Jurisprudence : CEDH, 14-05-2002, Req. 44081/98, PERHIRIN ET AUTRES

CEDH, 14-05-2002, Req. 44081/98, PERHIRIN ET AUTRES

A6310AYD

Référence

CEDH, 14-05-2002, Req. 44081/98, PERHIRIN ET AUTRES. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1091007-cedh-14052002-req-4408198-perhirin-et-autres
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Cour européenne des droits de l'homme

14 mai 2002

Requête n°44081/98

PERHIRIN ET AUTRES



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE PERHIRIN ET AUTRES c. FRANCE


(Requête n° 44081/98)


ARRÊT


STRASBOURG


14 mai 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article44 §2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Perhirin et 29 autres c. France,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de:


MM.A.B. Baka, président,


J.-P. Costa,


Gaukur Jörundsson,


K. Jungwiert,


V. Butkevych,


MmeW. Thomassen,


M.M. Ugrekhelidze, juges,


et de Mme S. Dollé, greffière de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 5 juillet 2001 et 23avril 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date:


PROCÉDURE


1.A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n 44081/98) dirigée contre la République française et dont les trente ressortissants suivants de cet Etat avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 8 mai 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"): M. Georges Burel, M. Jean Cabillic, M.Pierre Canevet, M.Henri Colin, M. Jean Gentric, M. Paul Jean Gourret, Mme Angèle Guéguen, M. Jean Guéguen, M. Yvon Henaff, Mme Alice Henaff, M.Guillaume Kerouredan, M. Pierre Kersual, M. Jean Kersual, M.Marcel Le Berre, M. Henri Le Bihan, Mme Jeanne Le Dem, M. Alain LeFoch, MmeMarie Le Goff, Mme Yvonne Le Goff, M. Armand Le Goff, M. Alain Le Gouill, M. Jean Marcel Le Gouill, Mme Marie-Thérèse LeGouill, MmeMarguerite Le Quere, M. Jean Lucas, M. Georges Marzin, M. Jean Perhirin, M. Henri Sclaminec, Mme Bernadette Strullu et MmeMichèle Tanguy.


2.Les requérants sont représentés devant la Cour par l'un d'entre eux, M. Jean Perhirin. Le gouvernement français ("le Gouvernement") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au Ministère des affaires étrangères.


3.La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).


Elle a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article52 §1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.


4.Les requérants se plaignaient en particulier de la durée de deux procédures devant les juridictions administratives, se disant victimes d'une violation de leur droit à voir leur cause entendue dans un "délai raisonnable" au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.


Par une décision du 23 mars 2000, la Cour a déclaré irrecevables les autres griefs soulevés par les requérants.


Par une décision du 5 juillet 2001, la Cour a: déclaré la requête irrecevable en ce qu'elle a été introduite par Mmes Angèle Guégen, Jeanne Le Dem, Marguerite Le Quere et Bernadette Strullu ; déclaré la requête irrecevable en ce qu'elle a trait à la première procédure (achevée avec l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 mars 1997) et a été introduite par Mme Yvonne LeGoff ; déclaré la requête irrecevable en ce qu'elle a trait à la seconde procédure (achevée avec l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 décembre 1997) et a été introduite par M. Pierre Canevet, M. Henri Colin, M. Jean Gentric, M.Paul Jean Gourret, M. Jean Guéguen, M. Yvon Henaff, Mme Alice Henaff, M. Guillaume Kerouredan, M. Pierre Kersual, M. Jean Kersual, M.Marcel Le Berre, M. Henri Le Bihan, Mme Marie Le Goff, M. Armand Le Goff, M. Alain Le Gouill, M. Jean Lucas, M. Georges Marzins et MmeMichèle Tanguy ; déclaré la requête recevable, tous moyens de fond réservés, en ce qu'elle a trait à la première procédure (achevée avec l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 mars 1997) et a été introduite par M. Georges Burel, M. Jean Cabillic, M. Pierre Canevet, M. Henri Colin, M. Jean Gentric, M. Paul Jean Gourret, M. Jean Guéguen, M. Yvon Henaff, MmeAlice Henaff, M. Guillaume Kerouredan, M. Pierre Kersual, M. Jean Kersual, M. Marcel Le Berre, M. Henri Le Bihan, M. Alain Le Foch, MmeMarie Le Goff, M. Armand Le Goff, M. Alain Le Gouill, M. Jean Marcel Le Gouill, Mme Marie-Thérèse Le Gouill, M. Jean Lucas, M.Georges Marzins, M. Jean Perhirin, M. Henri Sclaminec et Mme Michèle Tanguy ; déclaré la requête recevable, tous moyens de fond réservés, en ce qu'elle a trait à la seconde procédure (achevée avec l'arrêt du 29décembre1997) et a été introduite par M. Georges Burel, M. Jean Cabillic, M. Alain Le Foch, Mme Yvonne Le Goff, M. Jean Marcel Le Gouill, Mme Marie-Thérèse Le Gouill, M. Jean Perhirin et M. Henri Sclaminec.


5.Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


6.Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article59§1 du règlement).


EN FAIT


7.Les requérants sont des agriculteurs dont l'exploitation se situe en tout ou partie sur la commune de Plozévet, dans le département du Finistère. Ils contestèrent devant les juridictions administratives les arrêtés du préfet de ce département fixant (notamment) l'assiette des cotisations dues au titre du régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles, pour les années 1987 à 1994 (voir ci-dessous). Ils critiquaient essentiellement le fait que ces arrêtés prévoyaient que cette assiette était constituée par le revenu cadastral des superficies exploitées et omettaient d'affecter ledit revenu d'un coefficient d'adaptation par nature de culture ou par région naturelle ou par commune. A cet égard, ils soulignaient que les terres de Plozévet avaient été classées en 1947 en culture intensive de primeurs à haut rapport et que ce classement était obsolète dans la mesure où leurs terres faisaient désormais l'objet d'autres types d'exploitations, de sorte que les revenus cadastraux de la commune étaient surévalués. Ils en déduisaient que le système mis en place par les arrêtés méconnaissait leurs facultés contributives exactes et aboutissait à la mise à leur charge de cotisations sociales substantiellement supérieures à ce qu'elles dussent être; selon eux, pour remédier à ceci, lesdits arrêtés eussent dû, comme le permettait le code rural, prévoir que le revenu cadastral serait affecté d'un coefficient d'adaptation permettant la prise en compte de la réalité de leur situation.


Devant les juridictions administratives, les requérant soutinrent ainsi que le préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation en omettant d'arrêter un tel coefficient. Arguant en outre de ce qu'en conséquence du système mis en place, ils devaient supporter des charges sociales d'un montant exagéré, dépourvues de justification économique et nettement supérieures à celles imposées aux exploitants des autres communes du Finistère, ils dénonçaient une méconnaissance du principe de l'égalité devant les charges publiques.


1.La première procédure (relative aux arrêtés pris de 1987 à 1990)


8.Le 27 octobre 1987, le premier requérant saisit le tribunal administratif de Rennes d'une demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Finistère, du 1er septembre 1987, fixant notamment l'assiette des cotisations dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles pour l'année 1987. Le 14 avril 1988, les autres requérants, à l'exception de Mmes Le Goff Marie et Yvonne, déposèrent un mémoire en intervention.


Les requérants, à l'exception de Mmes Le Goff Marie et Yvonne, firent de même les 10octobre 1988, 30 octobre 1989 et 27 décembre 1990 pour les arrêtés dudit préfet, des 17août 1988, 24 août 1989 et 26 octobre 1990, fixant la même assiette pour les années 1988, 1989 et 1990. Leur requête du 27 décembre 1990 tendait en outre à l'annulation d'un autre arrêté du même préfet, du 26 octobre 1990, fixant le taux de cotisation de solidarité pour1990.


Par un jugement du 17 avril 1991, le tribunal administratif joignit les requêtes et les rejeta: rappelant qu'aux termes de l'article 1063 du code rural, ladite assiette était fixée par le préfet "sur proposition du comité départemental des prestations sociales agricoles" et que le comité du Finistère "n'avait pas proposé au préfet de ce département d'appliquer des coefficients de réduction d'assiette des cotisations susmentionnées dans la commune de Plozévet", il jugea notamment que ledit préfet "était tenu de ne pas appliquer de tels coefficients".


9.Le 17 juin 1991, les requérants, à l'exception de Mmes Le Goff Marie et Yvonne, saisirent le Conseil d'Etat d'une demande tendant à l'annulation du jugement du 17 avril 1991 ainsi que, pour excès de pouvoir, des arrêtés préfectoraux litigieux; ils déposèrent un mémoire complémentaire le 16octobre 1991.


Par un arrêt du 17 mars 1997, la haute juridiction administrative rejeta la requête. A l'instar du tribunal administratif, elle jugea que, en vertu des textes alors applicables, le préfet était lié par la décision du comité départemental des prestations agricoles de ne pas proposer, pour le calcul des cotisations de 1987, 1988 et 1989, d'affecter un coefficient correcteur au revenu cadastral réel des exploitations dans la commune de Plozévet. Lesdits textes ayant par la suite été modifiés de manière à conférer au préfet un pouvoir plus large, le Conseil d'Etat examina au fond les moyens des requérants en ce qu'ils avaient trait à l'arrêté du 26 octobre 1990; il considéra toutefois qu'en prenant ce dernier arrêté sans appliquer de coefficient correcteur, le préfet n'avait pas commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la valeur agricole des exploitations de la commune en 1990.


2.La seconde procédure (relative aux arrêtés pris de 1991 à 1994)


a)Devant le tribunal administratif de Rennes


i)La procédure relative aux arrêtés préfectoraux des 18 octobre 1991, 23septembre 1992 et 22 octobre 1993


10.Le 3 février 1992, huit des requérants (MM. Jean Perhirin, Georges Burel, AlexisGuenguen, Pierre Le Dem, Jean Marcel Le Gouill et Henri Sclaminec, et MmesYvonneLe Goff et Marie-Thérèse Le Gouill) saisirent le tribunal administratif de Rennes d'une demande d'annulation de deux arrêtés du préfet du Finistère du 18 octobre 1991 fixant, pour l'année 1991, notamment l'assiette des cotisations dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles.


11.Les 11 janvier 1993 et 17 janvier 1994, neuf des requérants (MM.Jean Perhirin, Georges Burel, Jean Cabillic, Alexis Gueguen, Pierre Le Dem et Alain Le Floch, et MmesYvonne Le Goff, Marguerite Le Quere et Marie-Thérèse Le Gouill) saisirent le même tribunal de demandes d'annulation des arrêtés préfectoraux des 23 septembre 1992 et 22octobre1993, fixant ladite assiette pour les années 1992 et 1993.


12.Par un jugement du 5 avril 1995, le tribunal joignit les requêtes et les rejeta. Il considéra, d'une part, que le préfet se trouvait lié par la proposition du comité départemental des prestations sociales agricoles de ne pas instaurer de coefficients de réparation pour la commune de Plozévet et, d'autre part, que les arrêtés n'étaient entachés d'aucune erreur manifeste d'appréciation, ne portaient pas atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques, ne manquaient pas de base légale et n'avaient pas été pris sur le fondement de faits matériellement inexacts.


13.Le 6 juin 1995, ces requérants saisirent le Conseil d'Etat d'une requête tendant à l'annulation du jugement du 5 avril 1995 ainsi que, pour excès de pouvoir, des arrêtés de 1991, 1992 et 1993. Ils produisirent un mémoire complémentaire le 29 septembre 1995.


ii)La procédure relative à l'arrêté préfectoral du 9 novembre 1994


14.Le 21 décembre 1994, M. Perhirin saisit le tribunal administratif de Rennes d'une demande d'annulation de l'arrêté du 9 novembre 1994 par lequel le préfet du Finistère fixait, pour l'année 1994, notamment l'assiette des cotisation dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles. Par un jugement du 18 octobre 1995, motivé à l'identique du jugement du 5 avril 1995 (ci-dessus), le tribunal rejeta sa requête.


15.Le 27 novembre 1995, M. Perhirin saisit le Conseil d'Etat d'une requête tendant à l'annulation de ce jugement ainsi que, pour excès de pouvoir, de l'arrêté litigieux.


b)Devant le Conseil d'Etat


16.Par un arrêt du 29 décembre 1997, la haute juridiction administrative joignit les requêtes et les rejeta. Elle considéra que, si le préfet n'était pas tenu de suivre l'avis du comité départemental, il ne ressortait pas du dossier qu'il avait, en prenant les arrêtés litigieux sans appliquer de coefficient correcteur, commis une erreur de droit ou une erreur manifeste dans l'appréciation de la valeur agricole des exploitations de la commune de Plozévet; elle ajouta que, dans ces conditions, il n'avait pas davantage méconnu le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques.


17.Le 10 février 1998, M. Perhirin saisit le Conseil d'Etat d'une requête tendant à la révision de l'arrêt du 29 décembre 1997 et à l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés de 1991, 1992, 1993 et 1994. Par un arrêt du 17mars 1999, la haute juridiction déclara cette requête irrecevable au motif qu'elle n'avait pas été présentée par le ministère d'un avocat aux Conseils, alors que celui-ci est obligatoire pour un tel recours.


EN DROIT


I.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


18.Les requérants se plaignent de la durée des procédures. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel:


"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)".


19.La Cour constate que la question des périodes à considérer sous l'angle du "délai raisonnable" de l'article 6 § 1 n'a pas prêté à controverse.


La première procédure (paragraphes 8-9 ci-dessus), débute avec la saisine du tribunal administratif de Rennes, soit le 27 octobre 1987 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 1erseptembre 1987, le 10 octobre 1988 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 17 août 1988, le 30 octobre 1989 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 24août1989 et le 27 décembre 1990 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 26 octobre 1990. Elle prend fin le 17 mars 1997, date de l'arrêt du Conseil d'Etat. Elle a donc duré plus de neuf ans et quatre mois dans le premier cas, plus de huit ans et cinq mois dans le deuxième cas, plus de sept ans et quatre mois dans le troisième cas, et plus de six ans et deux mois dans le dernier cas.


La seconde procédure débute également avec la saisine du tribunal administratif, soit le 3 février 1992 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation des arrêtés du 18 octobre 1991 (paragraphe 10 ci-dessus), le 11janvier 1993 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 23 septembre 1992 (paragraphe 11 ci-dessus), le 17 janvier 1994 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 22octobre1993 (ibidem), et le 21 décembre 1994 s'agissant de l'examen de la demande d'annulation de l'arrêté du 9 novembre 1994 (paragraphe 14 ci-dessus). Elle s'achève le 29 décembre 1997, date à laquelle le Conseil d'Etat a rendu son arrêt (paragraphe 16 ci-dessus). Elle a donc duré presque cinq ans et onze mois dans le premier cas, presque cinq ans dans le deuxième cas, presque quatre ans dans le troisième cas et un peu plus de trois ans dans le dernier cas.


20.Le Gouvernement concède que l'affaire ne présentait aucune complexité et précise que le comportement des requérants "n'appelle pas d'observations particulières". Il estime cependant que le tribunal administratif de Rennes a statué "dans des délais pouvant être considérés comme raisonnables au regard de la pluralité des requêtes enregistrées successivement et du nombre des requérants concernés". Il ajoute que la durée de la seconde procédure devant le Conseil d'Etat (deux ans, deux mois et onze jours) n'est pas excessive. Il reconnaît en revanche que la durée de la première procédure devant la haute juridiction administrative "ne répond pas aux exigences (...) de l'article 6 § 1" et déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour sur ce point.


21.La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du ou des requérants et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).


22.La Cour relève en premier lieu, s'agissant de la seconde procédure, que l'examen des arrêtés des 22 octobre 1993 et 9 novembre 1994 a pris, respectivement, environ quatre ans et trois ans pour deux degrés de juridiction. Au vu des critères susrappelés et des décisions et arrêts prononcés dans des cas similaires, la Cour estime que de tels délais sont raisonnables et n'emportent pas violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


23.Il en va différemment de la durée de la première procédure et de la seconde procédure en ce qu'elle concerne l'examen des arrêtés des 18octobre 1991 et 23 septembre 1992.


La Cour constate en effet que les litiges ne présentaient aucune complexité juridique. S'il est vraisemblable que le nombre de requêtes a quelque peu compliqué la gestion des dossiers par les juridictions saisies,cette circonstance ne suffit pas à expliquer la durée des procédures dont il est question. Par ailleurs, rien n'indique que, par leur comportement, les requérants aient provoqué des retards notables.


Selon la Cour, la durée des procédures litigieuses est très essentiellement imputable aux autorités judiciaires. Elle note tout d'abord que la première procédure a duré presque six ans devant le Conseil d'Etat. Elle relève ensuite plusieurs périodes de latence pour lesquelles le Gouvernement n'apporte pas d'explication. Il ressort en effet de la chronologie produite par le Gouvernement, notamment, que dans le cadre de la première procédure, aucun événement procédural notable ne s'est produit devant le Conseil d'Etat entre le dépôt du mémoire ampliatif des requérants (le 16octobre1991) et la production de pièces nouvelles par l'administration (le 13 août 1993). De la même manière, s'agissant de la seconde procédure, le tribunal administratif de Rennes a prononcé son jugement le 5 avril 1995, soit presque deux ans après la production du dernier mémoire, qu'il s'agisse de l'examen des arrêtés du 18 octobre 1991 ou de l'examen de l'arrêté du 23septembre 1992.


Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II.SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


24.Aux termes de l'article 41 de la Convention,


"Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable."


A.Dommage


25.Les requérants réclament 1917734 euros ("EUR") au titre d'un préjudice matériel causé par la "surimpositionet la sur-taxation fiscale et sociale[,] résultant de l'imposition d'une production légumière fictive" dont ils seraient victimes. Ils réclament en outre 30 000 francs ("FRF") chacun, soit 4573,47 EUR, pour préjudice moral.


26.Le Gouvernement déclare qu'"une somme globale de 50 000 FRF [soit 7622,45 EUR], au titre de la satisfaction équitable, pourrait être allouée aux seuls requérants ayant participé à la première procédure, si le gouvernement français était condamné dans cette affaire".


27.La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d'une méconnaissance du droit des requérants à voir leurs causes entendues dans un "délai raisonnable". Dans ces circonstances, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont les requérants auraient eu à souffrir; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de leurs prétentions (voir, par exemple, Arvois c. France, n38249/97, § 18).


La Cour estime en revanche que le prolongement des procédures litigieuses au-delà du "délai raisonnable" a causé aux requérants un tort moral certain, justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité comme le veut l'article 41, elle octroie à ce titre2500 EUR à M. Georges Burel, M.Jean Cabillic, M. Alain Le Foch, M.Jean Marcel Le Gouill, Mme Marie-Thérèse Le Gouill, M. Jean Perhirin, M. Henri Sclaminec, chacun, et 2000EUR à M. Pierre Canevet, M. Henri Colin, M.Jean Gentric, M. Paul Jean Gourret, M. Jean Guéguen, M. Yvon Henaff, Mme Alice Henaff, M.Guillaume Kerouredan, M. Pierre Kersual, M. Jean Kersual, M. Marcel Le Berre, M. Henri Le Bihan, Mme Marie Le Goff, Mme Yvonne Le Goff, M.Armand Le Goff, M. Alain Le Gouill, M. Jean Lucas, M. Georges Marzins et Mme Michèle Tanguy, chacun.


B.Frais et dépens


28.Les requérants réclament 15 244 EUR en remboursement de frais d'honoraires relatifs à leur représentation dans le cadre des procédures internes. Ils sollicitent en outre le remboursement de frais divers (relatifs à des communications téléphoniques, des photocopies de documents et des déplacements) encourus entre 1987 à 2001, pour un montant total de 6860,21 EUR.


29.Le Gouvernement ne se prononce sur ce point en particulier (voir le paragraphe 26 ci-dessus).


30.La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu'ils ont été engagés "pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation" (voir, notamment, l'arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A n66, §36). La Cour concluant exclusivement à une violation du droit des requérants à voir leurs causes entendues dans un "délai raisonnable", tel n'est à l'évidence pas le cas en l'espèce s'agissant des frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Il y a donc lieu de rejeter cette partie des prétentions des requérants.


S'agissant des frais encourus dans le cadre de la procédure devant les organes de la Convention, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article 60 § 2 de son règlement, les requérants doivent chiffrer leurs prétentions au titre de l'article 41 et y joindre les justificatifs nécessaires; à défaut, la chambre peut rejeter la demande, en tout ou en partie. En l'espèce, les requérants ne chiffrent pas en détail leurs demandes et ne produisent aucun justificatif pertinent. La Cour estime néanmoins qu'ils ont nécessairement eu certains frais et juge équitable de leur octroyer 400 EUR à ce titre.


C.Intérêts moratoires


31.Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26% l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1.Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de la durée des procédures relatives à l'examen des demandes d'annulation des arrêtés préfectoraux pris de 1987 à 1992;


2Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de la durée de la procédure relative à l'examen des demandes d'annulation des arrêtés préfectoraux pris en 1993 et 1994 ;


3.Dit


a)que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article44§2 de la Convention, les sommes suivantes:


i. pour dommage moral: 2500 EUR (deux mille cinq cent euros) à M. Georges Burel, M. Jean Cabillic, M. Alain Le Foch, M.Jean Marcel Le Gouill, Mme Marie-Thérèse Le Gouill, M. Jean Perhirin et M. Henri Sclaminec, chacun; 2000EUR (deux mille euros) à M.Pierre Canevet, M. Henri Colin, M.Jean Gentric, M. Paul Jean Gourret, M. Jean Guéguen, M. Yvon Henaff, Mme Alice Henaff, M.Guillaume Kerouredan, M. Pierre Kersual, M. Jean Kersual, M.Marcel Le Berre, M. Henri Le Bihan, Mme Marie Le Goff, MmeYvonne Le Goff, M. Armand Le Goff, M. Alain Le Gouill, M.Jean Lucas, M. Georges Marzins et Mme Michèle Tanguy, chacun;


ii. pour frais et dépens, 400 EUR (quatre cent euros) aux requérants conjointement;


b)que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement;


4.Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.


Fait en français, puis communiqué par écrit le14 mai 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.


S. DolléA.B. Baka


GreffièrePrésident

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