Jurisprudence : CJCE, 05-03-1996, aff. C-46/93, Brasserie du Pêcheur SA c/ Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd et autres

CJCE, 05-03-1996, aff. C-46/93, Brasserie du Pêcheur SA c/ Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd et autres

A8049AYR

Référence

CJCE, 05-03-1996, aff. C-46/93, Brasserie du Pêcheur SA c/ Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd et autres. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1092822-cjce-05031996-aff-c4693-brasserie-du-pecheur-sa-c-bundesrepublik-deutschland-et-the-queen-contre-sec
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Cour de justice des Communautés européennes

5 mars 1996

Affaire n°C-46/93

Brasserie du Pêcheur SA
c/
Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd et autres



61993J0046

Arrêt de la Cour
du 5 mars 1996.

Brasserie du Pêcheur SA contre Bundesrepublik Deutschland et The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd et autres.

Demandes de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne et High Court of justice, Queen' s Bench Division, Divisional court - Royaume-Uni.

Principe de la responsabilité d'un Etat membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables - Violations imputables au législateur national - Conditions de la responsabilité de l'Etat - Etendue de la réparation.

Affaires jointes C-46/93 et C-48/93.

Recueil de jurisprudence 1996 page I-1029

1. Droit communautaire ° Droits conférés aux particuliers ° Violation par un État membre ° Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers ° Caractère directement applicable de la disposition violée ° Absence d'incidence

2. Droit communautaire ° Violation par les États membres ° Conséquences ° Absence de dispositions expresses et précises dans le traité ° Définition par la Cour de justice ° Modalités

(Traité CEE, art. 164)

3. Droit communautaire ° Droits conférés aux particuliers ° Violation par un État membre ° Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers ° Violation imputable au législateur national ° Absence d'incidence

4. Droit communautaire ° Droits conférés aux particuliers ° Violation par un État membre ° Violation imputable au législateur national disposant d'une large marge d'appréciation pour opérer des choix normatifs ° Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers ° Conditions ° Modalités de la réparation ° Application du droit national ° Limites

(Traité CEE, art. 5 et 215, al. 2)

5. Droit communautaire ° Droits conférés aux particuliers ° Violation par un État membre ° Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers ° Détermination du préjudice indemnisable ° Application du droit national ° Limites

6. Droit communautaire ° Droits conférés aux particuliers ° Violation par un État membre ° Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers ° Conditions ° Réparation des seuls dommages subis postérieurement au prononcé d'un arrêt constatant le manquement constitué par ladite violation ° Inadmissibilité

1. Le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables ne saurait voir son application écartée lorsque la violation concerne une disposition de droit communautaire directement applicable.

En effet, la faculté offerte aux justiciables d'invoquer devant les juridictions nationales les dispositions directement applicables ne constitue qu'une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l'application pleine et complète du droit communautaire. Destinée à faire prévaloir l'application de dispositions de droit communautaire à l'encontre de dispositions nationales, cette faculté n'est pas de nature, dans tous les cas, à assurer au particulier le bénéfice des droits que lui confère le droit communautaire et notamment à éviter qu'il ne subisse un préjudice du fait d'une violation de ce droit imputable à un État membre.

2. En l'absence, dans le traité, de dispositions réglant de façon expresse et précise les conséquences des violations du droit communautaire par les États membres, il appartient à la Cour, dans l'exercice de la mission que lui confère l'article 164 du traité d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité, de statuer sur une telle question selon les méthodes d'interprétation généralement admises, notamment en ayant recours aux principes fondamentaux du système juridique communautaire et, le cas échéant, à des principes généraux communs aux systèmes juridiques des États membres.

3. Le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque c'est du fait du législateur national que ces violations se sont produites.

En effet, ce principe, inhérent au système du traité, est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire par un État membre, et ce quel que soit l'organe étatique dont l'action ou l'omission en a été la cause, et l'obligation de réparation qu'il énonce ne saurait, eu égard à l'exigence fondamentale de l'ordre juridique communautaire que constitue l'uniformité d'application du droit communautaire, dépendre des règles internes de répartition des compétences entre les pouvoirs institués par la constitution.

4. Pour définir les conditions dans lesquelles la violation du droit communautaire par un État membre ouvre aux particuliers lésés un droit à réparation, il y a lieu de tenir compte d'abord des principes propres à l'ordre juridique communautaire servant de fondement à la responsabilité de l'État, à savoir la pleine efficacité des normes communautaires et la protection effective des droits qu'elles reconnaissent, d'une part, et l'obligation de coopération qui incombe aux États membres en vertu de l'article 5 du traité, d'autre part. Il y a lieu de se référer également au régime qui a été défini pour la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, dans la mesure où, d'une part, celui-ci a, en vertu de l'article 215, deuxième alinéa, du traité, été construit à partir des principes généraux communs aux droits des États membres et où, d'autre part, en l'absence de justification particulière, il n'y a point lieu de soumettre à des régimes différents la responsabilité de la Communauté et celle des États membres dans des circonstances comparables, la protection des droits que les particuliers tirent du droit communautaire ne pouvant varier en fonction de la nature nationale ou communautaire de l'autorité à l'origine du dommage.

C'est pourquoi, lorsqu'une violation du droit communautaire par un État membre est imputable au législateur national agissant dans un domaine où il dispose d'une large marge d'appréciation pour opérer des choix normatifs, les particuliers lésés ont droit à réparation dès lors que la règle de droit communautaire a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers.

Sous cette réserve, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation du droit communautaire qui lui est imputable, étant entendu que les conditions fixées par la législation nationale applicable ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation.

En particulier, le juge national ne saurait, dans le cadre de la législation nationale qu'il applique, subordonner la réparation à l'existence, dans le chef de l'organe étatique auquel le manquement est imputable, d'une faute intentionnelle ou de négligence allant au-delà de la violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

S'agissant de cette violation suffisamment caractérisée de la règle communautaire, le critère décisif pour considérer qu'elle est constituée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par un État membre, des limites qui s'imposent à son pouvoir d'appréciation. A cet égard, parmi les éléments que la juridiction compétente peut être amenée à prendre en considération, figurent le degré de clarté et de précision de la règle violée, l'étendue de la marge d'appréciation que la règle enfreinte laisse aux autorités nationales ou communautaires, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d'une éventuelle erreur de droit, la circonstance que les attitudes prises par une institution communautaire ont pu contribuer à l'omission, à l'adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit communautaire. En tout état de cause, une violation du droit communautaire est manifestement caractérisée lorsqu'elle a perduré malgré le prononcé d'un arrêt constatant le manquement qu'elle a constitué, d'un arrêt préjudiciel ou d'une jurisprudence bien établie de la Cour en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause.

5. La réparation, à charge des États membres, des dommages qu'ils ont causés aux particuliers par des violations du droit communautaire doit être adéquate au préjudice subi. En l'absence de dispositions communautaires en ce domaine, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les critères permettant de déterminer l'étendue de la réparation, étant entendu qu'ils ne peuvent être moins favorables que ceux concernant des réclamations ou actions semblables fondées sur le droit interne et que, en aucun cas, ils ne sauraient être aménagés de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile la réparation. N'est pas conforme au droit communautaire une réglementation nationale qui limiterait, de manière générale, le dommage réparable aux seuls dommages causés à certains biens individuels spécialement protégés, à l'exclusion totale du manque à gagner subi par les particuliers. Des dommages-intérêts particuliers, tels que les dommages-intérêts "exemplaires" prévus par le droit anglais, doivent, par ailleurs, pouvoir être alloués dans le cadre de réclamations ou actions fondées sur le droit communautaire s'ils peuvent l'être dans le cadre de réclamations ou actions semblables fondées sur le droit interne.

6. L'obligation, pour un État membre, de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui lui sont imputables ne saurait être limitée aux seuls dommages subis postérieurement au prononcé d'un arrêt de la Cour constatant le manquement qu'ont constitué ces violations.

En effet, le droit à réparation existant sur le fondement du droit communautaire dès que les conditions requises sont remplies, on ne saurait, sans remettre en cause le droit à réparation reconnu par l'ordre juridique communautaire, admettre que l'obligation de réparation à charge de l'État membre concerné puisse être limitée aux seuls dommages subis postérieurement au prononcé d'un arrêt de la Cour constatant son manquement. En outre, subordonner la réparation du dommage à l'exigence d'une constatation préalable par la Cour d'un manquement au droit communautaire imputable à l'État membre concerné serait contraire au principe d'effectivité du droit communautaire, dès lors que cela exclurait tout droit à réparation tant que le manquement présumé n'a pas fait l'objet d'un recours introduit par la Commission en vertu de l'article 169 du traité et d'une condamnation par la Cour. Or, les droits au profit des particuliers découlant des dispositions communautaires ayant un effet direct dans l'ordre interne des États membres ne sauraient dépendre de l'appréciation par la Commission de l'opportunité d'agir au titre de l'article 169 du traité à l'encontre d'un État membre ni du prononcé par la Cour d'un éventuel arrêt de manquement.

Dans les affaires jointes C-46/93 et C-48/93,

ayant pour objet deux demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le Bundesgerichtshof (C-46/93) et par la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, Divisional Court (C-48/93), et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant ces juridictions entre

Brasserie du pêcheur SA

Bundesrepublik Deutschland,

et entre

The Queen

Secretary of State for Transport

ex parte: Factortame Ltd e.a.,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias (rapporteur), président, C. N. Kakouris, D. A. O. Edward et G. Hirsch, présidents de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. G. Tesauro,

greffiers: MM. H. von Holstein, greffier adjoint, et H. A. Ruehl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour Brasserie du pêcheur SA, par Me H. Buettner, avocat à Karlsruhe,

° pour les demandeurs 1 à 36 et 38 à 84 dans l'affaire C-48/93, par MM. D. Vaughan et G. Barling, QC, et D. Anderson, barrister, mandatés par M. S. Swabey, solicitor,

° pour les demandeurs 85 à 97 dans l'affaire C-48/93, par M. N. Green, barrister, mandaté par M. N. Horton, solicitor,

° pour le 37e demandeur dans l'affaire C-48/93, par MM. N. Forwood, QC, et P. Duffy, barrister, mandatés par Holman Fenwick & Willan, solicitors,

° pour le gouvernement allemand, par M. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent, assisté de Me J. Sedemund, avocat à Cologne,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de MM. S. Richards, C. Vajda, et R. Thompson, barristers,

° pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

° pour le gouvernement espagnol, par M. A. J. Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mmes R. Silva de Lapuerta et G. Calvo Díaz, abogados del Estado, du service juridique de l'État, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement français, par M. J.-P. Puissochet, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, et Mme C. de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques au même ministère, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement irlandais, par M. M. A. Buckley, Chief State Solicitor, en qualité d'agent,

° pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

° pour la Commission des Communautés européennes, par MM. C. Timmermans, directeur général adjoint du service juridique, J. Pipkorn, conseiller juridique, et C. Docksey, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Brasserie du pêcheur SA, représentée par Mes H. Buettner et P. Soler-Couteaux, avocat au barreau de Strasbourg, des demandeurs 1 à 36 et 38 à 84 dans l'affaire C-48/93, représentés par MM. D. Vaughan, G. Barling, D. Anderson et S. Swabey, des demandeurs 85 à 97 dans l'affaire C-48/93, représentés par M. N. Green, du 37e demandeur dans l'affaire C-48/93, représenté par MM. N. Forwood et P. Duffy, du gouvernement allemand, représenté par Me J. Sedemund, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Sir N. Lyell, QC, Attorney General, et MM. S. Richards, C. Vajda et J. E. Collins, du gouvernement danois, représenté par M. P. Biering, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, représenté par M. F. Georgakopoulos, conseiller juridique adjoint au Conseil juridique de l'État, en qualité d'agent, du gouvernement espagnol, représenté par Mmes R. Silva de Lapuerta et G. Calvo Díaz, du gouvernement français, représenté par Mme C. de Salins, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. W. de Zwaan, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par MM. C. Timmermans, J. Pipkorn et C. Docksey, à l'audience du 25 octobre 1994,

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