Jurisprudence : CEDH, 29-04-2002, Req. 2346-02, Pretty c/ Royaume-Uni

CEDH, 29-04-2002, Req. 2346-02, Pretty c/ Royaume-Uni

A5415AY9

Référence

CEDH, 29-04-2002, Req. 2346-02, Pretty c/ Royaume-Uni . Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1089155-cedh-29042002-req-234602-pretty-c-royaumeuni
Copier
Cour européenne des droits de l'homme

29 avril 2002

Requête n°2346-02

PRETTY




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


QUATRIÈME SECTION


AFFAIRE PRETTY c. ROYAUME-UNI


(Requête n° 2346-02)


ARRÊT


STRASBOURG


29 avril 2002


En l'affaire Pretty c. Royaume-Uni,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :


M. M. Pellonpää, président,


Sir Nicolas Bratza,


Mme E. Palm,


M. J. Makarczyk,


M. M. Fischbach,


M. J. Casadevall,


M. S. Pavlovschi, juges, et de M. M. O'Boyle, greffier de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 mars et 25 avril 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 2346/02) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une ressortissante britannique, Mme Diane Pretty (" la requérante "), avait saisi la Cour le 21 décembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. La requérante, qui s'est vu accorder le bénéfice de l'assistance judiciaire, a été représentée devant la Cour par Me Chakrabarti, avocat exerçant à Londres. Le gouvernement britannique l'a été par son agent, M. Whomersley, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.


3. Mme Pretty, qui est paralysée et souffre d'une maladie dégénérative incurable, alléguait dans sa requête que le refus par le " Director of Public Prosecutions " d'accorder une immunité de poursuites à son mari s'il l'aidait à se suicider et la prohibition de l'aide au suicide édictée par le droit britannique enfreignaient à son égard les droits garantis par les articles 2, 3, 8, 9 et 14 de la Convention.


4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour ; ci-après " le règlement "). Au sein de celle-ci, a alors été constituée la chambre chargée d'en connaître (articles 27 § 1 de la Convention et 26 § 1 du règlement).


5. La requérante et le Gouvernement ont chacun déposé des observations sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 54 § 3 b) du règlement). La Cour a par ailleurs reçu des observations de la Voluntary Euthanasia Society et de la Conférence des évêques catholiques d'Angleterre et du pays de Galles, auxquelles le président avait donné l'autorisation d'intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du règlement). La requérante a répondu auxdites observations (article 61 § 5 du règlement).


6. Une audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 19 mars 2002 (article 59 § 2 du règlement).


Ont comparu :


- pour le Gouvernement


MM. C. Whomersley, agent,


J. Crow,


D. Perry, conseils,


A. Bacarese,


Mme R. Cox, conseillers ;


- pour la requérante


M. P. Havers, QC,


Mme F. Morris, conseils,


M. A. Gask, solicitor stagiaire,


Mme D. Pretty, requérante,


M. B. Pretty, mari de la requérante.


La Cour a entendu M. Crow et M. Havers.


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


7. La requérante est une dame âgée de 43 ans. Mariée depuis vingt-cinq ans, elle habite avec son époux, leur fille et leur petite-fille. Elle souffre d'une sclérose latérale amyotrophique (" SLA "), maladie neuro-dégénérative progressive qui affecte les neurones moteurs à l'intérieur du système nerveux central et provoque une altération graduelle des cellules qui commandent les muscles volontaires du corps. Son évolution conduit à un grave affaiblissement des bras et des jambes ainsi que des muscles impliqués dans le contrôle de la respiration. La mort survient généralement à la suite de problèmes d'insuffisance respiratoire et de pneumonie dus à la faiblesse des muscles respiratoires et de ceux qui contrôlent la parole et la déglutition. Aucun traitement ne peut enrayer la progression de la maladie.


8. L'état de la requérante s'est détérioré rapidement depuis qu'une SLA a été diagnostiquée chez elle en novembre 1999. La maladie se trouve aujourd'hui à un stade avancé. Mme Pretty est quasiment paralysée du cou aux pieds, elle ne peut pratiquement pas s'exprimer de façon compréhensible et on l'alimente au moyen d'un tube. Son espérance de vie est très limitée et ne se compte qu'en mois, voire en semaines. Son intellect et sa capacité à prendre des décisions sont toutefois intacts. Les stades ultimes de la maladie sont extrêmement pénibles et s'accompagnent d'une perte de dignité. Mme Pretty a peur et s'afflige de la souffrance et de l'indignité qu'elle va devoir endurer si on laisse la maladie se développer, et elle souhaite donc vivement pouvoir décider quand et comment elle va mourir et ainsi échapper à cette souffrance et à cette indignité.


9. Le suicide n'est pas considéré comme une infraction en droit anglais, mais la requérante se trouve empêchée par sa maladie d'accomplir un tel acte sans assistance. Or aider quelqu'un à se suicider tombe sous le coup de la loi pénale (article 2 § 1 de la loi de 1961 sur le suicide).


10. Afin de permettre à sa cliente de se suicider avec l'aide de son mari, le solicitor de la requérante, par une lettre datée du 27 juillet 2001 et écrite au nom de Mme Pretty, invita le Director of Public Prosecutions (" DPP ") à prendre l'engagement de ne pas poursuivre le mari de la requérante si ce dernier, déférant au souhait de son épouse, venait à aider celle-ci à se suicider.


11. Dans une lettre datée du 8 août 2001, le DPP refusa de prendre ledit engagement. Il s'exprima notamment ainsi :


" Les DPP - et procureurs généraux - successifs ont toujours expliqué qu'ils n'accorderaient pas, quelque exceptionnelles que pussent être les circonstances, d'immunité absolvant, requérant ou affirmant autoriser ou permettre la commission future d'une quelconque infraction pénale. (...) "


12. Le 20 août 2001, la requérante sollicita le contrôle juridictionnel de la décision du DPP et demanda à ce que fussent prononcées :


- une ordonnance annulant ladite décision du DPP ;


- une déclaration précisant que cette décision était illégale ou que le DPP n'agirait pas illégalement en prenant l'engagement réclamé ;


- une ordonnance enjoignant au DPP de prendre l'engagement en cause ou, à défaut,


- une déclaration aux termes de laquelle l'article 2 de la loi de 1961 sur le suicide était incompatible avec les articles 2, 3, 8, 9 et 14 de la Convention.


13. Le 17 octobre 2001, la Divisional Court rejeta la requête, estimant que le DPP n'avait pas le pouvoir de prendre l'engagement de ne pas poursuivre et que l'article 2 § 1 de la loi de 1961 sur le suicide n'était pas incompatible avec la Convention.


14. La requérante se pourvut devant la Chambre des lords. Celle-ci la débouta le 29 novembre 2001, confirmant la décision de la Divisional Court. Lord Bingham of Cornhill, qui prononça la décision principale dans l'affaire The Queen on the Application of Mrs Diane Pretty (Appellant) v. Director of Public Prosecutions (Respondent) and Secretary of State for the Home Department (Interested Party), s'exprima comme suit :


" 1. Nulle personne de sensibilité normale ne peut rester indifférent devant le sort épouvantable qui attend Mme Diane Pretty, la demanderesse. Celle-ci souffre de sclérose latérale amyotrophique, maladie dégénérative progressive dont elle n'a aucune chance de se remettre. Il ne lui reste que peu de temps à vivre, et elle doit faire face à la perspective d'une maladie humiliante et pénible. Elle a conservé toutes ses facultés mentales et voudrait pouvoir prendre les mesures lui paraissant nécessaires pour mettre un terme paisible à sa vie, au moment choisi par elle. Or son invalidité physique est maintenant telle qu'il lui est impossible, sans aide, de mettre fin à sa propre vie. Avec le soutien de sa famille, elle souhaite s'assurer le concours de son mari à cet effet. Ce dernier est lui-même disposé à prêter son assistance, mais seulement s'il peut obtenir l'assurance qu'il ne sera pas poursuivi au titre de l'article 2 § 1 de la loi de 1961 sur le suicide pour avoir aidé son épouse à se suicider. Invité à prendre l'engagement qu'en vertu de l'article 2 § 4 de la loi il ne consentirait pas à poursuivre M. Pretty au titre de l'article 2 § 1 de la loi si l'intéressé venait à aider son épouse à se suicider, le DPP a refusé de faire droit à la requête. Saisie par Mme Pretty d'une demande de contrôle juridictionnel de ce refus, la Queen's Bench Divisional Court a confirmé la décision du DPP et refusé de prononcer les mesures sollicitées. Mme Pretty revendique le droit de se faire assister par son mari pour se suicider et soutient que l'article 2 de la loi de 1961, s'il interdit à son mari de prêter son concours à cet effet et empêche le DPP de prendre l'engagement de ne pas poursuivre en pareil cas, est incompatible avec la Convention européenne des Droits de l'Homme. C'est de la Convention, mise en vigueur dans notre pays par la loi de 1998 sur les droits de l'homme, que dépend la prétention de Mme Pretty. Au nom de sa cliente, le conseil de l'intéressée a admis que la common law d'Angleterre ne laissait aucune chance de succès à la demande formulée.


2. Investie des fonctions judiciaires de la Chambre, la commission des recours (appelate committee) a pour mission de résoudre les questions de droit qui lui sont correctement déférées, ce qui est le cas de celles évoquées en l'espèce. La commission n'est pas un organe législatif. Il n'est pas non plus habilité ni qualifié pour agir comme arbitre moral ou éthique. Il importe de souligner la nature et les limites de son rôle, vu que les questions de vaste portées soulevées par le présent recours sont l'objet d'une préoccupation profonde et entièrement justifiée chez de nombreuses personnes. Les questions de savoir si les malades en phase terminale ou d'autres doivent avoir la faculté de solliciter une aide pour se suicider et, dans l'affirmative, dans quelles conditions et moyennant quels garde-fous, revêtent une importance sociale, éthique et religieuse considérable, et il existe à leur sujet des convictions et conceptions largement divergentes et souvent très marquées. Les documents qui ont été déposés devant la commission (avec son autorisation) exposent certaines de ces conceptions ; de nombreuses autres ont été exprimées dans les médias, dans les revues spécialisées et ailleurs. La commission n'a point pour tâche en l'espèce de soupeser, d'évaluer ou de refléter ces convictions et conceptions, ou de donner effet aux siennes propres, mais d'établir et d'appliquer le droit du pays tel qu'il est interprété aujourd'hui.


Article 2 de la Convention


3. L'article 2 de la Convention est ainsi libellé : (...)


Cet article doit être combiné avec les articles 1 et 2 du Sixième Protocole, qui font partie des droits conventionnels protégés par la loi de 1998 (voir l'article 1 § 1 c) de celle-ci) et qui ont aboli la peine de mort en temps de paix.


4. Le conseil de Mme Pretty soutient que l'article 2 protège non la vie elle-même, mais le droit à la vie. Cette clause viserait à protéger les individus contre les tiers (l'Etat et les autorités publiques), mais elle reconnaîtrait qu'il appartient à l'individu de choisir de vivre ou non et protégerait ainsi le droit à l'autodétermination de chacun relativement aux questions de vie et de mort. Ainsi, une personne pourrait refuser un traitement médical de nature à sauver sa vie ou à la prolonger et pourrait donc légalement choisir de se suicider. L'article 2 reconnaîtrait ce droit de l'individu. Si la plupart des personnes désirent vivre, certaines souhaitent mourir, et la disposition en cause protégerait chacun de ces deux droits. Le droit de mourir ne serait pas l'antithèse du droit à la vie, mais son corollaire, et l'Etat aurait l'obligation positive de protéger les deux.


5. Le ministre a formulé à l'encontre de cet argument un certain nombre d'objections imparables, que la Divisional Court a d'ailleurs à juste titre retenues. Il y a lieu de partir du libellé de l'article. Celui-ci a pour objet de refléter le caractère sacré qui, spécialement aux yeux des occidentaux, s'attache à la vie. L'article 2 protège le droit à la vie et interdit de tuer délibérément, sauf dans des circonstances très étroitement définies. Un article ayant pareil objet ne peut s'interpréter comme conférant un droit à mourir ou à obtenir le concours d'autrui pour mettre fin à sa propre vie. Dans la thèse développée par lui pour le compte de Mme Pretty, M. Havers Q.C. s'est efforcé de limiter son argument au suicide assisté, admettant que le droit revendiqué ne peut aller jusqu'à couvrir l'homicide volontaire consensuel (souvent qualifié dans ce contexte d'" euthanasie volontaire ", mais considéré en droit anglais comme un meurtre). Le droit revendiqué serait suffisant pour couvrir l'affaire de Mme Pretty, et l'on comprend que le conseil de l'intéressée ne souhaite pas aller plus loin. Mais rien sur le plan de la logique ne justifie que l'on trace pareille ligne de démarcation. Si l'article 2 confère bel et bien un droit à l'autodétermination en rapport avec la vie et la mort et si une personne est à ce point handicapée qu'elle se trouve dans l'impossibilité d'accomplir quelque acte que ce soit de nature à provoquer sa propre mort, il s'ensuit nécessairement, en bonne logique, que cette personne a un droit à être tuée par un tiers sans assistance aucune de sa part et que l'Etat viole la Convention s'il s'immisce dans l'exercice de ce droit. Il n'est toutefois pas possible d'inférer pareil droit d'un article ayant l'objet décrit ci-dessus.


6. Il est vrai que certains des droits garantis par la Convention ont été interprétés comme conférant des droits à ne pas faire ce qui constitue l'antithèse de ce que le droit explicitement reconnu autorise à faire. L'article 11, par exemple, confère un droit à ne pas adhérer à une association (Young, James et Webster c. Royaume-Uni (1981) 4 EHRR 38), l'article 9 comporte un droit à n'être soumis à aucune obligation d'exprimer des pensées, de changer d'avis ou de divulguer des convictions (Clayton and Tomlinson, The Law of Human Rights (2000), p. 974, § 14.49), et j'inclinerais pour ma part à admettre que l'article 12 confère un droit à ne pas se marier (mais voir Clayton and Tomlinson, ibidem, p. 913, § 13.76). On ne saurait toutefois affirmer (pour prendre quelques exemples évidents) que les articles 3, 4, 5 et 6 confèrent un droit implicite à faire ou éprouver l'opposé de ce que lesdits articles garantissent. Quels que soient les avantages que recèle aux yeux de nombreuses personnes l'euthanasie volontaire, le suicide, le suicide médicalement assisté et le suicide assisté sans intervention médicale, ces avantages ne résultent pas de la protection d'un article qui a été conçu pour protéger le caractère sacré de la vie.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.