Jurisprudence : CA Paris, 1ère ch., C, 16-01-2003, n° 2001/11782

CA Paris, 1ère ch., C, 16-01-2003, n° 2001/11782

A2844A7H

Référence

CA Paris, 1ère ch., C, 16-01-2003, n° 2001/11782. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1131186-ca-paris-1ere-ch-c-16012003-n-200111782
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

ARRET DU 16 JANVIER 2003
Répertoire Général n° 2001/11782


ARRET :
Aux termes d'un contrat de concession du 14 mars 1986, les gouvernements britannique et français ont confié à la société Eurotunnel le développement, le financement et l'exploitation d'un lien fixe sous la Manche.
Suivant marché du 13 août 1986, Eurotunnel a confié au GIE Transmanche Construction et à la joint venture Translink (TML), la conception et la réalisation de ce lien fixe. Ces derniers ont ensuite délégué à la société Racal Milgo devenue Thales Electronics Plc (Thales) la conception et la réalisation des systèmes de transmission de données, de téléphonie et de sonorisation du tunnel. Thales a, par contrat du 21 novembre 1989, sous traité à la Compagnie Générale de Travaux et d'Ingénierie Electriques (GTIE) l'exécution de certaines de ces prestations.
Un différend financier s'est élevé entre les parties à l'issue de l'exécution du contrat de sous traitance. Conformément à la clause compromissoire contractuelle, GTIE a saisi, le 8 septembre 1998, le secrétariat de la CCI. Le tribunal arbitral a été composé de MM. Brunner et Duprey, co-arbitres et de M. de KERMOYSAN, Président. L'acte de mission a été signé le 27 avril 1999.
Le tribunal arbitral a, le 13 février 2001, rendu une sentence dont le dispositif est le suivant :
"1 - rejette la fin de non recevoir opposée par la société Racal tirée de l'irrecevabilité des demandes de GTIE pour non respect des articles 10 et 35 du contrat
2 - déclare les demandes de GTIE recevables et partiellement bien fondées
3 - condamne la société Racal payer à la société GTIE :
19 716,30 F HT au titre des garanties bancaires
858 159 F HT et 141 198 livres HT, soit après conversion des sommes accordées en livres au taux contractuel de 1 livre =-- 11 francs, une somme globale de 2 412 437 F au titre des retenues opérées par Racal sur les facturations de GTIE
une somme de 1 043 443,50 F HT et de 193 478,25 livres HT (..) au titre de la clause d'ajustement
une somme de 846 790 F HT et de 60 874 livres HT (..) au titre des frais financiers de retard jusqu'au 1" mars 1994
4 742 641 F HT au titre des quantités supplémentaires de matériel fourni
5 206 269 F HT au titre des frais généraux et de structures
1 647 630 F au titre des coûts salariaux de main d'oeuvre sur le site anglais au tire des frais d'interruptions
1 million de F au titre des frais d'accélération sur le site anglais et des heures supplémentaires non payées par Racal sur ce site
218 360 F HT au titre des frais supplémentaires de documentation
4- La somme globale ainsi finalement allouée à GTIE et mise à la charge de la société Racal s'élevant à la somme de 19 935 161,60 F HT, le tribunal accordera à la société GTIE le plein de sa demande au titre des intérêts c'est à dire la somme de 5 661 210 F qui s'ajoutera à la somme principale ci dessus mentionnée de sorte que la condamnation globale en principal et intérêts de la société Racal s'élèvera à la somme de 25 596 371,60 F HT
5 - condamne par ailleurs la société Racal payer à la société GTIE une somme de 700 000 F au titres des frais irrépétibles exposés par cette dernière dans cet arbitrage
6- en revanche, décide de rejeter la demande de Racal relative au remboursement des frais et honoraires de conseils qu'elle a du avancer, considérant que l'ensemble de ces frais devront rester à sa charge
7 - indique que les sommes allouées à la société GTIE porteront intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 1998
8 - décide que les frais d'arbitrage seront supportés à concurrence d'un tiers par GTIE et de deux tiers par Racal. GTIE avait avancé 135 000 dollars US et ne devant supporter que 90 000 dollars US. Racal doit rembourser à ce titre le trop versé par GTIE soit 45 000 dollars US
9 - Enfin, ordonne l'exécution provisoire de la présente sentence, compte tenu de l'ancienneté de la réclamation présentée par GTIE".
Thales a formé un recours en annulation limité contre la décision du tribunal arbitral sur le fondement des articles 1503, 1504 et 1502 alinéa 3 du nouveau code de procédure civile.
Elle sollicite l'annulation partielle de cette sentence en ce qu'elle a :
"- alloué la somme de 5 661 210 F à GTIE à titre de dommages et intérêts en réparation d'une perte du loyer de l'argent,
- prononcé la composition des dommages et intérêts accordés à GTIE au titre d'une perte du loyer de l'argent".
Elle réclame la condamnation de GTIE, outre aux dépens, au paiement de la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Elle dit que le tribunal arbitral a dénaturé l'article 35 du contrat de sous-traitance en ne déclarant pas irrecevable la demande de GTIE formulée au titre de le perte du loyer de l'argent, s'est contredit dans les motifs de sa sentence, a omis de la motiver pour fonder la condamnation de Racal au titre de la perte du loyer de l'argent, et a statué ultra petita en accordant la composition des intérêts au profit de GTIE.
GTIE conclut au rejet du recours en annulation et à la condamnation de Thales au paiement de la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce, la Cour
Sur le moyen unique d'annulation : les arbitres ont statué sans se conformer à leur mission (article 1502 3 du nouveau code de procédure civile )
Sur la dénaturation du contrat de sous traitance
Thales soutient que GTIE a, dans son dernier mémoire, présenté une demande nouvelle d'indemnisation au titre de la perte du loyer de l'argent, d'un montant de 5 661 210 FF, ni revendiquée lors des pourparlers ayant précédé la mise en oeuvre de l'arbitrage ni visée dans ses mémoires antérieurs.
Elle explique avoir soulevé l'irrecevabilité de cette réclamation en soutenant qu'elle aurait dû être formulée, en vertu de l'article 35 du contrat de sous traitance, dans des délais précis, selon une forme déterminée et avec des justifications , alors que GTIE n'a satisfait à aucune de ces conditions. Elle prétend en conséquence que le tribunal arbitral a dénaturé le contrat de sous-traitance, en accueillant cette prétention tardive et en rejetant a priori et sans examen son moyen d' irrecevabilité.
Elle ajoute que les arbitres, en ne caractérisant pas les circonstances particulières ayant privé GTIE de la possibilité de réclamer antérieurement cette indemnisation, dans le respect des délais contractuels, ont manqué à leur mission qui consistait, notamment, à s'interroger sur la portée de l'article 35 précitée à l'égard de chacune des demandes de GTIE.
Mais considérant que la dénaturation des documents contractuels par les arbitres, à la supposer même établie, ne peut être assimilée à la violation par ceux ci de leur obligation de se conformer à leur mission ; qu'elle ne constitue donc pas un motif d'annulation de la sentence ;
Sur la contradiction et l'absence de motifs
Thales dit que les arbitres lui ont imputé, sans motiver leur sentence, la responsabilité du préjudice financier subi par GTIE lié au retard dans le versement des sommes dues, alors que les parties ne se sont jamais accordées sur un principe de créance.
Elle fait valoir que le tribunal arbitral s'est contredit en jugeant que le règlement des sommes réclamées par GTIE, au titre de la clause d'ajustement de prix et des variations des quantités de matériels installés, pouvait intervenir juste à la fin du chantier, même si les montants exacts de ces réclamations étaient encore discutés. Elle explique que de tels motifs sont contradictoires dans la mesure où aucun règlement financier ne peut intervenir entre des parties dès lors qu'elles sont en désaccord sur le montant des sommes dues.
Elle ajoute que le tribunal arbitral a indiqué que seules les sommes réclamées au titre de la clause d'ajustement du prix et des variations des quantités de matériels justifient une réparation du préjudice consécutif à une perte du loyer de l'argent et que, conformément à son propre raisonnement, il aurait dû cantonner cette indemnisation à ces deux demandes. Elle articule que, cependant, les arbitres ont alloué, sans s'en expliquer, une somme globale supérieure au total de ces deux chefs de préjudice, et partant ont méconnu leur mission.
Considérant que le tribunal arbitral en retenant que la créance de GTIE aurait pu être honorée rapidement par Racal et que, faute pour elle de l'avoir fait, il en résulte un préjudice pour GTIE, a motivé sa décision ;
Considérant que les pouvoirs du juge de l'annulation ne sont destinés ni à vérifier le bien ou le mal jugé de la sentence ni à s'assurer de la pertinence du raisonnement des arbitres ; que, lorsque l'exigence de motivation fait partie de la mission du tribunal arbitral, ce qu'impose le règlement de la CCI, institution sous l'égide de laquelle l'arbitrage est organisé, le contrôle de l'existence des motifs, hors des cas définis par l'article 1502 du nouveau code de procédure civile, de violation du principe de la contradiction ou de l'ordre public international, ne saurait être autre que matériel ; que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappant au contrôle du juge de la régularité de la sentence, le moyen pris, en l'espèce, de la contradiction de motifs tendant, en réalité, à critiquer au fond la motivation de la sentence, est donc irrecevable ;
Sur l'ultra petita
Thales articule que le tribunal arbitral a statué au delà de sa mission en décidant que le calcul des intérêts au titre de la perte du loyer de l'argent "devra s'appliquer .. sous la forme d'intérêts composés chaque année" alors que le contrat de sous-traitance ne comporte aucune clause d'anatocisme, que GTIE n'a pas demandé l'attribution d'intérêts composés et que la question n'a pas été débattue devant les arbitres.
Elle prétend que la sentence a dit qu'il était plus juste de substituer le taux de l'intérêt légal composé au taux d'intérêt interne revendiqué par GTIE. Elle dit que cette substitution a été décidée parce que GTIE n'a pas fourni d' élément sur ce taux interne.
Considérant que le grief de non respect de la mission arbitrale autorise seulement le contrôle de la sentence au regard de l'étendue des demandes formées par les parties et des pouvoirs juridictionnels que ces dernières ont conférés aux arbitres ; qu'en l'espèce, GTIE a, dans son dernier mémoire du 15 mai 2000, ajouté à ses demandes antérieures celle relative à la réparation de son préjudice financier pour un montant de 5 661 210 F , calculée sur la base des taux de placement pratiqués en interne au sein du groupe auquel elle appartient ; que sa réclamation globale s'est élevée à 26 370 850 F HT avec intérêts au taux légal français ; que Thales a, dans son mémoire du 15 juin 2000, critiqué le taux interne revendiqué en exposant que GTIE l'a proposé parce qu'il est probablement plus élevé que l'intérêt au taux légal ; qu'en accordant à GTIE la somme de 5 661 210 F, suivant les modalités sus-évoquées de calcul des intérêts, après avoir répondu aux arguments avancés par les parties et, en plafonnant le montant de la condamnation à ce qui a été demandé, le tribunal arbitral n'a pas statué ultra petita ; que ce dernier moyen doit être rejeté et partant le recours en annulation ;
Considérant qu'il convient de condamner Thales à payer à GTIE la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS
REJETTE LE RECOURS EN ANNULATION PARTIELLE DE LA SENTENCE DU 13 FEVRIER 2001,
CONDAMNE THALES A PAYER A GTIE LA SOMME DE 30 000 € AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE,
CONDAMNE THALES AUX DEPENS ET ADMET ME TEYTAUD AVOUE, AU BENEFICE DE L'ARTICLE 699 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE.

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