Jurisprudence : CEDH, 11-04-2002, Req. 48679/99, AEPI S.A.

CEDH, 11-04-2002, Req. 48679/99, AEPI S.A.

A4981AY7

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Cour européenne des droits de l'homme

11 avril 2002

Requête n°48679/99

AEPI S.A.



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


PREMIÈRE SECTION


AFFAIRE AEPI S.A. c. GRÈCE


(Requête n° 48679/99)


ARRÊT


STRASBOURG


11 avril 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Aepi S.A. c. Grèce,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :


Mme F. Tulkens, présidente,


MM. C.L. Rozakis,


P. Lorenzen,


Mme N. Vajic,


MM. E. Levits,


A. Kovler,


V. Zagrebelsky, juges,


et de M. E. Fribergh, greffier de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mars 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 48679/99) dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme ayant son siège dans cet Etat, la société Aepi (Société hellénique pour la protection des droits d'auteur) (" la requérante "), a saisi la Cour le 31 mars 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. La requérante est représentée devant la Cour par Me T. Asprogerakas-Grivas, avocat à Athènes, et M. G. Krippas, conseiller juridique de cette société. Le gouvernement grec (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. P. Georgakopoulos, conseiller auprès du Conseil juridique de l'Etat, et Mme V. Pelekou, auditeur auprès du Conseil juridique de l'Etat.


3. La requérante alléguait une violation de son droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.


4. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.


5. Par une décision du 3 mai 2001, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.


6. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


7. Créée en 1930, l'AEPI est compétente en matière de droits d'auteur, à savoir percevoir les droits pour l'utilisation des oeuvres littéraires et artistiques, revendiquer ces droits auprès des utilisateurs qui refusent de les verser et distribuer aux auteurs les sommes perçues. Elle représente en Grèce un grand nombre des créateurs de musique grecs et étrangers (compositeurs, auteurs, traducteurs, adaptateurs, ainsi que les héritiers et légataires de ceux-ci, étant donné que la protection du droit d'auteur s'étend jusqu'à soixante-dix ans après le décès de l'auteur). Elle affirme représenter 6 500 artistes grecs et 1 500 000 artistes étrangers, ce qui correspondrait à un pourcentage supérieur à 99,9 % du répertoire mondial de la musique. Ses actionnaires sont des tierces personnes et non les artistes eux-mêmes, qui ne participent pas à l'assemblée générale ni au conseil d'administration.


8. En vertu de l'article 54 de la loi n° 2121/1993 relative aux droits d'auteur, droits connexes et questions culturelles, les auteurs confient à des organismes, tels l'AEPI, la gestion et la protection de leurs droits patrimoniaux et de certains pouvoirs qui en découlent. Selon l'article 55 de cette loi, ces organismes ont le droit d'agir en justice en leur propre nom et ainsi introduire des plaintes, intenter des actions judiciaires, se constituer partie civile devant les tribunaux etc. Pour qu'un tel organisme puisse exercer les droits précités, il doit obtenir une autorisation du ministère de la Culture. Selon une disposition transitoire de cette loi (article 70 § 1), de tels organismes existant au moment de l'entrée en vigueur de la loi (en l'occurrence le 3 mars 1993) peuvent continuer à fonctionner à condition d'obtenir l'agrément du ministère de la Culture ; à cette fin, ils devaient déposer, dans les douze mois suivant l'entrée en vigueur de la loi, certains documents énumérés dans la loi.


9. Conformément à l'article 70 § 1 précité, le 27 mai 1993, l'AEPI déposa son dossier au ministère, qui en accusa réception le même jour. Le 29 juin 1993, le ministère envoya à la requérante un courrier attestant que tous les documents requis étaient soumis et que toutes les conditions légales pour que l'AEPI continue à fonctionner se trouvaient remplies. Le 13 juillet 1993, ce même ministère informait le ministère de l'Ordre public que l'AEPI s'était conformée aux exigences de la loi n° 2121/1993. En outre, le ministère de la Culture, par l'intermédiaire de son service compétent pour les droits d'auteur, à savoir l'Organisme pour la propriété intellectuelle, informait la requérante, les 29 juillet 1997 et 3 mars 1998, que celle-ci fonctionnait légalement pendant la période transitoire et jusqu'à l'obtention de l'agrément sollicité. Le 7 juillet 1997, ce service informait un commerçant tenant un bar que pour la diffusion des oeuvres musicales dans ce domaine il devait obtenir la licence de l'AEPI.


10. Le 16 octobre 1997, le ministère de la Culture accorda l'agrément définitif à la requérante uniquement en ce qui concerne la protection des droits de compositeurs de musiques et des paroliers. Par un arrêt n° 950/2000, le Conseil d'Etat rejeta un recours en annulation de la requérante contre l'agrément ministériel.


11. Toutefois, par un jugement du 20 janvier 1998 (n° 4303/1998), le tribunal correctionnel d'Athènes refusa à l'AEPI le droit de se constituer partie civile dans un litige pendant devant ce tribunal - où la requérante sollicitait le paiement de 15 000 drachmes pour dommage moral - au motif que le délit sous examen avait eu lieu le 3 septembre 1994, soit après l'expiration de la période transitoire de douze mois mais avant l'agrément de l'AEPI par le ministre, publié au Journal officiel du 22 octobre 1997. Ce jugement fut mis au net et enregistré dans le registre spécial du tribunal le 14 mai 1998.


12. Considérant que le tribunal correctionnel avait mal interprété et appliqué les dispositions de la loi n° 2121/1993, l'AEPI demanda au procureur général près la Cour de cassation, conformément aux articles 505 § 2 et 510 § 1 du code de procédure pénale, de se pourvoir en cassation contre le jugement n° 4303/1998. Le procureur introduisit le pourvoi le 5 juin 1998. Il conclut que le tribunal correctionnel avait mal interprété et appliqué l'article 70 de la loi n° 2121/1993.


13. Le 15 janvier 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi comme tardif par les motifs suivants :


" (...) Il résulte de l'article 473 § 3 du code de procédure pénale, qui dispose que le délai pour se pourvoir en cassation commence à courir de la date de l'enregistrement de la décision définitive au registre du tribunal, qu'un enregistrement éventuel d'une décision qui n'est pas définitive et peut encore être frappée d'appel n'entraîne aucune conséquence légale. Il s'ensuit que le délai de trente jours pour se pourvoir en cassation contre une telle décision court à compter du prononcé de celle-ci et non de son enregistrement au registre réservé aux décisions définitives.


(...)


Par ce jugement, le tribunal correctionnel déclara l'accusée coupable d'avoir enfreint les articles 1, 3 63 et 66 de la loi n° 2121/1993 et la condamna à une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 1 000 000 drachmes ; de plus, il rejeta pour manque de base légale la demande de constitution de partie civile de la [requérante] pour préjudice moral s'élevant à 15 000 drachmes. Toutefois, ce jugement pouvait faire l'objet d'un appel tant par l'accusée (article 489 § 1 c) du code de procédure pénale) que par la partie civile (pour autant qu'il en refusait la constitution, article 488) et le procureur (article 489 § 1c)). En conséquent, l'enregistrement de ce jugement dans le registre, selon les dispositions de l'article 473 § 3 du code de procédure pénale, n'est pas prévu par la loi et le délai de trente jours a commencé à courir à compter du prononcé du jugement, qui a eu lieu le 20 janvier 1998. "


14. La requérante souligne qu'elle s'était déjà par le passé pourvue en cassation, par l'intermédiaire du procureur, contre deux jugements de première instance similaires à celui de l'espèce. La Cour de cassation avait cassé ces jugements et n'avait pas rejeté les pourvois comme tardifs alors que ceux-ci avaient été, comme en l'espèce, introduits dans un délai de trente jours à compter de leur mise au net (arrêts n° 1239/1993 et n° 492/1996).


15. Selon les allégations de la requérante, à la suite du jugement n° 4305/1998 du tribunal correctionnel, 8 774 entreprises, poursuivies en 1996 et 1997 pour avoir diffusé des oeuvres musicales sans la licence de l'AEPI, refusèrent de payer des droits d'auteur à celle-ci car elles savaient qu'elle ne pouvait plus se constituer partie civile.


II. LE DROIT INTERNE PERTINENT


16. Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent :


Article 473


" 1. Lorsqu'une loi ne prévoit pas un délai spécifique, le délai d'exercice des voies de recours internes est de dix jours à compter du prononcé du jugement. Si la personne concernée n'est pas présente au prononcé du jugement, le délai susmentionné est également de dix jours, sauf si elle réside à l'étranger ou si son domicile n'est pas connu ; dans ce cas, le délai est de trente jours et court à compter de la notification du jugement.


(...)


3. Le délai de pourvoi en cassation court à partir de la transcription de l'arrêt définitif, mis au net, au registre spécial tenu au greffe de la juridiction pénale. La décision doit être mise au net dans un délai de quinze jours, sans quoi le président de la juridiction pénale encourt des sanctions disciplinaires ".


Article 479 § 2


" Le procureur près la cour d'appel (...) peut interjeter appel contre toute ordonnance rendue par la chambre d'accusation du tribunal correctionnel dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle cette ordonnance a été rendue (...) ".


Article 488


" Appel interjeté contre une décision de condamnation : a) par la partie civile : la partie civile peut interjeter appel contre une décision de condamnation, mais seulement dans la mesure où celle-ci a rejeté son action comme non-fondée sur la loi ou lui a alloué une indemnité, si la somme demandée est supérieure à (...) ".


Article 505 § 2


" Le procureur près la Cour de cassation peut se pourvoir en cassation contre toute décision dans le délai prévu par l'article 479 § 2. (...) "


EN DROIT


I. SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT


17. Le Gouvernement invite la Cour à reconsidérer sa position quant au bien-fondé de l'exception relative au non-épuisement des voies de recours internes qu'elle avait soulevée au stade de l'examen de la recevabilité de la requête. Il soutient qu'il était loisible à la requérante d'interjeter appel contre le jugement du tribunal correctionnel et ensuite de se pourvoir elle-même, le cas échéant, en cassation. L'allégation de la requérante selon laquelle elle n'avait aucun intérêt à interjeter appel car elle souhaitait seulement obtenir une interprétation correcte de la disposition légale concernant la constitution de partie civile est erronée. Le pourvoi en cassation introduit par le procureur ne peut se substituer aux voies de recours dont disposaient la requérante aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention. Enfin, le Gouvernement soutient que la requérante aurait pu introduire une action en dommages-intérêts devant les juridictions civiles.


18. La Cour n'aperçoit aucun élément nouveau pouvant l'amener à reconsidérer la position prise dans sa décision du 3 mai 2001 concernant le bien-fondé de l'exception soulevée (Association Ekin c. France, n° 39288/98, § 38). Il s'ensuit que la demande du Gouvernement doit être rejetée.


II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


19. La requérante se plaint de ce que la Cour de cassation rejeta le pourvoi du procureur comme tardif, alors qu'il ne ressort pas des dispositions du code de procédure pénale que le délai de pourvoi en cassation court à partir du prononcé de l'arrêt attaqué. Elle allègue une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :


" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "


20. La requérante rappelle que la Cour de cassation estima, qu'au moment où le procureur introduisit son pourvoi, le jugement du tribunal correctionnel était encore susceptible d'appel de la part de l'accusé et de la partie civile (dans la mesure où il rejetait la constitution de la partie civile) et que le délai prévu à l'article 473 § 3 courait en l'espèce à compter du prononcé du jugement et non de l'enregistrement de celui-ci dans le registre spécial tenu au greffe de la juridiction. A cet égard, la requérante allègue qu'au jour du prononcé du jugement, le texte de celui-ci n'existe pas. Or, afin de se pourvoir utilement en cassation, il est indispensable de connaître la motivation de la décision critiquée. En l'espèce, le jugement attaqué fut prononcé le 20 janvier 1998 et mis au net et enregistré le 14 mai 1998 ; le pourvoi litigieux fut introduit le 5 juin 1998. La requérante soutient qu'il ne ressort pas clairement des dispositions pertinentes du code de procédure pénale que le délai de trente jours court à compter du prononcé. A supposer même qu'il en soit ainsi, ce délai serait insuffisant car il obligerait les personnes qui souhaitent se pourvoir en cassation de se fonder sur une décision dont les motifs ne seraient pas encore formulés par écrit. Pour appuyer son argumentation à cet égard, la requérante invoque par analogie l'arrêt de la Cour dans l'affaire Hadjianastassiou c. Grèce (16 décembre 1992, série A n° 252, §§ 29-37).


21. Le Gouvernement soutient que la requérante ne fut pas privée de son droit d'accès à un tribunal. L'arrêt n° 858/1999 de la Cour de cassation était motivé et correct sur le plan juridique et suivait la jurisprudence constante en la matière. Le Gouvernement souligne que le procureur peut introduire un pourvoi en cassation contre toute décision, même si elle est susceptible d'appel. Mais comme l'article 473 § 3 du code de procédure pénale précise que le délai pour se pourvoir court à compter de la date à laquelle une décision définitive est mise au net et enregistrée sur le registre spécial, il s'ensuit que l'enregistrement d'une décision qui n'est pas définitive ne produit aucune conséquence juridique et que le délai dont dispose le procureur pour se pourvoir en cassation court à partir du prononcé. Si le législateur voulait instituer un délai spécifique dans ce cas, il l'aurait précisé expressément. Enfin, le Gouvernement affirme que cette interprétation de l'article 473 § 3 cadre avec le but de celui-ci, car la mise au net d'une décision susceptible d'appel n'est pas indispensable ; en effet, l'appel étant une formalité, il n'est pas nécessaire à l'appelant, contrairement à celui qui se pourvoit en cassation, de disposer du texte intégral de la décision.


22. La requérante rétorque que les dispositions du code de procédure pénale entraînent par leur existence même une entrave intolérable au droit d'accès à un tribunal et non seulement en raison de la manière dont elles furent appliquées dans le cas d'espèce. Elle rappelle qu'en Grèce, lorsqu'un jugement est prononcé, seul le dispositif est lu, alors que la motivation n'est disponible que plus tard, avec la mise au net du jugement. Il s'ensuit que les parties qui souhaitent se pourvoir pour une question de droit, se trouvent dans l'impossibilité de le faire. Elle souligne, en outre, que l'arrêt de la Cour de cassation constituait un revirement imprévisible de la jurisprudence suivie jusqu'alors, selon laquelle le délai courait à partir de la mise au net du jugement.


23. La Cour rappelle qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2955, § 31, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Ceci est particulièrement vrai s'agissant de l'interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l'introduction de recours (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2796, § 31). Dans l'arrêt Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne (28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p.3255, § 45), la Cour a jugé que la réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise certes à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s'attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible.


24. La Cour note qu'il ressort des articles 505 § 2 et 479 § 2 que le délai pour l'introduction d'un pourvoi en cassation par le procureur est de trente jours et que ce délai court à compter du prononcé de la décision attaquée. L'article 473 § 3 contient une disposition particulière quant au point de départ de ce délai lorsque la décision attaquée ne peut pas être frappée d'appel : dans ce cas, le délai court à compter de la mise au net de la décision.


25. En l'espèce, la requérante se pourvut en cassation vingt jours après avoir pris connaissance du texte même du jugement du tribunal correctionnel, par l'intermédiaire du procureur adjoint auprès de la Cour de cassation, qui concluait que ce tribunal avait mal interprété et appliqué l'article 70 de la loi sur la propriété intellectuelle. Toutefois, la Cour de cassation rejeta le pourvoi comme tardif ; elle releva que le jugement pouvait encore faire l'objet d'un appel et que donc le délai courait à compter du prononcé de celui-ci et non de sa mise au net.


26. La Cour note qu'indépendamment de la possibilité qui existait en l'espèce d'interjeter appel contre le jugement du tribunal correctionnel, la requérante souhaitait se pourvoir en cassation contre ce jugement afin de contester, non pas des points de faits, mais certains points de droit contenus dans les motifs du jugement. Le texte intégral du jugement était donc nécessaire afin qu'elle puisse formuler avec clarté et précision ses moyens en cassation.


27. Mais avant tout et surtout, la Cour rappelle que la requérante se pourvut en cassation par l'intermédiaire du ministère public. Or, si l'état du droit pertinent en la matière était tel que le décrit le Gouvernement, le ministère public, rôdé aux questions procédurales liées à ses compétences, aurait sans doute refusé de le faire.


28. En rejetant le pourvoi comme tardif dans ces circonstances, au motif qu'il était introduit dans un délai qui courait à partir du prononcé du jugement, et non de la mise au net de celui-ci, la Cour estime que la Cour de cassation a privé la requérante du droit d'accès à un tribunal. Elle conclut donc qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1.


III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


29. Aux termes de l'article 41 de la Convention,


" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage matériel


30. La requérante rappelle que pendant la période 1996-1997, 8 774 entreprises ont refusé de payer des droits d'auteur et la requérante introduisit plusieurs actions devant les tribunaux correctionnels et porta plainte contre plusieurs contrevenants, selon l'article 63 de la loi sur les droits d'auteur. A la suite de l'arrêt de la Cour de cassation, la requérante fut obligée d'abandonner les plaintes et de ne pas donner suite aux affaires pendantes devant les tribunaux. Or, les recettes que la requérante aurait perdues suite à cet arrêt s'élèveraient au bas mot à 650 000 000 GRD.


31. Le Gouvernement soutient que le dommage allégué n'a pas de lien de causalité directe avec la violation de l'article 6 § 1.


32. La Cour ne peut pas spéculer sur l'issue des procédures engagées par la requérante et abandonnées, comme elle le prétend, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation. Elle estime donc ne rien devoir accorder à ce titre.


B. Dommage moral


33. Comme dommage moral, la requérante réclame 20 000 000 GRD. Elle soutient qu'elle constitue une société très importante et connue tant à l'étranger qu'en Grèce, où elle représente tous les auteurs étrangers pour toute oeuvre musicale. Or, l'arrêt de la Cour de cassation porta atteinte à son image de marque et à sa réputation quant à son efficacité à protéger les droits d'auteurs et en même temps la dissuada de se pourvoir en cassation contre d'autres jugements de tribunaux inférieurs qui lui étaient défavorables.


34. Le Gouvernement trouve ce montant excessif.


35. La Cour estime que l'arrêt de la Cour de cassation peut avoir causé une perte de chance à la requérante qu'elle évalue en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, à 20 000 EUR.


C. Frais et dépens


36. Pour ses honoraires d'avocat ainsi que ses frais et dépens, la requérante sollicite la somme de 19 310 946 GRD, dont 14 939 855 GRD pour les honoraires de ses deux représentants. Le solde correspondrait aux frais de transport et de séjour de ceux-ci à Strasbourg.


37. Avec le Gouvernement, la Cour note que la présente requête n'a donné lieu à aucune audience devant la Cour. Elle estime donc que les sommes réclamées au titre des déplacements des représentants de la requérante à Strasbourg n'étaient pas " nécessaires " au sens de la jurisprudence de la Cour. Quant aux honoraires d'avocat, la Cour estime que la complexité de l'affaire ne saurait justifier la désignation de deux avocats pour la représenter et que le taux des honoraires réclamés dépasse le caractère raisonnable. Statuant en équité la Cour accorde 11 000 EUR de ce chef.


D. Intérêts moratoires


38. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en Grèce à la date d'adoption du présent arrêt est de 6 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,


1. Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;


2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


3. Dit


a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :


i. 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral ;


ii. 11 000 EUR (onze mille euros) pour frais et dépens ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 6 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.


Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.


Erik Fribergh Françoise Tulkens


Greffier Présidente

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