salarié, la décision prud'homale sera infirmée en ce qu'elle a condamné l'employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. En application de l'article 624 du code de procédure civile🏛, la cassation de l'arrêt, en ce qu'il déboute le salarié de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul et de ses demandes subséquentes à ce titre et en ce qu'il rejette sa demande en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, entraîne par voie de dépendance nécessaire la cassation du chef de dispositif qui déboute le salarié de sa demande subsidiaire tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Givenchy à payer à M. [E] un rappel de salaire de 3 846 euros, outre 384,60 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente, avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2017, l'arrêt rendu le 6 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Givenchy aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Givenchy et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [E]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul et de ses demandes subséquentes à ce titre, de l'AVOIR débouté de sa demande subsidiaire tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude, et de ses demandes subséquentes à ce titre, et d'AVOIR rejeté sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

1° ALORS QUE constituent un harcèlement moral des agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la cour d'appel, après avoir estimé que les éléments produits par M. [Aa] étaient de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral, a dit n'y avoir lieu à retenir celui-ci, au motif que les éléments produits ne caractérisaient pas le harcèlement de M. [Ab], M. [Ac] et de Mme [L] à l'encontre de M. [E] ; qu'en statuant ainsi, quand en présence d'une situation de fait laissant présumer le harcèlement, la preuve de l'absence de harcèlement repose sur l'employeur, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, en violation des articles L.1222-1, L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail🏛, ensemble l'article 1353 anciennement 1315 du code civil🏛.

2° ALORS QU'en retenant qu'il « ne saurait être tiré de quelconques conclusions des pièces médicales dont fait état [le salarié] et relatives à la dégradation de son état de santé psychologiques qui ne comportent aucune constatation directe relativement à sa situation professionnelle », la cour d'appel a dénaturé par omission la décision du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en date du 8 novembre 2019, en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes à ce titre, de l'AVOIR débouté de sa demande subsidiaire tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude, et de ses demandes subséquentes à ce titre, et d'AVOIR rejeté sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

ALORS QUE la diminution des responsabilités d'encadrement constitue une modification du contrat de travail ; qu'en jugeant que les attributions et les responsabilités du salarié n'avaient pas été substantiellement modifiées, tout en constatant que l'organisation de la boutique « corner » du Printemps état différente de celle de la boutique de la [Adresse 4], en raison notamment d'un plus faible nombre de salariés à encadrer, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles L.1231-1 et L.1232-1 du code du travail🏛, ensemble l'article 1193 anciennement 1134 du code civil🏛.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes à ce titre, de l'AVOIR débouté de sa demande subsidiaire tendant à voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude, et de ses demandes subséquentes à ce titre, et d'AVOIR rejeté sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

ALORS QUE l'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail🏛 et ne se confond pas avec elle ; qu'en retenant qu'en l'absence de harcèlement moral, pouvant caractériser un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il y a lieu de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts à ce titre, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail🏛 dans leur rédaction alors applicable

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