Jurisprudence : CA Paris, 11e ch., A, 17-12-2001, n° 00-077565


**Extrait des minutes du Secrétariat-Greffe de la Cour d'appel de Paris


DOSSIER N°00/07565 ARRÊT DU 17 DECEMBRE 2001


Pièce à conviction :


Consignation P.C


COUR D'APPEL DE PARIS


**11ème chambre, section A (N° 10. 14 Pages)


Prononcé publiquement le LUNDI 17 DECEMBRE 2001, par la 11ème chambre des
appels correctionnels, section A,


Sur appel d'un jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS - 17EME
CHAMBRE- du 02 NOVEMBRE 2000, (P9725223011).



PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR


F M .


Prévenu, appelant, non comparant représenté par Me NORMAND - BODARD, avocat au
barreau de Paris toque P 141


Aa Aa


Prévenu, appelant, comparant assisté de Me IWEINS, avocat au barreau de Paris
toque R 106


V F


Prévenue, appelante, comparante assistée de Me IWEINS, avocat au barreau de
Paris toque R 106


LE MINISTERE PUBLIC


appelant,


A T


Partie civile, non appelant non comparant représenté par Me FLEURY Marianne,
avocat au barreau de PARIS toque A 768



COMPOSITION DE LA COUR. lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt
:


Président : Monsieur CHARVET,


Conseillers : Monsieur VALANTIN, Monsieur DELETANG,


GREFFIER : Madame A aux débats et au prononcé de l'arrêt.


MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats et au prononcé de l'arrêt par
Monsieur BARTOLI, avocat général.



RAPPEL DE LA PROCÉDURE :


LA PREVENTION


Suivant ordonnance de l'un des juges d'instruction près le tribunal de grande
instance de Paris du 14 mars 2000, ont été renvoyés devant ledit tribunal,


Aa Aa pour avoir à Paris, en tout cas sur le territoire national, courant 1996
et 1997, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en ayant la
qualité de personne chargée d'une mission de service public, agissant dans
l'exercice de cette mission, ordonné et facilité, hors les cas prévus par la
loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la
révélation du contenu de ces correspondances, en l'espèce des messages à
caractère privé de la messagerie électronique de T .A .,


infraction prévue par l'article 432-9 AL. 1 du Code pénal et réprimée par les
articles 432-9 AL. 1, 432-17 du Code pénal.


F M . et V... F... pour avoir, dans les mêmes circonstances de lieu et de
temps, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par
la prescription, en ayant la qualité de personne chargée d'une mission de
service public, agissant dans l'exercice de cette mission, commis, hors les
cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de
correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances, en
l'espèce des messages à caractère privé de la messagerie électronique de T A ,


infraction prévue pat l'article 432-9 AL. 1 du Code pénal et réprimée par les
articles 432-9 Al. 1, 432-17 du Code pénal


LE JUGEMENT


Le tribunal, par jugement contradictoire,


a requalifié le délit de violation de correspondances par personne chargée
d'une mission de service public reproché à Aa Aa , F V et M F , en délit de
violation de correspondances effectuées par voie de télécommunications par
personne chargée d'une mission de service public, prévu et puni par l'article
432-9 al 2 du code pénal,


les en a déclarés coupables, le premier pour avoir ordonné l'interception de
messages se trouvant dans la messagerie électronique de T... A ... et, les
second et troisième, pour avoir commis lesdites interceptions,


a condamné


Aa Aa à payer une amende de 10.000 francs


F V à payer une amende de 10.000 francs


M F à payer une amende de 5000 francs


a condamné solidairement Aa Aa , F V et M F à lui payer la somme de 10.000
francs à titre de dommages-intérêts, les a condamnés chacun à lui verser une
indemnité de 5000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du code de
procédure pénale.


LES APPELS :


Appel a été interjeté par :


Me NORMAND-BODARD, avocat au barreau de Paris substituant Me IWBINS, avocat au
même barreau, au nom de Monsieur AaB AaB , le 13 novembre 2000


Me NORMAND-BODARD, avocat au barreau de Paris, au nom de Monsieur F M , le 13
novembre 2000


Mc NORMAND-BODARD, avocat au barreau de Paris substituant Me IWEINS, avocat au
même barreau, au nom de Madame V F , le 13 novembre 2000


M. le Procureur de la République, le 14 novembre 2000 contre Madame Ab Ac ,
Monsieur F M et Monsieur AaB AaB


DEROULEMENT DES DÉBATS


A l'audience publique du 22 octobre 2001, la cause a été renvoyée
contradictoirement au 19 novembre 2001,


A l'audience publique du 19 novembre 2001, le président T... A ... constaté ;


- l'identité des prévenus AaB AaB et V F , prévenus appelants avisés du
renvoi ; ils sont assistés de leur avocat qui. dépose des conclusions,


- l'absence de M F , prévenu appelant avisé du renvoi ; il est représenté par
son avocat qui dépose des conclusions,


T A , partie civile avisée du renvoi, ne comparait pas; il est représenté par
son avocat qui dépose des conclusions,


Aa Aa et V F ont indiqué sommairement les motifs de leur appel;


Monsieur BARTOLI, avocat général, représentant le ministère public à

l'audience de la cour, a sommairement indiqué les motifs de l'appel interjeté
par le procureur de la République de Paris;


M. le présidenT... A ... fait un rapport oral Aa


HB AaB et V... F... ont été interrogés ;


ONT ETE ENTENDUS


Me FLEURY, avocat de la partie civile, en ses conclusions et sa plaidoirie,


Monsieur BARTOLI, avocat général, en ses réquisitions,


Me NORMAND-BODARD, avocat de AdB F... , en ses conclusions et plaidoirie;


Me IWEINS, avocat de H et V... F... , en ses conclusions et plaidoirAae;


HB AaB et V... F... ont eu la parole en dernier.


Le président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 17 DECEMBRE
2001.


A l'audience publique du 17 DECEMBRE 2001, il a été, en application des
dispositions des articles .485 et 486 du code de procédure pénale, donné
lecture de l'arrêt par M. CHARVET, président.


DÉCISION


Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,


Par lettre du 19 juillet 1997 adressée au doyen des juges d'instruction de
Paris, M. AeB A ... déposait plainte avec constitution de partie civile sur
le fondement des articles 311 et 368 de l'ancien Code Pénal incriminant les
violences et les atteintes à la vie privée. Il exposait qu'il poursuivait des
études sur l'intelligence artificielle et qu'à ce titre il avait effectué des
travaux de recherche au sein du laboratoire de physique et de mécanique des
milieux hétérogènes (PMMH ) dépendant de l'Ecole supérieure de Physique et
Chimie industrielles (ESPCI) de la Ville de Paris, rue Vauquelin.


Selon sa plainte il avait constaté courant septembre 1996 la disparition de
certaines informations sur son ordinateur correspondant à ses travaux
scientifiques. Or deux membres du laboratoire avaient été surpris en violation
de son courrier électronique. Par ailleurs il se plaignait que le directeur du
laboratoire, M. AaB . H , l'avait accusé d'avoir commis une manœuvre
préjudiciable à un autre élève du laboratoire. Enfin courant mai 1997 ce même
responsable avait refusé sa réinscription pour sa préparation de thèse.


Entendu, à la suite de l'ouverture d'une information, la partie civile
précisait qu'elle travaillait dans le laboratoire depuis 1994 pour préparer sa
thèse. Elle confirmait qu'après son retour de vacances le 3 septembre 1996
elle avait constaté la disparition de deux fichiers. M. AeB A ... faisait
part de cette situation à Mme F V , responsable des systèmes informatiques.
Les recherches n'apportaient aucun élément néanmoins il soupçonnait une autre
étudiante, Mlle A... T... qui était présente dans le laboratoire lors des
accès anormaux dans ses fichiers_ Celle-ci niait les faits et le mettait à son
tour en cause pour avoir procédé à des modifications de ses propres
programmes. Elle le mettait également en cause pour avoir falsifié sa
signature sur une lettre adressée à une revue scientifique. M. Aa Aa avait
repris ces soupçons mais avait refusé d'ouvrir une enquête.


Le 16 décembre 1996 une réunion avait lieu en présence du directeur du
laboratoire avec Mlle A... T... où celle-ci retirait ses accusations.
Néanmoins M. AaBlui demandait de quitter le laboratoire et d'aller travailler
en Allemagne, ce qu'il refusait malgré des menaces de mauvaises appréciations.


Finalement le 23 janvier 1997 la partie civile découvrait, en se rendant au
laboratoire, que son compte informatique avait été clôturé. Il pensait que
ceci faisait suite à une correspondance échangé avec un ami et relative à sa
situation de victime. Il ajoutait que depuis lors il n'avait pu avoir accès à
ses données scientifiques.


Les personnes mises en cause contestaient largement cette version des faits.


Mme F... V... , ingénieur d'études du CNRS et administrateur des systèmes et
réseaux du laboratoire, indiquait que les faits s'étaient passés à l'inverse
de ce qui avait été indiqué par M. AeB A ... . Mlle A T s'était plainte la
première auprès d'elle de disparitions de fichiers. En faisant son contrôle
Mme F... V... s'était rendu compte que l'intervention avait été faite par
l'identifiant (login) de M. AeB A ... . En avant fait le reproche à ce
dernier celui-ci lui avait alors dit qu'il avait lui-même été victime de la
suppression de deux fichiers. Mme F... V... n'était pas parvenue à les
retrouver. En outre, en ce qui concerne les connexions non autorisées qui
auraient eu lieu sur l'ordinateur de M. AeB A ... , Mme Ab indiquait qu'elles
n'avaient pas eu lieu pendant une période d'absence de celui-ci.


Par ailleurs celui-ci lui disait que ces faits étaient l'œuvre d'un pirate qui
avait d'ailleurs causé des dommages à un autre étudiant. Là aussi ses
recherches demeuraient vaines.


Elle rapportait les faits à M. AaB B AaB en même temps qu'elle affichait
la réglementation concernant l'accès aux fichiers informatisés.


Elle s'apercevait à cette période que 54 % des messages électronique entrant
et sortant du laboratoire - où travaillaient 70 personnes - concernaient Ae.
TB A ...


Peu de temps après un nouvel incident se produisait Une lettre portant la
fausse signature de Mlle A T était envoyée à une revue pour demander le
retrait de publication d'un article scientifique qu'elle avait écrit avec un
collègue. Là aussi les soupçons se portaient sur M. AeB A ... dont le
répertoire était vérifié en sa présence par M. Aa Aa


Le directeur du laboratoire demandait alors à Mme F... V... de surveiller le
contenu des répertoires et de la messagerie de l'étudiant. Elle le faisait
pendant quelques jours et constatait qu'une grande partie du courrier de M. Ae
Af ne concernait pas ses activités scientifiques. Toutefois au lieu d'en parler
à l'intéressé, qui ne fréquentait plus le laboratoire que la nuit et le week-
end, elle préférait rappeler l'usage professionnel de l'équipement
informatique par un affichage général.


Le 23 janvier 1997 un autre administrateur système, AdB F... , découvrait un
message destiné à M. AeB A ... adressé des Etats-Unis par une nommée A L S .
Il s'agissait d'une sorte de journal informatique dans lequel figurait un
article intitulé "International crime claimed in famous ivory tower french
research lab" Le texte relatait les difficultés survenues au laboratoire entre
Mlle A T et M. AeB A ... , dont la responsabilité était largement imputée à
la première et il était indiqué que la partie civile avait été "expédiée en
Allemagne" par la direction du laboratoire. Mme F... V... en prenait
connaissance, ainsi que M. AaB AaB qui décidait de la fermeture immédiate du
compte informatique de l'intéressé. Un message lui était laissé mais bien
qu'il soit passé le jour même au laboratoire il ne prenait pas contact avec
les responsables et ne devait plus revenir sur les lieux.


Mme F... V... a par ailleurs exposé le cadre de travail sur support
informatique des chercheurs et des étudiants. Chacun disposait d'un compte et
d'un identifiant. A l'ouverture de son compte il recevait un texte comportant
notamment les précisions suivantes, "... Sachez que les administrateurs
systèmes peuvent lire n'importe quel fichier du système mais que nous ne
lirons un de vos fichiers qu'avec votre autorisation, sauf cas de force
majeure. Nous pouvons également lire votre courrier électronique mais notre
déontologie nous interdit de le faire. Toutefois si la sécurité du système est
menacée, nous pouvons être .."


L'établissement était connecté à Internet par l'intermédiaire d'un réseau
dénommé RENATER, spécialisé dans le domaine de la recherche. Le réseau était
doté d'une charte prescrivant des contraintes d'utilisation : usage conforme
aux finalités scientifiques, usage légal pour éviter de perturber le réseau,
usage licite interdisant de commettre des infractions. L'adhérent à RENATER
prenait l'engagement de respecter et de faire respecter ces prescriptions par
tous les utilisateurs. Au cas d'espèce l'ESCPI était adhérente et M. AdB F...
avait, en 1993, signé l'engagement de signer les règles de bon usage.


Mme F... V... précisait qu'en sa qualité d'administrateur de réseau elle était
amenée à connaître de tous les messages présentant des problèmes d'adresse qui
lui étaient attribués pour qu'elle puisse les réorienter utilement.


L'ensemble de ces éléments l'avait conduite à penser qu'il était normal qu'il
y ait un contrôle des répertoires et des messages dans le but de faire
respecter la charte ; la sécurité du système comprenant pour elle tout ce qui
était susceptible de créer un péril notamment le piratage.


Pour sa part M. AaB B AaB , chercheur au CNRS et directeur du laboratoire
indiquait qu'il dirigeait la thèse de M. AeB A ... qu'il avait inscrit en
1994. Trouvant son travail médiocre il avait essayé de l'orienter autrement
mais, sur son insistance, l'avait conservé.


En décembre 1996 il avait eu connaissance des incidents concernant les
relations entre M. AeB A... et Mlle A... T... . II avait fortement soupçonné
l'étudiant pour la lettre falsifiée en raison de l'excellente rédaction en
anglais de celle-ci. Toutefois M. AeB A ... avait nié et il y avait eu une
réunion dans son bureau au cours de laquelle l'étudiante avait indiqué qu'elle
ne portait pas d'accusation contre son condisciple. Il avait proposé, sans
succès, à l'étudiant de rejoindre un laboratoire en Allemagne qu'il dirigeait.


Entre temps il avait appris de Mme F... V... l'importance du courrier du jeune
homme. Il s'était rapproché du service juridique du CNRS qui lui avait indiqué
qu'il était responsable du bon usage du système lequel était exclusif d'un
usage privé. Il avait alors donné l'ordre à Mme AcB V... de surveiller la
messagerie de l'étudiant pour connaître la provenance et la destination des
messages. En janvier 1997 sa collaboratrice lui avait apporté une dépêche de
presse destinée à M. AeB A ... et il avait fermé le compte de ce dernier
considérant qu'aucun message diffamatoire ne devait circuler sur le réseau. Il
confirmait qu'un message avait été laissé à l'étudiant pour qu'il vienne
récupérer ses données et pour s'expliquer. M. AeB A ... n'avait plus donné de
nouvelles mais par contre il y avait eu d'importantes pressions par
l'intermédiaire de l'ambassade du Koweït.


En ce qui concerne le système informatique M.HB AaB a indiqué qu'il avait
rencontré de nombreuses difficultés: piratage, pornographie par des thésards_
il considérait le matériel comme un "outil de travail" et il lui paraissait
tout à fait illégal de l'utiliser à d'autres fins d'autant qu'à l'époque le
courrier électrique était une pratique plus rare. Lui-même avait demandé
l'adhésion à la charte RENATER qui exclut les usages privés pour pouvoir
bénéficier des conditions particulières de connexion de ce réseau et il se
sentait responsable des abus.


M. AdB F... , maître de conférence à l'école, avait été le premier
administrateur système du réseau puis à l'arrivée de Mme F... V... il était
devenu son adjoint. n était bien au courant des difficultés entre les
étudiants et de l'inquiétude qui existait En janvier 1997, à la suite du
blocage du système de messagerie du laboratoire il avait dû intervenir sur le
système. En effet dans ces cas une des solutions est de consulter les messages
et de supprimer les moins importants pour gagner de l'espace. Il avait ainsi
regardé plusieurs messages dont l'un d'eux appelait son attention car il
mettait en cause le laboratoire. Craignant des actions illicites sur le réseau
et que le système de messagerie soit un "trou de sécurité" il avait préféré
aviser sa hiérarchie c'est à dire Mme AcB AbB et M. AaB en leur
communiquant le message.


Sur son mode opératoire il a indiqué qu'en principe en cas de blocage il
notait les messages et en avisait les destinataires avant de supprimer les
textes sauf en cas d'urgence.


Il a également affirmé qu'à l'époque les utilisateurs étaient avisés oralement
et par une note de Mme F... V... de l'usage purement professionnel du système.


Mlle A T... a indiqué que son camarade de laboratoire avait essayé de nouer
des relations plus étroites avec elle. Elle l'avait repoussé ce qui avait
entraîné une altercation en septembre 1996. Le 30 septembre elle avait
constaté la disparition de fichiers et la modification d'un autre,
modification portant la trace de l'identifiant de M T... A ... qui avait nié
être l'auteur des faits. Peu de temps après elle avait constaté la disparition
de lettres et de dossiers. Enfin le 2 décembre elle apprenait qu'un article
qu'elle avait envoyé à une revue scientifique avait été retiré de la
publication. L'éditeur lui avait indiqué qu'il avait reçu une lettre d'elle
qui s'avérait être un faux. Elle conduisait des recherches auprès de
l'ensemble des chercheurs mais sans succès.


Elle ne portait pas d'accusation contre M. AeB A ... et confirmait sa
position au cours d'une rencontre avec lui chez le directeur du laboratoire.
Néanmoins en janvier son condisciple lui avait demandé soit de l'indemniser
soit d'attester qu'elle avait elle-même sollicité le retrait de sa
publication. Il lui avait déclaré que ce serait "la guerre". Depuis les faits,
alors qu'elle est installée à Lyon, un journaliste koweïtien avait pris
contact avec sa hiérarchie pour l'informer qu'elle était impliquée dans une
affaire policière.


Entendu à nouveau par le juge d'instruction et à l'audience M T A contestait
être à l'origine des difficultés de Mlle A... T... avec qui il était sorti
mais qui "n'était pas intéressante". Il indiquait ne pas avoir eu
d'information sur l'usage professionnel de l'ordinateur qu'il avait, au
contraire, utilisé pour des messages intimes.



SUR CE


La partie civile conclut à la confirmation de la décision entreprise. M.
l'Avocat Général requiert dans le même sens en ce qui concerne l'action
publique. Il considère néanmoins que l'existence de circonstances
exceptionnelles mérite l'examen en ce qui concerne M. Ad C...


Il convient d'examiner successivement:


- l'applicabilité aux faits de l'article 432-9 du Code pénal


- les éléments matériels de l'infraction


- l'élément intentionnel


- Sur l'applicabilité de l'article 432-9 du Code pénal


La défense fait valoir que ce n'est pas l'article 432-9 mais l'article 226-15
du Code pénal qui est applicable aux faits car aucun des prévenus n'était
dépositaire de l'autorité publique ou chargé d'une mission de service public.
En effet selon l'analyse proposée par la défense, sur la base notamment d'une
consultation de M. Ag Ah, professeur de droit pénal à Paris I, il
convient tout d'abord de constater qu'aucun des protagonistes ne disposait de
l'autorité publique. Par ailleurs, s'il peut être fait état d'un service
public d'enseignement, au cas d'espèce les activités concernées étaient tout à
la fois d'enseignement et de recherche, ces dernières ne relevant pas du
service public. En outre ces dernières activités ne sont même pas en cause cAdr
MB AaB ne se préoccupait que du fonctionnement du laboratoire et Mme Ab et
M. Ac que de la sécurité des réseaux.


Il convient tout d'abord de relever que le texte de la prévention figure au
chapitre IV du livre II du Code pénal qui est titré "Des atteintes à
l'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction
publique", cette appartenance de l'auteur apparaît bien comme une condition
expresse de l'applicabilité du texte.


L'étude de la jurisprudence la plus récente sur l'acception des termes de
dépositaire de l'autorité publique et de personne chargée d'une mission de
service public permet de relever qu'en ce qui concerne le premier il est lié à
l'exercice d'un pouvoir de décision et de contrainte. La définition du second
se fait au travers de différents critères, généralement cumulés. Parmi ceux-ci
il convient de relever l'appartenance à la fonction publique, ou l'existence
d'un lien contractuel de droit public (Tribunal des Conflits du 3 juillet 2000
pour un adjoint de sécurité; Cour d'appel de Paris 18 ème chambre E pour un
plombier contractuel dans un hôpital) et la participation à la gestion d'un
intérêt public (une association dédiée à l'emploi dans CA Paris 13ème - B du 3
février 2000; la lutte contre l'incendie pour Cass. Crim. 13 octobre 1999)
(source: Jurifrance).


Il convient également d'observer que la jurisprudence récente confirme une
tendance ancienne à considérer de façon large la notion de service public
d'enseignement (voir pour les activités périscolaires Cass. Crim. 12 décembre
2000 Ai. n° 371).


Au cas d'espèce il est acquis que M. AaB , comme Mme Ab et M. F appartiennent
au CNRS, établissement public à caractère scientifique et technique, qu'ils
exerçaient leurs activités dans un établissement d'enseignement dépendant
d'une collectivité publique, la Ville de Paris, qu'en outre au moins M. AaB
et M. F exerçaient des activités d'enseignement, pour le premier le suivi de
thèse relevant de cette fonction, pour le second il était maître de
conférence. Quant à Mme V elle participait à ce service en veillant à la
gestion de moyens concourant à ces activités d'enseignement.


L'article 432-9 du Code pénal est donc applicable


- Sur les éléments matériels


Il résulte des éléments ci-dessus énoncés que les faits poursuivis se sont
passés dans le cadre de l'utilisation d'un réseau de télécommunication en
l'espèce Internet. Dès lors c'est à juste titre que le tribunal a examiné les
faits sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 432-9 du Code pénal dont il
convient de rappeler ici qu'il incrimine le fait "d'ordonner, de commettre ou
de faciliter , hors les cas prévus par la loi, l'interception ou le
détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des
télécommunications, l'utilisation ou la divulgation de leur contenu". De même
c'est par une exacte description des faits et de justes motifs, que la cour
adopte expressément, que le tribunal a considéré que les textes reçus par T B
, y compris l'article de presse du mois de janvier qui lui avait été adressé
par une amie, constituaient des correspondances privées.


Par contre la cour ne partage pas l'analyse effectuée par le tribunal qui a
conclu à ce que les prévenus avaient intercepté les courriers reçus par la
partie civile. L'interception est définie par les dictionnaires Aj comme
Hachette autour de deux notions: d'une part le fait d'arrêter quelque chose ou
quelqu'un â son passage, d'autre part celui de s'emparer, de prendre par
surprise ce qui appartient à quelqu'un d'autre. Le tribunal s'est référé à
cette seconde acception en retenant qu'il y avait eu "prise de connaissance
par surprise".


Or le terme d'interception est employé dans la définition des pouvoirs du juge
d'instruction par l'article 100 du code de procédure pénale - dans la sous-
section intitulée "Des interceptions de correspondance émises par la voie des
télécommunications" - et c'est dans ce cadre qu'il a fait l'objet de ses
principales interprétations. Il résulte des espèces les plus proches des faits
de l'actuelle procédure (Cass. Crim. 14 avril 1999 Dalloz 1999 Son un. p. 324
pour l'exploitation de la messagerie d'un appareil "Tatoo" et CA Aix-en-
Provence 12 décembre 1996 JCP 1997 Jurisprudence 22975 pour un appareil Tam-
Tam) que ne constituent pas une interception la lecture et la retranscription
de messages dès lors que celles-ci ne nécessitent ni dérivation ou branchement
et sont effectuées sans artifice ni stratagème ce qui reprend d'ailleurs une
précédente formule utilisée à l'occasion de l'écoute d'une conversation
téléphonique (Cass. Crim. 2 avril 1997 Bull n° 131).


Au cas d'espèce aucun. artifice ni stratagème ne peut être retenu. Il est dans
la fonction des administrateurs de réseaux d'assurer le fonctionnement normal
de ceux-ci ainsi que leur sécurité ce qui entraîne, entre autre, qu'ils aient
accès aux messageries et à leur contenu, ne serait-ce que pour les débloquer
ou éviter des démarches hostiles. Ils ont donc un accès courant au réseau sans
avoir besoin d'une quelconque manœuvre. Il résulte d'ailleurs des dispositions
précises de la charte RENATER des obligations pour tous les adhérents de
veiller à la sécurité du dispositif.


Par contre il apparaît des éléments du dossier que M. AaB B AaB et Mme
F... V... ont mis en place une surveillance afin de connaître le contenu des
correspondances émises ou reçues par NL T... A ... en relation avec les
incidents qui étaient survenus entre celui-ci et Mlle A... T... ainsi que pour
vérifier l'usage du réseau selon la charte RENATER. Il s'agissait bien
d'utiliser le contenu même des correspondances pour confondre l'étudiant. Mme
F V a d'ailleurs reconnu avec sincérité qu'elle avait lu les correspondances
ce qui ne lui convenait d'ailleurs pas et qu'elle avait abandonné rapidement.
La mise en place de cette surveillance s'est faite sous les ordres de M. AaB
B AaB ce qu'il reconnaît même s'il soutient qu'il ne voulait pas en réalité
connaître le contenu mais seulement le caractère prie ou professionnel des
correspondances.


Enfin M. AdB F... , agissant dans la même démarche, a divulgué à Mme F...
V... puis à M. Aa Aa le contenu du message "International "crime" claimed .."
destiné à M. AeB A ... qu'il avait découvert à l'occasion du déblocage du
serveur du laboratoire.


Ainsi M. AaB B AaB en ordonnant que lui soient divulguées les
correspondances de M. AeB A ... et Mme F... V... , M. AdB F... en s'y
conformant ont réalisé l'élément matériel du délit poursuivi-


- Sur l'élément intentionnel


Les prévenus ont souligné les inquiétudes de la période. Elles étaient
objectivement nourries par les incidents réels et graves dont avait été
victime Mlle A T . ainsi que par l'attitude ambiguë de M. AeB A ... . La
sécurité du réseau les préoccupait.


En outre dans le milieu scientifique du laboratoire de l'ESPCI l'impératif
déontologique n'était pas un vain mot et l'utilisation dans des buts de
recherche des instruments mis à la disposition des étudiants en doctorat en
faisait partie. Il était d'ailleurs connu par les chercheurs qui sont
plusieurs en avoir attesté au cours de l'enquête même si ce n'est pas le sens
du témoignage d'un collègue de M. AeB A ... cité par lui devant les premiers
juges-


La préoccupation de la sécurité du réseau justifiait que les administrateurs
de systèmes et de réseaux fassent usage de leurs positions et des possibilités
techniques dont ils disposaient pour mener les investigations et prendre les
mesures que cette sécurité imposait - de la même façon que la Poste doit
réagir à un colis ou une lettre suspecte. Par contre la divulgation du contenu
des messages, et notamment du dernier qui concernait le conflit latent dont le
laboratoire était le cadre, ne relevait pas de ces objectifs.


En outre il convient de relever que le laboratoire s'était donné à lui-même la
règle déontologique de ne pas lire le contenu du courrier électronique sauf
mise en cause de la sécurité du système ce qui n'était pas, ou plus, le cas
début 1997.


L'ensemble des éléments constitutifs de la prévention étant réunis il y a lieu
de statuer sur les peines et les intérêts civils.


- Sur les peines


Le tribunal ajustement souligné les aspects particuliers de cette affaire et
l'embarras des prévenus confrontés à une situation inédite qui perturbait
gravement le fonctionnement d'un laboratoire scientifique de haut niveau.


Il convient d'y ajouter leur volonté de protéger une jeune étudiante qui était
victime d'actes de malveillance répétés, qui ont d'ailleurs continué.


A tout ceci s'ajoute, en se replaçant à l'époque des faits, l'ignorance
probable de la part des prévenus de leur véritable marge de manœuvre La
confusion qu'ont pu faire trois scientifiques entre les obligations résultant
d'une charte d'utilisation d'un réseau scientifique, la déontologie de la
recherche, les règles concernant le secret des correspondances privées étant
probable. Les positions d'une part du responsable du CNRS indiquant à M. AaaB
HB qu'il était responsable d'un usage seulement scientifique du matériel et
d'autre part du directeur du groupement d'intérêt public RENATER indiquant
que"le courrier électronique doit être utilisé uniquement à des fins
professionnelles" mais que l'utilisation pour des échanges privés "reste
acceptable" si elle est faible, ceci étant renvoyé à la responsabilité des
utilisateurs, rendaient à l'évidence malaisée la définition de la régulation
par les responsables du laboratoire.


Les peines prononcées par les premiers juges seront donc confirmées mais
assorties du sursis et non inscrites au bulletin n°2 de leur casier
judiciaire.


- Sur les intérêts civils


Il résulte de ce qui a été exposé que les faits poursuivis ont été accomplis
dans le cadre des activités professionnelles des trois prévenus dans le
laboratoire de l'ESCPI de la Ville de Paris. Les fautes qui leur sont
reprochées sont étroitement liées à l'accomplissement de leur service. La
préservation tout à la fois du bon fonctionnement de ce service tout comme de
ses instruments est en effet au centre des actes qui leur sont reprochés.


Dès lors il convient, ainsi qu'il est demandé par la défense, de renvoyer la
partie civile à se pourvoir devant la juridiction administrative pour mettre
en jeu la responsabilité de la puissance publique.


Le jugement sera réformé sur ce point



PAR CES MOTIFS


La cour statuant publiquement, contradictoirement à l'égard des prévenus et,
par application de l'article 424 du Code de procédure pénale, à l'égard de la
partie civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,


Reçoit les appels des prévenus et du Ministère Public,


Sur l'action publique


Réformant sur la motivation,


Confirme la décision entreprise sur la culpabilité,


Réformant sur la peine,


Dit que les peines d'amende prononcées par les premiers juges seront assorties
du sursis,


Dispense les prévenus de l'inscription de celles-ci sur le-bulletin no 2 de
leur casier judiciaire,


Sur les intérêts civils


Réformant la décision entreprise,


Renvoie la partie civile à se pourvoir devant le tribunal administratif de
Paris,


Rejette toute autre demande plus ample ou contraire comme inopérante ou mal
fondée.


Compte tenu de l'absence des condamnés au prononcé de la décision,
l'avertissement prévu par l'article 132-29 du code pénal ne leur sera pas
donné.


LE PRÉSIDENT.


(signature)


LE GREFFIER,


(signature)


La présente décision est assujettie â un droit fixe de procédure d'un montant
de 800 francs soit 120 euros dont est redevable chaque condamné.


-Droits fixes de procédure soumis aux dispositions de l'article 101 8 A du Code général des impôts.





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