Jurisprudence : Cass. soc., 29-05-2013, n° 11-22.376, FS-P+B, Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Cass. soc., 29-05-2013, n° 11-22.376, FS-P+B, Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

A9675KE3

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Cass. soc., 29-05-2013, n° 11-22.376, FS-P+B, Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8265565-cass-soc-29052013-n-1122376-fsp-b-renvoi-devant-la-cour-de-justice-de-lunion-europeenne
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Abstract

Est renvoyée à la CJUE la question de savoir si les personnes placées dans un établissement et service d'aide par le travail (ESAT ; ancien centre d'aide par le travail -CAT-) relèvent du statut de travailleur au sens du droit de l'Union européenne alors qu'elles se trouvent dans une structure aménagée aux fins de les faire accéder à une vie tant sociale que professionnelle et qu'elles se trouvent incapables d'exercer dans le secteur ordinaire de production ou en atelier protégé et, dans l'affirmative, de savoir si les intéressés sont fondés dans un litige entre particuliers à se prévaloir des dispositions de l'article 31 de la charte telles que précisées par celles de l'article 7 de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, aux fins de voir écarter toute disposition nationale contraire faisant obstacle à l'applicabilité de ce droit.



SOC. PRUD'HOMMES DG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 29 mai 2013
Renvoi devant la cour de justice de l'Union
européenne
M. LACABARATS, président
Arrêt no 1031 FS-P+B
Pourvoi no Z 11-22.376
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. Gérard Z,
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
en date du 19 mai 2011
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par M. Gérard Z, domicilié Avignon,
contre deux jugements rendus le 20 avril 2010 et le 27 juillet 2010 par le tribunal d'instance d'Avignon, dans le litige l'opposant
1o/ au centre d'aide par le travail La Jouvene, dont le siège est Châteauneuf-de-Gadagne,
2o/ à l'association de parents et d'amis de personnes handicapées mentales (APEI d'Avignon), dont le siège est Châteauneuf-de-Gadagne,
défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 23 avril 2013, où étaient présents M. Lacabarats, président, M. Hénon, conseiller référendaire rapporteur, M. Blatman, conseiller doyen, MM. ..., ..., ..., Mmes ..., ..., ..., ... ..., M. ...,
Mme Aubert-Monpeyssen, conseillers, Mme Mariette, M. Flores, Mme Wurtz, M. Becuwe, Mmes Ducloz, Brinet, M. David, conseillers référendaires, M. Richard de la Tour, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Hénon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delvolvé, avocat de M. Z, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'APEI d'Avignon, l'avis de M. Richard de la Tour, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu, selon le jugement attaqué (Tribunal d'instance d'Avignon, 27 juillet 2010), rendu en dernier ressort, que M. Z, qui a été usager du centre d'aide par le travail La Jouvene, a saisi ce tribunal pour obtenir le paiement d'une somme à titre de congés payés non acquis et non pris pour les périodes du 1er juin 2003 au 31 mai 2004 et du 1er juin 2004 au 31 mai 2005 ; que l'Association de parents et d'amis de personnes handicapées (APEI) d'Avignon venant aux droits de ce centre est intervenue à l'instance ;

Attendu que l'intéressé fait grief au jugement de rejeter sa demande soutenant que l'article 7 de la Directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du Conseil du 4 novembre 2003, s'applique à tout travail et garantit un congé annuel payé d'une durée minimale de quatre semaines ;
Attendu qu'aux termes de l'article 31 paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (la Charte), tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ;
Que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail dispose que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ;
Attendu que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l'Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en oeuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, cette directive ayant été codifiée par la directive 2003/88 (CJUE arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C-214/10, point 23 ) ; que le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l'Union, non seulement une importance particulière, mais qu'il est aussi expressément consacré à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte, à laquelle l'article 6, paragraphe 1, du Traité sur l'Union européenne reconnaît la même valeur juridique que les traités (arrêts KHS, précité, point 37, du 3 mai 2012, Neidel, C-337/10,point 40 et du 21 février 2013, Maestre García, point 17) ;
Attendu que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la notion de "travailleur" au sens de l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne revêt une portée autonome et ne doit pas être interprétée de manière restrictive ; que doit être considérée comme "travailleur" toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires; que la caractéristique de la relation de travail est, selon cette jurisprudence, la circonstance qu'une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ( arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, Rec. p. 2121, points 16 et 17; du 23 mars 2004, Collins, C-138/02, Rec. p. I-2703, point 26, du 7 septembre 2004, Trojani, C-456/02, Rec. p. I-7573, point 15, et du 3 mai 2012, Neidel, C-337/10, point 23) ;
Attendu qu'aux termes de l'article 51 § 1 de la Charte, les dispositions de celle-ci s'adressent aux États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union ; que, selon l'article 6 § 1 du Traité sur l'Union européenne, la Charte a la même valeur juridique que les traités ;
Attendu que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, il incombe aux juridictions nationales d'assurer la protection juridique pour les justiciables découlant des dispositions du droit de l'Union et de garantir le plein effet de celles-ci ( arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer, C-397/01, point 111; du 15 avril 2008, Impact, C-268-06, point 42 et du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, point 45) ;
Attendu qu'il est de jurisprudence constante que les droits fondamentaux de l'Union européenne peuvent être invoqués dans un litige entre particuliers aux fins de vérifier le respect par les institutions de l'Union et les États membres, lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, de ces mêmes droits fondamentaux ; que les articles 51 et 52 de la Charte ne limitent pas la faculté d'invoquer les dispositions de la Charte, que celles-ci contiennent des principes ou des droits, aux litiges de nature horizontale, pas plus que les Explications ad article 51 et ad article 52, lesquelles sont dûment prises en considération par les juridictions de l'Union et des États membres en application de l'article 52 § 7 de la Charte ;
Attendu que, selon les dispositions de l'article L. 344-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction alors applicable, les centres d'aide par le travail, accueillent les adolescents et adultes handicapés qui ne peuvent, momentanément ou durablement, travailler ni dans les entreprises ordinaires ni dans un atelier protégé ou pour le compte d'un centre de distribution de travail à domicile ni exercer une activité professionnelle indépendante; que ces centres leur offrent des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, un soutien médico-social et éducatif et un milieu de vie favorisant leur épanouissement personnel et leur intégration sociale ;
Que les personnes handicapées placées en centre d'aide par le travail, à la différence de celles exerçant en atelier protégé, n'ont pas le statut de salarié et ne sont pas liées par un contrat de travail avec ces établissements; que seules sont applicables à ces personnes les règles issues du code du travail relatives à l'hygiène et à la sécurité, la médecine du travail; qu'en l'état du droit applicable à l'espèce, aucune disposition ne prévoyait l'ouverture de droit à congés payés ;
Attendu que, selon l'arrêt du 22 février 2007 (no 264541) du Conseil d'Etat, si l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées constitue une mission d'intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires de centres d'aide par le travail revête le caractère d'une mission de service public ;

Attendu que se pose en conséquence la question de savoir si les personnes placées dans un centre d'aide par le travail relèvent du statut de travailleur au sens du droit de l'Union européenne alors qu'elles se trouvent dans une structure aménagée aux fins de les faire accéder à une vie tant sociale que professionnelle et qu'elles se trouvent incapables d'exercer dans le secteur ordinaire de production ou en atelier protégé et, dans l'affirmative, de savoir si les intéressés sont fondés dans un litige entre particuliers à se prévaloir des dispositions de l'article 31 de la charte telles que précisées par celles de l'article 7 de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, aux fins de voir écarter toute disposition nationale contraire faisant obstacle à l'applicabilité de ce droit ;

PAR CES MOTIFS
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes
1 - L'article 3 de la directive 89/391/CEE, à laquelle renvoient les dispositions de l'article 1er de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui en déterminent le champ d'application, doit-il être interprété en ce sens qu'une personne admise dans un centre d'aide par le travail peut être qualifiée de "travailleur" au sens dudit article 3 ?
2 - L'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'une personne telle que celle décrite à la question précédente peut être qualifiée de "travailleur" au sens dudit article 31 ?
3 - Une personne telle que celle décrite à la première question peut-elle se prévaloir directement des droits qu'elle tient de la Charte pour obtenir des droits à congés payés si la réglementation nationale ne prévoit pas qu'elle bénéficie de tels droits et le juge national doit-il, pour garantir le plein effet de ce droit, laisser inappliquée toute disposition de droit national contraire ?
Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Réserve les dépens ;
Dit qu'une expédition du présent arrêt, ainsi qu'un dossier comprenant, notamment, le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier en chef de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delvolvé, avocat aux Conseils pour M. Z
IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué du 22 juillet 2010 d'avoir débouté M. Z de sa demande d' indemnité compensatrice de congés payés non pris au titre de la période de référence du 1er juin 2003 au 31 mai 2004, et de la période de référence du 1er juin 2004 au 31 mai 2005.
AUX MOTIFS QUE M. Z, qui avait déjà pris 18 jours de congés payés en 2004, a été en arrêt de maladie à compter du 16 octobre 2004, alors qu'il lui restai t un solde de 12 jours de congés à prendre ; mai s qu'en application de l'article L. 3141-3 du code du travail, le travail leur ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés non pris du fait de sa maladie ; qu'en outre, il résulte des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 ducode du travai que les périodes d'arrêt de travail pour maladie n'ouvrent pas droit aux congés payés, si bien que pour la période du 1er juin 2004 au 31 mai 2005, M. Z, qui n'a travaillé effectivement que 78 jours, a droit à 6 jours de congés payés, qui ont été payés par le service d'aide par le travail, ainsi que l 'at teste le bulletin de paie de juillet 2005 soldant tout compte.
ALORS QUE, D'UNE PART, eu égard à la finalité qu'assigne aux congés annuels, la Directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du Conseil du 4 novembre 2003, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l 'année prévue par le code du travail, en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la da te de reprise du travail, ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l'article L. 3141-26 du code du travail ; et que le tribunal qui a constaté que M. Z n'avait pas pu prendre, du fait de son absence pour maladie à compter du 16 octobre 2004, le solde de 12 jours qu'il avait acquis à cette date sur la période du 1er juin 2003 au 31 mai 2004, a, en le déboutant de sa demande d' indemnité compensatrice de congés payés, violé les articles L. 3141-3 et L. 3131-26 du code du travail interprétés à la lumière de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l 'aménagement du temps de travail.
ALORS QUE, D'AUTRE PART, eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels, la Directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du Conseil du 4 novembre 2003, dont l'article 7 s'applique à tout travail leur et garantit un congé annuel payé d'une durée minimale de quatre semaines, les articles L. 3141-3, L. 3141-5 et L. 3141-26 du code du travail doivent être interprétés en ce sens que l 'origine de l 'absence du salarié, dont l'arrêt de travail est justifié pour raison de santé, ne peut être prise en considération pour le priver de ce droit à un congé annuel minimum de quatre semaines,
qui doit être indemnisé en cas de rupture du contrat de travail ; et qu'en déboutant M. Z de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er juin 2004 au 31 mai 2005 en limitant son droit pour cette période à six jours de congés payés, le tribunal a violé les articles L. 3141-3, L. 3141-5 et L. 3141-26 du code du travail interprétés à la lumière de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l 'aménagement du temps de travail

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