Jurisprudence : CE 2/7 SSR., 29-05-2013, n° 364839



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


364839


Mme B.


M. Yves Doutriaux, Rapporteur

M. Damien Botteghi, Rapporteur public


Séance du 22 mai 2013


Lecture du 29 mai 2013


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux


Vu le mémoire, enregistré le 11 mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour Mme A.B., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; Mme B.demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 27 septembre 2012 de l'Agence française de lutte contre le dopage, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 232-5-3 et L. 232-15 du code du sport ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;


Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;


Vu le code du sport, notamment ses articles L. 232-5 et L. 232-15 ;


Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;


Vu la loi n° 2012-158 du 1er février 2012, notamment son article 14 ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Yves Doutriaux, Conseiller d'Etat,


- les conclusions de M. Damien Botteghi, rapporteur public,


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme B.;






1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (.) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (.) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;


2. Considérant qu'aux termes du 3° du I de l'article L. 232-5 du code du sport : " Pour les sportifs soumis à l'obligation de localisation (.), [l'Agence française de lutte contre le dopage] diligente les contrôles (.) : / a) Pendant les manifestations sportives organisées par les fédérations agréées ou autorisées par les fédérations délégataires (.) ; / b) Pendant les manifestations sportives internationales (.) ; / c) Pendant les périodes d'entraînement préparant aux manifestations sportives (.) ; / d) Hors des manifestations sportives (.) et hors des périodes d'entraînement y préparant (.) " ; que l'article L. 232-13-1 du même code dispose que : " Les contrôles peuvent être réalisés : 1° Dans tout lieu où se déroule un entraînement ou une manifestation (.) / 2° Dans tout établissement (.) dans lequel sont pratiquées des activités physiques ou sportives (.) / 3° Dans tout lieu choisi avec l'accord du sportif, permettant de réaliser le contrôle, dans le respect de sa vie privée et de son intimité, y compris, à sa demande, à son domicile (.) ; / 4° Dans le cadre de la garde à vue d'un sportif soupçonné d'avoir commis les délits prévus aux articles L. 232-9 et L. 232-10 " ; que l'article L. 232-15 du même code précise que les sportifs, constituant le groupe " cible ", qui sont tenus de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation permettant la réalisation de contrôles, sont désignés pour une année par l'Agence française de lutte contre le dopage parmi : " 1° (.) Les sportifs inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau ou sur la liste des sportifs Espoir (.) ; / 2° Les sportifs professionnels licenciés (.) ; 3° Les sportifs qui ont fait l'objet d'une sanction disciplinaire sur le fondement des articles L. 232-9, L. 323-10 ou L. 232-17 lors des trois dernières années (.) " ; que le même article prévoit que les renseignements relatifs à la localisation des sportifs constituant le groupe " cible " " peuvent faire l'objet d'un traitement informatisé par l'agence, en vue d'organiser des contrôles " et que ce traitement est autorisé par décision du collège de l'agence, prise après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ; qu'aux termes de l'article L. 232-14 du même code : " Dans l'exercice de leur mission de contrôle, les personnes (.) ne peuvent accéder aux lieux mentionnés à l'article L. 232-13 qu'entre 6 heures et 21 heures, ou à tout moment dès lors que ces lieux sont ouverts au public ou qu'une compétition ou une manifestation sportive ou un entraînement y préparant est en cours. Un contrôle réalisé au domicile d'un sportif ne peut avoir lieu qu'entre 6 heures et 21 heures " ;


3. Considérant que Mme B.a été désignée par une délibération du 27 septembre 2012 du collège de l'Agence française de lutte contre le dopage parmi les sportifs appartenant au groupe cible prévu par l'article L. 232-15 du code du sport et astreints à une obligation de localisation à l'effet de permettre des contrôles inopinés relatifs à la lutte contre le dopage ; qu'elle soutient, à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'elle a formé contre cette délibération, que les dispositions du 3° du I de l'article L. 232-5 du code du sport et de l'article L. 232-15 du même code, telles qu'elles résultent de l'ordonnance du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage, ratifiée par la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs, sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution ;


4. Considérant, en premier lieu, que Mme B.soutient que le législateur, en édictant les dispositions qu'elle critique, serait demeuré en deçà de sa compétence ; que, toutefois, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'en tout état de cause, les dispositions du 3° de l'article L. 232-5 du code du sport ainsi que celles des articles L. 232-12 à L. 232-16 déterminent précisément les lieux, périodes et horaires durant lesquelles l'Agence peut diligenter des contrôles sur les sportifs appartenant au groupe " cible " ; que l'article L. 232-15 impose aux sportifs désignés dans ce groupe de fournir des renseignements aussi précis et actualisés que possible sur leur localisation, de telle sorte que tous les contrôles envisagés par la loi puissent être diligentés ; que l'article L. 232-13-1 exclut que les contrôles puissent avoir lieu au domicile du sportif sans le consentement de ce dernier ; que l'article L. 232-14 précise que les contrôles réalisés au domicile ne peuvent avoir lieu qu'entre six heures et vingt et une heures ; que les sanctions auxquelles s'exposent les sportifs sont déterminées par les dispositions législatives du code du sport ; que ces dispositions législatives, dont il appartient à l'Agence française de lutte contre le dopage de préciser les modalités d'application, répondent ainsi aux exigences de l'article 34 de la Constitution ;


5. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions critiquées ne mettent pas en cause la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ;


6. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions précédemment citées du code du sport ne font pas obstacle à la liberté d'aller et de venir des sportifs ; qu'elles encadrent strictement la détermination des lieux dans lesquels les contrôles sur les sportifs appartenant au groupe " cible " peuvent être diligentés ainsi que les périodes et horaires durant lesquels ces contrôles peuvent être effectués ; qu'elles excluent que les contrôles puissent avoir lieu au domicile des sportifs hors leur consentement ; que le traitement informatisé prévu à l'article L. 232-15 est soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; que si le dispositif ainsi défini se révèle contraignant pour ces sportifs, notamment en les soumettant à l'obligation de fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation, les dispositions législatives en cause sont justifiées par les nécessités de la lutte contre le dopage, qui implique notamment de pouvoir diligenter des contrôles inopinés afin de déceler efficacement l'utilisation de certaines substances dopantes qui peuvent n'être décelables que peu de temps après leur prise alors même qu'elles ont des effets plus durables ; que ces dispositions ne portent à la liberté personnelle des sportifs et au respect de leur vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, que des atteintes nécessaires et proportionnées aux objectifs d'intérêt général poursuivis par la lutte contre le dopage, notamment la protection de la santé des sportifs ainsi que la garantie de l'équité et de l'éthique des compétitions sportives ;


7. Considérant, en quatrième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ; que les sportifs inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau ou sur celle des sportifs " Espoir ", lesquelles incluent des sportifs amateurs et les sportifs professionnels licenciés, qui peuvent être soumis à l'obligation de localisation en vue de la réalisation de contrôles anti-dopage, ne sont pas dans la même situation que les autres sportifs eu égard au niveau des compétitions auxquelles ils sont appelés à participer et au risque plus élevé de dopage que peuvent entraîner ces compétitions ; que les sportifs qui ont fait l'objet d'une sanction disciplinaire pour dopage lors des trois dernières années ne sont pas non plus dans la même situation que les autres sportifs ; que, par ailleurs, les dispositions de l'article L. 232-15 qui prévoient que les sportifs constituant le groupe " cible " sont désignés pour une année par l'Agence française de lutte contre le dopage ne traduisent en elles-mêmes aucune atteinte au principe d'égalité ;


8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du 3° du I de l'article L. 232-5 et de l'article L. 235-15 du code du sport portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;




D E C I D E :


Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.


Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A.B., à l'Agence française de lutte contre le dopage et à la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.


Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

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