Jurisprudence : CEDH, 11-07-2002, Req. 28957/95, CHRISTINE GOODWIN

CEDH, 11-07-2002, Req. 28957/95, CHRISTINE GOODWIN

A0682AZB

Référence

CEDH, 11-07-2002, Req. 28957/95, CHRISTINE GOODWIN. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1096421-cedh-11072002-req-2895795-christine-goodwin
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Cour européenne des droits de l'homme

11 juillet 2002

Requête n°28957/95

CHRISTINE GOODWIN



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


AFFAIRE CHRISTINE GOODWIN c. ROYAUME-UNI


(Requête n° 28957/95)


ARRÊT


STRASBOURG


11 juillet 2002


Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Christine Goodwin c. Royaume-Uni,


La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit:


MM.L. Wildhaber, président,


J.-P. Costa,


SirNicolas Bratza,


MmeE. Palm,


MM.L. Caflisch


R. Türmen,


MmeF. Tulkens,


MM.K. Jungwiert,


M. Fischbach,


V. Butkevych,


MmeN. Vajic,


M.J. Hedigan,


MmeH.S. Greve,


MM.A.B. Baka,


K. Traja,


M. Ugrekhelidze,


MmeA. Mularoni, juges,


ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 mars et 3 juillet 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:


PROCÉDURE


1.A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 28957/95) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Christine Goodwin ("la requérante"), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 5 juin 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention").


2.La requérante, qui avait été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, était représentée par Bindman & Partners, un cabinet de solicitors de Londres. Le gouvernement britannique ("le Gouvernement") était représenté par son agent, M. D. Walton, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, Londres.


3.La requérante alléguait la violation des articles 8, 12, 13 et 14 de la Convention à raison de la situation juridique des transsexuels au Royaume-Uni et, en particulier, la manière dont ils sont traités dans les domaines de l'emploi, de la sécurité sociale et des pensions.


4.La Commission a déclaré la requête recevable le 1erdécembre 1997 puis, faute d'avoir pu en terminer l'examen avant le 1ernovembre 1999, l'a déférée à la Cour à cette date, conformément à l'article5 § 3, seconde phrase, du Protocole n°11 à la Convention.


5.La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article52 §1 du règlement).


6.Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).


7.Le 11 septembre 2001, la chambre constituée au sein de ladite section pour examiner l'affaire et composée de MM.J.-P.Costa, W.Fuhrmann, P.Kuris, MmeF.Tulkens, M.K.Jungwiert, Sir Nicolas Bratza et M.K.Traja, juges, ainsi que de MmeS.Dollé, greffière de section, s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s'y étant opposée (articles30 de la Convention et 72 du règlement).


8.La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 § 2 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Cour a décidé que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'affaire devait être attribuée à la Grande Chambre ayant été constituée pour examiner l'affaire I. c. Royaume-Uni (requête n° 25680/94) (articles 24, 43§ 2 et 71 du règlement).


9.Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de l'affaire. Des observations ont également été reçues de l'organisation Liberty, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite en qualité d'amicus curiae (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du règlement).


10.Une audience consacrée à cette affaire et à l'affaire I. c. Royaume-Uni (n° 25680/94) s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 20 mars 2002 (article 59 § 2 du règlement).


Ont comparu:


-pour le Gouvernement


MM.D. Walton,agent,


Rabinder Singh,


J. Strachan,conseils,


C. Lloyd,


MmesA. Powick,


S. Eisa, conseillers;


-pour la requérante


MmeL. Cox, qc,


M.T. Eicke,conseils,


MmeJ. Sohrab,solicitor.


La requérante était également présente.


La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Cox et M. Rabinder Singh.


11.Le 3 juillet 2002, Mme Tsatsa-Nikolovska et M. Zagrebelsky, empêchés, ont été remplacés par Mme Mularoni et M. Caflisch.


EN FAIT


I.LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


12.Ressortissante britannique née en 1937, la requérante est une transsexuelle opérée passée du sexe masculin au sexe féminin.


13.Dès sa petite enfance, elle a eu tendance à s'habiller en fille et, en 1963-1964, elle subit une thérapie d'aversion. Vers le milieu des années 60, les médecins conclurent qu'elle était transsexuelle. Cela ne l'empêcha pas d'épouser une femme et d'avoir avec elle quatre enfants, mais elle avait la conviction que son "sexe cérébral" ne correspondait pas à son physique. A partir de cette époque et jusqu'en 1984, elle s'habilla en homme dans sa vie professionnelle mais en femme durant ses loisirs. En janvier 1985, elle entama réellement un traitement, se rendant une fois tous les trois mois pour des consultations dans un service de Charing Cross Hospital spécialisé dans les problèmes d'identité sexuelle, où elle eut régulièrement des entretiens avec un psychiatre et, parfois, avec un psychologue. On lui prescrivit un traitement hormonal et elle commença à suivre des cours destinés à travailler son apparence et sa voix. Depuis lors, elle vit totalement comme une femme. En octobre 1986, elle subit une intervention chirurgicale de raccourcissement des cordes vocales. En août 1987, elle fut admise sur une liste d'attente en vue d'une opération de conversion sexuelle. En octobre 1990, elle subit cette opération dans un hôpital du service national de santé (National Health Service). Son traitement et l'intervention chirurgicale furent assurés et payés par le service national de santé.


14.La requérante divorça d'avec son ex-épouse à une date non précisée mais ses enfants continuèrent à lui témoigner amour et soutien.


15.La requérante prétend avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de collègues de travail entre 1990 et 1992. Désireuse d'engager une action pour harcèlement sexuel devant le tribunal du travail (Industrial Tribunal), elle ne put le faire au motif, selon elle, qu'elle était considérée comme un homme sur le plan juridique. Elle ne contesta pas cette décision devant la Cour du travail (Employment Appeal Tribunal). Licenciée ultérieurement pour raisons de santé, elle affirme que le véritable motif de sa mise à pied réside dans sa transsexualité.


16.En 1996, elle commença à travailler pour un nouvel employeur et fut invitée à fournir son numéro d'assurance nationale. Craignant que l'employeur ne fût en mesure de retrouver les données la concernant (une fois en possession du numéro, celui-ci aurait en effet pu découvrir ses employeurs antérieurs et leur demander des renseignements), elle sollicita, mais en vain, l'attribution d'un nouveau numéro d'assurance nationale auprès du ministère des Affaires sociales (Department of Social Security


- le "DSS"). Elle communiqua finalement à son nouvel employeur celui qu'elle possédait. Elle affirme que son employeur connaît désormais son identité, car elle a commencé à avoir des problèmes au travail. Ses collègues ont cessé de lui adresser la parole et on lui a rapporté que tout le monde parle d'elle en catimini.


17.Le service des cotisations du DSS informa la requérante qu'elle ne pourrait pas bénéficier d'une pension de retraite de l'Etat à soixante ans, âge d'ouverture des droits à pension pour les femmes au Royaume-Uni. En avril 1997, ce même service l'avisa qu'elle devait continuer à cotiser jusqu'à la date anniversaire de ses soixante-cinq ans, âge d'admission à la retraite des hommes, c'est-à-dire jusqu'en avril 2002. Le 23 avril 1997, elle s'engagea donc auprès du DSS à payer directement ses cotisations sociales, qui normalement auraient été déduites par son employeur, comme pour tous les employés de sexe masculin. En foi de quoi, le 2 mai 1997, le service des cotisations du DSS lui délivra une attestation de dérogation d'âge (formulaire CF 384 - voir le droit et la pratique internes pertinents ci-dessous).


18.Les dossiers de la requérante au DSS furent classés "confidentiels" de façon à ce que seuls les employés d'un certain grade y aient accès. Concrètement, cela signifiait que la requérante devait toujours prendre rendez-vous, même pour les questions les plus insignifiantes, et ne pouvait s'adresser directement au bureau local ou régler des questions par téléphone. Dans son dossier, il est toujours précisé qu'elle est de sexe masculin et, malgré les "procédures spéciales", elle a reçu des lettres du DSS portant le prénom masculin qui lui avait été donné à la naissance.


19.La requérante affirme qu'à plusieurs reprises, elle a dû choisir entre divulguer son acte de naissance et renoncer à certains avantages subordonnés à la présentation de ce document. En particulier, elle a préféré ne pas contracter un emprunt pour lequel elle devait souscrire une assurance-décès, s'est abstenue de donner suite à une offre de prêt hypothécaire complémentaire et a renoncé à bénéficier pendant l'hiver d'une allocation de chauffage du DSS à laquelle elle pouvait prétendre. De même, elle continue de devoir payer les primes d'assurance automobile


- plus élevées - applicables aux hommes. Enfin, elle s'est sentie incapable de signaler à la police un vol de deux cents livres sterling, craignant que l'enquête ne l'obligeât à révéler son identité.


II.LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


A.Les nom et prénoms


20.En droit anglais, toute personne peut adopter les nom et prénoms de son choix. Ceux-ci sont valables aux fins d'identification et peuvent être utilisés dans les passeports, permis de conduire, cartes de sécurité sociale, cartes d'assurance, etc. Les nouveaux nom et prénoms sont également inscrits sur les listes électorales.


B.Le mariage et la définition du sexe en droit interne


21.En droit anglais, le mariage se définit comme l'union volontaire d'un homme et d'une femme. Dans l'affaire Corbett v. Corbett (Probate Reports 1971, p. 83), le juge Ormrod déclara qu'à cet effet le sexe doit se déterminer au moyen des critères chromosomique, gonadique et génital lorsque ceux-ci concordent entre eux, une intervention chirurgicale n'entrant pas en ligne de compte. Cette utilisation des critères biologiques pour déterminer le sexe fut approuvée par la Cour d'appel dans l'affaire R. v. Tan (Queen's Bench Reports 1983, p. 1053), où elle se vit conférer une application plus générale, ladite juridiction ayant estimé qu'une personne née de sexe masculin avait à bon droit été condamnée sur le fondement d'une loi punissant les hommes vivant du produit de la prostitution, nonobstant le fait que l'accusée avait suivi une thérapie de conversion sexuelle.


22.L'article 11 b) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales (Matrimonial Causes Act 1973) répute nul tout mariage où les parties ne sont pas respectivement de sexe masculin et de sexe féminin. Le critère appliqué pour la détermination du sexe des partenaires à un mariage est celui qui fut fixé dans la décision Corbett v.Corbett précitée. D'après celle-ci, un mariage entre une personne passée du sexe masculin au sexe féminin et un homme pourrait également être annulé pour cause d'incapacité de la personne transsexuelle de consommer le mariage dans le cadre de rapports sexuels normaux et complets (obiter du juge Ormrod).


Cette décision se trouve étayée par l'article 12 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales qui permet d'annuler un mariage non consommé en raison de l'incapacité de l'une ou l'autre partie. L'article 13 §1 de la loi énonce que le tribunal ne doit pas rendre un jugement de nullité lorsqu'il est convaincu que la partie demanderesse savait que le mariage pouvait être annulé mais a amené la partie défenderesse à croire qu'elle ne demanderait pas un jugement de nullité, et qu'il serait injuste de rendre pareil jugement.


C.Les actes de naissance


23.L'enregistrement des naissances obéit à la loi de 1953 sur l'enregistrement des naissances et des décès (Births and Deaths Registration Act 1953 - "la loi de 1953"). L'article 1 § 1 de celle-ci requiert l'enregistrement de toute naissance par l'officier compétent de l'état civil de la circonscription où l'enfant a vu le jour. Une inscription dans le registre est considérée comme relatant des événements contemporains de la naissance. Ainsi, l'acte de naissance n'atteste pas l'identité au moment présent mais des faits historiques.


24.Le sexe de l'enfant doit être précisé dans l'acte de naissance. La loi n'énonce pas les critères devant servir à le déterminer. La pratique du conservateur consiste à n'utiliser que les critères biologiques (chromosomique, gonadique et génital) dégagés par le juge Ormrod dans l'affaire Corbett v. Corbett.


25.La loi de 1953 autorise le conservateur des actes de l'état civil à corriger les erreurs de plume ainsi que les erreurs matérielles. En principe, une rectification ne peut être faite que si l'erreur a eu lieu lors de l'inscription de la naissance. Que le "sexe psychologique" de quelqu'un apparaisse plus tard en contraste avec les critères biologiques précités ne passe pas pour révéler une erreur matérielle dans la mention initiale. Seules une mauvaise identification du sexe apparent et génital de l'enfant ou la non-concordance des critères biologiques entre eux peuvent amener à changer ladite mention; encore doit-on produire des preuves médicales qui en montrent l'inexactitude. L'erreur ne se trouve pas constituée si l'intéressé subit un traitement médical et chirurgical pour pouvoir assumer le rôle du sexe opposé.


26.Le Gouvernement fait observer que l'utilisation de l'acte de naissance à des fins d'identification est découragée par le conservateur en chef et que, depuis un certain nombre d'années, ce document comporte une mention aux termes de laquelle il ne vaut pas preuve de l'identité de la personne qui le présente. Toutefois, les individus sont libres de suivre ou non cette recommandation.


D.La sécurité sociale, l'emploi et les pensions


27.En matière de sécurité sociale et d'emploi, les transsexuels continuent d'être considérés comme des personnes du sexe sous lequel on les a enregistrés à la naissance.


1.L'assurance nationale

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