Jurisprudence : Cons. const., décision n° 2013-302 QPC, du 12-04-2013

Cons. const., décision n° 2013-302 QPC, du 12-04-2013

A9964KBN

Référence

Cons. const., décision n° 2013-302 QPC, du 12-04-2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8063243-cons-const-decision-n-2013302-qpc-du-12042013
Copier

Abstract

Le Conseil constitutionnel a été saisi de la question de la conformité à la Constitution de l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, adaptant la justice aux évolutions de la criminalité (Cass. . QPC, 22 janvier 2013, n° 12-90.064, FS-D).



Décision n° 2013-302 QPC

du 12 avril 2013

M. Laurent ALCINI et autres

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 janvier 2013 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 83 du 22 janvier 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par MM. Laurent Alcini, Nicolas Shashshani, et Sylvain de Smet, d'une part, et Mmes Alima Boumedienne, Sylvette Gueny, et M. Omar Slaouti, d'autre part, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 adaptant la justice aux évolutions de la criminalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 adaptant la justice aux évolutions de la criminalité ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour les requérants par Me Antoine Comte, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 14 et 28 février 2013 ;

Vu les observations produites pour l'association " Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVA) " par la SCP Bensimhon-Associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 14 février 2013 ;

Vu les observations en interventions produites pour l'association " SOS soutien ô sans papiers " par Mes Henri Braun et Nawel Gafsia, avocats au barreau de Paris, enregistrées le 31 janvier 2013 ;

Vu les observations en intervention produites pour l'association " La ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) " par la SCP Mendi-Cahn, avocat au barreau de Mulhouse, enregistrées le 6 février 2013 ;

Vu les observations en intervention produites pour l'association " Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) " par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 12 février 2013 et 1er mars 2013 ;

Vu les observations en intervention produites pour l'association " SOS Racisme - Touche pas à mon pote " par Me Michaël Ghnassia, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 12 février 2013 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 14 février 2013 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Comte pour les requérants, Me Marc Bensimhon pour le BNVA, Me Braun, pour " SOS soutien ô sans papiers ", Me Rodolphe Cahn pour la LICRA, Me Ghnassia pour SOS Racisme, Me Spinosi pour le MRAP et Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 2 avril 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que le premier alinéa de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par cette loi se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ; que, toutefois, aux termes de l'article 65-3 de cette même loi, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004 susvisée : " Pour les délits prévus par le huitième alinéa de l'article 24, l'article 24 bis, le deuxième alinéa de l'article 32 et le troisième alinéa de l'article 33, le délai de prescription prévu par l'article 65 est porté à un an " ;

2. Considérant que, selon les requérants, en allongeant la durée de la prescription pour certains délits prévus par la loi du 29 juillet 1881, les dispositions de l'article 65-3 portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et la justice ; qu'ils font valoir en particulier que la courte prescription prévue par l'article 65 de cette même loi constitue l'une des garanties essentielles de la liberté de la presse ;

3. Considérant que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; qu'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi " ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

5. Considérant que, par dérogation à la règle prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 susvisée, qui fixe le délai de prescription de l'action publique et de l'action civile à trois mois pour les infractions prévues par cette loi, les dispositions contestées prévoient que ce délai est porté à un an pour certains délits qu'elles désignent ; que cet allongement du délai de la prescription vise le délit de provocation à la discrimination ou à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, prévu et réprimé par le huitième alinéa de l'article 24 de cette loi, les délits de diffamation et d'injure publiques commis aux mêmes fins, prévus et réprimés par le deuxième alinéa de son article 32 et le troisième alinéa de son article 33 et le délit de contestation des crimes contre l'humanité, prévu et réprimé par son article 24 bis ; que les

règles de la prescription applicables à ces délits ne se distinguent des règles applicables aux autres infractions prévues et réprimées par la loi du 29 juillet 1881 que par la durée de ce délai de prescription ; qu'en particulier, ce délai d'un an court à compter du jour où les délits ont été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite, s'il en a été fait ;

6. Considérant qu'en portant de trois mois à un an le délai de la prescription pour les délits qu'il désigne, l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 a pour objet de faciliter la poursuite et la condamnation, dans les conditions prévues par cette loi, des auteurs de propos ou d'écrits provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence, diffamatoires ou injurieux, à caractère ethnique, national, racial, ou religieux ou contestant l'existence d'un crime contre l'humanité ; que le législateur a précisément défini les infractions auxquelles cet allongement du délai de la prescription est applicable ; que la différence de traitement qui en résulte, selon la nature des infractions poursuivies, ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi ; qu'il n'est pas porté atteinte aux droits de la défense ; que, dans ces conditions, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ;

7. Considérant que ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

DÉCIDE :

Article 1er

L'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 adaptant la justice aux évolutions de la criminalité, est conforme à la Constitution.

Article 2

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 avril 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 12 avril 2013.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.