Jurisprudence : Cass. crim., 20-03-2001, n° 00-84.384, Annulation partielle

Cass. crim., 20-03-2001, n° 00-84.384, Annulation partielle

A2855AYE

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Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 20 Mars 2001
Annulation partielle
N° de pourvoi 00-84.384
Président M. Cotte

Demandeur X
Plusieurs conseillers rapporteurs M. Le Z (arrêt n° 1), Mme Y (arrêt n° 2).
Avocat général Mme Commaret.
Avocats la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. W (arrêt n° 1), la SCP Piwnica et Molinié (arrêt n° 2).
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N° 2
ANNULATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par X, contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 5 juin 2000, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée 10 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 112-1, 121-3, 221-6 et 222-19 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable d'homicide involontaire ;
" aux motifs d'une part, qu'au vu des déclarations des élèves entendus dans le cadre de l'enquête initiale, du témoignage de M H, un voisin, et des déclarations des enseignants susrappelées, il est constant que des élèves franchissaient le muret pour accéder au talus sur le terrain communal et parfois monter sur la terrasse du bâtiment abritant les sanitaires soit pour jouer, soit pour récupérer des balles et dans cette dernière hypothèse parfois avec l'autorisation des enseignants, dont certains connaissaient nécessairement l'accessibilité à la terrasse par le talus et les dangers qui en résultaient, même si aucun accident ne s'était produit jusqu'au 17 juin 1996 ; que X, directrice de cette école depuis septembre 1992, ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait cet état de fait et elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience des risques que la configuration des lieux faisait encourir aux élèves, notamment dans l'hypothèse où ils échapperaient à la surveillance des enseignants ; que même si X ignorait la présence des échelles comme elle le soutient, bien que des enseignants pour avoir surveillé des élèves sur le talus, voire sur le toit, en train de récupérer leur balle ne pouvaient méconnaître leur existence, il n'en demeure pas moins qu'elle a commis personnellement une négligence fautive en relation de cause à effet avec la survenance de l'accident en omettant d'avertir la mairie des risques que faisait encourir aux élèves l'accessibilité de fait de la terrasse alors qu'une note de service en date du 24 avril 1990, connue de l'intéressée, recommandait aux directeurs d'école de se préoccuper de toutes les questions touchant à la sécurité des enfants et éventuellement d'informer par écrit les services municipaux des anomalies qu'ils pourraient constater ;
" aux motifs d'autre part que, s'agissant de l'organisation de la surveillance, il est constant que le 17 juin 1996, lors de la récréation de 10 heures, deux enseignantes, Z et A, conformément à l'habitude instaurée dans cette école, surveillaient les 263 enfants dans la cour alors même que plusieurs endroits, signalés par les deux enseignantes et non contestés par X comme sensibles ou présentant objectivement un certain danger, nécessitaient une vigilance particulière ; qu'aux termes de la note de service précitée du 24 avril 1990, il est rappelé que l'organisation du service de surveillance doit être effectuée en tenant compte de l'importance du groupe d'élèves présents, de la configuration et de l'état des lieux afin que la vie des élèves ne puisse en aucun cas être mise en danger ; qu'en l'espèce, le nombre d'élèves présents dans la cour et le nombre de points sensibles à surveiller démontrent incontestablement que la présence des deux enseignantes dans la cour de récréation ne permettait pas d'assurer une surveillance suffisamment effective des élèves en particulier aux alentours des points sensibles nécessitant une vigilance accrue et en tout cas suffisamment efficace pour empêcher qu'un élève puisse s'y soustraire, notamment à l'issue de la récréation lorsque les deux enseignants ont dû veiller au regroupement et au rangement des 263 élèves sous le préau, un endroit dont la configuration leur ôtait toute vue sur le muret et rendait particulièrement difficile et incertaine leur tâche ; qu'adoptant expressément les motifs pertinents des premiers juges, la Cour relève qu'en dépit de l'habitude et de l'avis du conseil des maîtres favorable au maintien de cette pratique, il appartenait à X, dont l'une des préoccupations essentielles devait être le souci de la sécurité des enfants, de s'opposer à celle-ci et d'assurer au service de surveillance une qualité et une efficacité suffisantes en augmentant le nombre des enseignants présents dans la cour ; qu'en laissant perdurer une habitude et décidant de n'affecter que deux enseignants à la surveillance de 263 élèves dans un lieu nécessitant une surveillance renforcée en divers endroits, X a fait preuve d'une carence dans l'exercice de ses fonctions et aussi commis personnellement une autre négligence fautive en relation de cause à effet avec la survenance de l'accident ;
" alors que les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; que selon l'article 1er, alinéa 2, de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels "en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquements à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer" et que la Cour d'appel, qui n'a relevé à l'encontre de X, directrice d'école n'ayant pas directement causé le dommage que des "négligences fautives en relation de cause à effet avec la survenance de l'accident" n'a pas justifié sa décision au regard de la loi nouvelle de sorte que l'arrêt attaqué encourt l'annulation ;
" alors que la notion de "violation de façon délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement suppose la constatation par le juge de trois éléments cumulatifs, en premier lieu l'existence d'une obligation "particulière", c'est-à-dire non générale, en second lieu le fait que cette obligation figure "dans une loi ou un règlement" et, en troisième lieu, une méconnaissance "délibérée de ladite obligation" ; que la première négligence fautive relevée à l'encontre de X par l'arrêt, à savoir l'omission d'avertir la mairie des risques que faisait courir aux élèves l'accessibilité de la terrasse ne réunit aucun de ces éléments dès lors d'une part qu'une simple note de service adressée, comme en l'espèce aux seuls "recteurs et inspecteurs d'académie et directeurs des services départementaux de l'éducation nationale" ne saurait être assimilée ni à la loi ni au règlement, le règlement s'entendant des seuls décrets et arrêtés, dès lors d'autre part que selon les constatations de l'arrêt, la note de service incriminée ne définit pas précisément les anomalies que le chef d'établissement doit porter à la connaissance des services municipaux et dès lors enfin que la Cour d'appel n'a pas constaté le caractère "délibéré" de l'omission relevée à l'encontre de X ;
" alors que la seconde négligence fautive relevée par l'arrêt à l'encontre de X et consistant pour la directrice d'école à n'avoir affecté à la surveillance de la cour de récréation que deux enseignants pour 263 élèves, ne constitue pas davantage la violation délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement dès lors, d'une part, que l'obligation mise à la charge du directeur d'école ne résulte que de la même note de service, dès lors, d'autre part, que cette note de service ne prescrit au chef d'établissement que d'avoir égard pour organiser la surveillance "de l'importance du groupe d'élèves présents, de la configuration et de l'état des lieux", ce qui constitue une prescription très générale et dès lors enfin qu'il ne résulte pas des constatations de l'arrêt que X se soit, en affectant seulement deux enseignants à la surveillance de la cour de récréation, "délibérément" soustraite à ses obligations ;
" alors que la notion de "faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité que la personne ne pouvait ignorer" suppose la constatation de trois éléments cumulatifs, une faute d'imprudence ou de négligence "caractérisée", c'est-à-dire d'une particulière évidence et d'une particulière intensité, la prévisibilité du risque et la particulière gravité de ce risque et que l'arrêt, qui s'est borné à faire état à l'encontre de X, de deux "négligences fautives en relation de cause à effet avec la survenance de l'accident" sans relever ni la "caractérisation" de ces fautes ni que X ait eu connaissance que ces négligences exposaient les élèves à un risque d'une particulière gravité, n'a pas légalement justifié sa décision de condamnation au regard des dispositions de l'article 121-3 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi nouvelle ;
" alors que les notions introduites par la loi du 10 juillet 2000 en faveur des personnes n'ayant pas directement causé le dommage n'ayant pas été évoquées par la cour d'appel, l'annulation est encourue afin de permettre à X de les invoquer devant la Cour de renvoi et de bénéficier ainsi du procès équitable auquel elle a droit en vertu des dispositions combinées des articles 112-1 du Code pénal et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;
Vu l'article 112-1 du Code pénal, ensemble l'article 121-3 dudit Code ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'issue d'une récréation, B, âgé de 10 ans et demi, élève d'une école communale, a accédé à la toiture en terrasse du bâtiment abritant les sanitaires de l'école et effectué une chute mortelle au travers d'un hublot du plafond ;
Attendu que, pour déclarer X, directrice de l'école, coupable d'homicide involontaire, l'arrêt énonce qu'en ne signalant pas à la commune le danger que l'accessibilité de la terrasse faisait courir aux enfants et en n'affectant pas un nombre suffisant d'instituteurs à la surveillance des élèves, la prévenue a commis des négligences ayant concouru à l'accident ;
Mais attendu que l'article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, immédiatement applicable, dispose que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures pour l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ;
Attendu qu'il y a lieu, dès lors, de procéder, en ce qui concerne X, à un nouvel examen de l'affaire au regard de ces dispositions plus favorables ;

Que, par voie de conséquence, les dispositions civiles de l'arrêt portant condamnation de l'Etat, dont la responsabilité est substituée à celle de la prévenue, membre de l'enseignement public, doivent également être annulées ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen proposé
ANNULE, en ses seules dispositions pénales et civiles relatives à X et à l'Etat, responsable par substitution à celle-ci, l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, en date du 5 juin 2000, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de l'annulation ainsi prononcée
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen.

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