Jurisprudence : Cass. crim., 10-04-2002, n° 01-84.286, FS-P+F, Rejet

Cass. crim., 10-04-2002, n° 01-84.286, FS-P+F, Rejet

A7148AYE

Référence

Cass. crim., 10-04-2002, n° 01-84.286, FS-P+F, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1091901-cass-crim-10042002-n-0184286-fsp-f-rejet
Copier


Cour de Cassation
CRIM.
N° M 01-84.286 FS-P+F N° 2311
SH10 Avril 2002
M. COTTE président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix avril deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire ..., les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ... ;

Statuant sur le pourvoi formé par
- ... François,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 16 mai 2001, qui, pour prise illégale d'intérêt et atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, l'a condamné à 9 mois d'emprisonnement avec sursis, 100 000 francs d'amende et 2 ans d'interdiction des droits civils et civiques ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1 et §3 c) de la Convention européenne des droits de l'homme, 410, 411, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement sur la culpabilité de François ... en adoptant à diverses reprises ses motifs ;
"alors que le tribunal correctionnel constatant l'absence de François ... à l'audience du 4 mai 2000 a considéré qu'il y avait lieu de le juger contradictoirement en application des articles 410 et 498 du Code de procédure pénale et a donc refusé d'entendre son conseil présent ; que François ... a soutenu devant la cour d'appel que le tribunal ne pouvait pas statuer contradictoirement sans entendre son conseil en application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ce qui impliquait qu'elle aurait dû prononcer la nullité du jugement et renvoyer l'affaire au tribunal ; que l'absence de réponse à ce chef péremptoire de conclusions équivaut à l'absence de motifs" ;
Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions de François ... qui faisait grief au tribunal correctionnel de n'avoir pas accepté que son avocat le représente à l'audience des débats, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure dès lors que l'annulation du jugement faisait obligation aux juges du second degré d'évoquer et de statuer au fond par application de l'article 520 du Code de procédure pénale ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 175 de l'ancien Code pénal, 432-12 du Code pénal, 7, 8 et 591 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de constater la prescription de l'action publique s'agissant du délit de prise illégale d'intérêt dans l'achat par la commune de Conca d'une maison appartenant à Mme ... ;
"aux motifs que "le SRPJ d'Ajaccio a été saisi pour enquête par note du procureur de la République en date du 15 mai 1997 ; que le délit de prise illégale d'intérêt se commet lors de chacune des actions entrant dans les attributions de l'auteur ; qu'en l'espèce, les faits ont donc été commis non seulement lors de la délibération du conseil municipal ayant décidé l'acquisition le 20 novembre 1993 et lors de l'établissement de l'acte administratif de vente le 1er décembre 1993, mais aussi lors du mandatement du prix par le maire le 1er juin 1994, soit moins de trois ans avant l'acte de saisine pour enquête, interruptif de prescription ; qu'en conséquence, l'exception de prescription est rejetée" ;
"alors que les délits sont prescrits après trois ans révolus à compter du jour où ils ont été commis ; que le délit de prise illégale d'intérêt est commis à compter du jour où la personne investie d'un mandat public a pris ou reçu un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ; que lorsque un agent public prend un intérêt illégal dans un acte dont il a la charge d'assurer la surveillance ou l'administration, l'acte par lequel il ordonne le paiement ne constitue qu'un effet de l'acte par lequel il a pris un intérêt illégal ; que l'ordonnancement du prix d'une vente dans laquelle un agent public a pris un intérêt illégal ne peut donc être considéré comme un élément constitutif du délit de prise illégale d'intérêt à compter duquel la prescription commencerait à courir ; que le délit de prise illégale d'intérêts était donc constitué au jour de la délibération du conseil municipal ayant décidé l'acquisition de la maison de Mme ..., soit le 20 novembre 1993, ou au plus tard au jour de l'acte de vente, soit le 1er décembre 1993 ; que la cour d'appel qui a refusé de constater que l'action publique était prescrite le 15 mai 1997 a violé les articles précités" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le conseil municipal de Conca, réuni sous la présidence de son maire, François ..., a voté l'acquisition de la maison de Mme ... pour y établir le conservatoire du costume corse ; que le paiement du prix de cette acquisition, effectué en exécution d'un mandat émis par le maire, a permis à Mme ... de rembourser un emprunt qu'elle avait contracté par ailleurs et de libérer ainsi François ... de l'engagement de caution qu'il avait pris à son égard ;
Attendu que, pour juger non prescrite l'action engagée contre François ... du chef de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel énonce que les faits ont été commis non seulement lors de la délibération du conseil municipal ayant décidé l'acquisition mais aussi lors du mandatement du prix par le maire, le 1er juin 1994, soit moins de trois ans avant l'acte de saisine pour enquête ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;
Qu'en effet, le délit de prise illégale d'intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif accompli par l'agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l'administration ou la surveillance ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-3 et 432-14 du Code pénal, 123 et 321 du Code des marchés publics, article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a reconnu la culpabilité de François ... pour atteinte à la liberté et à l'égalité dans l'accès aux marchés publics ;
"aux motifs que le prévenu ne conteste pas avoir fait une interprétation erronée du Code des marchés publics, pensant que le seuil de 300 000 francs n'était pas dépassé dès lors que les paiements étaient échelonnés sur plusieurs années et qu'ils n'excédaient pas 300 000 francs par entreprise ; que cette erreur de droit, qui ne présente aucun caractère insurmontable, ne saurait entraîner l'appréciation de l'article 122-3 du Code pénal ;
"alors qu'est insurmontable une erreur fondée sur les textes de la loi et sur les informations erronées données par l'Administration ; que François ... a invoqué devant la cour d'appel l'erreur de droit fondée, d'une part, sur les termes des articles 123 et 321 du Code de marchés publics prévoyant que "pour les travaux, les fournitures ou les services dont le montant annuel présumé, toutes taxes comprises n'excède pas la somme de 300 000 francs", le règlement peut se faire par simples factures et, d'autre part, sur l'ensemble de la documentation juridique émanant de l'Administration qui, au moins à l'époque des faits, indiquait que l'appréciation du seuil de 300 000 francs s'opérait par prestataire et par année civile ; que la cour d'appel qui a seulement constaté que l'erreur de droit n'était pas insurmontable sans répondre aux moyens soulevés par François ... n'a pas suffisamment motivé sa décision" ;
Attendu que, pour écarter les conclusions par lesquelles le prévenu soutenait que son interprétation de l'article 321 du Code des marchés publics, alors appliquable, était conforme à celle retenue par le ministre de l'Économie et des Finances dans une réponse à un député, ainsi qu'aux indications figurant dans les documents que lui avait envoyés l'Administration, la cour d'appel énonce que l'erreur invoquée par François ... ne présente aucun caractère insurmontable ; qu'elle ajoute, par motifs adoptés des premiers juges, que, compte tenu de l'exercice de longue date de fonctions électives par François ... et de son expérience dans la passation de marchés publics, il n'a pu ignorer qu'il commettait un manquement à la législation ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors qu'il ne résulte ni de la réponse du ministre ni des documents administratifs invoqués par le prévenu qu'une opération unique d'un montant supérieur à la somme mentionnée à l'article 321 du Code des marchés publics puisse faire l'objet d'un marché de gré à gré lorsque son financement est réparti sur plusieurs années, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 122-3 du Code pénal ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 175 de l'ancien Code pénal, 432-12 et 432-17 du Code pénal et 388, 459, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François ... coupable de prise illégale d'intérêt résultant de l'attribution de subventions à la SARL Corse Sud Distillerie par l'assemblée de Corse ;
"aux motifs que François ... n'a pris aucune part à la décision initiale d'aide à la société dont il était le gérant ; que cependant, en présidant les travaux de la Commission des finances réunie le 10 mai 1994 qui ont précédé le vote de l'assemblée de Corse en date du 16 mai 1994 (auquel il a participé en donnant procuration à Pierre ... Luciani), puis en prenant part personnellement au vote du 25 juillet 1994 ayant adopté le règlement des aides, il a incontestablement participé à la nouvelle prise de décision qui a permis à la société Corse Sud Distillerie de conserver la subvention dont l'octroi avait été remis en cause ; que ce faisant, comme l'a démontré le tribunal, il s'est rendu coupable du délai de prise illégale d'intérêts ;
"alors que François ... a soutenu dans ses conclusions d'appel que la subvention attribuée en 1993 à la société Corse Sud Distillerie sur le fondement du premier règlement de l'assemblée de Corse lui était acquise, le paiement d'une subvention attribuée ne pouvant être refusé que lorsque la décision d'attribution est illégale, ce qui n'avait pas été démontré ; qu'il en résultait nécessairement que François ... n'avait pas pris ou conservé un intérêt dans une entreprise ou une opération dont il avait la charge d'assurer l'administration ou la surveillance, alors que la subvention était déjà acquise à la société Corse Sud Distillerie ; que la cour d'appel qui a cependant considéré que François ... avait conservé la subvention en participant à la délibération par laquelle a été adopté le nouveau règlement de l'aide de la collectivité territoriale afin de pouvoir procéder au paiement des subventions attribuées en vertu du premier règlement, ce qui était constitutif de prise illégale d'intérêts, a insuffisamment motivé sa décision ;
"et alors que François ... soutenait que la délibération du 16 mai 1994 était antérieure à la désaffectation et à la "réaffectation" de la subvention attribuée à la société Corse Sud Distribution intervenues le 8 juillet 1994, ce qui impliquait qu'il n'avait aucun intérêt privé en jeu lors de l'adoption de ce règlement et qu'en tout état de cause, il n'avait pas participé à la délibération du 16 mai 1994, ayant donné une procuration à M. ..., procuration qui était en blanc, ce qui empêchait, en application du principe de la responbilité personnelle prévu par l'article 122-1 du Code pénal, de retenir la culpabilité de François ... pour sa participation à cette délibération ; que par ailleurs, il soutenait que la délibération du 25 juillet 1994 était postérieure à la décision de désaffectation et de "réaffectation" de la subvention, si bien qu'elle ne pouvait pas non plus être à l'origine de l'intérêt conservé dans l'entreprise ou l'opération que constituait l'adoption du nouveau règlement des aides ; que la cour d'appel n'a pas répondu à ce chef péremptoire de conclusions, contrairement à ce qu'impose les articles 459 et 512 du Code de procédure pénale ;
"et alors que la participation de François ... à la commission de finances de la collectivité territoriale n'était pas visée dans la citation comme un des faits constitutifs du délit de prise illégale d'intérêts ; que, par conséquent, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine en considérant la participation à la commission des finances comme un des faits constitutifs du délit en violation des articles 459 et 512 du Code de procédure pénale ;
"et alors qu'en tout état de cause, si la préparation d'une décision prise par d'autres peut être un acte d'administration ou de surveillance constitutif de prise illégale d'intérêts, encore faut-il que la préparation d'une telle décision soit suffisamment précise pour établir que l'agent investi d'un mandat public a pris un intérêt dans l'opération qu'il a préparée et qu'il avait conscience d'une telle prise d'intérêt ; que la cour d'appel n'ayant pas expliqué en quoi la commission avait pu intervenir dans la détermination des conditions d'attribution des subventions, alors que celle-ci ne se prononce que sur des masses budgétaires et alors que les conditions d'attribution de telles subventions n'ont été déterminées que par la délibération de l'assemblée de Corse du 14 mai 1994 et éventuellement du 25 juillet 1994, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Corse Sud Distillerie, dont François ... était le gérant associé, s'est vu attribuer une aide publique en application d'un règlement adopté par l'Assemblée de Corse, le 3 août 1992 ; que, cependant, le payeur de Corse a refusé de procéder au versement de cette aide au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues par le règlement ;
Que, le 16 mai 1994, l'Assemblée de Corse a adopté un nouveau règlement, sur le fondement duquel les aides ont été versées à la société Corse Sud Distillerie, au titre des années 1991 et 1994 ;
Attendu que, pour déclarer François ... coupable de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel relève, notamment, que l'intéressé, conseiller territorial de Corse, a donné procuration à un autre élu afin qu'il prenne part à la délibération du 16 mai 1994 ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré M. ... président, M. ... conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, M. Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, M. Samuel conseillers référendaires ;
Avocat général M. Marin ;
Greffier de chambre Mme Lambert ;

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Décisions similaires

Domaine juridique - OFFICIER PUBLIC OU MINISTERIEL

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par thème
La Guadeloupe
La Martinique
La Guyane
La Réunion
Mayotte
Tahiti

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.