Jurisprudence : CEDH, 21-03-2002, Req. 38436/97, APBP

CEDH, 21-03-2002, Req. 38436/97, APBP

A2926AYZ

Référence

CEDH, 21-03-2002, Req. 38436/97, APBP. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086552-cedh-21032002-req-3843697-apbp
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Cour européenne des droits de l'homme

21 mars 2002

Requête n°38436/97

APBP



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


PREMIÈRE SECTION


AFFAIRE APBP c. FRANCE


(Requête n° 38436/97)


ARRÊT


STRASBOURG


21 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire APBP c. France,


La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :


M. C.L. Rozakis, président,


Mme F. Tulkens,


MM. J.-P. Costa,


G. Bonello,


E. Levits,


Mme S. Botoucharova,


M. A. Kovler, juges,


et de M. E. Fribergh, greffier de section,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 février 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 38436/97) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, la société d'édition des Artistes Peignant de la Bouche et du Pied (" la requérante "), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 30 octobre 1997 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. La requérante est représentée devant la Cour par Maître C. Van Bugenhout, avocat à Bruxelles. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.


3. La requérante alléguait l'iniquité de la procédure devant le Conseil d'État.


4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).


5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.


6. Par une décision du 10 octobre 2000, la Cour a déclaré la requête recevable.


7. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée.


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


8. La société requérante fit l'objet, à compter d'avril 1985, d'une vérification de comptabilité pour les exercices 1980 à 1985, en matière d'impôts sur les sociétés. Un avis de redressement lui fut notifié, le 17 décembre 1985, au titre de la retenue à la source. Les sommes mises en recouvrement, le 14 avril 1987, se montaient à un total de 24 290 658 FF, dont une moitié pour le montant des sommes dues au titre du principal et l'autre pour le montant des sommes dues au titre des pénalités de 100 % fondées sur l'article 1731 ancien du Code général des impôts (CGI).


9. La requérante contesta sans succès le bien-fondé de ces redressements et pénalités par devant le directeur régional des impôts. Elle saisit le tribunal administratif de Strasbourg pour obtenir la décharge des impositions supplémentaires exigées au titre de la retenue à la source et des pénalités y afférentes.


10. Par jugement du 19 mai 1993, le tribunal administratif de Strasbourg rejeta sa demande. Il s'exprima notamment comme suit :


" (...) sur le bien-fondé des redressements


S'agissant de la retenue à la source (visant les redevances versées par la société requérante à l'association V.D.M.F.K. située au Liechtenstein en contrepartie du droit de reproduire et de commercialiser en France les uvres des artistes de ladite association)


(...) l'association V.D.M.F.K., par la nature de ses activités, et notamment celle qui consiste à commercialiser les reproductions d'uvres réalisées par ses membres, relève de l'impôt sur les sociétés, au sens de l'article 182 B du code général des impôts ; qu'ainsi l'administration fiscale a pu, sans commettre d'erreur de droit, se fonder sur les dispositions de l'article 182 B précitées pour assujettir à la retenue à la source les redevances en cause ; (...) "


11. La requérante interjeta appel. Par arrêt du 23 février 1995, la cour administrative d'appel de Nancy réforma le jugement frappé d'appel et déchargea partiellement la requérante de la retenue à la source qui lui avait été réclamée et des pénalités y afférentes à concurrence d'un montant global de 20 401 259 FF.


12. Le ministre du Budget se pourvut contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, en ce qu'il avait partiellement déchargé la société requérante des retenues à la source correspondant aux redevances payées au cours des exercices clos de 1981 à 1984.


13. Dans son mémoire en défense, la requérante indiqua que " la retenue à la source n'est pas exigible dès lors que l'association bénéficiaire ne [relève] pas de l'impôt sur les bénéfices français ".


14. A l'audience devant le Conseil d'État, tenue le 21 mai 1997, les débats furent clôturés à l'instant où le commissaire du Gouvernement prit la parole, conformément aux usages en vigueur. Celui-ci, après avoir qualifié d'erronée la thèse proposée par le ministre du Budget, proposa au Conseil d'État une application nouvelle du droit applicable au cas d'espèce. Il suggéra au Conseil d'État de régler l'affaire au fond par un même arrêt, en application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987. L'affaire fut ensuite mise en délibéré.


15. Par arrêt du 30 juin 1997, le Conseil d'État cassa l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, décida de régler l'affaire au fond en application de la loi du 31 décembre 1987 précitée. Sur le fond, le Conseil d'État remit à la charge de la requérante les retenues à la source dont elle avait obtenu le dégrèvement en appel ainsi que les pénalités de 100 % y afférentes, soit au total la somme de 20 401 259 FF.


16. Le Conseil d'État s'exprima notamment comme suit :


" (...) Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que (...) la société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (A.P.B.P.), qui est établie en France, a versé à V.D.M.F.K., dont le siège est au Liechtenstein, (...) des redevances (...) que l'administration a, par voie de redressement, soumises à la retenue à la source prévue par les dispositions combinées précitées des article 10 et 6 a) de la loi du 29 décembre 1976 [reprises à l'article 182 B du code général des impôts] ; que par l'article 2 de son arrêt du 23 février 1995, la cour administrative d'appel de Nancy a déchargé la société A.P.B.P., d'une part, du montant total, de 1 555 358 F, des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des redevances versées au cours de l'exercice clos en 1985, au motif que la vérification de comptabilité ayant porté sur les résultats de cet exercice avait été irrégulièrement conduite, d'autre part et au motif que V.D.M.F.K. ne relevait pas de l'impôt sur les sociétés, au sens de l'article 10 de la loi du 29 décembre 1976 précité, d'une fraction des retenues à la source afférente aux redevances payées au cours des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984, fixée, pour ces exercices, respectivement à 22 754 F, 6 295 565 F, 5 634 512 F et 8 448 458 F ; que le ministre du Budget, qui ne conteste pas la décharge de la somme ci-dessus mentionnée de 1 555 358 F, se pourvoit contre l'arrêt de la cour administrative d'appel, en tant qu'il a partiellement déchargé la société A.P.B.P. des retenues à la source correspondant aux redevances payées au cours des exercices clos de 1981 à 1984 ;


Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 10 de la loi du 29 décembre 1976, précitée, que les sommes payées par un débiteur établi en France à des personnes morales qui n'ont pas dans ce pays d'installations professionnelles permanentes, donnent lieu à retenue à la source lorsque ces personnes morales sont passibles de l'impôt sur les sociétés en France, sans qu'il y ait lieu de rechercher si elles y ont été effectivement soumises ; que, par suite, en accordant à la société A.P.B.P. la décharge des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des redevances qu'elle a payées, au cours des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984 à V.D.M.F.K. au seul motif que celle-ci n'avait pas été effectivement soumises à l'impôt sur les sociétés en France, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que l'article 2 de son arrêt doit par suite, et dans cette mesure, être annulé ;


Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 et de régler l'affaire au fond ;


Considérant que les redevances payées par la société A.P.B.P. à V.D.M.F.K. en contrepartie de l'autorisation que celle-ci lui a donnée de reproduire et de commercialiser, en France, les uvres des artistes qu'elle représente, rémunèrent des " prestations utilisées en France ", au sens de l'article 6 c) de la loi du 29 décembre 1976 ; que, par suite, la perception de ces redevances rendait V.D.M.F.K. passible, en France, de l'impôt sur les sociétés, de sorte que les sommes qui ont été payées à ce titre devaient être soumises à la retenue à la source prévue par les dispositions combinées des articles 10 et 6 c) de la loi du 29 décembre 1976 ; que dès lors, la société A.P.B.P. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 19 mai 993, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en décharge de la totalité des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des redevances qu'elle a versées à V.D.M.F.K. au cours des exercices clos en 1981, 1982, 1983 et 1984 (...) ".


17. Après le prononcé de l'arrêt, la requérante obtint communication d'une copie des conclusions du commissaire du Gouvernement auprès du bureau d'information du Conseil d'État.


II. LE DROIT INTERNE PERTINENT


A. Le code général des impôts (ancien)


18. Les dispositions pertinentes du code général des impôts (ancien) se lisent comme suit :


Article 1731


" En ce qui concerne (...) les retenues opérées au titre de l'impôt sur le revenu, les insuffisances, inexactitudes ou omissions (...) donnent lieu, lorsque la bonne foi du redevable ne peut être admise, à l'application d'une amende fiscale égale au double des majorations prévues à l'article 1729 [du Code général des impôts] et déterminée, dans les mêmes conditions que ces majorations, en fonction du montant des droits éludés ".


B. Article 11 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif


19. Les dispositions pertinentes de cette disposition se lisent comme suit :


Article 11


" (...) Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'État fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux.


S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'État peut, soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation ; soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature ; soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie (...) "" Le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence soit par la comparution volontaire des parties, soit par la convocation par procès-verbal, soit par la comparution immédiate, soit enfin par le renvoi ordonné par la juridiction d'instruction. "


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


20. La société requérante allègue une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :


" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) "


A. Argumentation des parties


1. La requérante


21. La requérante estime notamment que le commissaire du Gouvernement, en présentant des conclusions contenant une argumentation nouvelle qui lui était défavorable, s'est positionné en contradicteur. Dès lors, bien que n'étant pas juge, il devait être soumis au contradictoire, à l'instar d'un avocat général (voir les arrêts Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, série A n° 214-B, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, et Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, Recueil 1998-II). Selon la requérante, le commissaire du Gouvernement n'est pas un juge et ne peut être assimilé au conseiller rapporteur.


Elle considère que l'on ne saurait comparer l'ordre juridique communautaire avec le système de la Convention et que l'ordonnance Emesa Sugar citée par le Gouvernement n'aurait pas d'incidence en l'espèce. Elle réfute la comparaison entre le commissaire du Gouvernement et l'avocat général près la Cour de justice des Communautés européennes, tout en estimant, de plus, que le contexte procédural est différent. Enfin, elle note que l'ordonnance évoquée rappelle la possibilité pour la Cour de justice de rouvrir les débats, possibilité que dans son cas, le Conseil d'État n'a pas utilisé, en méconnaissance du droit à une procédure contradictoire.


La requérante se plaint d'ailleurs également de ce que, d'une part, le commissaire du Gouvernement a proposé une nouvelle solution au litige dans des conclusions - qui étaient défavorables à sa cause - sans qu'elle ait pu, à aucun moment, présenter des moyens en réponse et de ce que, d'autre part, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour d'appel puis évoqué l'affaire sans rouvrir les débats pour recueillir ses observations. Elle relève, pour le critiquer, qu'en outre le commissaire du Gouvernement est présent au délibéré, ce qui lui permet de répondre aux demandes des membres de la juridiction. La requérante précise que son avocat n'a pas eu l'occasion de déposer une note en délibéré et, eut-il pu le faire, celle-ci aurait été rédigée à la hâte, sans pouvoir présenter des arguments nouveaux et sans obligation, pour le Conseil d'État, d'en prendre connaissance. Elle considère notamment que le dépôt d'une note en délibéré, qui n'est prévue par aucune disposition légale, ne constitue pas une pratique établie ou admise, mais un simulacre de contradiction par contraste avec la pratique de la Cour de cassation.

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