Jurisprudence : TA Cergy-Pontoise, du 08-10-2020, n° 1915489

TA Cergy-Pontoise, du 08-10-2020, n° 1915489

A98653XN

Référence

TA Cergy-Pontoise, du 08-10-2020, n° 1915489. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/60959808-ta-cergypontoise-du-08102020-n-1915489
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Abstract

► Un maire n'est pas compétent pour adopter un arrêté destiné à interdire l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate (TA Cergy-Pontoise, 8 octobre 2020, n° 1915489 ; voir aussi TA Martinique, 23 octobre 2020, n° 2000517).


1915489

PREFET DU VAL-D'OISE

Mme …, Rapporteur

Mme …, Rapporteur public

Audience du 24 septembre 2020

Lecture du 8 octobre 2020

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise


Vu la procédure suivante :

Par un déféré enregistré le 9 décembre 2019, le préfet du Val-d'Oise demande au Tribunal d'annuler l'arrêté du 26 août 2019 par lequel le maire de la commune de Pierrelaye a interdit l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate à moins de 150 mètres de toute parcelle comprenant un bâtiment à usage d'habitation, d'activité économique ou d'équipement public sur le territoire communal.

Il soutient que :

- l'arrêté est entaché d'un vice d'incompétence, dès lors que le domaine de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques constitue, en application des dispositions des articles L. 253-1, L. 253-7 et R. 253-45 du code rural et de la pêche maritime, une police spéciale relevant de la seule compétence des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ; aucun de ces textes ne confère au maire le pouvoir de prendre des mesures dans cette matière ; le maire ne pouvait dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale édicter une réglementation qui empiéterait sur les pouvoirs de police spéciale reconnus aux autorités de l'Etat ; enfin, la mise en œuvre du principe de précaution n'entre pas dans le champ d'application du pouvoir de police générale du maire prévu par les dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ;

- l'existence d'un péril imminent ou la carence de l'Etat ne l'autoriserait pas davantage à réglementer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire communal ; en tout état de cause, l'existence d'un péril imminent qui suppose une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave n'est pas démontrée par le maire de Pierrelaye qui ne justifie par aucun fait précis que ses administrés seraient exposés à des risques particuliers liés à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques ; la carence avérée des services de l'Etat n'est pas plus établie, le Conseil d'Etat lui ayant accordé dans sa récente décision du 26 juin 2019 (n° 415426 et 415431) un délai de six mois pour prendre des dispositions destinées à protéger les riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques ;

- l'interdiction en litige est disproportionnée par rapport à l'objectif de préservation de l'ordre public en ce qu'elle s'applique sur une distance de 150 mètres sur tout le territoire communal contrairement à ce que préconise l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) dans son avis rendu le 14 juin 2019.

La requête a été transmise à la commune de Pierrelaye qui n'a pas produit d'observations.

Par ordonnance du 24 août 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 9 septembre 2020.

Vu :

- l'ordonnance n° 1915493 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 9 janvier 2020 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et la Charte de l'Environnement ;

- la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme …, rapporteur,

- les conclusions de Mme …, rapporteur public,

- et les observations de Mme K… représentant le préfet du Val-d'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° 204-2019 du 26 août 2019, le maire de Pierrelaye a interdit sur l'ensemble du territoire communal l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate à moins de 150 mètres de toute parcelle comprenant un bâtiment à usage d'habitation, d'activité économique ou d'équipement public. Le 30 août 2019, le préfet du Val-d'Oise a adressé ses observations à la commune et lui a demandé de retirer son arrêté. Par un courrier reçu le 24 octobre 2019, le maire de la commune de Pierrelaye a refusé de faire droit à cette demande et a justifié sa décision par le danger du glyphosate pour la santé du public et par son soutien total à la démarche du maire de Langouët. Par le présent déféré, le préfet du Val-d'Oise demande d'annuler l'arrêté du 26 août 2019 précité.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime : « I. - Sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. / L'autorité administrative eut interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° Sans préjudice des mesures prévues à l'article L. 253-7-1, les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ; / 2° Les zones protégées mentionnées à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ; / 3° Les zones recensées aux fins de la mise en place de mesures de conservation visées à l'article L. 414-1 du code de l'environnement ; / 4° Les zones récemment traitées utilisées par les travailleurs agricoles ou auxquelles ceux-ci peuvent accéder. / L'autorité administrative peut aussi prendre des mesures pour encadrer : / 1° Les conditions de stockage, de manipulation, de dilution et de mélange avant application des produits phytopharmaceutiques ; / 2° Les modalités de manipulation, d'élimination et de récupération des déchets issus de ces produits ; / 3° Les modalités de nettoyage du matériel utilisé ; / 4° Les dispositifs et techniques appropriés à mettre en œuvre lors de l'utilisation des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code pour éviter leur entraînement hors de la parcelle… ». L'article L. 253-7-1 du même code prévoit que : « A l'exclusion des produits à faible risque ou dont le classement ne présente que certaines phrases de risque déterminées par l'autorité administrative : / 1° L'utilisation des produits mentionnés à l'article L. 253-1 est interdite dans les cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les élèves dans l'enceinte des établissements scolaires, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l'enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public ; / 2° L'utilisation des produits mentionnés au même article L. 253-1 à proximité des lieux mentionnés au 1° du présent article ainsi qu'à proximité des centres hospitaliers et hôpitaux, des établissements de santé privés, des maisons de santé, des maisons de réadaptation fonctionnelle, des établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées et des établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave est subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées telles que des haies, des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement permettant d'éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement. Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, l'autorité administrative détermine une distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d'utiliser ces produits à proximité de ces lieux. / En cas de nouvelle construction d'un établissement mentionné au présent article à proximité d'exploitations agricoles, le porteur de projet prend en compte la nécessité de mettre en place des mesures de protection physique. / Les conditions d'application du présent article sont fixées par voie réglementaire. ».

3. D'autre part, l'article R. 253-45 du code rural et de la pêche maritime précise que : « L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-7 est le ministre chargé de l'agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l'article L. 253-7 concernent l'utilisation et la détention de produits visés à l'article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. ». L'article D. 253-45-1 du même code dispose que : « L'autorité administrative mentionnée au premier alinéa de l'article L. 253-7-1 est le ministre chargé de l'agriculture. / L'autorité administrative mentionnée au troisième alinéa du même article est le préfet du département dans lequel a lieu l'utilisation des produits définis à l'article L. 253-1. ».

4. Il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des produits phytopharmaceutiques selon laquelle la règlementation de l'utilisation de ces produits relève de la compétence des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. Il appartient ainsi à l'autorité administrative, sur le fondement du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, de prévoir l'interdiction ou l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment « les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables » que l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 définit comme « les personnes nécessitant une attention particulière dans le contexte de l'évaluation des effets aigus et chroniques des produits phytopharmaceutiques sur la santé » et dont font partie « les femmes enceintes et les femmes allaitantes, les enfants à naître, les nourrissons et les enfants, les personnes âgées et les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ».

5. Aux termes de l'article L. 2122-24 du code général des collectivités territoriales : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de l'exercice des pouvoirs de police, dans les conditions prévues aux articles L. 2212-1 et suivants. ». Aux termes de l'article L. 2212-1 du même code : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs. ». L'article L. 2212-2 du même code précise que : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (…) ». L'article L. 2212-4 prévoit que : « En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prises. ».

6. Comme il a été indiqué ci-dessus, le législateur a organisé une police spéciale des produits phytopharmaceutiques, confiée à l'Etat, dont l'objet est, conformément au droit de l'Union européenne, de prévenir les atteintes à l'environnement et à la santé publique pouvant résulter de l'utilisation de ces produits. Les autorités nationales ayant en charge cette police ont pour mission d'apprécier, au cas par cas, éclairées par l'avis scientifique d'un organisme spécialisé et après avoir procédé à une analyse approfondie, s'il y a lieu d'autoriser l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. En outre, le ministre peut toujours demander, postérieurement à la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché, le réexamen de la substance active. S'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale, à supposer même qu'une carence des autorités détentrices de la police spéciale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques puisse exister.

7. Enfin, si aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le préambule de la Constitution fait référence, il est précisé que : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage », le principe de précaution, s'il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d'attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'attributions. En conséquence ces dispositions ne sauraient davantage permettre au maire de s'immiscer dans l'exercice de la police spéciale des produits phytopharmaceutiques, en édictant des mesures réglementaires à caractère général.

8. Par suite, le préfet du Val-d'Oise est fondé à soutenir que l'arrêté attaqué a été pris par une autorité incompétente et à en demander l'annulation, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du 26 août 2019 par lequel le maire de Pierrelaye a interdit l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate à moins de 150 mètres de toute parcelle comprenant un bâtiment à usage d'habitation, d'activité économique ou d'équipement public sur le territoire communal est annulé.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié au préfet du Val-d'Oise et à la commune de Pierrelaye.

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