Jurisprudence : CEDH, 16-04-2002, Req. 37971/97, STÉS COLAS EST ET AUTRES

CEDH, 16-04-2002, Req. 37971/97, STÉS COLAS EST ET AUTRES

A5397AYK

Référence

CEDH, 16-04-2002, Req. 37971/97, STÉS COLAS EST ET AUTRES. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1089134-cedh-16042002-req-3797197-stes-colas-est-et-autres
Copier
Cour européenne des droits de l'homme

16 avril 2002

Requête n°37971/97

STÉS COLAS EST ET AUTRES



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE STÉS COLAS EST ET AUTRES c. FRANCE


(Requête n° 37971/97)


ARRÊT


STRASBOURG


16 avril 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Sté Colas Est et Autres c. France,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de:


MM. L. Loucaides, président,


J.-P. Costa,


C. Bîrsan,


K. Jungwiert,


V. Butkevych,


Mme W. Thomassen,


Mme A. Mularoni, juges,


et de Mme S. Dollé, greffière de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 juin 2001 et 12 mars 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouvent une requête (nos 37971/97) dirigée contre la République française et dont Colas Est, Colas Ouest et Sacer (" les requérantes ") sont des sociétés françaises, respectivement sises à Colmar, Mérignac et Boulogne-Billancourt. Elles sont représentées devant la Cour par Me Goguel, avocat au barreau de Paris. Les requérantes avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 2 décembre 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. Les requérantes alléguaient la violation de leur domicile invoquant l'article 8 de la Convention.


3. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11). La Commission a déclaré la requête en partie recevable le 21 octobre 1998 puis, faute d'avoir pu en terminer l'examen avant le 1er novembre 1999, l'a déférée à la Cour à cette date, conformément à l'article 5 § 3, seconde phrase, du Protocole n° 11 à la Convention.


4. La requête a été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.


5. Par une décision du 19 juin 2001, la chambre a déclaré la requête recevable.


6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).


7. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement de la Cour). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


8. Le syndicat national des entreprises de second uvre (SNSO) ayant dénoncé l'existence de certaines pratiques illicites commises par de grandes entreprises du bâtiment, l'administration centrale demanda à la Direction Nationale des Enquêtes (DNE) d'effectuer une enquête administrative de grande ampleur sur le comportement des entreprises de travaux publics.


9. Par une note en date du 9 octobre 1985, le directeur de la direction Nationale des Enquêtes, rattachée à la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation, devenue le 5 novembre 1985 la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la " DGCCRF ") apporta des précisions aux responsables interdépartementaux sur l'enquête envisagée concernant le comportement des entreprises de travaux publics routiers lors de la passation de marchés locaux. A sa note fut annexée la liste des entreprises à visiter, soit à leur siège, soit dans leur agence locale, dans dix-sept départements. Les trois sociétés requérantes y figuraient.


10. Le 19 novembre 1985, des enquêteurs de la DGCCRF effectuèrent, sans l'autorisation des responsables des sociétés concernées, une intervention simultanée réalisée auprès de cinquante-six sociétés et saisirent à cette occasion plusieurs milliers de documents. Dans un second temps, le 15 octobre 1986, ils procédèrent à des investigations complémentaires dans le but de recueillir des déclarations.


11. Chaque fois, les agents enquêteurs se sont rendus dans les locaux des sociétés requérantes, intervenant sur le fondement des dispositions de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, ne prévoyant aucune autorisation judiciaire. Lors de ces interventions, les enquêteurs procédèrent à la saisie de divers documents qui permirent d'établir l'existence d'ententes illicites relatives à certains marchés ne figurant pas sur la liste des marchés concernés par l'enquête.


12. Le 14 novembre 1986, le ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation saisit, sur la base de ces documents, la commission de la concurrence (devenue après l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le Conseil de la Concurrence) de faits qu'il estimait pouvoir être qualifiés de concertation entre entreprises distinctes, de simulation de concurrence entre entreprises appartenant à un même groupe lors de la passation de marchés locaux de travaux publics routiers et de clauses limitant le jeu de la concurrence dans l'exploitation de centrales d'enrobage.


13. Le 30 juillet 1987, le directeur général de la DGCCRF adressa une saisine complémentaire au conseil de la concurrence pour des faits de même nature. Cette saisine concernait cinquante-cinq entreprises, dont les requérantes.


14. Par décision en date du 25 octobre 1989, publiée au bulletin de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après le " BOCCRF "), le conseil de la concurrence, constatant les pratiques prohibées au sens de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'ordonnance du 1er décembre 1986, infligea aux requérantes des sanctions pécuniaires d'un montant respectif de douze millions de francs, quatre millions de francs et six millions de francs.


15. Par arrêt du 4 juillet 1990, publié au BOCCRF, la cour d'appel de Paris confirma l'ensemble de ces sanctions. Les sociétés requérantes se pourvurent en cassation.


16. Par arrêt du 6 octobre 1992, également publié au BOCCRF, la chambre commerciale de la Cour de cassation cassa l'arrêt de la cour d'appel de Paris, au motif que celle-ci n'avait pas, en ce qui concerne la détermination du chiffre d'affaires et la fixation du montant des sanctions, donné de base légale à sa décision. Elle renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.


17. Devant la cour d'appel de renvoi, les sociétés requérantes contestèrent la régularité des perquisitions et des saisies effectuées par les agents enquêteurs, sans autorisation judiciaire, sur la base de l'ordonnance de 1945. Elles invoquèrent l'article 8 de la Convention.


18. Le 8 avril 1994, le chef du Service de la concurrence et de l'orientation des activités relevant de la DGCCRF présenta pour le Ministre de l'Économie des observations complémentaires notamment en ces termes :


" (...) je m'attarderai sur deux points concernant la procédure d'enquête (...) :


- les enquêtes menées sous l'empire de l'ordonnance de 1945 auraient dû, conformément à la Convention Européenne des Droits de l'Homme, faire l'objet d'une autorisation préalable du juge (...)


- en second lieu, les saisies effectuées par les agents de la DGCCRF ont dépassé l'objet même des interventions, dans la mesure où ont été pris au siège de plusieurs entreprises des documents non visés expressément par la demande d'enquête.


(...) l'article 15 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 est très explicite dans sa formulation puisqu'il précise que lors des procédures d'enquête les agents peuvent exiger la communication, en quelque main qu'ils se trouvent, et procéder à la saisie de documents de toute nature propre à faciliter l'accomplissement de leurs fonctions. La spécificité de cette procédure résidait dans le fait que, contrairement aux dispositions actuelles introduites par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les enquêtes n'étaient pas menées sous le contrôle permanent du juge. En l'absence de tout texte, on conçoit mal quelle procédure de contrôle aurait dû être observée.


(...) il ressort des dispositions des ordonnances de 1945 que les enquêteurs étaient dotés de pouvoirs de visite et de saisie, qu'ils mettaient en uvre dans le cadre de leur mission générale, laquelle consistait à rechercher des indices. En effet, l'article 15 précédemment cité doit être apprécié au regard de l'article 16 de cette même ordonnance qui donnait aux enquêteurs le droit d'accéder librement aux locaux (...) "


19. Le 4 juillet 1994, la cour d'appel de Paris, autrement composée, considéra notamment :


" que l'enquête administrative a été diligentée en application de l'article 15 de l'ordonnance précitée ; qu'en vertu de cette disposition, les agents de contrôle sont autorisés à se faire communiquer en quelque main qu'ils se trouvent et à saisir les documents de toute nature propre à faciliter l'accomplissement de leur mission ; qu'ils ont un droit général de communication de documents renforcé par un pouvoir de saisie ; qu'aucune perquisition n'ayant eu lieu au cours de l'enquête administrative, les entreprises ne sont pas fondées à invoquer une atteinte à la vie privée ou au domicile en violation de l'article 8 de la Convention (...) "


20. La cour d'appel infligea des sanctions pécuniaires de cinq millions de francs à la première requérante, de trois millions de francs à la deuxième et de six millions à la troisième. Les sociétés requérantes se pourvurent à nouveau en cassation.


21. Par arrêt du 4 juin 1996, publié au BOCCRF, la Cour de cassation rejeta les pourvois. En particulier, la Cour de cassation rejeta le moyen fondé sur l'article 8 de la Convention en considérant notamment " que l'enquête administrative (...) n'[avait] donné lieu à aucune perquisition ni contrainte ".


II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


1. Le régime applicable


22. Au moment des opérations litigieuses (19 novembre 1985 et 15 octobre 1986), les articles 15 et 16 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, à la poursuite et à la répression des infractions à la législation économique étaient ainsi rédigés :


Livre II. - De la constatation des infractions et de la saisie


Article 15


" Les agents visés à l'article 6 (§§ 1 et 2) peuvent exiger la communication, en quelque main qu'ils se trouvent, et procéder à la saisie des documents de toute nature (...) propres à faciliter l'accomplissement de leur mission. Ils ont le droit de prélever des échantillons.


Les agents de la direction générale du commerce intérieur et des prix, de la direction générale des impôts, de la direction générale des douanes et droits indirects, du service de la répression des fraudes et du service des instruments de mesure peuvent également, sans se voir opposer le secret professionnel, consulter tous les documents dans les administrations ou offices de l'Etat, des départements et des communes, les établissements publics et assimilés, les établissements et organismes placés sous le contrôle de l'Etat ainsi que les entreprises et services concédés par l'Etat, les départements et les communes. "


Article 16


" (...) Les agents visés à l'article 6 ont libre accès dans les magasins si ceux-ci ne constituent pas l'habitation du commerçant, auquel cas la perquisition ne pourra avoir lieu que selon les dispositions de l'alinéa 5, dans les arrière-magasins, bureaux annexes, dépots, exploitations, lieux de productions, de vente, d'expédition ou de stockage et d'une façon générale, en quelque lieu que ce soit, sous réserve, en ce qui concerne les locaux d'habitations, des dispositions prévues par le cinquième alinéa du présent article (...) "


2. Le régime ultérieur


23. Les dispositions pertinentes de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, abrogeant l'ordonnance n°45-1484 du 30 juin 1945, se lisent comme suit:


Article 47


" Les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transports à usage professionnels, demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place, les renseignements et justifications.


Ils peuvent demander à l'autorité dont ils dépendent de désigner un expert pour procéder à toute expertise contradictoire nécessaire. "


Article 48


" Les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites en tous lieux, ainsi qu'à la saisie de documents, que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'Economie ou le Conseil de la concurrence et sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une action simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des présidents compétents.


Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite.


La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne un ou plusieurs officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. Lorsqu'elles ont lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s'effectue la visite.


Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.


L'ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent article n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale. Ce pourvoi n'est pas suspensif.


La visite, qui ne peut commencer avant six heures ou après vingt et une heure, est effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant.


Les enquêteurs, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie.


Les inventaires et mises sous scellés sont réalisés conformément à l'article 56 du Code de procédure pénale.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.