Jurisprudence : CA Aix-en-Provence, 14-04-2015, n° 14/13137 14/01472, Infirmation

CA Aix-en-Provence, 14-04-2015, n° 14/13137 14/01472, Infirmation

A6135NGC

Référence

CA Aix-en-Provence, 14-04-2015, n° 14/13137 14/01472, Infirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/24125042-ca-aixenprovence-14042015-n-1413137-1401472-infirmation
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Abstract

Le recours à la procréation médicalement assistée (PMA) à l'étranger n'est pas constitutif d'un détournement de la loi ni d'une fraude à la loi faisant obstacle à la requête en adoption plénière présentée par l'épouse de la mère.



COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE 6e Chambre C
ARRÊT AU FOND DU 14 AVRIL 2015
N° 2015/401
Rôle N° 14/13137
Agnes Marie-Dominique Yvonne Z épouse Z
C/
MINISTÈRE PUBLIC
Grosse délivrée
le
à
Catherine ..., avocat au barreau de MARSEILLE -ministère public + 2 copies
Décision déférée à la Cour
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 23 Juin 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 14/01472.

APPELANTE
Madame Agnes Marie-Dominique Yvonne Z épouse Z
née le ..... à Marseille (13000)
de nationalité Française, demeurant BERRE-L'ETANG
comparante en personne,
assistée de Me Catherine CLAVIN, avocat au barreau de MARSEILLE
MINISTÈRE PUBLIC, demeurant AIX EN PROVENCE
*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Mars 2015 en Chambre du Conseil. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Chantal MUSSO, président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de
Madame Chantal MUSSO, Présidente
Madame Corinne HERMEREL, Conseiller
Mme Michèle CUTAJAR, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats Madame Mandy ROGGIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2015.
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame ..., substitut général qui a fait connaître son avis.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2015.
Signé par Madame Chantal MUSSO, Présidente et Madame Mandy ROGGIO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE
Par requête déposée au greffe du service civil du parquet du Tribunal de Grande Instance d'Aix en Provence, le 22 novembre 2013, Agnès Z, née le ..... à Marseille et mariée avec Cécile ..., et agissant avec le consentement de cette dernière, ainsi qu'il résulte de l'acte reçu le 20 septembre 2013 par l'étude de Maître ..., notaire à Istres, exposait accueillir depuis le 2 juin 2012, au foyer qu'elle forme avec Cécile ..., l'enfant Mathias ..., né le ..... à Salon de Provence, et dont la filiation n'est établie qu'à l'égard de sa mère.
Elle précisait dans sa requête que l'enfant était issu d'une insémination artificielle avec donneur anonyme pratiquée hors de France.
Elle demandait que soit prononcée en sa faveur l'adoption plénière de l'enfant Mathias ..., et que celui-ci porte désormais le nom de Z, que soit ordonnée la transcription du jugement dans les registres de l'état civil de la mairie de Salon de Provence, et qu'il soit dit que l'acte de naissance originaire et le cas échéant, l'acte provisoire dressé en application de l'article 58 du Code Civil soient à la diligence du Ministère Public, revêtus de la mention " ADOPTION " et considérés comme nuls.
Le Ministère Public s'était opposé à la demande.

Par jugement en date du 23 juin 2014, le Tribunal de Grande Instance d'Aix en Provence a rejeté la requête présentée par Agnès Z.

Cette dernière a formé appel de cette décision par déclaration au greffe de la Cour d'appel de céans en date du 1er juillet 2014.
Dans ses conclusionsAgnès Z demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, et
- PRONONCER l'adoption plénière par Madame Agnès, Marie Dominique, Yvonne Z, née le ..... à Marseille, de nationalité française, domiciliée BERRE L'ETANG de Mathias Fabrice Frédéric Henri ..., né le ..... à SALON DE PROVENCE, lequel sera prénommé et nommé Mathias Fabrice Frédéric Henri Z
- DIRE que par application de l'alinéa 2 de l'article 356 du Code Civil, l' acte transcrit mentionnera en outre que l'adopté est fils du conjoint de l'adoptant, Mme Cécile ... Cécile, née le ..... à Istres
- ORDONNER que le dispositif de l'arrêt à intervenir sera, dans les formes et délais de la loi, transcrit sur les registres de l'état civil de la mairie de SALON DE PROVENCE.
- DIRE que les actes de naissance originaire seront, à la diligence du Procureur de la République, revêtus de la mention " ADOPTION " et considérés comme nuls.
Elle fait valoir que les conditions légales pour l'adoption plénière sont réunies. Mathias n'a de filiation établie qu'à l'égard de sa mère. Agnès Z et Cécile ... vivent en concubinage depuis plusieurs années, et ont élaboré un projet parental. C'est ainsi que Cécile ... a donné naissance le 2 juin 2012 à Mathias, et est légalement la seule titulaire de l'autorité parentale sur l'enfant. Dès sa naissance, le petit garçon a été immédiatement immergé au sein du couple formé par Agnès Z et Cécile ... lesquelles lui ont indifféremment procuré amour et autorité. La relation du couple est stable et harmonieuse, s'agissant d'un couple constitué depuis 5 ans, qui s'est uni en mariage le 31 août 2013.
Elle critique la décision du Tribunal de Grande Instance d'Aix en Provence qui a considéré que le fait de solliciter l'adoption d'un enfant conçu grâce à une procréation médicalement assistée pratiquée à l'étranger, constituerait une fraude à la loi, définie par la jurisprudence comme le fait pour les parties de modifier volontairement le rapport de droit dans le seul but de se soustraire à la loi normalement compétente. En effet, son projet d'adoption n'est ni frauduleux ni illégal
- Le but poursuivi est d'accueillir au sein de son couple et d'élever comme le sien l'enfant de son épouse
- La loi du 17 mai 2013 organise la possibilité pour un couple marié de personnes de même sexe d'adopter l'enfant de son conjoint
Sur l'esprit de la loi du 17 mai 2013 quant à l'adoption des enfants conçus à l'aide d'une PMA, elle rappelle que le mode de conception de l'enfant n'a jamais été considéré par les articles 354-1 et suivants du Code Civil comme l'une des conditions légales de l'adoption. L'esprit de la loi du 17 mai 2013 a été celui de reconnaître à part entière la famille homoparentale, d'en régulariser la situation juridique dont une très grande partie était de façon notoire composée de deux femmes et d'enfants conçus par procréation médicalement assistée. L'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe devait, pour le législateur, permettre de sécuriser la situation des enfants et de leur famille.
Elle cite une déclaration de Monsieur Erwan ..., dans un communiqué de presse du 24 février 2014 " en aucun cas, il a été dans l'intention du législateur de refuser l'adoption des enfants conçus par PMA. Il a toujours été admis lors des débats que l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe, profiterait le plus souvent aux adoptions intrafamiliales, en particulier au sein des couples de femmes ".
Elle fait remarquer que les deux amendements 2245 et 3891 qui avaient été présentés au débat national, visaient à faire notamment interdire l'adoption par une famille d'un enfant conçu par GPA
ou PMA pratiquée à l'étranger. Or ils ont fait l'objet d'un rejet.
Elle rajoute que cette loi a fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité et le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision le 17 mai 2013.
Sur l'absence de fraude à la loi de recourir à une PMA à l'étranger, elle fait valoir que le recours à cette technique ne fait l'objet d'aucune prohibition de principe elle n'est pas illégale en France ni contraire à l'ordre public, contrairement à la GPA dont le Code Civil rappelle dans ses articles 16-7 et 16-9 et la jurisprudence récente que " toute convention de gestation pour autrui est nulle d'une nullité d'ordre public ". Sa pratique restreinte en France n'empêche aucunement d'y recourir à l'étranger, en respectant les dispositions légales du pays où elle est pratiquée. Le recours à la PMA à l'étranger ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune sanction pénale ou civile, l'article L2141-2 du Code de la Santé Publique instituant une répression à l'égard seulement des praticiens.
Il n'existe pas plus de contrariété entre la loi étrangère qui admet plus largement le recours à la PMA, et l'ordre public international français, de sorte qu'il ne peut être argué de fraude à la loi. De plus, la requérante à l'adoption ne soumet pas une situation juridique procédant d'une volonté d'obtenir ce qui lui est prohibé par la loi. Si l'on suit la motivation des premiers juge, la situation valablement acquise à l'étranger mais constitutive d'une fraude serait en conséquence le lien de filiation entre la mère biologique et l'enfant, et non la demande en adoption de l'enfant par le conjoint du parent biologique. Aucune disposition du droit français n'interdit l'établissement d'un lien de filiation entre un enfant conçu par procréation médicalement assistée à l'étranger et hors le cadre de l'article L 2141-2 du Code de la Santé Publique et sa mère biologique et par extension son parent d'intention.
Elle insiste sur le Considérant 44 de la décision du 17 mai 2013 du Conseil Constitutionnel, auquel le tribunal fait allusion dans son jugement, qui explique seulement qu'en ouvrant le mariage et l'adoption aux personnes de même sexe, il n'était pas nécessaire de modifier la législation régissant la procréation médicalement assistée. Le Considérant 58 de cette même décision fait référence à l'éventualité d'un détournement de la loi, qui doit faire l'objet d'une appréciation par les juridictions saisies d'une demande en adoption. . Il ne vient en aucune manière déclarer que la procréation médicalement assistée pratiquée, légalement par une française à l' étranger constitue une fraude qui corrompt jusqu'au lien de filiation.
Elle observe que la Directive UE 2011/24 du 9 mars 2011 pose le principe de la libre circulation pour les soins de santé que les ressortissants européens peuvent aller recevoir à l'étranger. Cette Directive est d'application directe sur le territoire national. Assimiler dès lors le recours à la procréation médicalement assistée à l'étranger à une fraude à la loi conduirait nécessairement la France à contrevenir à ses engagements internationaux.
Elle cite un arrêt de la CEDH du 3 novembre 2011, concernant l'Autriche qui interdit la PMA pour ses concitoyens. Dans cette décision, la cour n'a aucunement envisagé la notion de fraude à la loi. Elle se réfère également à un arrêt de la 1ère chambre civile du 8 juillet 2010 qui a ordonné l'exequatur d'une décision d'adoption américaine par une française de l'enfant de son épouse, né après une insémination artificielle par donneur anonyme.
Elle considère que les premiers juges n'ont par ailleurs pas pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant dont le droit au respect de sa vie privée a été violé. Le refus de l'adoption au seul motif d'une filiation établie par suite d'une PMA, reviendrait à générer une différence de traitement injustifiée entre les enfants, et équivaudrait à sanctionner un tiers à la fraude dont la filiation est un élément de son identité. Mathias n'aura jamais vocation à voir sa filiation établie à l'égard de son géniteur que son anonymat protège. Dès lors, le priver d'une seconde filiation contrevient manifestement à son intérêt.
Elle met en avant le fait que les Tribunaux de Grande Instance de Lille, Montpellier, Nanterre et Paris ont prononcé des adoptions plénières pour des enfants conçus par procréation médicalement assistée. Dernièrement, le Tribunal de Grande Instance de Marseille, par décision du 11 juin 2014, a dans une affaire similaire, accueilli la demande d'adoption, alors même que le Ministère Public s'était opposé à l'adoption du fait de l'existence d'une fraude à la loi.
Par conclusions en date du 4 mars 2015, Madame l'Avocat Général demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.
Elle cite tout d'abord l'avis rendu par la Cour de Cassation le 22 septembre 2014 sur demande formulée par le Tribunal de Grande Instance d'Avignon, ainsi libellée " L'accès à la procréation médicalement assistée, sous forme d'un recours à une insémination artificielle avec donneur inconnu à l'étranger par un couple de femmes, est-il de nature, dans la mesure où cette assistance ne lui est pas ouverte en France, en application de l'article L2141- 2 du Code de la santé publique, à constituer une fraude à la loi sur l'adoption, et notamment aux articles 343 et 345-1 du Code Civil, et au Code de la santé publique, empêchant que soit prononcée une adoption de l' enfant né de cette procréation par l'épouse de la mère biologique ' ". Ce à quoi il a été répondu par la Cour de Cassation " Le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ( ... ) "
Elle rappelle les termes de l'article L2141-2 du Code de la Santé Publique, et de l'article 311-20 du Code Civil. Elle rajoute que ce dernier article a pour rôle de " verrouiller " la filiation en imposant une désignation obligatoire du père, dissocié de la qualité de géniteur. Le législateur a ainsi souhaité que l'anonymat du donneur de gamètes ne se traduise pas par la naissance d'un enfant sans père. Cet article prévoit en conséquence que la paternité peut être judiciairement établie à partir du consentement initial, si elle n'est pas par l'effet de la loi ou par une reconnaissance. Elle insiste sur le fait que ces deux articles sont issus de deux lois toujours en vigueur en date du 29 juillet 2014, votées ensemble pour répondre à une unique exigence celle d'empêcher que le recours aux forces procréatives d'autrui qu'elles autorisent, débouche sur un droit à l'enfant. Elle met également en exergue le fait que la loi de révision de la loi de bioéthique du 7 juillet 2013 a clairement maintenu l'interdiction du recours à la PMA pour les femmes seules et a refusé l'accès des couples de femme au don de sperme anonyme.
Elle considère qu'en l'espèce la fraude consiste dans le recours même à la PMA, qui permet à une des femmes de faire naître son enfant déjà adoptable par sa conjointe, car irrémédiablement privé de père. Et ce sans qu'il soit possible de connaître et de contrôler les conditions de réalisation de cette PMA (par exemple, quant à la gratuité ou l'anonymat).
Elle précise que l'avis rendu par la Cour de Cassation ne lie pas la cour, qui peut considérer que la fraude affecte le consentement à l'adoption donné par la mère, qui a imposé au futur adopté une naissance sans père que les articles 6-1 et 311-20 du Code Civil interdisent.
Elle rajoute qu'un rejet d'adoption par la cour n'aurait pas de conséquences définitives, car une modification de la loi autoriserait le dépôt d'une nouvelle requête en adoption, et que l'enfant vivant au sein d'un couple, Agnès Z peut également solliciter une délégation d'autorité parentale pour les actes usuels.

MOTIFS DE LA DÉCISION
Les pièces versées aux débats (photographies, nombreuses attestations) établissent que si l'enfant Mathias est né le 2 juin 2012 de Cécile ..., il est dans les faits le fruit d'un projet parental conçu entre la mère et celle qui n'était à l'époque que sa compagne, Agnès Z et que depuis sa naissance, il reçoit de la part des deux femmes tous les soins et l'affection que requiert un enfant,
et qu'il est éduqué par elles. De plus les lignées respectives d'Agnès Z et de Cécile ... le traitent comme l'enfant issu de leur couple.
C'est donc logiquement qu'après la modification de l'article 345-1 du Code Civil, issu de la loi du 17 mai 2013, qu'Agnès Z, qui entre temps s'était unie en mariage avec Cécile ... le 31 août 2013, a présenté une requête en adoption plénière de l'enfant Mathias.
Le Tribunal de Grande Instance d'Aix en Provence a rejeté sa demande aux motifs qu'en se déplaçant en Espagne, la mère de l'enfant avait évité sciemment l'application des dispositions de l'article L2141-2 du Code de la Santé publique, et qu'il appartenait à la juridiction saisie, dans le respect de la décision du Conseil Constitutionnel du 17 mai 2013 et en particulier de son considérant n° 58 'd'empêcher et de priver d'effets tout détournement à la loi'
En cause d'appel, le Ministère Public soutient que le recours à la procréation médicalement assistée qui permet à une des femmes de faire naître son enfant déjà adoptable par sa conjointe car irrémédiablement privé de père, et sans qu'il soit possible de connaître et contrôler les conditions de réalisation de cette procréation médicalement assistée (quant à l'anonymat et la gratuité) constitue une fraude qui affecte le consentement à l'adoption donné par la mère qui a imposé au futur adopté une naissance sans père, que les article 6-1 et 311-20 du Code Civil interdisent.
Selon les premiers juges, il y aurait donc eu détournement de la loi, et selon le Ministère Public fraude à la loi.
Comme il a été vu dans l'exposé des prétentions des parties, l'article L2141-2 du Code de la Santé Publique n' autorise la procréation médicalement assistée en France qu'aux couples hétérosexuels, mariés ou non, et seulement dans un but thérapeutique en vue de remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué, ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité.
Si l'on s'en tient à cette simple lecture du texte, le détournement paraît effectivement établi.
Toutefois, il convient d'observer que ce texte, pas plus que l'article 311-20 du Code Civil, n'instaurent de sanction pour le couple qui, circonvenant le personnel médical, serait parvenu à obtenir une procréation médicalement assistée en dehors des cas posés par la loi. Son inobservation n'est donc pas sanctionnée par une nullité d'ordre public qui interdirait l'établissement de la filiation, comme c'est le cas en matière de gestation pour autrui ou en matière d'inceste.
Surtout, en matière d'adoption, la loi ne pose aucune condition quant aux circonstances de la conception de l'enfant. Dans le cas présent, si Agnès Z n'avait pas précisé dans sa requête que l'enfant était issu d'une procréation médicalement assistée pratiquée à l'étranger, le Ministère Public n'aurait pas eu le moyen de connaître les conditions précises dans lesquelles avait été conçu le petit Mathias, sauf à porter atteinte à l'intimité du couple et au respect de la vie privée.
Considérer comme l'a fait le tribunal qu'il y a eu détournement de la loi, revient donc à ajouter une condition à l'adoption, pas que le législateur n'a pas franchi le 17 mai 2013, son intention étant à l'évidence de favoriser l'adoption par les couples de même sexe, comme le démontrent les débats parlementaires.
En ce qui concerne la fraude à la loi, le Ministère Public s'interroge que les garanties qu'offre une procréation médicalement assistée pratiquée en Espagne, sans établir pour autant que les conditions posées de l'autre côté des Pyrénées ne sont pas identiques à celles exigées par la France.
Surtout, il confond violation de la loi et fraude à la loi, telle qu'elle est définie en droit international privé. Comme l'explique le professeur ... (cf jurisclasseur de droit international 535 consacré à la fraude à la loi), la fraude à la loi implique un artifice, à savoir que " le sujet a indûment provoqué les circonstances qui lui permettent de se recommander de la loi invoquée ". Le sujet a donc agi sur la règle de conflit de loi. Or dans le cas présent, il n'y a eu aucune manipulation de la règle de conflit, Cécile ..., citoyenne de l'Union Européenne, s'étant contentée de se rendre en Espagne où la procréation médicalement assistée lui était accessible, ce que permet comme le souligne l'appelante, la directive UE 2011/24 du 9 mars 2011 qui pose le principe de la libre circulation pour les soins de santé que les ressortissants européens peuvent aller recevoir à l'étranger.
Partant, si la fraude à la loi n'est pas constituée, il ne peut être valablement soutenu que le consentement à l'adoption de Cécile ... aurait été vicié en l'espèce par le fait qu'elle aurait mis au monde un enfant " directement adoptable ", car irrémédiablement privé de père. Il sera d'ailleurs relevé que dans le considérant 56 de sa décision du 17 mai 2013, le Conseil Constitutionnel a écarté les griefs tirés de la méconnaissance d'un principe reconnu par les lois de la République, en matière de caractère bilinéaire de la filiation fondée sur l'altérité sexuelle, et ceux tirés de la méconnaissance d'un principe constitutionnel garantissant le droit de tout enfant de voir sa filiation concurremment établie à l'égard d'un père et d'une mère. En clair, il a estimé que notre droit interne ne reconnaissait pas à l'enfant le droit de voir sa filiation établie à l'égard de deux parents de sexe différent, dont il est issu, ni même le droit de voir établi son lien de filiation biologique.
En conséquence, en l'absence de détournement de la loi et de fraude à la loi, et dans la mesure où toutes les conditions légales de l'adoption sont remplies en l'espèce, cette adoption étant par ailleurs conforme à l'intérêt de l'enfant, en ce qu'elle fera entrer officiellement le petit Mathias dans deux lignées où il a déjà affectivement sa place, il sera fait droit à la requête d'Agnès PONTOIS

PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en audience publique, après débats en Chambre du Conseil,
Infirme la décision entreprise
Et statuant à nouveau
Prononce l'adoption plénière par Madame Agnès, Marie-Dominique, Yvonne Z, épouse de Madame Cécile ..., née le ..... à Marseille (Bouches du Rhône) de l'enfant Mathias, Fabrice, Frédéric, Henri ... né le ..... à Salon de Provence
Dit que l'enfant portera désormais le nom de Mathias, Fabrice, Frédéric, Henri Z
Dit que cette adoption produira ses effets à dater du 22 novembre 2013, date du dépôt de la requête
Vu l'article 356 alinéa 2 du Code Civil
Rappelle que l'adoption de l'enfant du conjoint laisse subsister sa filiation d'origine à l'égard de ce conjoint et de sa famille et qu'elle produit pour le surplus les effets d'une adoption par deux époux
Vu l'article 1056 du Code de Procédure Civile
Ordonne la transcription du dispositif de la présente décision sur les registres de l'Etat Civil de la Mairie de Salon de Provence
Dit qu'à la diligence du Ministère Public, l'acte de naissance originaire de l'enfant sera revêtu de la mention " ADOPTION " et considéré comme nul.
Laisse les dépens à la charge de la requérante.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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