Jurisprudence : Cass. crim., 17-03-2015, n° 14-80.805, F-D, Rejet

Cass. crim., 17-03-2015, n° 14-80.805, F-D, Rejet

A1750NEK

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N° W 14-80.805 F D N° 725
HB/SM 17 MARS 2015
REJET
M. GUÉRIN président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par - La société Anaf auto Auction,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 13 janvier 2014, qui, pour blanchiment aggravé, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 février 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale M. Guérin, président et conseiller rapporteur, MM. ... et Finidori, conseillers de la chambre ;
Greffier de chambre Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRIN, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 324-1, 324-2, Io, 324-9, du code pénal, L. 112-6 et L.131-6 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Anaf auto Auction coupable de blanchiment, avec la circonstance que les faits avaient été commis de manière habituelle et l'a condamné à une amende de 50 000 euros ;
"aux motifs que les dispositions pénales du jugement correctionnel du 11 décembre 2012 concernant MM. ..., ..., ..., et ... ... les déclarant coupables de blanchiment aggravé pour avoir converti le produit du délit de travail dissimulé, en acquérant des véhicules auprès de la société SAS Anaf auto Auction avec des fonds provenant de l'activité illicite de sous-traitance réalisée par la société Amri qui faisait appel à de la main-d'oeuvre non déclarée et étrangère sans titre de travail puis en faisant ensuite envoyer la plupart de ces véhicules en Tunisie pour être revendu ou en les utilisant en France, avec la circonstance que les faits ont été commis de manière habituelle, sont devenues définitives et ont acquis l'autorité de la chose jugée ; que la responsabilité pénale d'une personne morale ne peut être engagée que dans la mesure où une infraction a été commise pour son compte par ses organes ou représentants ; que M. ... ... d'Or a déclaré être le directeur de la société Anaf auto Auction depuis le 1er octobre 2008, qu'en cette qualité il assurait la gestion financière de la société, l'ensemble du management, le respect des procédures et l'ensemble des relations avec les apporteurs d'affaires, que ces fonctions ont été confiées tant par M. ... Anaf, que par M. ... ..., président de la société qui ont indiqué que le responsable de l'exploitation était effectivement M. ... d'Or ; que ce dernier a admis dans ses déclarations et à l'audience n'avoir mis en place aucun système de contrôle, ni donné aucune instruction ou recommandations à l'effet de s'assurer du respect des règles en matière de règlement en espèces, ni même en matière de réglementation anti blanchiment qui s'imposait à partir de 2010, se retranchant derrière les pratiques anciennes ; que d'ailleurs, immédiatement après le déclenchement de l'enquête, une procédure plus rigoureuse et plus conforme aux textes a été mise en place au sein de la société Anaf ; que cette abstention est coupable de la part d'un professionnel du négoce automobile aux enchères depuis de nombreuses années qui a accepté à l'égard de la famille Amri - et plus particulièrement de M. ... ... - des pratiques parfois contraires aux lois et règlements mais toujours dérogatoires aux usages en vigueur ; qu'il n'est pas sérieux de prétendre que M. ... ... n'est concerné que par trois véhicules alors qu'il résulte même du tableau établi par la société Anaf elle-même que ce dernier est intervenu à vingt-quatre reprises pour un montant total de 322 838,79 euros en tant qu'intermédiaire ou mandataire et même a obtenu directement des remboursements de TVA ; que de nombreux paiements en numéraires pour des montants de plusieurs milliers voire dizaine de milliers d'euros, sont intervenus sans vérification réelle du titre auquel les achats étaient faits, et des paiements ont été acceptés par chèques émis sur un compte n'appartenant ni à l'acheteur, ni même à l'éventuel mandataire ont été acceptés, etc ...; que le statut même de M. ... ... (professionnel ou non) n'apparaissait pas lui-même clair pour la société Anaf au regard des déclarations des divers responsables entendus, malgré l'impact de ce statut sur les règles applicables ; que de même, la question de la destination des véhicules acquis demeurait floue, là encore malgré les conséquences juridiques, d'autant que des remboursements de TVA ont eu lieu (cf pour exemple le véhicule Porsche Cayenne) ; que ce manque de rigueur, et les approximations quant aux règles applicables établies à l'encontre de tous les personnels qui ont chacun reconnu successivement leur ignorance, ne peuvent sérieusement relever d'une incompétence ou d'un manque d'information qu'il était cependant facile de trouver, mais plutôt d'une acceptation de pratiques critiquables en vue d'obtenir des profits au regard d'un système efficace économiquement ; qu'à cet égard, le système de paiement par mandats compte ainsi que le circuit bancaire particulièrement complexe employé (transit par trois comptes différents) démontre non pas un montage original et particulier de la banque instauré dans son intérêt exclusif, mais bien une volonté réelle de contourner la législation concernant les plafonds de paiement en espèces (d'ailleurs manifestement non dédié uniquement à la famille Amri) ; que d'ailleurs, la banque qui a expliqué qu'il s'agissait d'un montage unique destiné aux paiements en espèces de la société Anaf, sans autre avis, a supprimé d'autorité ce parcours bancaire; qu'enfin, il ne peut être objecté valablement que les sommes reçues de la famille Amri, soit plus de 300 000 euros, sont faibles au regard du chiffre d'affaires de la société Anaf ; que l'argument du premier juge estimant que la régularité d'une pratique et la bonne foi d'une société ne s'apprécie pas à cette aune mais au regard de l'intention manifestée par le comportement litigieux est juste, et qu'il ne peut pas être soutenu que 322 838,79 euros constitue une trop faible somme pour caractériser un comportement volontairement délictueux, d'autant qu'elle était investie par un non-professionnel de l'automobile, ce qui aurait du nécessairement conduire à s'interroger sur l'origine des fonds ; qu'il est suffisamment établi que la société Anaf a prêté son concours à l'opération de blanchiment effectué par les consorts ..., qu'en sa qualité de professionnel aguerri de la vente aux enchères intervenant dans un domaine parfaitement réglementé, elle a délibérément refusé de s'interroger sur l'origine des fonds qui par la fréquence des achats, les montants objectifs en jeu et les modalités de transaction auraient dû la conduire normalement à soupçonner une origine délictuelle des fonds utilisés par M. ... ..., qu'il n'est pas soutenu que la société Anaf auto Auction avait la connaissance précise de l'origine des fonds versés par la famille Amri, mais elle a accepté de la part des membres de la famille Amri des modalités de payement dérogatoires aux usages (l'encaissement de chèques émanant de la société des fières Esteves, remis à M. ... ... sans nom du bénéficiaire) ou contraire à la législation (le fait d'avoir permis à M. ... ... de payer ses acquisitions en espèces, via le mandat-compte, alors qu'elles s'élevaient pourtant à des montants dépassant le plafond réglementaire) ; qu'effectivement cette complaisance de la part du professionnel qu'est la société Anaf auto Auction est d'autant plus critiquable que le personnel de celle-ci avait repéré M. ... ... comme étant un client régulier, alors même qu'il ne s'agissait pas d'un professionnel du négoce automobile ; qu'ainsi et par des motifs pertinents que la cour approuve et adopte le premier juge a fait une exacte appréciation de la situation de fait soumise à son examen et a fait application des règles de droit qui conviennent de sorte que sa décision doit être confirmée, tant sur la déclaration de culpabilité que sur le prononcé de la peine d'amende qui est bien adaptée et proportionnée aux faits reprochés et qui tient compte de la situation de la société Anaf ;
"1o) alors que le blanchiment prenant la forme d'un concours apporté à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit suppose l'intention d'apporter un tel concours en connaissance de cause ; qu'en reprochant au dirigeant de la société une " abstention coupable ", pour n'avoir mis en place un système de contrôle et des consignes en matière de paiement en espèces, l'acceptation de pratiques critiquables en vue d'obtenir des profits au regard d'un système efficace économiquement et en retenant enfin que les modalités des transactions auraient dû nécessairement conduire à s'interroger sur l'origine des fonds, la cour d'appel qui déduit la responsabilité au plus d'une négligence et n'a pas caractérisé la connaissance de l'origine illicite des fonds versés en espèces, a méconnu l'article 324-1 du code pénal ;
"2o) alors que si l'article L. 112-6 du code monétaire et financier interdit aux professionnels de recevoir des paiements en espèces pour des valeurs supérieures à certains seuils fixés par décret, le non-respect de ces seuils, qui fait l'objet de sanctions spécifiques, n'établit pas en lui-même la connaissance de l'origine frauduleuse des fonds remis en paiement ; que, dès lors, l'affirmation que l'achat de certains véhicules par des paiements en espèces dépassant les seuils prévus ne suffisait pas pour caractériser le blanchiment et plus précisément l'élément intentionnel de ce délit ;
"3o) alors que, selon l'article L. 131-6 du code monétaire et financier, le chèque sans indication du bénéficiaire vaut comme chèque au porteur ; qu'en prenant en compte le fait que certains paiements avaient consisté en des remises de chèques dont le tireur n'était ni l'acheteur ni le mandataire pour en déduire que la prévenue aurait dû s'interroger sur l'origine des fonds, quand de tels modes de paiement par chèque ne sont pas interdits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"4o) alors que la cour d'appel considère que les paiements en espèces pour plusieurs milliers, voire plusieurs dizaine milliers d'euros et les paiement par des chèques qui n'émanaient ni de l'acheteur ni même de l'éventuel mandataire, par une personne qui n'apparaissait pas être professionnel de l'automobile, et cela pour vingt-quatre véhicules, faisant de l'acheteur un client habituel, aurait dû conduire la société à soupçonner l'origine délictueuse des fonds ayant servi à acquérir les véhicules ; qu'en l'état de tels motifs, déduisant l'intention coupable du mode de paiement de vingt-quatre véhicules, par un non-professionnel, entre 2009 et le 17 octobre 2011, alors que les faits concernant les véhicules vendus en 2009 ont donné lieu à une relaxe, alors que l'enquête constatait que les véhicules n'avaient pas été seulement acquis par M. ... ... mais par différents membres de sa famille, alors que les paiements en espèces par des non-professionnels, pendant la période restant dans la cause, n'ont été limités que par un décret du 16 juin 2010 qui est venu prévoir qu'un non-professionnel ne pouvait payer en espèces que dans la limite de
3 000 euros pour un résident fiscal et dans celle de 15 000 euros pour un non-résident fiscal, en application du nouvel article L. 112-6 du code monétaire et financier, la cour admettant que l'acheteur ait pu se présenter comme mandataire de clients étrangers, alors que l'arrêt n'indique pas combien de véhicules acquis par M. ... ... étaient éventuellement concernés par le dépassement de ces seuils, et dès lors que, faute de préciser combien de véhicules étaient concernés par les achats avec des chèques n'émanant ni de l'acheteur ni du mandataire, dans la période restant en cause, ce qui ne permet pas de s'assurer que ces règlements, qui n'étaient pas en eux-mêmes illégaux, la cour constatant elle-même qu'ils avaient été acceptés par les tireurs, auraient dû à eux seuls attirer l'attention de la prévenue sur l'origine illicite des fonds ayant servi à acquérir les véhicules, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs partiellement contradictoires et pour le surplus insuffisants ;
"5o) alors que la cour d'appel déduit la culpabilité de la prévenue du fait que la destination des véhicules était floue, en mettant en cause la réalité de leur exportation, malgré le remboursement de TVA à l'acheteur ; qu'en l'état de tels motifs prenant en compte la destination des véhicules, sans préciser en quoi la société prévenue qui étant informée de la destination alléguée par l'acheteur et qui ne se voit reprocher aucune anomalie dans la rédaction des actes afférents à ces véhicules, pouvait savoir que cette destination n'était finalement pas effective et en quoi elle permettait de savoir que l'origine des fonds destinés à l'acquisition desdits véhicules était illicite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"6o) alors qu'en affirmant que les paiements en espèces passaient par trois comptes différents, destinés à contourner les plafonds des paiements en espèces, tout en constatant que ce montage émanait de la banque de la prévenue et non de celle-ci, la cour d'appel ne pouvait sans se contredire ou mieux s'en expliquer, en déduire que la prévenue avait intentionnellement mis au point un système destiné à contourner la législation sur les paiements en espèces" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Anaf auto Auction a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de blanchiment aggravé pour avoir vendu à M. ... ... vingt-quatre véhicules pour un montant de 322 838,79 euros, en acceptant en paiement des espèces pour des montants supérieurs à ceux prévus par les dispositions légales ou réglementaires et des chèques établis par une entreprise ne correspondant pas à l'identité de l'acquéreur effectif des véhicules, en ne vérifiant pas l'identité de celui-ci, en ne déclarant pas ces transactions au service Tracfin et en employant des
circuits bancaires qui ont permis de dissimuler l'origine des fonds et de contourner la législation concernant les paiements en numéraires, avec cette circonstance que les faits ont été commis de manière habituelle ; que le tribunal l'a déclarée coupable de ce délit ; qu'elle a, ainsi que le procureur de la République, interjeté appel ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, procédant de son appréciation souveraine, et d'où se déduit la volonté de la prévenue de dissimuler l'origine des fonds, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en forme ;

REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept mars deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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