Jurisprudence : CEDH, 25-07-2002, Req. 54210/00, PAPON

CEDH, 25-07-2002, Req. 54210/00, PAPON

A1826AZN

Référence

CEDH, 25-07-2002, Req. 54210/00, PAPON. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1097783-cedh-25072002-req-5421000-papon
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Cour européenne des droits de l'homme

25 juillet 2002

Requête n°54210/00

PAPON



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


PREMIÈRE SECTION


AFFAIRE PAPON c. FRANCE


(Requête n° 54210/00)


ARRÊT


STRASBOURG


25 juillet 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Papon c. France,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :


M. C.L. Rozakis, président,


Mme F. Tulkens,


MM. J.-P. Costa,


G. Bonello,


P. Lorenzen,


Mme N. Vajic,


M A. Kovler, juges,


et de M. E. Fribergh, greffier de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juillet 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 54210/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Maurice Papon (" le requérant "), a saisi la Cour le 14 janvier 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me Argand, avocat à Genève et Me Varaut, avocat à Paris. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par Mme M. Dubrocard, Sous-directrice des Droits de l'Homme au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'Agent.


3. Le requérant soulevait divers griefs tirés de la durée de la procédure pénale à son encontre, de son défaut d'équité, du non-respect des principes de présomption d'innocence et de non-rétroactivité de la loi pénale. Il invoquait également le défaut d'accès à la Cour de cassation en raison de la déchéance de son pourvoi et l'absence d'un double degré de juridiction.


4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.


5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).


6. Par une décision du 15 novembre 2001, la Cour a déclaré recevables les griefs du requérant concernant le défaut d'accès à la Cour de cassation en raison de la déchéance de son pourvoi et l'absence de double degré de juridiction. Elle a déclaré irrecevable les neuf autres griefs constituant le surplus de la requête.


7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


8. Le requérant, né en 1910, est actuellement détenu à la maison d'arrêt de la Santé à Paris.


9. De mai 1942 à août 1944, le requérant occupait les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Gironde, sous l'autorité du préfet Sabatier.


10. Après la Libération, d'après les chiffres fournis par le requérant, plus de 30 000 fonctionnaires ayant servi sous l'occupation furent sanctionnés tandis que plusieurs milliers de personnes furent exécutées, officiellement et officieusement.


11. Dans un avis daté du 6 décembre 1944, le comité d'épuration du ministère de l'Intérieur estima que, bien qu'ayant occupé des fonctions officielles sous le régime de Vichy, le requérant avait manifesté une attitude favorable à la Résistance, et proposa son maintien dans ses fonctions. Il fut donc maintenu à son poste de directeur de cabinet de Gaston Cusin, Commissaire de la République de Bordeaux.


12. Nommé au grade de préfet et affecté en Corse dès 1947, il fut préfet de police de Paris de 1958 à 1966. Député de 1968 à 1978, il fut maire de Saint-Amand-Montrond de 1971 à 1988. Il occupa les fonctions de président de la commission des finances de l'Assemblée nationale de 1972 à 1973, puis de rapporteur général du budget jusqu'en 1978. Il fut ministre du Budget de 1978 à 1981.


13. Le 6 mai 1981, entre les deux tours de l'élection présidentielle, l'hebdomadaire Le Canard Enchaîné publia le premier d'une série d'articles dans lesquels le requérant, alors ministre du Budget, était mis en cause quant à son comportement pendant la seconde guerre mondiale.


14. Le requérant demanda au Comité d'action de la Résistance la mise en place d'un jury d'honneur chargé d'apprécier son comportement sous l'occupation allemande. Le 15 décembre 1981, après avoir entendu son supérieur hiérarchique direct, Maurice Sabatier, qui déclara " assumer l'entière responsabilité de la répression antijuive dans le ressort de sa préfecture ", le jury d'honneur rendit une sentence donnant acte au requérant de son appartenance à la Résistance à compter de janvier 1943, mais concluant " qu'au nom même des principes qu'il croyait défendre et faute d'avoir été mandaté par une autorité qualifiée de la Résistance pour demeurer à son poste, il aurait dû démissionner de ses fonctions de secrétaire général de la Gironde en juillet 1942 ".


15. Le 8 décembre 1981, une plainte avec constitution de partie civile concernant la déportation de huit personnes, arrêtées par la police française à Bordeaux, internées à Bordeaux puis au camp de Drancy avant d'être déportées et exterminées à Auschwitz, fut déposée par Me Boulanger contre le requérant des chefs de crime contre l'humanité, complicité d'assassinats et abus d'autorité. Six autres plaintes avec constitution de partie civile concernant dix-sept autres victimes de déportations furent déposées en mars et avril 1982 par Me Serge Klarsfeld, par ailleurs président de l'association des " Fils et filles de déportés juifs de France ". Pour chacune de ces sept plaintes, le parquet de Bordeaux requit l'ouverture d'une information le 29 juillet 1982.


A. La procédure d'instruction


16. Le 19 janvier 1983, le requérant fut inculpé de crimes contre l'humanité par le premier juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Bordeaux.


17. Le 22 février 1984, le juge d'instruction ordonna une expertise historique confiée à trois historiens. Le rapport d'expertise fut déposé le 11 janvier 1985.


18. Entre temps, le 23 mai 1983, le juge d'instruction avait procédé à l'audition en qualité de témoin notamment de Maurice Sabatier, préfet de la Gironde à l'époque des faits. Or, l'ancien article 681 du code de procédure pénale1 prévoit que lorsqu'un fonctionnaire ou un maire est susceptible d'être inculpé pour un crime ou un délit commis dans l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République doit d'abord saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation d'une requête en désignation de la juridiction qui pourra être chargée de l'instruction.


19. Le non-respect de cette formalité constituant une nullité substantielle d'ordre public, conformément à l'article 171 du code de procédure pénale, la Cour de cassation, par arrêt du 11 février 1987, déclara nuls tous les actes de poursuite et d'instruction accomplis après le 5 janvier 1983 comme émanant d'un magistrat incompétent, y compris l'inculpation du requérant, et désigna la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux pour poursuivre l'instruction.


20. Par arrêt du 4 août 1987, la chambre d'accusation ordonna la jonction des sept procédures ouvertes sur les plaintes déposées avant le 5 janvier 1983, et ordonna que l'information soit poursuivie, désignant pour y procéder un conseiller de la chambre d'accusation. Par arrêts des 9 novembre et 8 décembre 1987, la chambre d'accusation constata le dépôt de trois nouvelles plaintes avec constitution de partie civile intervenante par des associations et ordonna leur versement au dossier. Une plainte de deux parties civiles de mars 1982 donna encore lieu à un arrêt de désignation de juridiction rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 9 décembre 1987 et à un arrêt du 28 juin 1988 de la chambre d'accusation ordonnant la jonction de procédures et confirmant la mission d'instruction du conseiller. Le 2 février 1988, la chambre d'accusation constata le dépôt d'une nouvelle plainte avec constitution de partie civile intervenante, datée du 24 juillet 1987, et ordonna son dépôt au dossier.


21. Par arrêt du 5 janvier 1988, la chambre d'accusation rejeta la demande d'expertise historique formée par le ministère public.


22. Les 8 juillet et 20 octobre 1988 respectivement, le requérant et Maurice Sabatier furent inculpés de crimes contre l'humanité. Ce dernier étant décédé le 19 avril 1989, la chambre d'accusation constata l'extinction de l'action publique à son encontre le 6 février 1990.


23. En février, juin, octobre et décembre 1988, de nouvelles associations intervinrent dans la procédure par voie de plaintes avec constitution de partie civile, qui furent constatées par arrêts de la chambre d'accusation en février, mars, juin et novembre 1988, et en janvier 1989.


24. Une autre plainte avec constitution de partie civile fut déposée les 18 novembre 1988 et 3 février 1989 par l'association " Les fils et filles des déportés juifs de France ". Elle visait non seulement le requérant et Maurice Sabatier mais aussi Jean Leguay et René Bousquet, tous deux anciens hauts fonctionnaires ayant grade de préfets du Gouvernement de Vichy, ainsi que Norbert Techoueyres, commissaire aux délégations judiciaires à l'époque des faits. Par arrêt du 20 décembre 1988, la chambre d'accusation avait déclaré recevable par voie d'intervention cette constitution pour les faits dont elle était déjà régulièrement saisie et avait ordonné pour le surplus communication de celle-ci au procureur général.


25. En application de l'article 681 du code de procédure pénale, cette plainte fut à l'origine d'une nouvelle saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par arrêt du 26 avril 1989, désigna à nouveau la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux pour instruire ces faits nouveaux, mais la plainte fut par la suite déclarée irrecevable faute de paiement de la consignation dans le délai prescrit.


26. Norbert Techoueyres et Jean Leguay décédèrent respectivement le 4 avril 1989 et le 3 juillet 1989, avant leur inculpation, et l'action publique se trouva donc éteinte à leur égard.


27. Le requérant fut interrogé à quatre reprises entre le 31 mai et le 6 octobre 1989. Le 6 février 1990, la chambre d'accusation désigna un nouveau conseiller pour poursuivre l'information.


28. Le 16 mai 1990, vingt nouvelles plaintes avec constitution de partie civile concernant des faits de déportations commis en 1943 et 1944, non visés par les premières plaintes, furent déposées contre le requérant par Me Boulanger pour le compte de plusieurs personnes physiques. Trois de ces constitutions de parties civiles furent déclarées recevables et versées au dossier le 3 juillet 1990. Les dix-sept autres plaintes visant notamment des faits nouveaux pouvant être imputés à René Bousquet donnèrent lieu le 19 décembre 1990 à dix-sept arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation désignant comme juridiction d'instruction la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux. Après réitération du 19 juin 1991 et dispense de consignation, ces plaintes furent jointes à la procédure principale pour instruction par arrêts de la chambre d'accusation de Bordeaux du 14 avril 1992.


29. Entre-temps, le 12 décembre 1990 et le 21 mai 1991, une autre association s'était constituée partie civile intervenante. Cette constitution fut déclarée recevable par arrêt du 20 octobre 1991.


30. Le 19 mars 1992, le procureur général prit dix-sept réquisitoires aux fins d'informer contre le requérant et René Bousquet.


31. Le 19 avril 1992, René Bousquet fut inculpé de crimes contre l'humanité. Il fut assassiné par balles devant son domicile le 8 juin 1993, ce qui entraîna l'extinction de l'action publique à son égard.


32. Le 22 juin 1992, le requérant fit l'objet d'une inculpation supplétive du chef de crimes contre l'humanité en raison des faits dénoncés dans les plaintes du 16 mai 1990.


33. Par arrêt du 20 octobre 1992, la chambre d'accusation déclara recevable la plainte avec constitution de partie civile intervenante d'une association. Parmi les autres personnes morales déjà constituées parties civiles, certaines ayant étendu leurs plaintes aux faits objets des arrêts du 14 avril 1992, la chambre d'accusation constata le dépôt de trois de ces plaintes par arrêt du 28 juin 1993, d'une autre plainte le 7 juin 1994 et de deux autres par arrêt du 20 juin 1995.


34. Entre juin 1992 et juillet 1995, le conseiller instructeur entendit des parties civiles (environ trente-trois auditions) et des témoins (environ trente-six) et effectua plus d'une trentaine de déplacements dans des centres d'archives pour saisir des pièces.


35. Le 3 mai 1994, la chambre d'accusation rejeta les réquisitions du ministère public tendant à ce que soit retiré de la procédure l'opuscule intitulé " Fonctionnaire sous l'occupation ", reproduisant in extenso le rapport d'expertise historique annulé par la Cour de cassation le 11 février 1987, qui avait été publié par l'avocat du requérant, Me Varaut, en vue de disculper son client devant l'opinion. Ce même ouvrage avait fait l'objet d'une diffusion aux parlementaires en 1987 et avait été produit dans le cadre d'une procédure en diffamation intentée par le requérant contre le magazine Le Nouvel Observateur.


36. Un pourvoi fut formé contre cet arrêt, mais la requête du ministère public tendant à faire déclarer son pourvoi immédiatement recevable fut rejetée par le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 juin 1994.


37. Au terme de l'information, le 28 juillet 1995, le dossier de la procédure fut communiqué au procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, qui déposa son réquisitoire le 19 décembre 1995. Dans ce réquisitoire de 185 pages, le procureur général concluait au non-lieu partiel pour ce qui était de l'organisation par le requérant des convois de septembre 1942, novembre et décembre 1943 et mai 1944, à l'extinction de l'action publique à l'égard de René Bousquet, à la requalification en complicité d'enlèvements et séquestrations arbitraires et au renvoi devant la cour d'assises pour les convois de juillet, août et octobre 1942 et janvier 1944. Il ne retenait pas le crime de complicité d'assassinats.


38. Les 1er et 5 mars 1996, cinq autres associations demandèrent à ce qu'il leur soit donné acte de leur constitution de parties civiles, ce qui fut effectué dans l'arrêt de renvoi du 18 septembre 1996.

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