Jurisprudence : CA Orléans, 09-04-2015, n° 14/01381

CA Orléans, 09-04-2015, n° 14/01381

A2724NGY

Référence

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Abstract

L'agent immobilier qui a rédigé un bail professionnel, inadapté à une activité commerciale, et qui ne procurait pas au locataire le bénéfice du statut des baux commerciaux, notamment quant à la durée de la location, à son droit au renouvellement et au régime d'encadrement du prix du loyer, engage sa responsabilité à l'égard du preneur.



COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS le 09/04/2015
SELARL CASADEI-JUNG
SCP STOVEN PINCZON DU SEL STOVEN BLANCHE
A.D.D . 11 JUIN 2015 - 14 H
ARRÊT du 09 AVRIL 2015 N° - 15 N° RG 14/01381
DÉCISION ENTREPRISE Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ORLÉANS en date du 04 Mars 2014

PARTIES EN CAUSE
APPELANT - Timbre fiscal dématérialisé N° 1265141854162748
Monsieur Carlos Z
né le ..... à HUANCAVELICA (PEROU)

ORLÉANS
représenté et assisté de Me Emmanuel POTIER de la SELARL CASADEI-JUNG, avocat au barreau d'ORLÉANS
D'UNE PART
INTIMÉE - Timbre fiscal dématérialisé N° 1265141629289394 La SARL BPN
Prise en la personne de son gérant. Exerçant sous l'enseigne AGENCE SAINT HILAIRE IMMOBILIER
OLIVET
représentée par Me Bruno STOVEN de la SCP STOVEN PINCZON DU SEL STOVEN BLANCHE, avocat au barreau d'ORLÉANS
D'AUTRE PART
DÉCLARATION D'APPEL en date du 15 Avril 2014.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du 5 février 2015

COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré
· Monsieur Alain RAFFEJEAUD, Président de chambre,
· Madame Elisabeth HOURS, Conseiller,
· Monsieur Thierry MONGE, Conseiller. Greffier
· Madame Anne-Chantal PELLÉ, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS
A l'audience publique du 05 MARS 2015, à laquelle ont été entendus Monsieur Thierry MONGE, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT
Prononcé le 09 AVRIL 2015 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

EXPOSÉ
M. Carlos Z, qui devait quitter le local municipal dans lequel il exerçait depuis à Orléans son activité d'artisanat et vente de pierres, minéraux, fossiles, bois et cuirs, a conclu le 23 mars 2005 par l'entremise de l'agence Saint Hilaire ... un bail professionnel d'une durée de six années à échéance du 1er avril 2011 sur un local sis à Orléans avec les consorts ..., aux droits desquels est ensuite venu M. .... Indiquant souhaiter vendre son fonds et revendiquant le statut de la propriété commerciale, il a vainement demandé en 2008 au propriétaire de transformer ce bail professionnel en bail commercial, et alors reproché à l'agence la nature que revêtait le bail, avant de les faire assigner l'un et l'autre, par actes du 29 juillet 2010, pour voir requalifier en bail commercial le contrat litigieux et obtenir la condamnation solidaire des défendeurs à lui payer 35.000 euros de dommages et intérêts. Le lendemain, 30 juillet 2010, M. ... lui faisait délivrer congé pour le 1er avril 2011.

Par jugement du 4 mars 2014, le tribunal de grande instance d'Orléans a déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en requalification du bail ; il a validé le congé, ordonné l'expulsion de M. Z en le condamnant au paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux ; il a rejeté la demande d'annulation du bail, et débouté M. Z de ses prétentions dirigées contre l'... ... Hilaire visant à obtenir des dommages et intérêts et la restitution des frais de rédaction de l'acte ; enfin, il a débouté M....... et l'agence de leurs demandes respectives de dommages et intérêts.

M. Z a relevé appel en n'intimant que la société Saint Hilaire Immobilier
Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile, ont été déposées
- le 3 février 2015 par l'appelant
- le 4 février 2015 par l'intimée.
M. Z fait valoir qu'il est inscrit au registre du commerce, qu'il vendait sa marchandise, qu'il n'a jamais été informé des conséquences juridiques que la signature d'un bail professionnel impliquait pour son activité, et qu'il n'a pas pu valoriser son fonds lorsqu'il a cherché à le céder, puisqu'il ne disposait ni du droit au renouvellement, ni de la propriété commerciale. Il conteste que la conclusion du contrat se soit décidée dans l'urgence, et reproche à l'agence d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne l'éclairant pas sur la nature et le régime du bail professionnel, qui convient aux professions libérales mais pas aux commerçants, et en ne lui déconseillant pas de souscrire un bail inadapté et même illégal. Il considère que son préjudice n'a pas la nature de la perte d'une chance dès lors qu'il s'est déterminé en fonction du conseil donné par le professionnel, et réclame à titre de dommages et intérêts une somme de 35.000 euros correspondant à la valeur du droit au renouvellement telle qu'estimée par une agence locale, ainsi que 1.098 euros en remboursement des frais de rédaction du bail du 23 mars 2005 et 5.000 euros pour l'indemniser des tracas et désagréments subis. En réponse aux contestations adverses, il nie avoir hésité à poursuivre son activité comme avoir renoncé au statut des baux commerciaux, et il tient pour inopérante l'objection tirée de ce qu'il n'avait réglé aucun droit au bail à son entrée.
La S.A.R.L. BPN qui vient aux droits de l'Agence Saint Hilaire ..., sollicite la confirmation de sa mise hors de cause et 2.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive. Elle observe que l'appelant ne remet pas en cause le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation du bail pour cause d'erreur. Elle dénie toute responsabilité en faisant valoir que M. Z avait jusqu'alors exercé son activité sans bénéficier du statut, qu'il était à la rue et l'a contactée en extrême urgence parce que la mairie mettait fin à leur convention d'occupation précaire ; qu'il n'a aucunement demandé à conclure un bail commercial ; que l'unique local disponible immédiatement était celui-ci, que ses propriétaires ne louaient qu'en bail professionnel ; que M. Z y trouvait intérêt puisque les frais de rédaction étaient partagés et qu'il économisait le coût du droit au bail inhérent aux baux commerciaux, d'autant qu'il n'était pas même assuré de poursuivre son activité, s'étant d'ailleurs fait radier du registre du commerce quelque temps après la conclusion du bail litigieux ; et qu'il a en définitive exploité pendant des années son activité sur place sans aucune difficulté en réglant un loyer modéré sans avoir acquitté de droit d'entrée. Elle conteste avoir été tenue d'un devoir de conseil envers M. Z en niant qu'un mandat les ait unis. Elle soutient qu'en tout état de cause, le devoir de conseil s'apprécie en fonction des circonstances de la cause et de la volonté des parties, et fait valoir à cet égard que la situation de M. Z était précaire en mars 2005 ; qu'il peut parfaitement être dérogé au statut ; que la conclusion d'un bail professionnel par un commerçant n'a rien d'illégal ; et que l'intéressé n'a jamais revendiqué le statut dans les délais. Elle conteste subsidiairement la réalité d'un préjudice au motif que l'appelant réclame la valeur d'un droit au bail qu'il n'a jamais payé, qu'il ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il l'a perdu la possibilité de l'obtenir puisqu'il n'a pas agi dans le délai, et qu'il a pu se réinstaller dans le même quartier, rue de la Charpenterie, où il poursuit son activité. Encore plus subsidiairement, elle indique que l'indemnisation est sollicitée au vu d'une évaluation émanant d'une agence reconnaissant elle-même n'avoir pas qualité pour réaliser une expertise, et elle ajoute que la réparation a soit un fondement contractuel, auquel cas seul est indemnisable le préjudice prévu ou prévisible à la conclusion du contrat ce dont il n'a jamais été question en l'espèce où l'acquisition d'un droit au bail n'a jamais été envisagée, soit un fondement délictuel, auquel cas le préjudice s'analyse en la perte d'une chance, pour laquelle la réparation est nécessairement partielle, et s'avère ici hypothétique en l'absence d'acquisition d'un droit au bail valorisable au départ. Elle s'oppose aussi à la restitution des frais de rédaction de l'acte de 2005, en faisant observer que M. Z a reçu la prestation correspondante. Elle estime que le procès est abusif.
Il est référé pour le surplus aux dernières conclusions récapitulatives des parties.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 5 février 2015, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.

MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu que la société BPN conteste avoir été tenue d'un devoir de conseil envers M. Z en faisant valoir qu'il s'agit là d'une obligation contractuelle et qu'ils n'étaient pas liés par une convention ;
Que de fait, aucun contrat entre eux, notamment de mandat, n'est produit, et le contrat litigieux de bail professionnel signé le 23 mars 2005 énonce seulement que la S.A.R.L. Saint Hilaire Immobilier était la mandataire de l'indivision BEAULIEU-LANSON, bailleresse ;
Attendu, toutefois, que l'intermédiaire professionnel qui prête son concours à la rédaction d'un acte après avoir été mandaté par l'une des parties est tenu de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention même à l'égard de l'autre partie ;
Que l'agence est ainsi susceptible d'avoir engagé sa responsabilité envers M. Z s'il s'avère qu'elle ne s'est pas assurée de l'efficacité juridique du bail ;
Attendu que la nature juridique du bail est déterminée par celle de l'activité exercée par le preneur ;
Attendu, à cet égard, que M. Z était inscrit au registre du commerce pour une activité de commercialisation d'artisanat en pierres, minéraux, fossiles, bois, cuirs et tissus depuis 2003 à l'époque où il a conclu ce bail (cf sa pièce n°13), et l'acte énonce expressément que 'le locataire déclare exercer la commercialisation d'artisanat en pierres, minéraux, fossiles, bois, cuir et tissus' (cf sa pièce n°1, page 1) ;
Qu'en application de l'article L.145-1, I du code de commerce, l'immatriculation de M. Z au registre du commerce et son exploitation d'un fonds de commerce lui ouvraient le bénéfice du statut des baux commerciaux ;
Attendu que s'agissant d'un régime légal impératif, il aurait dû régir la convention conclue le 23 mars 2005 ;
Attendu que l'agence Saint Hilaire ... a néanmoins rédigé un bail professionnel, inadapté à une activité commerciale, et qui ne procurait pas au locataire le bénéfice du statut, notamment quant à la durée de la location, à son droit au renouvellement et au régime d'encadrement du prix du loyer ;
Attendu que l'agent immobilier ne prouve ni ne prétend avoir informé M. Z de son droit à bénéficier du statut, et M. Z n'a pu renoncer à un régime d'ordre public qui ne lui a pas été offert ;
Qu'il est sans incidence sur le principe de la responsabilité encourue par l'agence, que M. Z dût trouver dans l'urgence un local -ce qu'il conteste et qui n'est d'ailleurs pas établi-, qu'elle n'ait pas disposé dans son portefeuille de local commercial à lui proposer, ou encore que la souscription d'un bail professionnel s'avérât moins coûteuse que celle d'un bail commercial ;
Qu'a fortiori est-il inopérant de retenir, comme l'a fait le tribunal, que M. Z n'aurait pas de lui-même spécialement indiqué rechercher un bail commercial, l'agent immobilier, professionnel des baux, étant précisément tenu d'informer les parties à l'acte, et l'agence Saint Hilaire ... n'ayant assurément pas procuré à M. Z l'efficacité juridique que celui-ci était en droit de retirer du contrat de bail qu'elle avait rédigé ;
Que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la société Saint Hilaire Immobilier a donc engagé sa responsabilité envers M. Carlos Z ;
Qu'a fortiori, son action n'était-elle donc pas abusive ;
Attendu, toutefois, qu'à titre de réparation de son préjudice, celui-ci réclame la valeur du fonds de commerce telle qu'estimée par un professionnel local, en soutenant que l'absence de bail commercial l'empêche de céder son fonds ;
Attendu, certes, qu'il justifie (cf sa pièce n°4) avoir manifesté en septembre 2008 son intention de céder son fonds dans une lettre au bailleur par laquelle il revendiquait le bénéfice du statut, la requalification de son bail professionnel et la conclusion d'un bail commercial, ce qui ne s'est pas fait, manifestement en raison du montant du loyer devenant commercial que le propriétaire a alors réclamé pour y consentir ;
Que toutefois, M. Z explique avoir ensuite reçu congé ; le jugement objet du présent appel limité a ordonné son expulsion des locaux par des chefs de décision qui sont définitifs ; et l'intimée indique sans réfutation adverse et au visa d'une pièce n°7, qu'il s'est réinstallé dans un local du quartier, rue de la Charpenterie, où il exerce toujours son activité ;
Que l'appréciation du préjudice allégué requiert, dans ces conditions, de rouvrir les débats pour inviter
-d'une part M. Z, à fournir toutes explications et justifications sur les conditions juridiques dans lesquelles il exerce son activité et sur l'incidence, quant à la cessibilité de son fonds, d'un bail commercial dont il serait aujourd'hui titulaire, voire de sa propriété des murs dans lesquels il exploite, en indiquant aussi quelles étaient les motivations, conditions et perspectives de la cession de son fonds envisagée en 2008 et qu'il indique avoir manquée
-et d'autre part les parties, à faire toutes observations sur l'éventuelle incidence de ces éléments sur le préjudice consécutif à la conclusion d'un bail professionnel inadapté ;

PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et dans les limites de l'appel
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. Agence Saint Hilaire Immobilier de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive contre M. Z
L'INFIRME en ce qu'il a dit que la S.A.R.L. Agence Saint Hilaire Immobilier n'avait pas manqué à ses obligations envers M. Z
et statuant à nouveau de ce chef
DIT que la S.A.R.L. Agence Saint Hilaire Immobilier aux droits de laquelle vient la S.A.R.L. BPN a engagé sa responsabilité envers M. Carlos Z
AVANT DIRE DROIT sur le surplus ORDONNE la réouverture des débats
ENJOINT à M. Z de fournir toutes explications et justifications sur les conditions juridiques dans lesquelles il exerce son activité et sur l'incidence, quant à la cessibilité de son fonds de commerce, d'un bail commercial dont il s'avérerait aujourd'hui titulaire voire de sa propriété des murs dans lesquels il exploite, en indiquant aussi quelles étaient les motivations, conditions et perspectives de la cession de son fonds envisagée en 2008 et qu'il indique avoir manquée
INVITE les parties à faire toutes observations sur l'éventuelle incidence de ces éléments sur le préjudice consécutif à la conclusion, en 2005, d'un bail professionnel inadapté
RENVOIE la cause à l'audience collégiale du JEUDI 11 JUIN 2015 à 14 heures, RÉSERVE les dépens.
Arrêt signé par Monsieur Alain ..., Président de chambre et Madame Anne-Chantal ..., greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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