Jurisprudence : CA Bourges, 03-05-2013, n° 12/01289, Infirmation

CA Bourges, 03-05-2013, n° 12/01289, Infirmation

A9925KCL

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CA Bourges, 03-05-2013, n° 12/01289, Infirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8205116-ca-bourges-03052013-n-1201289-infirmation
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Abstract

N'est pas librement consentie la rupture conventionnelle conclue par un salarié alors qu'au moment de l'établissement et de la signature de celle-ci, le salarié était dans une situation de contrainte morale assimilable à une violence morale de la part de son employeur en raison de deux accidents de travail subis par des collègues quelques mois plus tôt.



SD/ML
R.G 12/01289
Décision attaquée
du 16 juillet 2012
Origine conseil de prud'hommes - formation de départage de Bourges
M. Marc Z
C/
SARL CAPODICASA ET FILS
Expéditions aux parties le 3 mai 2013
Copie - Grosse
Me .... 3.5.13(CE)
Me .... 3.5.13(CE)
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 03 MAI 2013
N° 166 - 7 Pages

APPELANT
Monsieur Marc Z

SAINT AMAND MONTROND
Représenté Me Marie-Pierre ... (avocate au barreau de BOURGES)
INTIMÉE
SARL CAPODICASA ET FILS
La Bouchatte
EPINEUIL LE FLEURIEL
Représentée par Me Pascal ..., substitué par Me Aurore THUMERELLE (avocats au barreau de BOURGES)

COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré
PRÉSIDENT M. ...
CONSEILLERS M. ...
Mme ...
GREFFIER LORS DES DÉBATS Mme DELPLACE
3 mai 2013
DÉBATS A l'audience publique du 15 mars 2013, le président ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 3 mai 2013 par mise à disposition au greffe.
ARRÊT Contradictoire - Prononcé publiquement le 3 mai 2013 par mise à disposition au greffe.
* * * * *

Faits et procédure
Le 24 janvier 2007, par contrat à durée indéterminée, M. Marc Z a été engagé par la SARL Capodicasa et fils, entreprise de fabrication et de montage de structures métalliques, en qualité d'ouvrier monteur à raison de 35 heures hebdomadaires de travail.
Le 27 septembre 2010, une convention de rupture conventionnelle a été signée entre les parties.
Le 8 avril 2011, M. Marc Z a saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir la requalification de la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le paiement d'heures supplémentaires, une indemnité pour défaut d'octroi de la contrepartie obligatoire en repos, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour conditions de travail inadmissibles et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le 5 décembre 2011, le conseil de prud'hommes de Bourges s'est déclaré en partage de voix.

Par jugement en date du 16 juillet 2012, dont M. Marc Z a régulièrement interjeté appel, le conseil de prud'hommes de Bourges, sous la présidence du juge départiteur, a débouté M. Marc Z de ses demandes et a débouté les parties de toutes demandes complémentaires plus amples ou contraires.

Moyens et prétentions des parties
M. Marc Z demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner la SARL Capodicasa et fils à lui payer les sommes de
· 26540,62 euros à titre d'heures supplémentaires outre 2654,06 euros à titre de congés payés afférents ;
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· 6821,78 euros à titre d'indemnité pour défaut d'octroi de la contrepartie obligatoire en repos ;
· 13'236,48 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;
· 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour conditions de travail inadmissibles ;
· 18'000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
· 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
il sollicite en outre la remise des documents sociaux de fin de contrat conformes à la décision à intervenir dans le délai de quinzaine à compter de la notification de celle-ci et, passé ce délai, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Subsidiairement, il sollicite une mesure d'instruction afin de déterminer les conditions de travail des salariés et le nombre d'heures de travail hebdomadaires effectués par ceux-ci.
M. Marc Z expose que ses conditions de travail étaient particulièrement difficiles avec départ, le lundi matin dans la nuit, sur des chantiers situés dans toute la France et retour, le vendredi soir dans la nuit, des journées de travail de dix heures, une absence de matériel de sécurité sur les chantiers, des nuits à plusieurs dans la même chambre d'hôtel voire dans le camion de l'entreprise. Il estime que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité. Il ajoute qu'il a ainsi effectué de très nombreuses heures supplémentaires, soit dix heures par semaine auxquels s'ajoutent cinq heures hebdomadaires de trajet. Il en déduit que chaque année, il a réalisé 690 heures supplémentaires alors que le contingent légal et conventionnel est de 220 heures. Il précise qu'il a alors droit à une contrepartie en repos de 235 heures par an. Il considère que l'employeur a volontairement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ce qui lui ouvre droit à une indemnité pour travail dissimulé. Il ajoute qu'en aucune façon, il n'a pu donner un consentement valable à la rupture conventionnelle de son contrat de travail le 27 septembre 2010, la SARL Capodicasa et fils manquant à toutes ses obligations au titre de son obligation de sécurité de résultat, manquements qui ont entraîné en 2009 une chute de son collègue Joulin, dont celui-ci est sorti handicapé à l'âge de 25 ans et six mois plus tard une chute mortelle de son collègue Baudu. Il sollicite l'annulation de la rupture conventionnelle.
En réponse, la SARL Capodicasa et fils demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de débouter M. Marc Z de l'intégralité de ses prétentions et de le condamner à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de
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procédure civile.
Elle explique que M. Marc Z n'a jamais formulé la moindre réclamation au titre des heures supplémentaires que l'employeur ne lui a jamais commandées. Elle conclut au rejet de la demande de rappel de salaires, de la prétendue contrepartie obligatoire en repos et d'indemnité pour travail dissimulé. Elle ajoute qu'elle conteste catégoriquement les allégations faites par le salarié concernant les conditions de travail. Elle précise qu'il n'existait aucun litige entre les parties au moment de la signature de la rupture conventionnelle qui est donc valable. Au titre de la demande subsidiaire d'expertise judiciaire, elle rappelle que le salarié ne saurait exiger de la cour qu'il soit pallié à sa propre carence.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience.

Sur quoi, la cour
1. Attendu que M. Marc Z revendique le paiement d'heures supplémentaires ; que s'il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail, que la preuve de l'existence ou du nombre d'heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés, il appartient cependant au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;
Attendu qu'il ressort de attestations établies par des salariés et d'anciens salariés de la SARL Capodicasa et fils que les employés de cette entreprise effectuaient de nombreuses heures supplémentaires sur les chantiers réalisés sur l'ensemble du territoire métropolitain, notamment à Marseille, Cognac, Orléans ; que de même, ces attestants affirment que les temps de transport pour se rendre sur ces chantiers ou en revenir n'étaient pas rémunérés malgré la durée de ces trajets ; que les bulletins de salaires font ressortir que les accords nationaux relatifs à la convention collective nationale de la métallurgie sont appliqués par l'employeur ; qu'ainsi par application des articles 1 ' 5, 1 ' 7, 3 ' 1 et 3 ' 5 de l'accord national relatif aux conditions de déplacement, les temps de voyage, pour se rendre sur les chantiers qui ne permettent pas de rejoindre chaque soir le point de départ, sont considérés comme temps de travail ou rémunérés sur la base du salaire réel ;
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que les bulletins de salaires ne font apparaître qu'une rémunération de base pour 35 heures hebdomadaires et aucune heure supplémentaire ; que dans ces conditions, M. Marc Z fournit des éléments de nature à étayer sa demande de paiement d'heures supplémentaires ; qu'en revanche, la SARL Capodicasa et fils ne verse aucun élément et ne justifie pas des horaires effectivement réalisés ; que cependant, au vu des éléments versés aux débats, il n'est justifié que cinq heures supplémentaires hebdomadaires ; qu'il convient de renvoyer les parties au calcul des rappels de salaires pour heures supplémentaires et autres avantages pécuniaires en découlant (congés payés et repos compensateurs en raison d'un dépassement de dix heures du contingent annuel), à charge pour les parties de saisir à nouveau la cour en cas de difficultés ; que le jugement déféré sera infirmé sur ces points ;
2. Attendu que M. Marc Z reproche à la SARL Capodicasa et fils des conditions de travail inadmissibles notamment une inobservation des règles de protection de santé et de sécurité ; qu'il appartient alors à l'employeur de démontrer l'effectivité de son obligation de sécurité de résultat édictée à l'article L. 4121 '1 du code du travail ; que non seulement la SARL Capodicasa et fils n'apporte aucun élément pour démontrer qu'elle prenait les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique de ses salariés, mais encore M. Marc Z verse aux débats un arrêt de la cour d'appel de Bourges en date du 28 septembre 2012 qui démontre que sur un chantier en Charente le coordonnateur de sécurité avait relevé des manquements de cette entreprise tant en matière d'équipements de protection individuelle que pour l'organisation collective de la sécurité du chantier ; que lorsqu'un employeur manque à son obligation de sécurité de résultat, il en résulte nécessairement un préjudice pour le travailleur ; qu'une somme de 1000 euros réparera ce préjudice ; que le jugement déféré sera infirmé sur ce point ;
3. Attendu que la dissimulation d'emploi salarié prévue aux articles L. 8221 ' 3 et L. 8221 ' 5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que, de manière intentionnelle, l'employeur s'est soustrait à la délivrance d'un bulletin de paie ou a mentionné sur ce bulletin un nombre d'heures inférieur à celui réellement effectué ; qu'en l'espèce, aucun élément du dossier ne démontre une telle volonté de l'employeur ; qu'ainsi, s'il y a eu manquement, l'employeur ne les a pas commis intentionnellement et le salarié n'a alors pas droit à l'indemnité prévue à l'article L. 8223'1 du code du travail ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;
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4. Attendu qu'il ressort des dispositions des articles L. 1237 ' 11 et suivants du code du travail qu'une rupture conventionnelle de contrat de travail ne peut être valable que si elle est librement consentie par chacune des parties ; que M. Marc Z a subi les manquements de son employeur au titre de son obligation de sécurité de résultat ; qu'en 2009, d'abord le 6 janvier puis le 13 septembre 2009, ces manquements ont eu pour conséquences des accidents du travail dramatiques, le premier rendant le salarié victime handicapé à vie et le second étant un accident mortel ; que de tels événements ont eu une répercussion sur le psychisme des collègues de travail de ces victimes, dont M. Marc Z ; qu'ainsi, au moment de l'établissement et de la signature de la rupture conventionnelle, M. Marc Z était dans une situation de contrainte morale assimilable à une violence morale de la part de son employeur faisant perdre à ce salarié la liberté d'y consentir ; que dès lors, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la rupture conventionnelle du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en tenant compte des éléments versés et des débats, une somme de 11'000 euros réparera justement le préjudice subi du fait de la rupture abusive du contrat de travail ;
5. Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la remise par la SARL Capodicasa et fils à M. Marc Z des documents sociaux (bulletins de salaires, certificat de travail, attestation Pôle emploi) conformes aux dispositions du présent arrêt ; que le prononcé d'une astreinte ne s'avère pas nécessaire ;
Attendu qu'aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens tant de première instance que d'appel ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à M. Marc Z la charge des frais exposés par lui non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de condamner la SARL Capodicasa et fils à lui verser une somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré sauf sur le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par M. Marc Z pour travail dissimulé ;
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Statuant à nouveau,
Condamne la SARL Capodicasa et fils à payer à M. Marc Z un rappel de salaires pour les cinq heures supplémentaires hebdomadaires effectuées par ce dernier ;
Condamne la SARL Capodicasa et fils à payer à M. Marc Z la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;
Annule la convention de rupture signée le 27 septembre 2010 par M. Marc Z et la SARL Capodicasa et fils ;
Condamne la SARL Capodicasa et fils à payer à M. Marc Z une somme de 11'000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
Renvoie les parties au calcul des rappels de salaires pour heures supplémentaires et autres avantages pécuniaires en découlant selon les modalités définies au présent arrêt, à charge pour les parties de saisir à nouveau la cour en cas de difficultés ;
Ordonne la remise par la SARL Capodicasa et fils à M. Marc Z des documents sociaux (bulletins de salaires, certificat de travail, attestation Pôle emploi) conformes aux dispositions du présent arrêt ;
Condamne la SARL Capodicasa et fils aux dépens tant de première instance que d'appel et à payer à M. Marc Z la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par M. ..., président, et Mme ..., greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT, S. ... A. ...

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