Jurisprudence : CAA Marseille, 3ème ch., 06-06-2002, n° 98MA00940





MTR


N° 98MA00940


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Société FINESTATE


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M. DARRIEUTORT


Président


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M. CHAVANT


Rapporteur


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M. DUCHON-DORIS


Commissaire du gouvernement


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Arrêt du 6 juin 2002


REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE Marseille


(3ème chambre A)


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 12 juin 1998 sous le n° 98MA00940, présentée pour la Société FINESTATE, société de droit Liechtensteinien, immatriculée à Vaduz, Liechtenstein, sous le n' H.211/69, représentée par Me CRETTE, avocat ;


La Société FINESTATE demande à la Cour :


1°/ d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Marseille, en date du 16 février 1998, qui a rejeté sa requête tendant à être déchargée de l'obligation de payer une somme de 914.241 F correspondant à des arriérés d'impôt sur les sociétés qui a fait l'objet d'un commandement notifié le 30 septembre 1992 ;


2°/ de constater la prescription de l'action en recouvrement ;


Classement CNIJ : 19-01-05-01-005


C+


3°/ de constater la péremption du privilège du trésor ainsi que l'extinction de l'hypothèque légale du trésor ;


4°/ de la décharger de l'obligation de payer la somme de 914.214 F en principal ;


Elle soutient :


- que le jugement du tribunal administratif est irrégulier dès lors qu'elle n'a pas été convoquée à l'audience ;


- qu'il n'y a pas de tardiveté opposable à la requérante dès lors que le premier acte qui fait courir le délai de prescription de l'article L.281-2 du livre des procédures fiscales est, non pas le commandement notifié du 30 septembre 1992, mais l'avis à tiers détenteur du 16 juin 1992 adressé à la Lloyds Bank, qui n'a pas été notifié à la Société FINESTATE, laquelle a formulé une réclamation au Trésorier Payeur Général, le 20 juillet 1992, soit dans le délai de deux mois de l'article R.281-2 du livre des procédures fiscales ; que, compte tenu du délai lié à la distance, au silence gardé par l'administration, le liquidateur avait jusqu'au 20 janvier 1993 pour introduire une requête devant le tribunal administratif ;


- qu'en application de l'article L.274 du livre des procédures fiscales, l'action en recouvrement est prescrite dès lors que le comptable du trésor n'a fait aucun acte de poursuite entre le 13 août 1984 et le 16 juin 1992, soit pendant plus de quatre ans ;


- qu'il n'a accompli aucun acte interruptif de prescription à l'encontre du liquidateur dans le délai de trois ans suivant la liquidation du 7 septembre 1984 ;


- qu'il est demandé à la Cour de constater la péremption du privilège du trésor et l'extinction de l'hypothèque légale du trésor ;


Vu le jugement attaqué ;


Vu le mémoire présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le 9 août 1999 ; le ministre demande à la Cour de rejeter la requête ;


Il soutient qu'en application de l'article L.281-5 du livre des procédures fiscales, la Cour ne peut se prononcer que sur des moyens qui ont été soumis au Trésorier Payeur Général ; qu'en l'espèce la référence à l'avis à tiers détenteur n'a jamais été communiquée au Trésorier Payeur Général et n'a pas été discutée en première instance ; que cette pièce justificative doit donc être écartée ; qu'au regard du commandement notifié le 30 septembre 1992, la requérante est tardive ;


Vu le mémoire présenté pour la Société FINESTATE, enregistré le 3 décembre 1999 ; la société renouvelle ses conclusions et indique à la Cour :


- que la prescription l'emporte sur la forclusion ;


- que l'interprétation par l'administration de l'article L.274 du livre des procédures fiscales, est contraire aux dispositions de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il s'agit d'une contestation à caractère civil touchant aux intérêts patrimoniaux de la requérante ;


- que la prescription de l'article L.274 du livre des procédures fiscales est acquise ; que l'administration viole ces dispositions ;


- que l'administration ne respecte pas l'obligation de loyauté ;


- que suivre l'administration reviendrait à un déni de justice ;


- que la prescription est opposable à tout moment sur le fondement de l'article L.80-A du code général des impôts et de la documentation administrative n° 12 C 63 Paragraphe 2 ;


- que le commandement de payer du 28 septembre 1992 était entaché de deux vices de forme :


* il était adressé au liquidateur, malgré la prescription triennale qui expirait au 7 septembre 1987 ;


* il était erroné au regard de la date de l'avis de mise en recouvrement, qui n'est pas du 3 mai 1993, mais du 30 mars 1993 ;


- qu'il y a violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme ;


- qu'elle a été privée d'un recours effectif devant une instance nationale, au sens de l'article 13 de la convention européenne des droits de l'homme ; que l'article R.281-2 du livre des procédures fiscales est contradictoire avec ces dispositions ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Vu le code général des impôts ;


Vu le livre des procédures fiscales ;


Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 mars 2002 :


- le rapport de M. CHAVANT, premier conseiller ;


- et les conclusions de M. DUCHON-DORIS, premier conseiller ;


Considérant que l'établissement FINESTATE, société de droit du Liechtenstein, a fait l'objet d'un contrôle fiscal qui a été suivi d'un rappel d'impôt sur les sociétés en date du 31 mars 1983, à concurrence de 914.241 F ; que la société a formulé une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement le 22 juillet 1983 ; que si le sursis de paiement lui a été accordé, sa réclamation a été rejetée le 13 août 1984 ; qu'un avis à tiers détenteur lui a été adressé le 16 juin 1992, suivi d'un commandement de payer notifié le 30 septembre 1992 au mandataire français de la société ; que la Société FINESTATE a saisi le 15 avril 1993 le Tribunal administratif de Marseille, d'une demande d'opposition à la contrainte résultant du commandement de payer ; qu'elle fait appel du jugement en date du 16 février 1998 ayant rejeté cette requête ;


Sur la régularité du jugement :


Considérant que la Société FINESTATE soutient que le jugement serait irrégulier en ce qu'elle n'aurait pas été convoquée à l'audience publique ; qu'il résulte toutefois des pièces du dossier que l'avis d'audience en date du 15 décembre 1997 a été adressé au mandataire constitué


devant le tribunal administratif et acheminé à l'adresse de ce mandataire telle que mentionnée dans les pièces de procédure ; que ce courrier a été retourné revêtu de la mention 'n'habite pas à l'adresse indiquée, retour à l'envoyeur' ; que, par suite, il y a lieu de rejeter ce moyen ;


Sur le bien-fondé du jugement :


Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L.281 et R.281-1 à R.281-4 du livre des procédures fiscales que les contestations relatives au recouvrement des impôts dont la perception incombe aux comptables du trésor doivent être formulées auprès du Trésorier Payeur Général du département dans le délai de deux mois suivant la notification de l'acte s'il s'agit d'un vice de forme, soit l'intervention du premier acte permettant d'invoquer tout autre motif que le vice de forme ; que, par ailleurs, l'article L.274 du livre des procédures fiscales dispose 'Les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle, perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable' ;


Considérant que la Société FINESTATE, dans le dernier état de ses écritures admet, comme l'ont relevé les premiers juges, que son opposition à contrainte devant l'administration a été formée tardivement au regard des dispositions précitées du livre des procédures fiscales ; que si, ce faisant, elle renonce au moyen par lequel elle soutenait que sa réclamation n'était pas tardive, elle fait valoir que, compte tenu de la date de mise en recouvrement de l'imposition, le 30 mars 1983, le comptable poursuivant était déchu, au regard du délai fixé par l'article L.274 précité, de toute action contre elle lors de la notification d'un avis à tiers détenteur en date du 16 juin 1992 et d'un commandement en date du 19 août 1992 ; qu'elle soutient qu'ayant été privée de la possibilité de soumettre au tribunal le moyen tiré de la prescription de l'action en recouvrement, les droits qu'elle estime tenir tant de règles du droit interne que de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ont été méconnus ;


Considérant, en premier lieu, qu'aucune disposition du livre des procédures fiscales, ni aucun principe n'autorise la société, qui n'a pas présenté dans les délais requis une opposition à contrainte, à revendiquer utilement le bénéfice des dispositions de l'article L.274 du livre des procédures fiscales ;


Considérant, en second lieu, qu'aux termes du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : 'Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle...' ;


que le juge de l'impôt ne statue pas en matière pénale, sauf lorsqu'il connaît de contestations relatives aux pénalités fiscales ; qu'il ne tranche pas non plus des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, même si, lorsqu'il statue sur un litige relatif au recouvrement de l'impôt, sa décision est susceptible de produire des effets de caractère patrimonial ; que la société requérante ne peut, dès lors, utilement invoquer la méconnaissance de cette stipulation ;


que, par ailleurs, l'article 13 de la convention stipule : 'Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles' ; qu'en tout état de cause, la société qui revendique d'opposer la prescription de l'action en recouvrement en dépit de la tardiveté de sa demande, n'établit pas quel droit ou liberté reconnu par la convention aurait été méconnu ; qu'enfin, aux termes de l'article Ier du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme : 'Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.


Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes' ; qu'il résulte des termes mêmes de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat de mettre en oeuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts ;


que si la société soutient que le service, en engageant des poursuites alors que la créance était prescrite, a porté atteinte à ses droits patrimoniaux et à ses biens, la règle selon laquelle la reconnaissance par le juge qu'une prescription soit subordonnée au respect de règles de recevabilité relatives en particulier aux délais de recours ne saurait être regardée compte tenu de son objectif et de sa portée, comme portant par elle-même, ni en l'espèce, atteinte au respect des biens du contribuable au sens de cet article ;


Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Société FINESTATE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;


D E C I D E :


Article 1er : La requête présentée pour la Société FINESTATE est rejetée.


Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société FINESTATE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Délibéré à l'issue de l'audience du 14 mars 2002, où siégeaient :


M. DARRIEUTORT, président de chambre,


M. GUERRIVE, président assesseur,


M. CHAVANT, premier conseiller,


assistés de M. BOISSON, greffier ;


Prononcé à Marseille, en audience publique le 6 juin 2002.


Le président,


Le rapporteur,


Signé


Signé


Jean-Pierre DARRIEUTORT


Jacques CHAVANT


Le greffier,


Signé


Alain BOISSON


La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Pour expédition conforme,


Le greffier,


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